Le 24 juin 2025, le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) déposée par l’association Un cœur, une voix. Ce recours soulève l’inconstitutionnalité du maintien du corps électoral « gelé » pour les élections provinciales, dispositif instauré depuis 2007 dans le cadre des accords de Nouméa.
Plus précisément, les requérants demandaient, d’une part, l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait rejeté leur demande du 27 décembre 2024 tendant à l’abrogation des dispositions réglementaires du code électoral relatives à l’établissement de la liste électorale spéciale en Nouvelle-Calédonie, et à l’abrogation, par voie de conséquence, des dispositions se référant à cette liste ; et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au Premier ministre d’abroger les articles en cause, ainsi que de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
Ils soutenaient que ces dispositions, applicables au litige, portaient atteinte au droit de suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution, en tant qu’elles restreignent le corps des électeurs appelés à désigner les membres des assemblées de province et du Congrès aux seules personnes inscrites sur une liste électorale spéciale, à l’exclusion de citoyens français durablement installés sur le territoire de Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, elles priveraient ces mêmes citoyens, exclus de la liste électorale spéciale, de la possibilité de consentir librement, par le biais de leurs représentants, aux impôts votés par le Congrès de Nouvelle-Calédonie et par les assemblées de province, alors même qu’ils doivent en supporter la charge, portant atteinte au principe du libre consentement à l’impôt et au droit de représentation qu’il implique, garantis par l’article 14 de la même Déclaration.
Pour rappel, les accords de Nouméa (1998) et la loi organique du 19 mars 1999 instaurent un corps électoral spécifique pour les provinciales : seuls peuvent voter les citoyens français inscrits avant 1998 (ou leurs descendants), voire ceux toujours inscrits en 2007. Après validation du Conseil constitutionnel en 1999, ce dispositif visait à préserver la stabilité politique, dans le cadre du contexte spécifique de décolonisation propre à la Nouvelle-Calédonie. Le gel exclut, à ce jour, près de 19 % des électeurs insulaires.
Le Conseil d’État a jugé que cette QPC pouvait être transmise au Conseil constitutionnel. Il a considéré, tout d’abord, qu’il existait sur ce point un changement de circonstances. Ainsi, il estime que si le Conseil constitutionnel a, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, déclaré les articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 relatifs à la Nouvelle-Calédonie conformes à la Constitution, au bénéfice de l’interprétation qu’il a alors donnée de la notion de tableau annexe mentionné au I de l’article 189, la modification de l’article 77 de la Constitution introduite par la loi constitutionnelle du 23 février 2007 constitue un changement de circonstances de droit de nature à justifier un nouvel examen de ces dispositions par le Conseil constitutionnel.
Ensuite, il a jugé la QPC nouvelle sur le fondement de la liberté de suffrage, estimant que « le moyen tiré de ce que les dispositions contestées portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes à valeur constitutionnelle d’universalité du suffrage et d’égalité devant le suffrage, soulève une question présentant un caractère nouveau, le Conseil constitutionnel n’ayant pas fait application à ce jour du dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution ».
Cette décision s’inscrit bien sûr dans le cadre des tentatives des non-indépendantistes de faire évoluer la situation. Pour rappel, la volonté du Gouvernement de faire modifier le gel du corps électoral est source de tensions dans l’île depuis plusieurs mois. En janvier 2024, les élections provinciales avaient été reportées, puis avait été enclenché un dépôt, puis une discussion sur un projet de loi constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral des élections provinciales à partir du 1er juillet 2024 (gelé depuis 1998), en y intégrant les citoyens nés sur place ou y résidant depuis au moins dix ans. Ce projet avait été voté par le Sénat et l’Assemblée nationale en avril et mai 2024, dans l’attente de la convocation du Congrès, qui ne fut jamais ordonnée, notamment suite à la dissolution du 9 juin 2024. En mai 2024, des émeutes ont eu lieu en Nouvelle-Calédonie, avec plusieurs morts, et l’état d’urgence a été décrété.
Cette décision est bien entendu de nature à poser des problèmes juridiques fondamentaux, alors que les élections provinciales, deux fois reportées, devront se tenir au plus tard le 30 novembre prochain. On peut donc imaginer que le Conseil constitutionnel fera en sorte de statuer rapidement pour éclaircir la situation, ce dernier disposant de trois mois, jusqu’au 24 septembre, pour se prononcer.
Romain Rambaud
Pour des raisons de temps et de recherche scientifique liée aux projets JADE (Justice algorithmique des élections) et TEDIA (Transformation des études de droit vers l’intelligence artificielle), la rédaction de cet article fait en partie appel à un script de Chat GPT 4.0 version payante. On notera ici au demeurant avec satisfaction que Chat GPT comprend parmi ses sources le blog du droit électoral, et notamment les articles de Zérah Brémond sur le sujet. Les informations données à l’auteur ont été vérifiées et la proposition de l’IA générative a été substantiellement modifiée.
