19/12/2014 : Bernadette Chirac et Engelmann à Hayange : les deux actus de la semaine avant les vacances [R.Rambaud]

Chers lecteurs,

Puisque cela fait un moment que ce blog n’a pas été actualisé et que ce sont bientôt les vacances, deux petites actus qui justifieront de ne pas publier d’articles pour les deux prochaines semaines probablement, avant une année 2015 qui sera très riche en élections et donc très riche en droit électoral.

Le rejet du recours de Bernadette Chirac contre le redécoupage cantonal

L’information, finalement, n’a pas fait grand bruit, mais Bernadette Chirac a effectivement définitivement perdu son très cher canton de Corrèze.

L’information a fait l’objet d’un communiqué pudique de la part du Conseil d’Etat, selon lequel « Le Conseil d’État rejette un recours contre le décret procédant au redécoupage des cantons dans le département de la Corrèze ».

Rappelant que la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral imposait de procéder à une nouvelle délimitation de l’ensemble des circonscriptions cantonales en vue du prochain renouvellement général des conseils départementaux, fixé au mois de mars 2015, le Conseil d’Etat précise qu’« un décret a donc procédé, dans ce cadre, au redécoupage des circonscriptions cantonales dans le département de la Corrèze, en réduisant, comme l’exigeait la loi, le nombre des cantons ». Ce décret a fait l’objet d’un recours de la mystérieuse et anonyme Mme. A.

L’arrêt Mme A du 12 décembre 2014 rejette donc les deux arguments soulevés par la requérante.

D’une part, celle-ci entendait faire valoir que le découpage des cantons devait être fait en considération du nombre d’électeurs et non de la population, ce qui est un argument intéressant car disposant d’une certaine logique interne, mais en réalité peu pertinent du point de vue démocratique car l’élu doit bien représenter toute la population et non seulement les électeurs, deux notions qui finalement ne se confondent pas. Mais on n’entrera pas ici dans un débat doctrinal sur la « Nation légale » qui nous retiendrait trop longtemps (Esmein).

Cette idée est  dans tous les cas contraire aux règles posées, on s’en souvient, par les deux arrêts de principe du Conseil d’Etat du 5 novembre 2014 (CE, S, 5 novembre 2014, n° 378140, et CE, S, 5 novembre 2014, n° 379843) selon lesquels « afin de respecter le principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant le suffrage, (…) le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques [qui] n’imposent pas que, dans un même département, la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population et permettent de regarder comme admissible un écart de l’ordre de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département, et à condition qu’un écart de cet ordre repose sur des considérations dénuées d’arbitraire », et qui partent donc bien du principe de la prise en compte de la population. On signalera sur ce point le commentaire de ces décisions par les services du Conseil d’État dans le numéro AJDA de cette semaine (AJDA 2014 p. 2419).

D’autre part, le Conseil va rejeter l’argument selon lequel le décret attaqué serait illégal, au motif que la délimitation des cantons à laquelle il procède ne prend pas en compte la délimitation des « bassins de vie » ni le périmètre des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, notamment celui de la communauté de communes des Monédières, dans la mesure où comme il l’affirme de jurisprudence constante, « aucun autre texte, non plus qu’aucun principe n’imposaient au Gouvernement de prévoir que les limites des nouveaux cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec le périmètre des établissements publics de coopération intercommunale figurant dans le schéma départemental de coopération intercommunale ou les limites des « bassins de vie » définis par l’Institut national de la statistique et des études économiques ».

Le recours de Bernadette Chirac a donc été rejeté. Du reste, cette solution pourrait conduire à la fin de sa carrière politique. Selon le site internet du journal La Montagne, Mme Chirac a par conséquent décidé de se présenter en mars prochain, mais comme suppléante cette fois, dans le canton de Brive-centre, sous l’étiquette du groupe d’opposition Corrèze Demain. Bernadette Chirac, 81 ans, entend ainsi « passer le relais et aider à l’installation d’une nouvelle génération d’élus », a-t-elle expliqué au quotidien. Une page se tourne.

