Consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, Saison 2 : le référendum du 4 octobre 2020 [Z. Brémond]


Ce dimanche 4 octobre 2020, alors que la Ve République fêtera son 62e anniversaire, les « populations intéressées » de la Nouvelle-Calédonie seront appelées pour la seconde fois, à déterminer si elles souhaitent rester attachées ou non à cette République. Pour la seconde fois, car un premier référendum a déjà eu lieu sur cette question le 4 novembre 2018, dont le résultat n’a, semble-t-il, pas été dans un sens permettant de régler définitivement la question. De fait, en dépit d’un vote à 56.67% des voix contre l’indépendance, le score des indépendantistes s’est avéré plus élevé qu’attendu, bien que totalement conforme au rapport de force existant dans l’Archipel entre indépendantistes et loyalistes depuis la conclusion en 1998 de l’Accord de Nouméa (v. HUC A. MARTIN C. « Le référendum d’autodétermination du 4 novembre 2018 en Nouvelle-Calédonie. Une vie politique figée ? » Pôle Sud, 2019/1 n° 50, p. 139-162). Aussi, les élections provinciales qui se sont tenues le 12 mai 2019 ont confirmé ce rapport de force avec environ 44% des voix en faveur des partis non indépendantistes contre 35% en faveur des partis indépendantistes. Les spécificités néanmoins de la répartition des sièges entre les trois provinces de la Nouvelle-Calédonie et l’irruption sur la scène politique d’un parti représentant les minorités wallisienne et futunienne présentes dans l’Archipel a conduit à ce qu’une majorité « océanienne » se dégage pour la présidence du Congrès, ce qui est une première.


Fort de ce succès, les indépendantistes espèrent transformer l’essai à l’occasion du 2e référendum d’indépendance qui, selon les termes de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie (la « Loi organique ») interprétée à la lumière de l’Accord de Nouméa par le Conseil d’État (avis rendu le 4 septembre 2018 mais non publié), doit se tenir dans les deux années suivant la tenue de la première consultation, soit, le 3 novembre au plus tard. Ce référendum est cependant également attendu par les loyalistes et ce, le plus tôt possible, afin de sortir au plus vite de « l’incertitude » et clarifier les choses sur le souhait de la majorité des Néocalédoniens de demeurer dans la République, en dépit du succès des indépendantistes au Congrès. La procédure voulant qu’une deuxième consultation soit enclenchée sur demande d’1/3 des membres du Congrès adressée au Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, cette demande fut donc formellement transmise à la fois par les partis loyalistes (le 7 juin 2019) et par les partis indépendantistes (le 13 juin 2019) au Congrès. Bien qu’étant organisé selon des bases essentiellement similaires à ce qui avait été retenu pour la consultation du 4 novembre 2018 (v. la présentation qu’en fit Romain Rambaud à l’époque), la préparation du référendum du 4 octobre 2020 a pu susciter de nouvelles passes d’armes entre les deux camps, sur l’établissement de la liste électorale (I), sur le moment de la convocation des électeurs (II), sur l’organisation de la campagne électorale (III) et sur les modalités du scrutin (IV).


I. L’établissement de la liste électorale spéciale pour la consultation (LESC)

Pour toute personne non initiée, les conditions dans lesquelles est dressée la LESC peuvent apparaître particulièrement complexes. De fait, trois – voire quatre – listes électorales coexistent en Nouvelle-Calédonie, chacune correspondant en pratique à une dimension identitaire particulière.


La liste électorale générale (LEG) est celle à laquelle appartiennent de plein droit toutes les personnes disposant de la nationalité française et étant en capacité de voter. Le fait d’être inscrit sur cette liste autorise alors le vote aux élections présidentielle, législatives, européennes et municipales. Notons que dans ce dernier cas, une liste complémentaire peut être dressée afin d’autoriser les citoyens européens à voter sur ce seul scrutin. De plus, l’inscription sur la LEG est essentielle, car cela subordonne l’inscription sur les deux autres listes. Afin d’éviter toute situation dans laquelle un électeur se verrait refuser l’accès à la consultation lié à sa non-inscription sur la LEG, la Loi organique fut modifiée en 2018 afin de permettre l’inscription d’office sur la LEG de toute personne domiciliée en Nouvelle-Calédonie depuis au moins six mois avant la date de clôture de la liste électorale.


