Nouvelle-Calédonie (encore) – le Conseil d’Etat renvoie une QPC relative aux effets des inéligiblités prononcées contre les élus du Congrès : la suite du feuilleton sur les conséquences électorales de l’exécution provisoire ! [R. Rambaud]

Spread the love

En raison de la complexité du contexte néo-calédonien peut-être, après les deux QPC renvoyées par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation concernant la constitutionnalité du corps électoral restreint des élections provinciales de Nouvelle Calédonie, voici une nouvelle QPC transmise au Conseil constitutionnel, ayant un rapport direct avec une autre question très controversée du moment, celle des conséquences à tirer d’une inéligibilité prononcée par le juge pénal sur un mandat en cours et sur laquelle le Conseil constitutionnel s’est prononcée dans le contexte que l’on connait le 28 mars dernier…. Soit une QPC au carrefour de plusieurs problématiques clés du droit électoral aujourd’hui !

Cette transmission de QPC résulte d’un arrêt du Conseil d’Etat du 26 juin 2025.

Changement de circonstances et caractère sérieux de la question d’après le Conseil d’Etat

En effet, M. Jacques Lalie, ancien président de l’Assemblée de la province des îles Loyauté, a fait l’objet d’un arrêt du 29 novembre 2024 par lequel le haut-commissaire de la République l’a déclaré, en application du III de l’article 195 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, démissionnaire d’office de ses mandats de membre du congrès de la Nouvelle-Calédonie et de membre de l’assemblée de la province des îles Loyauté, ainsi que de tout mandat lié à ceux-ci. Cet arrêté faisait suite à un arrêt du 26 novembre 2024 par lequel la cour d’appel de Nouméa l’avait condamné à douze mois d’emprisonnement avec sursis, à une amende d’un million de francs Pacifique et, à titre de peine complémentaire, à l’inéligibilité pour une durée de deux ans avec exécution provisoire.

Aux termes du III de l’article 195 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie :  » Tout membre du congrès ou d’une assemblée de province dont l’inéligibilité se révélera après l’expiration du délai pendant lequel son élection peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera frappé de l’une des incapacités qui fait perdre la qualité d’électeur, est déclaré démissionnaire par arrêté du haut-commissaire, soit d’office, soit sur réclamation de tout électeur. Les recours contre ces arrêtés sont portés devant le Conseil d’Etat « . Le requérant a alors demandé au au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de l’arrêté de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du III de l’article 195 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Or le Conseil d’Etat a décidé de transmettre la QPC soulevée alors même que le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, déclaré les dispositions en litige conformes à la Constitution, au nom d’un changement de circonstances de droit, notamment en raison des décisions récentes du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat estime ainsi qu’il résulte de la jurisprudence ultérieure du Conseil constitutionnel, notamment par sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 précitée, qu’il ne constate la déchéance, prévue par les articles L.O. 136 et L.O. 296 du code électoral, d’un parlementaire condamné à une peine d’inéligibilité qu’une fois cette condamnation devenue définitive, alors même qu’elle aurait été assortie de l’exécution provisoire. En outre, l’article 19 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a modifié l’article 432-17 du code pénal pour donner à la peine complémentaire d’inéligibilité un caractère obligatoire à l’encontre des personnes coupables de manquements à la probité. L’article 1er de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a inscrit ensuite cette règle à l’article 131-26-2 du code pénal et l’a étendue à de nombreuses autres infractions. Ces dispositions ont également été modifiées à deux reprises en 2018 et 2022. Pour le Conseil d’Etat, ces précisions jurisprudentielles et ces évolutions législatives sont susceptibles de constituer un changement des circonstances (de droit) au sens des dispositions de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

Par ailleurs, il juge la question sérieuse. Il estime que « soulève une question présentant un caractère sérieux le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ce qu’elles ne prévoient pas que la déchéance du mandat des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie ne peut intervenir qu’après que la condamnation qui la justifie, même assortie de l’exécution provisoire, a acquis un caractère définitif, instituent entre ces élus et les membres du Parlement une différence de traitement qui, eu égard à la situation particulière des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie et aux prérogatives qu’ils tiennent de la loi organique, notamment en participant à l’adoption des lois de pays qui ont force de loi dans le domaine défini à l’article 99 de la loi organique, porte atteinte au principe d’égalité devant la loi ». Ce faisant, il décide de transmettre la QPC.

