Refondation démocratique et justice électorale prédictive : publications récentes et programme de recherches de l’année 2022/2023 [Publications, R. Rambaud]

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Si l’année 2021/2022 a été particulière pour l’auteur de ses lignes en raison de sa participation directe à l’élection présidentielle dans l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, comme indiqué en novembre 2021 sur le présent blog, c’est le retour à une activité universitaire tout à fait traditionnelle qui s’organise pour l’année universitaire 2022/2023, avec la fin de toute mission militante et le recentrage sur d’importants chantiers de recherche scientifique.

On peut prendre, dans cette période de transition entre l’actuelle année universitaire et la prochaine, un peu de temps pour présenter aux lecteurs du blog du droit électoral deux publications récentes, qui s’inscrivent dans deux des principaux axes de recherche à venir. La première concerne l’actualité la plus brulante : la refondation démocratique. La seconde, du point de vue de sa méthodologie, inaugure des recherches fondamentales à venir : l’approche empirique voire algorithmique en matière de contentieux électoral.

La refondation démocratique. « Redonner une légitimité à l’élection » in Réanimer la démocratie : quels remèdes ?, dossier Politeia, n°40, 2021.

Dans cet article publié par la revue Politeia et faisant suite à un colloque organisé le 26 mars 2021 par Sandrine CURSOUX-BRUYERE et Aude THEVAND de l’Université Catholique de Lyon, la question est celle de savoir comment redonner une légitimité à l’élection, parmi d’autres mesures visant à réanimer la démocratie.

Il est démontré dans cet article que les élections ont besoin d’être réanimées à la fois théoriquement et pratiquement. De ce point de vue, c’est un résultat assez paradoxal que de constater que des personnes modérées (notamment des scientifiques) peuvent aboutir à des résultats et des propositions qui, dans un certain champ politique, pourraient être considérées comme engagées : n’est-ce pas la manifestation du fait que ce serait le régime représentatif français qui, lui-même, serait finalement devenu radical ?

Le premier point n’est pas une mince affaire mais il est essentiel. Les élections souffrent d’abord d’une image qui n’est pas si injuste, selon laquelle elles seraient finalement davantage au service des élus eux-mêmes que des citoyens, raison pour laquelle ces derniers demandent aujourd’hui de la démocratie directe ou participative mais ne croiraient plus aux élections. Si cela n’est pas complètement faux, les élections, si on veut être positifs, disposent des ressorts nécessaires pour opérer leur re-légitimation, dès lors que les principaux intéressés le veulent bien… et c’est peut-être le principal problème, la crise sanitaire ayant montré que dans l’équation de l’élection, le volet aristocratique (la sélection des dirigeants) peut prendre le pas sur le volet démocratique (le vote par tous dans les conditions les plus universelles possibles). Il devient ainsi nécessaire de reconnaître, y compris constitutionnellement, le Peuple et le « pouvoir de suffrage » comme pouvoir à part entière dans notre architecture constitutionnelle.

Bien entendu, cette ré-légitimation théorique de l’élection devrait s’accompagner d’une ré-légitimation pratique, c’est-à-dire se traduire concrètement par des mécanismes garantissant mieux le caractère démocratique des élections. De ce point de vue, les modalités d’action et les propositions sont innombrables et il est impossible d’être exhaustif. On peut essayer de les classer en trois grandes catégories : l’inclusion (notamment par l’amélioration des modalités de vote), la représentativité (par le mode de scrutin et la réhabilitation du rôle des partis), la responsabilité (par le mandat impératif, la révocation, la responsabilité pénale), parmi d’autres avancées possibles, telles que l’exemplarité ou la démocratie directe.

La lecture de cet article peut être complétée par la lecture de l’ouvrage publié en octobre 2021, Refonder la Vème République en 2022, Pour une déradicalisation du régime représentatif français, qui constitue un prolongement de ces réflexions et l’amorce de réflexions de droit constitutionnel sur une réforme du système institutionnel français. S’il ne s’agit pas ici d’un ouvrage scientifique mais d’un ouvrage politique puisqu’il s’inscrivait dans le cadre de la campagne présidentielle de 2022, il n’en traduit pas moins l’essentiel de la pensée constitutionnelle de l’auteur en vue des réformes à venir. De ce point de vue, la proposition faite de conserver l’élection présidentielle et les élections législatives selon le même calendrier mais en modifiant le mode de scrutin des élections législatives vers davantage de proportionnelle comme solution majeure à l’excès de présidentialisation du régime, n’est pas sans faire écho à la plus brûlante actualité.

Ces travaux ont vocation à se prolonger concernant les immanquables réflexions qui auront lieu sur notre régime politique et son éventuelle réforme. Ces recherches s’inscriront ainsi dans l’axe de la refondation de la vie démocratique dont reste en charge Olivier Véran malgré le remaniement qui a fait de lui le nouveau porte-parole du Gouvernement, en lieu et place de ministre délégué aux relations avec le Parlement. La nouvelle est heureuse : dans le contexte politique qui est le nôtre, il aurait été fort probable que la vie démocratique soit laissée au second plan par rapport aux problématiques parlementaires. Le fait qu’elle soit désormais associée au porte-parolat est le signe qu’elle se trouvera au coeur des priorités politiques du quinquennat à venir.