La liste électorale spéciale pour les élections provinciales (LESP) intègre les personnes disposant de la citoyenneté néocalédonienne au sens des articles 4 et 188 de la Loi organique. Comme son nom l’indique, l’accession à la citoyenneté fonde le droit de voter aux élections provinciales dont découle la désignation du Congrès et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, cette liste est totalement gelée, dans la mesure où tout électeur souhaitant s’y faire inscrire doit a minima avoir été présent en Nouvelle-Calédonie lors du référendum du 9 novembre 1998 relatif à l’Accord de Nouméa ou y avoir eu un parent présent si la personne sollicitant son inscription a atteint sa majorité après cette date. Selon les cas, ces conditions peuvent s’accompagner d’une durée de résidence d’au moins dix ans avant le vote. Compte tenu de sa grande rigidité, le fait d’appartenir à cette liste électorale ouvre en principe automatiquement l’accès à la liste électorale spéciale établie pour la consultation référendaire (LESC). Ainsi, une révision de la Loi organique en 2015 institua une procédure d’inscription d’office sur la LESC de la plupart des personnes figurant sur la LESP.


La LESC enfin comprend l’ensemble des personnes admises à voter pour le référendum. D’une certaine manière, elle repose sur une assise plus large que la LESP dans la mesure où la consultation n’est pas ouverte aux seuls « citoyens néocalédoniens », mais plus généralement aux « populations intéressées ». Ainsi, là où les conditions d’accès à la LESP reposent sur un critère largement empreint de jus soli, l’accès à la LESC se fonde également sur le jus sanguinis. S’agissant d’un référendum d’autodétermination, l’origine des « populations intéressées » est de fait essentielle. Dès lors, la LESC s’étend également aux personnes ayant le statut civil coutumier – c’est-à-dire les Kanak – ainsi qu’à celles qui sont nés ou ont un parent né en Nouvelle-Calédonie et qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Cette condition, qui figure dans l’Accord de Nouméa, suppose par définition que les personnes souhaitant s’en prévaloir doivent en rapporter la preuve afin que la Commission administrative spéciale (CAS) chargée de l’établissement de la LESC puisse en apprécier le bien-fondé. La Loi organique de 2015 a toutefois établi une présomption de réunion de cette condition pour les personnes nées en Nouvelle-Calédonie qui sont inscrites sur la LESP.


A l’approche du référendum de 2018 et constatant la potentielle non-inscription sur la LESC de près de 11.000 natifs de la Nouvelle-Calédonie (2/3 de statut civil coutumier et 1/3 de statut de droit commun), la Loi organique fut modifiée, sur proposition du XVIe comité des signataires de l’Accord de Nouméa, afin de généraliser l’inscription d’office sur la LESC des personnes nées en Nouvelle-Calédonie. Pour les personnes de statut civil coutumier, cela nécessitait en pratique, seulement une inscription d’office sur la LEG, l’inscription d’office sur la LESC ayant été établie par la loi organique de 2015. Pour les personnes de statut civil de droit commun en revanche, cela nécessitait d’assouplir le critère du « centre des intérêts matériels et moraux » en présumant cette condition remplie dès lors que la personne née en Nouvelle-Calédonie y réside de manière continue depuis au moins trois ans. Le nouvel article 218-3 de la Loi organique a donc établi cette présomption, mais seulement en vue du référendum du 4 novembre 2018, l’accord trouvé entre indépendantistes et loyalistes impliquant le caractère provisoire de cette disposition. Dès lors, c’est fort logiquement que cette disposition ne fut pas reconduite en vue du référendum du 4 octobre 2020. Aucun consensus ne fut alors trouvé sur ce point à l’occasion du XIXe comité des signataires de l’Accord de Nouméa qui s’est tenu à Matignon le 10 octobre 2019, ce qui a conduit du même coup, au rejet de la proposition de loi organique déposée par un député loyaliste à l’Assemblée nationale.


Si les règles entourant la définition du corps électoral demeurent inchangées entre les référendums de 2018 et 2020, cette dissymétrie dans les modalités d’inscription d’office, favorisant largement l’inscription des personnes de statut civil coutumier là où les natifs de droit commun doivent dans la plupart des cas en faire la demande, porte une charge symbolique non négligeable. De fait, cela établit une présomption d’intérêt pour le scrutin pour les populations d’ascendance kanak ce qui peut apparaître somme toute assez logique dans la mesure où elles descendent du peuple colonisé. À l’inverse, les natifs de droit commun, qui d’une certaine manière sont le fruit de la colonisation, doivent manifester leur intérêt pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie en demandant leur inscription sur les listes électorales. Sans être écartées du vote, ces personnes – qui d’après le député loyaliste à l’origine de la proposition de loi organique seraient 5.400 – pourraient être moins susceptibles de participer au vote en raison de l’obstacle administratif et ce, malgré une campagne de relance nominative par les services de l’État. Reste à déterminer si cela aura une incidence réelle ou non sur le scrutin.