Inéligibilité de Fabien Engelmann, maire FN de Hayange (Moselle)

C’est une actualité dont on n’avait pas pu parler à l’époque parce que le blog du droit électoral, dans sa nouvelle version, n’était pas encore ouvert.  Lors des élections municipales, l’élection de Fabien Engelmann, 35 ans, ancien syndicaliste CGT rallié au Front national, qui avait fini en mars en tête du second tour des élections municipales avec 34,7% des suffrages devant le maire socialiste sortant, Philippe David, à l’issue d’une quadrangulaire, avait fait beaucoup de prix, autant parce qu’il s’agit de la victoire d’un Front National, que parce qu’il s’agit tout simplement de la ville des Hauts-Fourneaux de Florange.

Dès lors, le rejet de ses comptes de campagne par la CNCCFP en octobre dernier avait fait beaucoup de bruit. Le rejet de ces comptes était lié à une à « une avance à titre de caution de 1 575 euros » versée par son adjointe afin que celle-ci paye directement pour une création graphique et des tracts, voire selon elle une avance directe de 3000 euros.  Cette dépense avait donc été effectuée sans passer par le mandataire financier, et n’avait pas été inscrite dans le comptes de campagne, dont le total était selon la presse de 12.000 euros.  La rapporteure publique du TA de Strasbourg a quant à elle également relevé d’autres irrégularités portant la somme totale non déclarée à 1.939 euros, soit 14,22% du total des dépenses de campagne.

Une telle pratique est en effet contraire au principe fixé par l’article L. 52-4 du Code électoral selon lequel « Tout candidat à une élection déclare un mandataire conformément aux articles L. 52-5 et L. 52-6 au plus tard à la date à laquelle sa candidature est enregistrée. Ce mandataire peut être une association de financement électoral, ou une personne physique dénommée  » le mandataire financier « . Un même mandataire ne peut être commun à plusieurs candidats. Le mandataire recueille, pendant l’année précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne. Il règle les dépenses engagées en vue de l’élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l’exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique. Les dépenses antérieures à sa désignation payées directement par le candidat ou à son profit font l’objet d’un remboursement par le mandataire et figurent dans son compte bancaire ou postal ». Le principe du paiement des dépenses électorales par le mandataire financier est un principe très important du droit électoral.

Ainsi que le rappelle le Guide du candidat et du mandataire édicté par la CNCCFP, « Dès lors que le candidat a déclaré son mandataire , toutes les dépenses engagées en vue de l’élection doivent être réglées par celui-ci, à l’exception des dépenses prises en charge et réglées directement par un parti ou groupement politique, et des menues dépenses payées directement par le candidat », sachant que des dépenses engagées par des colistiers sont considérées comme des dépenses engagées pour le candidat.

Les frais engagés par Engelmann pouvaient-ils être considérés comme des « menues dépenses » ? Toujours d’après le guide, « le règlement direct de menues dépenses par le candidat ne peut être admis, à titre exceptionnel et pour des raisons pratiques, qu’ à la double condition que leur montant soit faible par rapport au total des dépenses du compte et négligeable au regard du plafond de s dépenses . Sous réserve de son pouvoir d’appréciation, la commission considère en général que sont acceptables des paiements directs représentants un montant total inférieur à 10 % du montant total des dépense s et 3 % du plafond. Cependant, dans le cas où un seul de ces deux seuils a été dépassé, la commission tient compte également du montant unitaire des dépenses en cause. S’il s’agit d’une addition de menues dépenses, elle peut ne pas prononcer le rejet du compte. En revanche, s’il s’agit d’une ou plusieurs dépenses de montant élevé, elle peut considérer que rien ne justifiait que le règlement n’ait été effectué par le mandataire, et prononcer le rejet du compte ». Eu égard aux montants en cause en l’espèce (1575 euros pour un compte à 12000), la solution ne semble donc pas illogique.

