Chers lecteurs, le blog du droit électoral vous présente tous ses vœux pour l’année 2017, année électorale chargée si l’en est ! Et pour ne pas être trop centrés sur nous-mêmes, Dodji Akaptcha nous fait le plaisir de commencer cette année par une analyse de droit comparé consacrée à l’analyse de la nouvelle Constitution de Côte d’Ivoire. Merci à lui et bonne lecture !
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La Constitution ivoirienne de la IIIe République adoptée par référendum le 30 octobre 2016 est entrée en vigueur après sa promulgation par le président Ouattara le 8 novembre 2016. Surnommée « Constitution Ouattara » du fait qu’elle ait été initiée et portée par le chef de l’Etat traduisant dans les faits une promesse de campagne lors de sa réélection en 2015 (1), cette nouvelle loi fondamentale est censée, selon le président ivoirien, permettre au peuple ivoirien de « tourner définitivement la page des crises successives (2) ». Cette page, marquée par une décennie de crise politico-militaire autour notamment des conditions d’éligibilité à la présidence de la République fondées sur le concept d’ « ivoirité », ne paraît aujourd’hui plus qu’un lointain souvenir.
Les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire sont définies par l’article 55 de la Constitution du 8 novembre 2016. Elles sont marquées principalement par la souplesse des conditions de nationalité et de résidence ainsi que l’abaissement et le déplafonnement de l’âge des candidats. C’est précisément l’alinéa 3 de l’article 55 qui règle en deux phrases ce que l’article 35 de la Constitution précédente du 23 juillet 2000 a disposé en une dizaine de phrases. Ceci démontre formellement toute la simplicité qui caractérise aujourd’hui les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle. Cette question revêt une importance particulière dans la nouvelle Constitution ivoirienne dans la mesure où durant les deux dernières décennies, les crises politiques auxquelles a été confronté l’Etat ivoirien reposaient principalement sur les conditions complexes de nationalité et de résidence des candidats à la magistrature suprême. L’activation et la cristallisation du concept d’ « ivoirité » sur le plan politique au milieu des années quatre-vingt-dix avait alors conditionné la candidature à l’élection présidentielle à des conditions de nationalité et de résidence rigoureuses, définies par le code électoral et la Constitution.
Signification du concept d’ivoirité et son usage politique
Certains auteurs considèrent le concept d’ivoirité est la traduction ivoirienne de la notion de « préférence nationale » (3). Il a été créé et impulsé par les opposants à la politique d’ouverture à l’immigration sous-régionale mise en place par le Président Houphouët dans les années soixante-dix. Au départ évoqué sur le plan économique pour revendiquer le protectionnisme du marché ivoirien, le concept d’ivoirité fit son apparition sur le plan politique avec le décès du président Houphouët et l’avènement au pouvoir d’Henri Konan-Bédié en 1993. Le concept d’ivoirité se manifeste sur le plan électoral d’abord par l’amendement du code électoral ivoirien du 13 décembre 1994 (4) sur l’initiative du président Bédié. Cet amendement retire le droit de vote à tous les étrangers et s’est attaqué aux conditions d’éligibilité à la présidence de la République avec la modification de l’article 49 qui dispose que « nul ne peut être élu président de la République, s’il n’est ivoirien de naissance, né de père et de mère, eux-mêmes ivoiriens de naissance ».
La révision de cet article 49 renforce la condition de nationalité dans la mesure où elle exige désormais que les ascendants du candidat soient tous les deux d’origine ivoirienne, dans un pays jadis réputé pour sa politique d’ouverture aux populations des autres Etats de la sous-région ouest-africaine. Toutefois, nul n’était dupe sur le fait que cette loi électorale était dirigée contre la personne d’Alassane Dramane Ouattara, ex-Premier ministre, dont le père est d’origine burkinabé. Il s’agissait alors pour le Président Bedié, en faisant amender la loi électorale, de neutraliser un rival redoutable pour l’élection présidentielle de 1996 (5). Cette politique de marginalisation de l’ex-Premier ministre, fondée sur le concept d’ivoirité a été, au demeurant, source d’instabilité de l’Etat, conclue par le coup d’Etat militaire du 24 décembre 1999. Après la transition, les conditions d’éligibilité à la présidence de la République étaient encore au cœur de la rédaction de la nouvelle Constitution ivoirienne de 2000. Après moult rebondissements, la mouture adoptée par référendum et promulguée le 23 juillet 2000 constitutionnalise l’ivoirité électorale. En effet, l’article 35 de la nouvelle Constitution reprend et accentue les dispositions de l’article 49 du code électoral en disposant que le candidat « (…) doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité (…) ». La Constitution de 2000 cristallise ainsi, sans le nommer, le concept d’ivoirité, en ajoutant d’autres conditions drastiques telles que l’obligation de résider « en Côte d’Ivoire de façon continue pendant cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence effective ». C’est dans ce contexte qu’Alassane Ouatarra, victime désignée du concept d’ivoirité, fut une nouvelle fois écartée de l’élection présidentielle d’octobre 2000 par la Cour constitutionnelle pour « nationalité douteuse ».
