Elections législatives anticipées : début du contentieux électoral – et teasing de résultats du projet JADE [R. Rambaud]

Le Conseil constitutionnel a enregistré ses premières protestations électorales pour le contentieux des élections des 30 juin et 7 juillet 2024. Il s’agit de 8 affaires pour le moment.

Une de ces affaires concerne une élection acquise au 1er tour : c’est le cas de la 2ème circonscription de Loire Atlanique.

Les autres relèvent du 2nd tour : 3ème circonscription de la Gironde, 1ère circonscription du Bas-Rhin, 1ère circonscription de la Haute-Corse, 10 ème circonscription des Français établis hors de France, 2ème circonscription du Val d’Oise, 3ème circonscription de la somme, 2ème circonscription de Mayotte.

Ces protestations électorales sont donc les premières d’une longue série. On pourrait penser que le nombre de contentieux sera nombreux, comme l’ont souligné par exemple aussi Jean-Jacques Urvoas ou Jean-Pierre Camby : rapidité de la campagne, nombreux problèmes d’étiquettes ayant donné lieu à de très nombreux contentieux pré-électoraux, fausses informations, etc., même si en l’espèce la configuration du 2nd tour et les nombreux désistements, ainsi que les écarts de voix plutôt grand qui en résultent, pourraient à l’inverse éloigner les contentieux.

Il sera intéressant, ici, de comparer le nombre de contentieux et de décisions du Conseil constitutionnel avec ceux des législatures précédentes, et qu’il soit ici permis de faire un teasing des résultats du projet JADE (pour la référence, citer R. Rambaud , C. Bligny , F. Letué , M.-J. Martinez , S. Cottin , J.-P. Camby , G. Prunier , D. Girard, A. Hafsaoui , K. Deschamps, « Projet Justice algorithmique des élections (JADE) : une analyse statistique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux élections législatives (4 oct. 1958 – 1er avril 2024) », à paraître en début d’année 2025).

Si l’on ne tient compte que des protestations électorales au sens strict dans le contentieux des comptes de campagne, voilà ce qui donne l’état du contentieux antérieur, l’unité de base ci-dessous étant celle des décisions.

Nombre et répartition des décisions de protestations électorales

LégislatureTotal des décisionsRejet (nb)Annulations (nb)
Ière législature (58-62)1171125
IIème législature (62-67)80737
IIIème législature (67-68)1401355
IVème législature (68-73)49481
Vème législature (73-78)51492
VIème législature (78-81)57525
VIIème législature (81-86)54504
VIIIème législature (86-88)25232
IXème législature (88-93)86797
Xème législature (93-97)1681662
XIème législature (97-02)1541504
XIIème législature (02-07)1071025
XIIIème législature (07-12)1171152
XIVème législature (12-17)101974
XVème législature (17-22)1611529
XVIème législature (22-24)86806

On constate ainsi qu’il existe des législatures avec un niveau faible de décisions (par exemple 25 en 1986, 49 en 68-73, 51 en 73,  57 en 78, 54 en 81, etc.) et d’autres législatures avec un nombre très important de décisions (par ex. 160 pour 2017-2022, 168 pour 1993-1997, 154 pour 1997-2002, mais aussi 140 pour 1967-1968 et dans une moindre mesure 117 pour 1958-1962), à des périodes qui sont pourtant très différentes au niveau politique ou au niveau des modes de scrutin, ainsi que le montre bien le graphique ci-dessous.

Graphique n°13 : Visualisation des solutions pour le contentieux des protestations électorales en valeur absolue

Sur le plan politique, on constate un point commun à toutes législatures avec un nombre élevé de décisions de protestations électorales : 154 pour 1997-2002, 160 pour 2017-2022 et 168 pour 1993-1997, c’est qu’il s’agit à chaque fois de législatures de forte alternance : deuxième cohabitation pour 1993 (avec de surcroit le contentieux des comptes de campagne qui entre en vigueur et impact aussi les protestations électorales plus classiques), troisième cohabitation pour 1997 avec de nombreuses triangulaires et émergence du mouvement en Marche pour 2017. Il semblerait donc que l’arrivée de nouvelles majorités au pouvoir ait pour conséquence un contentieux plus important, probablement parce que les sortants délogés font plus de recours et/ou parce que l’arrivée d’un nouveau personnel politique entraine plus de réactions. A contrario, les chiffres de 2002, 2007 et 2012 sont plus faibles, sans doute en raison de l’effet de l’inversion du calendrier électoral à cette époque, entrainant un moindre impact des élections législatives.

Enfin, le chiffre de 1967-1968, avec 140 décisions dont 5 annulations, est très important. Cependant ce nombre peut probablement s’expliquer par la situation politique de l’époque, puisqu’en 1967 la majorité à l’Assemblée Nationale n’était acquise qu’avec très peu de sièges d’avance, le droite gaulliste frisant la défaite, ce qui a sans doute encouragé les recours. Par ailleurs ce chiffre s’explique aussi peut-être, de façon plus juridique, formelle et circonstancielle, par le fait que beaucoup de décisions concernent l’application de l’article premier de l’ordonnance n° 59-224 du 4 février 1959, et l’entrée en vigueur du nouveau code électoral en 1964 avec l’article L. O. 134 du Code électoral, « dont la rédaction n’a pu avoir pour effet de modifier le sens et la portée du texte de ladite ordonnance », et qui augmente artificiellement le nombre de contentieux : il existe 80 décisions qui connaissent ce problème soulevé devant le Conseil constitutionnel, qui datent toutes de cette législature !

Qu’en sera-t-il cette fois, eu égard finalement au nombre plutôt important des écarts voix liés aux nombreux désistements ?

A suivre !

Romain Rambaud