II. La convocation des électeurs

Comme toutes les échéances électorales prévues durant l’année 2020, l’organisation de la consultation a été impactée par la crise sanitaire et ce, en dépit du fait que la Nouvelle-Calédonie a été largement épargnée par l’épidémie (seulement 26 cas confirmés depuis le début de l’épidémie). Aussi, malgré une date initiale annoncée le 6 septembre 2020 suite au XIXe comité des signataires de l’Accord de Nouméa, le choix fut fait d’en reporter la tenue au 4 octobre 2020. Ce report se justifiait notamment par la nécessité d’assurer la venue sur le territoire des observateurs internationaux tout en permettant le respect d’une période minimale de quarantaine avant que ne s’ouvre la campagne officielle. Notons toutefois que la marge de manœuvre apparaissait ici limitée pour assurer un report à une date plus lointaine comme cela fut le cas pour les élections municipales. De fait, le calendrier suivi résulte essentiellement de l’Accord de Nouméa qui, suite à son incorporation dans les articles 76 et 77 de la Constitution, a valeur constitutionnelle. Dès lors, le report ne pouvait être envisagé que sur quelques semaines tout au plus, les indépendantistes plaidant pour un report le plus tard possible – ils proposaient ainsi la date du 25 octobre – là où les loyalistes souhaitaient que le référendum se tienne le plus tôt possible.


Au final, le décret de convocation des électeurs est paru le 24 juin 2020, la date du 4 octobre apparaissant comme une option médiane. Notons qu’il reprend plus ou moins les mêmes modalités que pour la première consultation, ce référendum apparaissant techniquement comme une répétition de ce qui s’est déjà produit. Tout au plus, l’empreinte de la situation sanitaire se ressent dans l’admission plus large du recours à la visioconférence, l’article 5 du décret prévoyant la possibilité pour les représentants de chaque parti et groupement politique d’être entendu par la Commission de contrôle des opérations électorales par ce biais-là. Mais c’est surtout dans les modalités de la campagne électorale que ce décret innove par rapport à ce qui était prévu en 2018.


III. La campagne électorale


De manière générale, l’organisation de la campagne électorale est conforme à ce qui avait été retenu en vue du référendum du 4 novembre 2018. Celle-ci s’étale sur une durée de quinze jours avant la consultation. Elle est surveillée par une commission de contrôle des opérations électorales composée de magistrats. Trois heures d’émission de radio et trois heures d’émission de télévision sont mises à disposition des partis et groupements politiques et répartis de manière égalitaire entre indépendantistes et loyalistes. Les dépenses de campagne engagées peuvent faire l’objet d’un remboursement par l’État dans la limite d’un plafond de 13 millions de francs Pacifique.


Mais c’est dans les modalités de la propagande que cela change par rapport à 2018 : les articles 8 et 13 du décret de convocation des électeurs, dont l’objet est de lister les dispositions du code électoral applicable au scrutin excluent formellement le premier alinéa de l’article R27 du code. Or, cet alinéa a pour objet de prohiber l’usage du drapeau tricolore dans les affiches et circulaires à caractère électorales, et ce, afin d’éviter « de conférer, dans l’esprit des électeurs, un caractère officiel à la candidature ». Dès lors, cette nouvelle campagne référendaire autorise l’usage, notamment par les partis loyalistes, du drapeau français dans leur matériel de propagande.


Cette décision n’a pas manqué de faire réagir les élus indépendantistes durant le débat mené au Congrès sur le décret de convocation des électeurs. Suite à l’adoption de la disposition dans la version finale du texte, le Conseil d’État fut saisi en référé suspension de la légalité de cette disposition. Les requérants alléguaient notamment qu’une telle modalité n’a pu être valablement adoptée sans en référer préalablement au comité des signataires de l’Accord de Nouméa, que cela irait à l’encontre du principe d’unicité du peuple français dans la mesure où le drapeau pourrait être accaparé et que de manière générale, cela violerait l’esprit de l’Accord du Nouméa en donnant lieu à une « perception binaire de la consultation ». Dans son ordonnance du 1er septembre 2020 (CE, ord., 1er septembre 2020, n° 443429), le Conseil d’État rejeta ces arguments, constant d’une part, que rien n’impose dans la loi organique, la saisine préalable du comité des signataires de l’Accord de Nouméa. D’autre part, ni l’Accord ni la Constitution n’interdisent « aux partis ou organisations participant à la campagne électorale d’utiliser les couleurs de l’emblème national ». En outre, le fait que l’article 9 du décret confie à la Commission de contrôle le soin de s’assurer que l’usage du drapeau tricolore par les partis ne conduit pas à leur conférer un caractère officiel pouvant créer une confusion dans l’esprit de l’électeur constitue une garantie suffisante. Enfin, il n’y a pas non plus lieu d’invoquer ici une erreur de fait ou de droit « au regard de l’enjeu du scrutin et de la possibilité pour les partisans de l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté d’utiliser les couleurs des signes identitaires de Kanaky-Nouvelle-Calédonie ».


