Dans une info publiée sur X vendredi 5 juillet à 21h53 juste avant le début de la période de réserve électorale, le JDD annonçait « Le Gouvernement s’apprête à suspendre la loi Immigration ».
Au delà du titre puta-clic publié sur X, l’article en lui-même est plus prudent : le titre de l’article devient un « DOCUMENT. Le gouvernement a envisagé de repousser la publication des décrets d’application des éléments les plus répressifs de la loi immigration, comme en témoigne le document que le JDD a pu consulter. Face au tollé provoqué par nos informations, la porte-parole du gouvernement affirme que « les décrets seront publiés dans les délais » ».
D’après Serge Slama, professeur spécialiste du droit des étrangers, l’information est objectivement fausse : « En réalité ce n’est que le report de la réforme – technique – du contentieux administratif des étrangers qui est prête depuis un moment. Et si ce journal faisait du journalisme en croisant les sources et n’était pas totalement ignare en droit des étrangers, il aurait signalé qu’en tout état de cause cette réforme entre en vigueur le 1er août 2024 – publication du décret ou pas ».
La publication de ce document a donné lieu à une réaction de Renaissance et Stéphane Séjourné, indiquant « Fake news et manipulation grossière à 24h du scrutin. Le @leJDD @CNEWS et @EUROPE1 s’emploient dans une opération coordonnée avec un parti politique à tromper les électeurs. Nous saisissons le tribunal judiciaire de Paris d’une action anti fake news » (v. tweet ci-dessus).
D’après Renaissance, il s’agirait donc d’une infox publiée juste avant la période de réserve, créeant une information nouvelle dans le débat électoral ne pouvant être discutée puisque la campagne est terminée, grief classique que l’on retrouve régulièrement en contentieux électoral. On se rappelle, en 2017, les Macron Leaks qui étaient intervenus en toutes fin de campagne électorale. Plus récemment, la question de la lutte contre les Fake News et autres Deep Fake s’était imposée comme un thème majeur des élections européennes : deux articles avaient pu être consacrés à cette question sur le blog du droit électoral.
L’originalité ici, et le sujet qu’il faudra suivre, est l’annonce de la saisine du tribunal judiciaire de Paris dans sa formation de juge des référés anti-Fake News, ce qui constitue une hypothèse inédite en tant que cette saisine serait dirigée contre un organisme de presse.
Depuis la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, la législation électorale repose sur deux piliers, la transparence et l’autorégulation des plate-formes et la possibilité de saisir le juge des référés, le tribunal judiciaire de Paris, pour faire cesser la diffusion de fausses informations, en plus des contraintes pénales habituelles. L’article L. 163-2 du code électoral prévoit ainsi que « I.-Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises, lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne, le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire aux personnes physiques ou morales mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même I toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine ». Au nom du respect du principe de la liberté d’expression, le Conseil constitutionnel avait réalisé une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018, considérant que ce dispositif devait être réservé à une diffusion artificielle, avec des informations manifestement mensongères et un impact manifeste sur la sincérité du scrutin. Par ailleurs comme comme l’a précisé le Conseil constitutionnel dans sa réserve, ces allégations ou imputations manifestement trompeuses ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Les informations en question sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. Seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée.
Un tel dispositif n’a à l’évidence pas été pensé contre une Fake News qui aurait été volontairement diffusée, sur les réseaux sociaux y compris par exemple avec de la publicité, par des organes de presse. Un tel dispositif serait-il applicable dans ce cas de figure ? Quid de la liberté d’expression et d’information ? Le juge se déclarerait-il habilité à faire quoi que ce soit dans cette hypothèse ? La saisine du juge par Renaissance est-elle sincère ou s’agit-il d’un contre-feu ? Le groupe de presse visé a-t-il sciemment organisé une campagne d’information ? Dans tous les cas, n’est-ce pas très préoccupant pour la démocratie ?
Le juriste de droit électoral, lui, ne peut que s’intéresser à ce cas totalement inédit et attendre la jurisprudence du tribunal judiciaire de Paris !