Les élections consulaires sont peu connues et n’intéressent pas le grand public. Elles impliquent pourtant une lourde machinerie, concernant 1,3 million d’électeurs, appelés à élire 442 conseillers et 68 délégués (les délégués servent au vote des sénateurs représentant les Français établis hors de France) dans 130 circonscriptions, regroupée en 15 circonscriptions pour l’élection des représentant à l’Assemblée des Français de l’Etranger (v. loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France). Le conseiller des Français de l’étranger représente les Français qui vivent à l’étranger au sein de conseils consulaires : leur rôle est de défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics mais aussi dans leurs démarches administratives. Parmi les 443 conseillers des Français de l’étranger, 90 conseillers sont élus par leurs pairs pour siéger à L’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). « Porte-parole et défenseure des droits et intérêts des Français résidant hors de France, l’AFE est l’interlocutrice du gouvernement sur la situation des Français établis hors de France et les politiques conduites à leur égard ». Elle se réunit deux fois par an (v. pour plus de détails le site internet du ministère des affaires étrangères).
Même si, bien sûr, ces élections ne sont pas transposables aux élections politiques internes pour de multiples raisons (importance politique, antériorité ou non des modalités électorales, confiance, nécessité pratique, etc.), elles sont intéressantes en tant qu’elles constituent un exemple français de la façon dont des élections peuvent se tenir en période de Covid, à condition d’accepter… les modalités alternatives de vote… ce qu’au demeurant hélas, une majorité de la doctrine française continue à refuser (v. par ex. récemment concernant le vote par anticipation, la question des machines à voter pouvant être réservée).
La décision initiale : le report des élections consulaires au mois de mai 2021
A propos des élections consulaires, tout à commencé par la stratégie française classique en matière d’élections en période de covid : la saisissante stratégie du report. En effet, en parallèle du report du second tour des élections municipales, la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 avait organisé le report des élections consulaires. Ces élections consulaires devaient initialement avoir lieu les 16 et 17 mai 2020, et ont été reportées en vertu de l’article 21 de la loi au plus tard au mois de juin 2020.
Cependant, le conseil scientifique ayant rendu un avis défavorable à la tenue des élections consulaires en raison des incertitudes épidémiologiques au niveau international, ces élections ne purent se tenir et la loi n°2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires fut adoptée. Son article 13 prévoyait ainsi une modification de la loi du 23 mars 2020 et de l’ordonnance du 25 mars 2020 pour proroger le mandat en cours des conseillers consulaires et des délégués consulaires jusqu’au mois de mai 2021, le mandat de ces conseillers expirant en mai 2026 et non en mai 2027, en raison du calendrier électoral déjà très chargé de l’année 2027 (élections présidentielle et législatives). Logiquement, la loi prévoyait également que le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger élus en 2014 expirerait dans le mois suivant le renouvellement général des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires, reporté en mai 2021.
Le choix du mois de mai 2021 se justifie par le sens de la jurisprudence constitutionnelle : dans sa décision n° 2013-671 du 6 juin 2013 sur la loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, le Conseil constitutionnel avait précisé que la prorogation d’un an du mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger ne portait pas atteinte au principe constitutionnel d’exercice du suffrage à une périodicité raisonnable dès lors qu’elle est justifiée par motif d’intérêt général et qu’elle est limitée dans le temps.
La stratégie actuelle : le maintien des élections consulaires en mai 2021… grâce au vote anticipé par internet
Alors que la pandémie frappe le monde comme la France encore très largement, le Gouvernement a décidé de respecter le calendrier prévu, en adaptant son dispositif de bureaux de vote en les réduisant drastiquement pour tenir compte des problématiques sanitaires, et surtout en faisant la promotion du vote par internet, comme nous l’apprend le rapport du Gouvernement au Parlement rendu le 18 février 2021 (Rapport du Gouvernement au Parlement, Rapport au parlement, Élections des Conseillers des français de l’étranger et des délégués consulaires, 18 février 2021). Ces élections devraient avoir lieu 29 mai 2021 pour le continent américain et les Caraïbes et le 30 mai 2021 pour le reste du monde, et les élections des conseillers de l’Assemblée des Français de l’Étranger devraient avoir lieu les 26 et 27 juin 2021.
