29/09/2014 : Sénatoriales 2014 : bilan du nouveau mode de scrutin

Les résultats des sénatoriales sont désormais connus, et l’ensemble des résultats peuvent être consultés sur le site du Sénat.

Les principaux enseignements de ces résultats sont dans tous les journaux, et notamment dans Le Monde, et il n’est donc pas utile de les reprendre ici : changement de majorité vers la droite du Sénat avec une quinzaine de sièges, progression de l’UMP et de l’UDI qui doivent se coaliser pour former une majorité (ce qui ne devrait toutefois pas poser de problèmes), résistance de la gauche qui perd moins de sièges que prévu, entrée de deux sénateurs FN, montée du FN au delà de l’effet mécanique de sa progression aux municipales, défaite de notables de gauche (notamment de M. Baylet), résistance d’autres notamment à Marseille, etc.

S’agissant d’un blog consacré au droit électoral, la question que nous devons nous poser est celle de savoir si le changement du mode de scrutin opéré par la loi d’août 2013, que nous avons expliqué en détail dans un post précédent, a impacté directement les résultats du scrutin. Bien sûr, de plus amples analyses seront effectuées sur cette question, mais on peut déjà en dire quelques mots.

 

L’effet du passage au scrutin proportionnel

La loi du 2 août 2013 ayant changé le mode de scrutin nous conduit-elle à revivre 1986, c’est à dire ces fameuses législatives où le changement du mode de scrutin et l’insertion de la proportionnelle avait permis à la gauche de résister à la montée de la droite et au front national d’entrer au Sénat ?

Voulue par Mitterand, la loi du 10 juillet 1985 avait rétabli le scrutin de la IVème République, c’est-à-dire la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne dans le cadre départemental. C’était la première fois sous la Vème République que des élections législatives se déroulaient ainsi  : or cela empêcha que le succès de la droite n’ait l’impact qu’il aurait dû avoir en termes de sièges, et fit entrer le front national à l’Assemblée nationale. La droite de gouvernement franchit, aux élections du 16 mars 1986, de justesse la barre des 289 voix, le parti socialiste eut 212 députés… le Front National en aura 35. Cette victoire étroite fut fort importante dans l’histoire de la cohabitation, en tant qu’elle limita la force de la droite face à Mitterand.

Est-on dans une situation équivalente aujourd’hui, François Hollande a-t-il fait du Francois Mitterand ? Le lièvre avait été soulevé lors de la réforme du 2 août 2013, certains accusant la gauche d’avoir modifié le mode de scrutin en prévision de sa future défaite aux élections municipales et de l’effet de celle-ci sur sa majorité au Sénat : ce fut le cas notamment de Jean-Claude Gaudin, qui avait dénoncé «une manœuvre destinée à empêcher la droite et le centre de reconquérir la Haute Assemblée en 2014».

Cela a-t-il fonctionné, et est-on dans une situation analogue à celle de 1986 ? La réponse est mitigée : bien sûr, le changement du mode de scrutin n’a pas réussi à renverser les effets de la vague bleue, mais cela a semble-t-il quand même partiellement fonctionné, dans la mesure où certaines analyses, notamment celle de Martial Foucault, le nouveau directeur du CEVIPOF de Sciences Po Paris, mettent en avant le fait que l’augmentation du champ du scrutin proportionnel aurait favorisé la gauche. Selon celui-ci, d’après une interview qu’il a donné à France Info : « Le changement de mode de scrutin a aidé la gauche. Les 17 départements qui élisent trois sénateurs sont passés d’une suffrage direct à la proportionnelle. Dans 6 de ces départements, soit 35%, la gauche a gagné un siège. Ce qui n’en fait pas un coup électoral pour la gauche : la réforme a été votée sous leur majorité, mais le constat qu’elle permettrait une meilleure représentativité était partagé. J’ajoute que 60% des sièges à renouveler dans ces élections appartenaient déjà à la droite, donc la gauche partait avec un léger avantage ».

On peut ajouter à cette explication l’abaissement du seuil, de 1000 à 800, pour obtenir un délégué supplémentaire dans les villes de 30.000 habitants au titre de la correction démographique : beaucoup de grandes villes étant encore à gauche, cela a pu jouer.

Ces résultats seront à confirmer.

Cependant, la comparaison avec 1986 doit s’arrêter là et on ne peut rendre responsable le changement du mode de scrutin de l’arrivée de deux sénateurs FN au Sénat. En effet, il résulte de l’annexe 6 du code électoral que les bouches du Rhône élisent 8 sénateurs et le Var 4. Par conséquent, ces deux départements connaissaient déjà le scrutin proportionnel avant la réforme de 2013. Le machiavélisme électoral que l’on a parfois prêté à François Hollande trouve ici ses limites : ce n’est pas le changement de mode de scrutin qui a permis l’élection du sénateur FN dans le Var.

 

L’échec de la parité

En revanche, le changement de mode de scrutin a été un échec relatif s’agissant de son autre objectif : la parité. En vertu de l’article 1er de la Constitution, « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Cette règle se concrétise en matière électorale par le fait qu’au mode de scrutin de liste, associé à la proportionnelle, est attaché le respect de la parité selon la règle du sexe alterné : un sexe – l’autre sexe – un sexe – l’autre sexe (loi de 2000).

Après les élections de 2011, d’après le site du Sénat, il y avait 80 Sénatrices sur un total de 344 sénateurs, soit un taux 23.3 %. L’extension de la proportionnelle cette année a-t-elle eu en effet sur ces chiffres ?

Il faut souligner que la multiplication des listes qu’on a connue cette année n’est pas sans lien avec la volonté des « hommes » politiques d’éviter la règle de parité et de pouvoir être élu.

Et malheureusement, effectivement, sur ce point le scrutin n’a pas rempli ces promesses : d’après les chiffres du Sénat après le premier tour, 22 sénateurs hommes avaient été élus contre 3 sénatrices, soit un taux de 12% des femmes. On attend encore les chiffres définitifs de la nouvelle répartition, qui ne manqueront pas d’être repris dans la presse, qui se prend à rêver d’une femme présidente du Sénat puisqu’une sénatrice UDI, Nathalie Goulet, a fait acte de candidature.

Ce résultat apparaît déjà décevant, et ne manquera pas d’entretenir le procès en archaïsme fait au Sénat. A juste titre, pour ce qui concerne cet aspect.

 

Romain Rambaud