Rassemblement national : comment le rapporteur public du Conseil d’Etat justifie le maintien dans la catégorie « extrême droite »… mais ouvre peut-être une brèche par son raisonnement [R. Rambaud]

Ainsi qu’il a été vu dans notre article précédent consacré à cette question, le Conseil d’Etat a rejeté, en référé puis au fond, la requête du Rassemblement National visant à contester sa qualification dans le bloc d’extrême droite dans la circulaire IOMA2322276J du 16 août 2023 relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections sénatoriales 2023 (CE, Rassemblement National, 11 mars 2024, n° 488378). Ainsi que nous l’avions noté, la motivation de la solution, l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, était inexistante dans l’arrêt. Indisponible il y a quelques jours, les conclusions du rapporteur public Mme Dorothée PRADINES ont été versées sur Ariane et elles en permettent d’en savoir plus… Si le raisonnement du rapporteur public permet en effet de justifier le maintien du Rassemblement National dans la catégorie extrême droite, il ouvre peut-être involontairement, eu égard à la jurisprudence récente, une brèche dans l’édifice.

On ne développera pas longuement sur l’argument selon laquelle la France Insoumise ou le parti communiste seraient dans le bloc « Gauche » en raison de l’alliance de la NUPES, qui ne paraît pas très convaincante eu égard à l’état de la NUPES et son (absence de) rôle pour les élections sénatoriales. La justification politique qui avait présidé à la décision du Conseil d’Etat en 2022 semble assez absente ici, la nuance NUPES n’existant même plus dans la circulaire, et le Conseil d’Etat aurait pu en faire autre chose, quand bien même cela n’aurait pas nécessairement changé la situation du Rassemblement National pour autant.

Concernant la qualification d’extrême droite du Front National, Mme le rapporteur public indique ainsi que « reconnaître une erreur manifeste d’appréciation signifierait,  concrètement, imposer au ministre de classer le Rassemblement national dans le  bloc de clivage « droite » plutôt qu’ « extrême droite », ce qui paraît contredire l’objectif de la circulaire, dont la vocation est de rendre compte aux citoyens des résultats et des tendances électorales en plaçant non pas les partis sur un spectre idéologique mais en les classant les uns par rapport aux autres. En outre, ainsi que le soutient le ministre, il existe de raisons objectives de maintenir le Rassemblement national dans ce bloc, tenant notamment à la constance de ses prises de positions, y compris de la part des candidats aux sénatoriales, notamment sur l’immigration et la préférence nationale, et aux liens idéologiques et aux relations qui l’unissent avec des mouvements d’extrême droite dans d’autres pays européens et au Parlement européen ».

Tous les arguments ici utilisés ne semblent pas d’égale valeur. On pourrait estimer en effet qu’il existe des raisons objectives de maintenir le Rassemblement national dans le bloc d’extrême droite, « tenant notamment à la constance de ses prises de positions, y compris de la part des candidats aux sénatoriales, notamment sur l’immigration et la préférence nationale, et aux liens idéologiques et aux relations qui l’unissent avec des mouvements d’extrême droite dans d’autres pays européens et au Parlement européen ». Sur ce point et surtout le premier, c’est sans doute plutôt sur la qualification du parti Les Républicains qu’on pourrait s’interroger aujourd’hui parfois. En revanche, l’argument selon lequel reconnaître une erreur manifeste d’appréciation « signifierait,  concrètement, imposer au ministre de classer le Rassemblement national dans le  bloc de clivage « droite » plutôt qu’ « extrême droite », ce qui paraît contredire l’objectif de la circulaire, dont la vocation est de rendre compte aux citoyens des résultats et des tendances électorales en plaçant non pas les partis sur un spectre idéologique mais en les classant les uns par rapport aux autres » semble moins convaincant voire porte peut-être en lui le germe d’une fragilité, en tant qu’il considère qu’il s’agit de placer les partis sur une échelle… car cela permet ensuite de reporter le débat sur l’échelle utilisée.

En effet de ce point de vue, un point de fragilité de la circulaire tient sans doute aux blocs « Autres » qui visent aujourd’hui les listes régionalistes, écologistes ou divers, au sens où il n’existe pas de qualification, par exemple, pour les listes « souverainistes » ou « nationalistes » par exemple, à l’opposé de « régionalistes ». Une possibilité, pour le Rassemblement National, serait donc, a contrario des conclusions, de demander à ce qu’un bloc « Nationaliste » ou « Souverainiste » soit créé (une injonction a été prononcée par le Conseil d’Etat pour que la nuance NUPES soit consacrée en 2022) et que le Rassemblement National soit classé en son sein, plutôt que de se contenter de demander de ne plus être classé en extrême droite. Il semble que cela n’était pas demandé par le Rassemblement National en l’espèce, mais cela pourrait constituer une stratégie contentieuse. Le Rassemblement National se faisant pourrait-il réussir à sortir de la catégorie « Extrême droite » pour rejoindre celle, moins « infamante », de « Souverainiste » (la nuance droite souverainiste est attribuée à Debout la France notamment pour les élections législatives) ou « Nationaliste » ? Nul doute que, pour les élections à venir, le Rassemblement National ne manquera pas de contester encore et encore sa qualification, alors que se développent à sa propre droite de nombreuses autres formations politiques.

Si le Rassemblement National devait un jour changer de catégorie au sens du ministère de l’intérieur et ne plus être qualifié d’extrême droite, ce serait évidemment un coup de tonnerre.

Romain Rambaud




l’objectif de la circulaire, dont la vocation est de rendre compte aux citoyens des  résultats et des tendances électorales en plaçant non pas les partis sur un spectre  idéologique mais en les classant les uns par rapport aux autres. En outre, ainsi  que le soutient le ministre, il existe de raisons objectives de maintenir le  Rassemblement national dans ce bloc, tenant notamment à la constance de ses  prises de positions, y compris de la part des candidats aux sénatoriales,  notamment sur l’immigration et la préférence nationale, et aux liens  idéologiques et aux relations qui l’unissent avec des mouvements d’extrême  droite dans d’autres pays européens et au Parlement européen.