En somme, le Conseil d’État s’en remet ici à la dualité de la question posée au référendum : l’indépendance comme Kanaky ou le maintien dans la République française.


IV. Les modalités du scrutin


S’agissant de la reprise des principes ayant régi le premier référendum, la détermination des modalités du scrutin fut moins controversée que ne le furent l’actualisation des listes électorales, la fixation de la date de la consultation ou l’usage du drapeau français dans la campagne électorale.


Deux spécificités doivent néanmoins être rappelées ici.

Tout d’abord, au regard du caractère exceptionnel de la consultation, la loi organique de 2018, adoptée en vue de la consultation prévue au titre IX de la Loi organique (ce qui inclut celle du 4 novembre 2018, mais aussi celle du 4 octobre 2020), institue en son article 4 des modalités plus strictes pour recourir au vote par procuration. De fait, toute demande en ce sens doit être accompagnée de justificatifs susceptibles d’attester le bien-fondé du recours à la procuration. En pratique, les cas de figure sont nombreux (handicap, formation raisons de santé, absence de Nouvelle-Calédonie…) et les justificatifs acceptés laissés à la marge d’appréciation de l’autorité qui établit la procuration.


Par ailleurs, afin de tenir compte de l’importante diaspora « loyaltienne » (les habitants de la province des îles Loyauté) à Nouméa, le choix fut fait en amont de la première consultation, d’installer des bureaux de vote délocalisé à Nouméa pour ces électeurs ainsi que ceux venant de Belep et de l’Ile des Pins, conformément à l’article 3 de la loi organique du 19 avril 2018. Cette modalité fut notamment retenue afin de tenir compte du renforcement des conditions pour la réalisation des procurations en vue de la consultation. Lors du premier référendum, il y eut moins d’inscrits qu’escompté dans ces bureaux avec seulement 3.300 inscrits là où on estime à plus de 21.000 les habitants des îles vivant sur la Grande terre et ce, principalement à Nouméa. Pour la consultation du 4 octobre 2020, le choix fut fait de maintenir l’inscription des électeurs inscrits en 2018, ce qui a conduit à un accroissement notable du nombre d’inscrits avec 5.800 inscrits recensés, ce qui provoquera sans doute un sursaut de participation (v. PANTZ J-C. « Référendum en Nouvelle-Calédonie : « La double impasse électorale » », outremers360.com, 20 septembre 2020)

Conclusion : quelles perspectives au-delà du référendum ?


Au vu des quelques enquêtes d’opinion qui ont été publiées en amont de ce référendum, une victoire du oui semble assez hypothétique en dépit du fait que les résultats du premier référendum ont montré un écart moindre que celui anticipé initialement (plus de 10% des votes tout de même).

Si le Oui devait l’emporter, cela enclencherait naturellement le processus d’indépendance.

Si le Non l’emporte, un troisième référendum devrait pouvoir se tenir d’ici le 3 octobre 2022, soldant alors le processus référendaire prévu par l’Accord de Nouméa. Il est certain que les loyalistes voudront accélérer au plus vite ce calendrier afin d’en finir avec « l’incertitude » liée au sort de la Nouvelle-Calédonie. Les indépendantistes espéreront que leur majorité relative au Congrès leur permettra d’inverser la vapeur en vue de cette ultime consultation.


Mais il ne faudra pas en conclure qu’un non définitif mette un terme aux négociations. Ce ne sera qu’à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » que les électeurs auront répondue. D’autres questions succéderont inévitablement, sur le transfert de compétences régaliennes ou sur l’organisation de la citoyenneté en nationalité pour reprendre la seule terminologie de l’Accord de Nouméa.

Sous réserve d’un résultat positif, le référendum du 4 octobre 2020 ne sera donc qu’une étape d’un processus ouvert il y a plus de trente ans.

Zérah Brémond

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