Si le vote postal (qui existe dans ce cas de figure) ne pourra semble-t-il pas être utilisé en raison de la désorganisation des services postaux dans de nombreux pays, c’est le vote par internet qui se trouve mis en avant. Le rapport du Gouvernement au Parlement indique ainsi que « Le (…) constat est que nous disposons pour cette élection d’une modalité de vote qui n’est pas tributaire des conditions sanitaires : le vote par internet. Cette modalité de vote doit permettre aux électeurs de participer à cette élection, y compris dans les pays où une dégradation très importante de la situation sanitaire rendrait impossible l’ouverture de bureaux de vote (…) Cette modalité de vote est particulièrement adaptée au contexte actuel consécutif à la pandémie de Covid-19, en permettant aux électeurs qui choisiront cette modalité de voter à distance, sans avoir à se déplacer dans un bureau de vote » .
Ce vote par internet est au demeurant un vote anticipé, puisqu’il sera ouvert du vendredi 21 mai à midi (heure de Paris) jusqu’au mercredi 26 mai à midi (heure de Paris).
Le rapport précise que « Cette modalité de vote a été massivement adoptée lors des derniers scrutins pour lesquels le vote par internet était possible pour les Français de l’étranger : elle a représenté 43% des voix exprimées lors des élections consulaires 2014, et 57% pour les élections législatives de 2012. Nous constatons également que la très grande majorité des électeurs inscrits sur les LEC ont déjà renseigné les informations nécessaires pour le vote par internet (adresse électronique et un numéro de téléphone portable en cours de validité) : c’est le cas de 1,1 million d’électeurs, sur un total de 1,36 millions d’électeurs inscrits sur les LEC au 1er janvier 2021 ».
Si l’on ne plaidera pas ici pour le vote par internet pour les prochaines échéances en France métropolitaine, le maintien des élections consulaires grâce à un vote par internet par anticipation reste un joli pied de nez à tous ceux qui s’opposent à l’adaptation du droit électoral à la covid par des modalités alternatives de vote.
On noter au passage que dans sa décision n° 2013-673 DC du 18 juillet 2013 Loi relative à la représentation des Français établis hors de France, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de juger de la constitutionnalité d’un vote par anticipation. La loi de 2013 a en effet créé une faculté de vote par anticipation y compris dans l’hypothèse d’un vote à l’urne, pour l’élection des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger et pour l’élection des sénateurs, le deuxième vendredi précédant la date du scrutin. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé qu’en permettant cette nouvelle modalité de vote, le législateur « a entendu que l’éloignement géographique ne constitue pas un obstacle à la participation à ces scrutins du plus grand nombre d’électeurs » et a jugé « qu’en elle-même, l’organisation d’une telle modalité de vote des électeurs établis hors de France ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle dès lors que sont adoptées les garanties légales assurant le respect des principes de sincérité du scrutin et de secret du vote » (cons. 15). Si la première partie de l’argumentation semble propre à l’élection des Français de l’étranger, la deuxième partie ne l’est pas. De quoi considérer qu’en l’état de la jurisprudence constitutionnel, il serait tout à fait précipité et imprudent de soulever par principe l’inconstitutionnalité du vote par anticipation, comme cela fut fait par quelques-uns à propos de l’amendement gouvernemental relatif au vote par anticipation pour l’élection présidentielle. Réflexe malheureux que pourtant, des erreurs du même ordre commises au moment des élections municipales devraient prévenir…
En tout état de cause, l’exemple des élections consulaires, tout relatif qu’il soit, montre que la solution du maintien des élections se trouve bien dans les modalités alternatives de vote. Une triste situation française qu’un article très récent de l’IDEA, qui fait état de l’extension des modalités alternatives de vote dans le monde pour faire face à la Covid-19, vient encore rappeler.
Romain Rambaud