La victoire à l’élection présidentielle de Laurent Gbagbo, ardent défenseur de première heure du concept d’ivoirité, cristallisa encore plus ce concept, sans toutefois s’assurer de l’adhésion de l’ensemble de la population dont une certaine frange, se sentant exclue de la vie politique, se rallia par solidarité à Alassane Ouattara. L’instabilité chronique des années 2000 du fait de la rébellion armée remit le concept d’ivoirité à l’ordre du jour de l’agenda politique. Les interminables pourparlers de sortie de crise préconisaient une réforme constitutionnelle dans le sens de l’abandon de l’ivoirité, mais rien n’y fit. Si au final Alassane Ouattara a pu se présenter à l’élection présidentielle de 2010, ce ne fut que par l’effet des accords de Pretoria de 2005, qui ont contraint le Président Gbagbo à accepter la candidature par la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels que lui reconnaît l’article 48 de la Constitution (6).
Que reste-t-il du concept d’ivoirité dans la Constitution ivoirienne ?
Dès son élection en 2010, le Président Ouattara, qui plus que n’importe quel homme politique ivoirien a le plus souffert du concept d’ivoirité, n’a jamais caché son intention d’éradiquer ce concept de la vie politique ivoirienne. La réforme constitutionnelle du 8 novembre 2016 modifie les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle en éliminant les vecteurs de l’ivoirité. En effet, en lieu et place de l’ancien article 35 de la Constitution de 2000 très controversé, l’article 55 al.3 de la nouvelle Constitution dispose que « le candidat à l’élection (…) doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine ». Cette disposition élimine ainsi dans un premier temps les références à l’origine du candidat et de ses parents, en ne retenant que la référence à la nationalité.
La référence à la nationalité ivoirienne plutôt qu’à l’origine des candidats constitue une réelle souplesse dans la mesure où il suffit désormais que le candidat dispose au moment de sa candidature de la nationalité ivoirienne pour être candidat sans qu’il y ait besoin de vérifier s’il s’est à un moment donné prévalu d’une autre nationalité. Mais la principale innovation réside dans la substitution de la conjonction de coordination « ou » au « et », s’agissant de l’origine des parents du candidat. En effet, il suffit désormais que l’un des ascendants du candidat soit d’origine ivoirienne alors qu’auparavant l’origine ivoirienne des deux parents était requise. Cette disposition, qui non seulement régularise la situation du président actuel, dont le père est d’origine burkinabé et qui s’est prévalu à un moment donné de la nationalité burkinabé, mais favorise également de nombreux ivoiriens descendants d’immigrés. Cette fois-ci, on peut le dire, les germes du concept d’ivoirité sont éliminés de la Constitution, ce qui paraît plutôt louable dans la mesure où ce concept n’a jamais été rassembleur mais plutôt vecteur de division et d’instabilité chronique de l’Etat ivoirien. L’autre innovation de l’article 55 al.3 de la Constitution ivoirienne réside dans l’abaissement et le déplafonnement de l’âge des candidats.
L’abaissement et le déplafonnement de l’âge des candidats à l’élection présidentielle : la constitutionnalisation d’un deal politique…
Au-delà du concept d’ivoirité, la nouvelle Constitution ivoirienne s’est également attaquée à l’âge des candidats à l’élection présidentielle. En effet, la Constitution du 23 juillet 2000 avait institué à la fois un âge plancher et un âge plafond pour les candidats en disposant en son article 35 que « le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante-quinze ans au plus ». Cette disposition a été remplacée par celle de l’article 55 al.3 qui ne retient désormais que l’âge plancher qu’il abaisse par la même occasion à trente-cinq ans. Désormais, il n’y a plus de plafonnement d’âge pour se présenter à l’élection présidentielle. A première vue, et prise isolément, cette disposition peut être considérée comme taillée sur mesure pour le Président Ouattara, dans la mesure où ce dernier, actuellement âgé de 74 ans et dont le mandat actuel, le deuxième consécutif, se termine en 2020 pourrait se représenter sur la base de la nouvelle Constitution. Or la Constitution l’en empêche à l’alinéa 1er de l’article 53 qui limite le nombre de mandats consécutifs à deux.
