22/06/2016 : Primaires socialistes : la justice ne les ordonne pas, donc le PS en organise d’autres ! [Ricardo Salas Rivera]

Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie

Article 4 de la Constitution de 1958

     

téléchargementL’année électorale approche à grand pas, apportant avec elle ses péripéties, et cette fois, c’est une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI) qui est en cause : le jugement de la 1ère Chambre Civile du TGI de Paris du 15 juin 2016, déboutant trois membres du Parti Socialiste (PS), Bernabé Louche, Salem Aouint et Yassir Hammoud, qui a bien voulu nous communiquer le contenu de la décision, d’une demande visant à contraindre le PS à organiser des primaires en prévision de l’élection présidentielle de 2017.

L’article 4 de la Constitution de 1958 reconnait aux partis politiques une liberté d’activité, en la limitant cependant au respect des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie… Pour le juge judiciaire de première instance, la démocratie interne des partis ne semble pas être contenue dans ces principes.

Un manquement incontestable aux statuts du PS

téléchargementLes requérants estiment que le parti ne respecte pas les articles 5.3.1 et suivants de ses propres statuts, qui prévoient, n’en déplaise au TGI, de façon plutôt claire, que « le candidat à la présidence de la République est désigné au travers de Primaires citoyennes ouvertes à l’ensemble des citoyens adhérant aux valeurs de la République et de la gauche et co-organisées par les formations politiques de gauche qui souhaitent y participer. Les candidats aux Primaires doivent s’engager à soutenir publiquement le candidat désigné et à s’engager dans sa campagne. Au moins un an avant l’élection présidentielle, le Conseil national fixe le calendrier et les modalités d’organisation des Primaires ».

La lecture de ce seul article 5.3.1 permet de comprendre les raisons du mécontentement des consorts Hammoud-Louche-Aouint : le PS, malgré s’être déclaré favorable au principe d’une primaire, est en retard par rapport au calendrier fixé statutairement. Ainsi, même un néophyte conclurait à la condamnation de l’association « Parti Socialiste » en raison du manquement à ses statuts.

Cependant, le juge judiciaire ne l’a pas entendu de cette façon, et a contourné la question, avec une maladresse inattendue.

Un raisonnement maladroit

c_lautre_image_labtop_et_lansac_-_rpbw_-_copieLe juge estime que « la rédaction de ces deux articles apparaît contradictoire, ou à tout le moins ambiguë », en s’appuyant sur une argumentation contestable :

« le “Conseil national” qui, aux termes du troisième alinéa de l’article 5.3.1, est en charge de “la fixation du calendrier et des modalités des primaires” peut désigner soit l’instance nationale prévue à l’article 2.6.1.1, qui assure la direction du parti entre deux congrès, soit, plus logiquement si l’on se réfère à la volonté d’ouverture du parti clairement exprimée dans le même article 5.3.1 lorsqu’il mentionne que “les primaires citoyennes sont “co-organisées par les formations politiques de gauche qui souhaitent y participer”, l’instance ad hoc prévue au premier alinéa de l’article 5.3.3, composée de représentants des partis co-organisateurs des primaires et des représentants des candidats, à qui est confiée l’organisation des Primaires ». L’article 5.3.3 parle d’un « Comité national » chargé de l’organisation des primaires.

téléchargement (1)Il y a ici pour le juge judiciaire, une « équivoque » qui éteint l’« obligation de résultat » qui pourrait être contenue dans ces dispositions statutaires.

Mais ce n’est pas tout. Le juge emploie une expression, sur laquelle il nous faudra revenir, qui illustre le lien intangible entre les partis politiques et la démocratie :

« En l’absence de cette contrainte statutaire, le choix de prolonger les négociations avec les autres formations politiques, qui doivent également répondre à leurs propres impératifs de calendrier, appartient aux instances de direction du Parti Socialiste, dont les exigences de la vie démocratique excluent qu’elles se voient imposer leur conduite par les tribunaux »

Ainsi, d’après le juge, les exigences de la vie démocratique empêchent aux tribunaux de favoriser la démocratie interne aux partis politiques.

Une solution « contradictoire, ou à tout le moins ambiguë »

téléchargement (4)Ainsi, le juge reconnait que la mission de participation à l’expression du suffrage prévue par l’article 4 de la Constitution justifie un statut particulier des partis politiques au sein des associations régies par la loi de 1901, entrant plus dans le giron du droit électoral, que du droit des associations. Jusque là, rien de bien choquant, il s’agit même d’une certaine forme de consécration d’une position que nous défendons : l’objet du droit électoral est la garantie de la démocratie  / cet objet justifie une place particulière du droit électoral.

Mais cette consécration n’est que partielle, car le droit civil a pris le pas sur le droit électoral. En effet, le juge constate l’absence d’obligation de résultat du fait de l’ambiguité des articles 5.3.1 et suivants des statuts, mais ne semble pas en tirer les conséquences qu’exige, à notre avis, le droit électoral. Le Doyen Masclet nous dit que « la démocratie suppose que le citoyen puisse exprimer son opinion librement, dans le respect de l’égalité, et que les résultats électoraux soient exactement conformes à ce qu’implique la loi de majorité. Ces objectifs sont ceux du droit électoral » (Masclet (J.C). Droit électoral. Paris : PUF, 1989, p.18-19). Cette vision du droit électoral est encore en construction, faisant face à une conception qui se retrouve enclavée dans les logiques du droit privé.

téléchargement (2)Le paradoxe semble résider dans le fait de consacrer la notion des « exigences de la vie démocratique » sans adopter une solution en conséquence. Ne pas favoriser l’organisation de primaires ne permet pas à l’électeur de prononcer son opinion, malgré les dispositions statutaires. C’est là l’avantage d’employer une expression nouvelle, son contenu est la résultante de la volonté de celui qui l’inaugure. Il appartient alors à la doctrine électoraliste de proposer une esquisse des contours de cette notion.