Bien que le point soit intéressant au regard du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, on pourrait avoir des doutes sur les chances de succès de cette QPC. En effet, dans sa décision du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel avait justifié sa propre jurisprudence sur la déchéance des parlementaires nationaux sur le fondement de « l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement ». Il n’est pas certain que la QPC prospère, si le Conseil constitutionnel priorise le fondement de la Souveraineté nationale… Le rapporteur public du Conseil d’Etat, M. Frédéric PUIGSERVER, met en avant le fait que l’accord de Nouméa prévoit une « souveraineté partagée », que le Congrès vote des lois du Pays qui ont force de loi, que le Congrès vote le budget et qu’il peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement (mais il ne précise pas qu’il s’agit bien sûr du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie), par une motion de censure… Il lui semble que « Compte tenu de ces attributions du congrès, qui ne sont pas sans lien avec la souveraineté, la question de savoir si ses membres doivent bénéficier la protection dont jouissent les parlementaires lorsqu’ils font l’objet d’une démission d’office aussi longtemps que la condamnation qui la justifie n’est pas définitive, y compris en cas d’exécution provisoire, nous paraît sérieuse ». Le parallèle fonctionnera-t-il, au point de justifier que par application du principe d’égalité un memebre du Congrès de la Nouvelle Calédonie ne pourrait être démissionné d’office qu’une fois sa condamnation définitive ? On pourrait penser au contraire qu’un tel « privilège » devrait être réservé aux parlementaires nationaux.

Une décision qui viendra enrichir la jurisprudence en cours de consolidation sur le sujet des conséquences électorales des peines d’inéligibilité avec exécution provisoire des élus

En tout état de cause, cette QPC viendra clarifier la jurisprudence en cours de construction sur ces questions des conséquences électorales à tirer de l’inéligibilité pénale, suivant les réfléxions engagées à la suite de l’affaires des parlementaires du RN. Le 10 avril 2025, le tribunal administratif de Lille avait confirmé la démission d’office prononcée contre Marine Le Pen pour son mandat de conseillère départementale, très logiquement comme on l’avait sur le club des juristes et sur ce blog. Le tribunal a d’abord traité la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante : les dispositions législatives en cause pour les conseillers départementaux étant similaires à celles concernant les conseillers municipaux, déjà déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025, le tribunal n’a pas transmis la question au Conseil d’Etat.

Ensuite, très logiquement, par deux arrêts du Conseil d’Etat du 25 juin 2025, le Conseil d’État a rejeté les recours de deux conseillers régionaux, MM. Wallerand de Saint-Just et Nicolas Bay, contre les arrêtés préfectoraux prononçant leur démission d’office en exécution des peines d’inéligibilité prononcées à leur encontre par le juge pénal. Il n’a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité contestant la conformité à la Constitution des dispositions en cause du code électoral, telles qu’interprétées constamment par le Conseil d’État, imposant au préfet de prononcer la démission d’office de conseillers régionaux frappés par le juge pénal d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. En effet, le Conseil constitutionnel a validé dans une décision récente du 28 mars 2025 les dispositions analogues relatives aux conseillers municipaux dans la même interprétation qu’en avait faite le Conseil d’État. Pour le dire autrement, la décision du Conseil d’Etat a logiquement appliuqué aux conseillers régionaux la solution adoptée par le Conseil constitutionnel concernant les conseillers municipaux.

Le Conseil d’État relève que les dispositions du code électoral applicables aux conseillers régionaux et leur situation sont analogues aux dispositions applicables aux conseillers municipaux et à la situation de ces derniers. En effet, les conseillers régionaux ne participent ni à la Souveranaité, ni à l’élaboration de la loi, ni au contrôle du Gouvernement… Au passage le Conseil d’Etat indique également notamment que  » s’il résulte, ainsi qu’il a été dit, de la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 que le choix du juge pénal d’assortir une peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire doit faire l’objet d’une motivation spécifique quant au caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la liberté de l’électeur, un tel choix s’inscrit dans le cadre global du prononcé d’une condamnation pénale, laquelle peut faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire. Dès lors, la circonstance qu’un élu condamné à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire ne dispose pas d’une voie de recours spécifique lui permettant de contester, en urgence, cette unique partie d’un jugement pénal rendu en première instance ou en appel pour en obtenir la suspension ne saurait être regardée comme portant atteinte, à elle seule, au droit à un recours juridictionnel effectif », répondant ainsi à une critique adressée contre l’absence de voie de recours contre l’execution provisoire en tant que telle.

Reste la question des parlementaires européens, un recours ayant été déposé il y a peu par Matthieu Viera contre le refus implicite du Premier Ministre de prononcer contre eux une démission d’office malgré le prononcé à leur encontre de peines d’inéligibilité avec exécution provisoire. En l’espèce sont concernés Catherine Griset et… le même Nicolas Bay. Or, pour ce qui concerne les parlementaires européens, on peut aussi se poser des questions assez nouvelles et sérieuses… bientôt un nouvel arrêt du Conseil d’Etat ?

Romain Rambaud