Dès lors, la CNCCFP a rejeté le compte et la CNCCFP a saisi le juge de l’élection (article L.52-15 du Code électoral), ici le TA de Strasbourg. D’après l’article L. 118-3 du Code électoral, « Saisi par la commission instituée par l’article L. 52-14, le juge de l’élection […] prononce également l’inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales. L’inéligibilité prévue aux trois premiers alinéas du présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s’applique à toutes les élections. Toutefois, elle n’a pas d’effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision. Si le juge de l’élection a prononcé l’inéligibilité d’un candidat ou des membres d’un binôme proclamé élu, il annule son élection ou, si l’élection n’a pas été contestée, déclare le candidat ou les membres du binôme démissionnaires d’office ».

La jurisprudence a toutefois renforcé les exigences, puisqu’un arrêt du Conseil d’Etat Bideau du 23 juillet 2012, n° 357453, a exigé que ce manquement d’une particulière gravité revête également un caractère délibéré… il a donc été considéré ici que c’était le cas, malgré les dénégations de M. Engelmann. Plus largement, le juge électoral estime qu’en cas de manquement aux dispositions de l’article L. 52-4, ce qui est le cas en l’espèce, il appartient au juge de tenir compte de « la nature de la règle méconnue, le caractère délibéré ou non du manquement, l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte et le montant des sommes en cause » (CE, 11 avril 2012, Hureaux, n°354110 ; CE, 23 juillet 2012, Bideau, n° 357453), ce qui a été fait par le TA de Strasbourg.

En effet, d‘après le presse, le TA a estimé  que c’était « à bon droit » que la Commission nationale des comptes de campagne avait rejeté celui de M. Engelmann en octobre, ajoutant qu’il avait « commis un manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ». Il l’a ainsi déclaré inéligible pour un an et « démissionnaire d’office » , conformément à ce qu’avait préconisé mardi la rapporteure publique.

Cependant, M. Engelmaan est encore élu et maire, parce qu’il a fait appel. En effet, l’élu dont l’élection est annulée par le TA reste en fonction tant que la décision n’est pas définitive ou jusqu’à la décision du Conseil d’Etat s’il a fait appel (CE, 19 février 1936, Élections de Saint-Georges de Rouelly). 

Cependant, si sa condamnation est confirmée en appel, seule son élection sera annulée, et il faudra élire un nouveau maire. En effet, pour les scrutins de listes la sanction d’inéligibilité ne touche que la tête de liste, dès lors que l’élection n’est pas contestée de façon plus générale pour manœuvres.

Cette solution, a priori logique juridiquement, n’a pas manqué de susciter des réactions politiques. Toujours d’après la presse, l’ancien cégétiste a annoncé qu’il allait faire appel d’un jugement « politique ».« C’est un jugement politique avant tout », et « bien entendu nous allons faire appel au Conseil d’État », a déclaré M. Engelmann à l’AFP. « Je reste maire et je peux vous affirmer que j’ai beaucoup de soutien parmi la population et parmi bon nombre de Françaises et Français. » M. Engelmann se dit ainsi victime de la vengeance d’adversaires rancuniers, et de médias hostiles. Conseiller politique au dialogue social de Marine Le Pen, il a assuré vendredi qu’il conservait son soutien. « Compte tenu de la jurisprudence, je trouve cette décision « féroce » étant entendu qu’il n’y a pas de fraude et que le montant de la caution n’est pour le moins pas faramineux », a réagi Marine Le Pen, interrogée par l’AFP, en évoquant « une erreur qui coûte cher ».

Les comptes de campagne du maire sont également visés par une enquête préliminaire du parquet de Thionville, ouverte en septembre à la suite d’une plainte de Mme Da Silva.

 Affaire à suivre,

Romain Rambaud