Alors, on peut se demander si le déplafonnement de l’âge pour être candidat n’est qu’un prélude à une révision prochaine de la limitation du mandat présidentiel ? Certains observateurs préfèrent voir dans ce déplafonnement de l’âge des candidats, non pas une disposition en faveur du Président Ouattara, mais plutôt la constitutionnalisation d’un deal politique avec l’ex-président Henri Konan-Bedie, dont le parti, le PDCI, fait partie de la coalition présidentielle depuis 2010. En vertu de ce deal, le leader du PDCI, ce dernier, tout frais octogénaire, pourrait se présenter à l’élection présidentielle de 2020 au nom de la coalition PDCI-RDA actuellement au pouvoir et tenter de succéder à l’actuel président. Il s’agirait ainsi d’un passage de témoin entre deux personnalités qui non seulement se sont livrés une guerre sans précédent pour le pouvoir mais aussi auront démontré leur capacité à réaliser des alliances de circonstances pour acquérir et se partager le pouvoir. Toutefois, à l’heure où l’on évoque presque partout le renouvellement des élites politiques afin de prendre en compte l’extrême jeunesse des populations africaines, le déplafonnement de l’âge présidentiel en Côte d’Ivoire interroge sur son opportunité. Tout compte fait, il convient d’attendre la fin du second mandat de l’actuel président et l’élection présidentielle de 2020 pour mesurer l’impact des nouvelles règles électorales. Affaire à suivre…
Dodji Zeus Akpatacha
1 Jeune Afrique, « Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara veut modifier la Constitution et supprimer l’« ivoirité » s’il est réélu », en savoir plus sur http://www.jeuneafrique.com/273031/politique/cote-divoire-alassane-ouattaraveut-modifier-constitution-supprimer-l-ivoirite-sil-reelu/
2 Cité par BENSIMON (C.), « A Abidjan, la nouvelle Constitution mettra fin à l’« ivoirité » », En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/28/a-abidjan-le-projet-de-nouvelle-constitution-met-fin-a-livoirite_5021862_3212.html#qAO7hfOAv9Zy1BFO.99
3 BRAECKMANN (C.), « Aux sources de la crise ivoirienne », In Manière de voir n° 79, février-mars 2005, p. 80
4 Loi n° 94-642 du 13 décembre 1994, portant code électoral 5 OTAYEK (R.), « Ethnicisation du politique et transition démocratique : La Côte d’Ivoire entre crispations identitaires et invention de la citoyenneté », in FERON (E.), HASTINGS (M.), L’imaginaire des conflits communautaires, Paris, L’Harmattan, 2002, p.113
5 OTAYEK (R.), « Ethnicisation du politique et transition démocratique : La Côte d’Ivoire entre crispations identitaires et invention de la citoyenneté », in FERON (E.), HASTINGS (M.), L’imaginaire des conflits communautaires, Paris, L’Harmattan, 2002, p.113
6 Le Monde-Afrique, « En acceptant la candidature de Ouattara, Gbagbo se dote également des pleins pouvoirs » En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2005/04/27/en-acceptant-la-candidature-de-ouattaragbagbo-se-dote-egalement-des-pleins-pouvoirs-en-cote-d-ivoire_643712_3212.html#3zfUkbxEApS37crO.99
Je voulais savoir, entends que fils de ce pays . est-ce que en côte d’Ivoire après deux mandats il es possible de soutenu un troisième mandat
je penses pour ma part qu’on ne pas évaluer l’ivoirité seulement sur le plan politique;il y a aussi le plan sociale , économique et culturelle, quand ont dit que ce concept est une machination du président BEDIE contre la politique d’immigration , c’est assurément faux il serrait important de regarder fortement vocable *ivoirité*……
Les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle en 2020 sont fixées par l’article 55 al.3 de la Constitution du 8 novembre 2016 : « Le candidat à l’élection présidentielle doit jouir de ses droits civils et politiques et doit être âgé de trente-cinq ans au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine ». On peut y rajouter l’al.1er du même article qui limite le mandat présidentiel à deux.