Le kratos du demos, qu’il soit entendu de façon restrictif (ceux qui adhèrent aux valeurs de la gauche) ou de façon plus extensif, doit pouvoir s’exprimer tout au long de la « chaine démocratique ». Plutôt que d’adopter un raisonnement qui s’inscrit dans une logique de droit privé, en constatant qu’il n’y a pas d’obligation de résultat du fait de l’ambiguité que constate le juge à l’article 5.3.1, il aurait peut être été préférable de la part du juge, qui statue sur une question foncièrement électorale, de constater un manquement au contrat d’association, altérant le processus démocratique, justifiant ainsi sa compétence pour enjoindre au PS de se conformer aux statuts. Cette logique s’inscrit, nous semble-t-il, dans l’esprit de la Constitution de 1958 qui consacre le juge judiciaire comme le garant constitutionnel des libertés individuelles, et quelle liberté plus sacrosainte, dans une société démocratique, que celle de pouvoir exprimer son opinion concernant la désignation des candidats aux élections.

Le juge et les partis : séparation des pouvoirs ou non ?

téléchargement (3)Nous constatons que les juristes ne se sont pas beaucoup saisis de cette décision, laissant le soin aux journalistes d’en faire l’analyse. Le professeur Pascal Jan en propose une brève présentation, avec laquelle nous divergeons. Le professeur  Jan estime en effet que la formule concernant les exigences de la vie démocratique est une « belle formule qui en dit long sur le refus de la justice d’être instrumentalisée dans la cadre de la préparation de l’élection présidentielle ». Avec cette décision, qui reste susceptible de recours, il nous semble que le risque d’instrumentalisation de la justice réside dans le fait que si elle s’avère être un précédent confirmé par une autre juridiction, le juge judiciaire risque de devenir une source de légitimation de pratique n’allant pas dans le sens de la démocratie, ce qui rend cette décision « à tout le moins ambiguë ».

Cette décision du TGI de Paris pose ainsi la question de la reconnaissance du droit électoral comme matière scientifique à part entière, afin de permettre l’harmonisation des grilles de lecture des différents juges intervenant en matière électorale, et d’arriver à une certaine sécurité juridique qui se structure autour de principes. Dans certains Etats, comme le Costa Rica, le juge électoral, issu d’un tribunal électoral spécialisé, a même introduit un principe pro democracia, qui commande au juge de trancher en faveur de la solution permettant l’application la plus stricte de la démocratie.

téléchargement (4)Une telle activité du juge remet en question le principe de la séparation des pouvoirs. Ici, le TGI de Paris semble en faire une application stricte, en s’interdisant de connaitre des problématiques de la vie politique. Mais dans ce cas, quelle institution serait chargée de défendre les intérêts de la démocratie ? Il est vrai qu’au Costa Rica, la solution est donnée par la Constitution qui élève le Tribunal Suprême des Elections au même rang que les autres pouvoirs de l’Etat. Tandis qu’en France, le problème reste entier. Se pose alors la question de savoir où placer le curseur entre d’une part, les intérêts des partis, intrinsèquement politiciens, et d’autre part, les intérêts de la démocratie.

Cette saisine du juge par trois membres du PS vient jeter un pavé dans la marre, en illustrant le fait que le statut des partis politiques doit connaitre une définition claire. Et, s’il nous est permis de rêver, pourquoi pas briser l’écran associatif, et, soyons fou, donner compétence au juge statuant en matière électorale pour défendre les intérêts de la démocratie.

Une primaire quand même… mais une autre

téléchargement (5)Les échos de la presse laissent entendre que les requérants interjetteront appel de la décision. Mais au moment de conclure cette modeste contribution, le PS, réuni en Conseil National, vient de voter à l’unanimité l’organisation d’une primaire « de la gauche de gouvernement », rassemblant les Verts qui soutiennent le gouvernement, les Radicaux de gauche et le PS. Cependant, cette solution ne va toujours pas dans le sens des statuts qui prévoient des « primaires citoyennes ouvertes à l’ensemble des citoyens adhérant aux valeurs de la République et de la gauche ».

imagesCette alternative vient répondre à une conjoncture politique qui n’est pas favorable à la tant fantasmée union de la Gauche, avec Jean-Luc Mélenchon qui s’est déjà déclaré candidat des « insoumis », et EELV et le PCF qui n’ont pas souhaité soutenir la primaire des gauches. En résulte alors une primaire citoyenne light, qui montre que la volonté initiale d’inscrire la Gauche dans une logique pérenne et fédératrice de participation active à la désignation du candidat unique à la présidentielle en le gravant dans le marbre des statuts du Parti Socialiste ne s’avère être en fait qu’un tigre de papier, qui s’effrite au gré des opportunités politiciennes. D’ailleurs, en revenant sur ces primaires ouvertes à ceux qui adhèrent aux idées de la gauche, le Parti Socialiste vient de reléguer ce qui avait pu être salué comme une avancée novatrice en matière démocratique à un simple calcul électoral, opportuniste et éphémère.

Conclusion

Le droit de l’environnement a consacré le principe de non régression, qui empêche une décision de justice ou une norme de revenir sur une avancée en faveur de l’environnement. Peut être qu’il serait bon pour le juge, saisi en ce sens, de consacrer le principe de non régression démocratique.

Ricardo Salas Rivera

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Ricardo Salas Rivera