D’après Le Monde, à l’instant, François Bayrou a été nommé premier ministre. On ne développera pas ici les aspects constitutionnels et politiques de cette décision, pour se concentrer sur un aspect : cela va-t-il enfin permettre de mettre en place l’élection proportionnelle aux élections législatives en France ?
Comme nous l’avons déjà écrit sur ce blog, du fait de la nouvelle donne politique, le scrutin majoritaire échoue aujourd’hui complètement (et sans préjuger d’une élection présidentielle en 2027 qui serait suivie d’une dissolution) à apporter la « majorité stable et cohérente » qui justifie constitutionnellement son existence, même si le législateur dispose en la matière d’une très grande liberté d’appréciation. On pourrait même s’interroger sur un éventuel nouvel examen de constitutionnalité que ce mode de scrutin pourrait subir, sans résultat certain évidemment, mais ce qui ne manquerait pas d’interroger de nouveau, au delà des dimensions critiques de la question, sur son maintien. Les effets du barrage républicains de 2024 de ce point de vue pourraient aussi être largement questionnés.
Nul doute qu’avec l’arrivée du Président du Modem à Matignon, la question sera très rapidement mise sur la table. Au début du premier quiquennat d’Emmanuel Macron, dans la proposition gouvernementale de 2018 (qui faisait partie du projet de transformation des institutions finalement abandonné), il était prévu de réduire les effectifs de parlementaires de 30%, avec 404 sièges restants. Il était aussi prévu de faire élire 15% de ces 404 députés (soit 61 députés) au scrutin proportionnel de liste à l’échelle nationale. En 2019, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique a été complété par un projet de loi ordinaire qui introduit 20% de proportionnelle aux élections législatives, toujours couplé avec la réduction du nombre de parlementaires (25% au lieu de 30% proposés en 2018, soit 433 députés, parmi lesquels 87 sont élus à la proportionnelle, avec 346 restant au scrutin majoritaire). On se rappelle aussi par exemple qu’en 2021, deux propositions de loi pour les élections législatives ont été déposées par Patrick Mignola, député du Modem : la première entendait instaurer un scrutin législatif mixte, avec le maintien du mode de scrutin actuel dans les départements comportant 11 députés ou moins, mais les députés seraient élus à la proportionnelle (sans seuil) dans les départements qui comptent douze députés ou plus. La seconde proposition de loi visait à instaurer une proportionnelle intégrale, avec une circonscription égale à un département, avec le scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, le seuil de 5% est présent. En 2021, François Bayrou, Julien Bayou, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, et Laurent Hénart ont écrit une lettre à Emmanuel Macron, pour demander l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives de 2022. En août 2022, une nouvelle proposition de loi relative à la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel pour l’élection des députés était déposée pour mettre en place une proportionnelle départementale à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel, tandis que pour les députés élus par les Français établis hors de France, le vote a lieu dans une circonscription unique.
Cette revendication constante du MODEM pourrait trouver un écho au sein d’autres forces politiques à l’extrême gauche, à gauche ou à l’extrême droite, et se trouver ainsi au coeur du nouveau programme législatif de Gouvernement ou du pacte de « non-censure ».
On se souvient ainsi par exemple de la proposition de la Présidente de l’Assemblée Nationale, qui avait imaginé un système dans lesquel les parlementaires seraient élus sur des listes à la proportionnelle dans les départements les plus peuplés, ceux où sont élus 11 députés ou plus, le reste des députés, soit 425, restant élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Système qui avait le mérite de ne pas entraîner de redécoupage des circonscriptions, mais l’inconvénient d’entrer en résonance particulière dans un contexte de possible résurgence de la crise des gilets jaunes.
Le diable se trouve ensuite bien sûr dans les détails. On se permettra cependant de rappeler que, dans un contexte Post-Brexit, la France est désormais seule en Europe avec son système. D’autres systèmes de proportionnelle peuvent être imaginés, comme il en existe de nombreux dans le monde, soit de façon intégrale, soit de façon mixte, avec une dose de proportionnelle. Il existe en la matière un certain nombre d’exemples étrangers.
En Italie, 2017, un système mixte a été introduit avec 37% des sièges attribués au scrutin majoritaire (147 députés) et 61% à la proportionnelle (liste bloquée, 245 députés, avec un seuil de 3% pour les partis et 10% pour les coalitions), favorisant les coalitions et certains partis régionaux. Les 2% restants sont élus par les italiens de l’étranger. En Hongrie, 106 députés du parlement monocaméral (soit 53%) sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans des circonscriptions désignées par le parti au pouvoir. Les 93 sièges restants (soit 47%) sont attribués au niveau national, selon un mode de scrutin proportionnel plurinominal de liste, avec un seuil fixé à 5% (10% pour la liste jointe de deux partis, 15% pour la liste de trois partis ou plus). En Corée du Sud, parmi 300 membres de l’Assemblée nationale, 254 sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans autant de circonscriptions et 46 restants sont pourvus au scrutin proportionnel plurinominal avec listes fermées et seuil électoral de 3% dans une unique circonscription nationale. la répartition des sièges après la proportionnelle est faite selon un système par compensation priorisant les partis dont la part des sièges au scrutin majoritaire est inférieure à sa part des voix à la proportionnelle. Le nombre de sièges au sein de l’AN peut varier d’un scrutin à l’autre. Au Japon, la chambre basse du parlement bicaméral, dite Chambre des représentants, compte 465 députés élus pour quatre ans selon un mode de scrutin parallèle. 289 députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans autant de circonscriptions. Les 176 sièges restants sont pourvus au scrutin proportionnel plurinominal de liste dans 11 circonscriptions régionales de 6 à 29 sièges. Les électeurs votent séparément pour un candidat au scrutin majoritaire et pour une liste de candidats au scrutin proportionnel. Un candidat peut se présenter aux deux types d’élections si la circonscription uninominale est incluse dans celle plurinominale. Les sièges proportionnels ne compensent pas les distorsions des résultats majoritaires, mais s’ajoutent comme deux élections parallèles ayant lieu simultanément. Ces systèmes permettent de corriger une instabilité trop grande qui serait liée à la proportionnelle, mais présenteraient l’inconvénient de présenter une réforme beaucoup plus lourde à faire adopter.
A condition, bien sûr, que François Bayrou reste suffisament longtemps Premier Ministre pour pouvoir faire des propositions en la matière…
Romain Rambaud