Le blog du droit électoral s’est déjà fait l’écho de ces réflexions, par exemple sur la question de la fragilisation du scrutin majoritaire et de ses fondements constitutionnels, politiques et stratégiques eu égard aux résultats des élections législatives de juin 2022. L’année prochaine sera donc consacrée aussi à un approfondissement de ces réflexions constitutionnelles notamment en matière de mode de scrutin et de proportionnelle.

De ce point de vue, cet axe des travaux ne sera pas sans lien avec d’autres, donnant à cette année 2022/2023 une coloration… mathématique.

Une approche mathématique du contentieux électoral : Contentieux électoral et abstention. Analyse empirique du déclin d’une hypothèse, AJDA, 2022, p. 1097.

L’article publié dans le numéro de l’AJDA du 30 mai 2022 est un commentaire de l’arrêt Elections municipales d’Annemasse du Conseil d’Etat (30 dec. 2021, n°449172). Il s’inscrit dans le cadre de la réflexion sur le contentieux électoral et la Covid-19. La problématique du traitement contentieux de l’abstention aux élections municipales peut en effet trouver une fin (provisoire ?) dans l’arrêt du Conseil d’Etat Elections municipales d’Annemasse : malgré un écart de voix insignifiant (le nombre exact de voix pour obtenir la majorité absolue au premier tour) et une abstention exceptionnellement élevée (72,21 %), le juge d’appel a censuré le jugement du tribunal administratif de Grenoble qui avait annulé l’élection et a rejeté la protestation électorale, confirmant la validité de l’élection, n’ayant constaté aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu’il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l’égalité entre les candidats. Cet arrêt, qui fait application de la solution de l’arrêt de principe Saint Sulpice sur Risle (CE, 15 juil. 2020, n°440055, El. Mun. de Saint-Sulpice-sur-Risle), vient clore la séquence en montrant le peu d’intérêt que le juge électoral a pour l’abstention provenant de circonstances exceptionnelles telle que celles de la Covid. Sur ce sujet, le blog du droit électoral contient de très nombreux articles qui remémoreront des souvenirs bien particuliers… Inutile d’y revenir ici.

Car le principal intérêt de cet article n’est peut-être pas de mettre en valeur cette solution sur le plan juridique : sa principale innovation est qu’il réalise une étude réellement empirique de la question, se fondant sur la totalité du contentieux du Conseil d’Etat. En effet, outre l’analyse, au cas présent, du raisonnement juridique relatif à l’abstention qui a fait l’objet d’autres restitutions en doctrine (v., pour des analyses globales R. Medard Inghilterra, « L’abstention électorale en droit public français », RDP, 2021, 237 ; J.-P. Camby, « Des « circonstances exceptionnelles » aux « circonstances de l’espèce » : l’abstention, facteur d’annulation ? Le report, facteur de participation ? », LPA, 2021, n°38 ; P. Esplugas-Labatut, M. Bros, « Le mariage de l’abstention et de la sincérité du scrutin : une union… prudente et à trois ! », RFDC, n°2022/1, n°129, p. 19), cette note propose, à titre d’originalité, une restitution et une analyse empiriques des solutions du juge électoral, avec des tableaux en annexe présentant les solutions, le niveau d’abstention, l’écart de voix considéré, ainsi qu’une explication sur la manière d’appréhender mathématiquement les écarts de voix.

Au jour de l’achèvement de la rédaction de cet article, 63 arrêts du Conseil d’Etat comportaient le considérant de principe de l’arrêt Sulpice-sur-Risle, dont un relatif à des élections régionales (El. Reg. de Guadeloupe). Ces derniers constituent la base de données sur laquelle s’appuie la présente analyse. L’originalité du cas d’Annemasse consiste en la conjonction de quatre éléments, que l’on ne retrouve ensemble dans aucune autre affaire : (1) annulation par le TA de l’élection, (2) absence d’irrégularités et annulation sur la base de la seule abstention, (3) niveau exceptionnellement élevé de l’abstention et enfin (4) écart de voix extrêmement faible. Il s’agit donc bien d’un cas d’école. La réponse apportée par le Conseil d’Etat n’en est logiquement que plus forte.

Cette analyse empirique n’est pas sans précédent dans nos travaux. Elle prolonge l’approche adaptée lorsque la tentative a été faite, toujours dans l’AJDA, de proposer des « lois de l’écart de voix », c’est à dire de déterminer scientifiquement les méthodes de raisonnement et les ordres de grandeur à partir desquels le juge va estimer qu’un écart de voix est ou non suffisamment faible pour entraîner l’annulation d’une élection.

Cette approche empirique et mathématique du contentieux électoral aura vocation à se poursuivre et à s’approfondir très considérablement dans les années à venir : l’auteur de ses lignes a déposé un projet et obtenu un financement relatif à la… justice algorithmique des élections (projet UGA/IDEX – JADE). Ou autrement dit, la recherche de l’élaboration d’une justice prédictive en matière de contentieux électoral !

Plus d’informations à venir… très vite !

Romain Rambaud