Vote par correspondance : surmonter le traumatisme des fraudes corses des années 60-70 [R. Rambaud]

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Alors que la mission du Sénat sur le vote par correspondance commence ses travaux, nous proposons une série d’articles visant à examiner, voire à contester, les arguments opposés à la mise en œuvre du vote par correspondance. L’un des arguments les plus utilisés et les plus importants est, on le sait, le risque de fraudes (v. par ex. pour un débat complet sur le vote par correspondance, l’émission de France Culture le « Temps du débat » consacrée à ce sujet le samedi 21 novembre).

Ainsi, dans un communiqué partagé sur son compte Twitter, le ministre de l’Intérieur a estimé que son ministère «ne sera pas prêt, en quelques semaines ou quelques mois, à offrir aux électeurs un système robuste et assurant une confiance absolue dans les résultats du vote». Selon lui, «les raisons qui ont amené à abandonner le vote par correspondance en 1975 restent valables aujourd’hui : le risque de fraude est trop important». 

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Pour envisager la mise en place du vote par correspondance, la question de la fraude doit donc être abordée de front. Sur ce point, il faut d’abord étudier cette question, en France, avant 1975, puisque le vote par correspondance a été bien supprimé en France par la loi n°75-1329 du 31 décembre 1975 modifiant certaines dispositions du code électoral.

Il faut alors, pour convaincre et avancer dépasser le traumatisme des fraudes corses des années 60-70. En effet, il sera démontré que les fraudes au vote par correspondance existant avant 1975 s’expliquaient avant tout par le caractère totalement archaïque du système qui était alors en vigueur, qui ne répondait pas aux standards internationaux d’aujourd’hui. Un autre système, beaucoup plus sûr, serait immanquablement mis en œuvre.

Les fraudes au vote par correspondance en France avant 1975

Instauré par la loi n°46-667 du 12 avril 1946, le système de vote par correspondance existait auparavant en France à l’article L. 79 du code électoral, précisé aux articles R. 81 et s. Il a effectivement été supprimé en raison de l’existence de fraudes, qu’il convient d’étudier.

Le vote par correspondance sur demande de 1946 à 1975

Il s’agissait d’un vote non ouvert à tous mais à un certain nombre de personnes seulement et sur la base de la présentation d’un justificatif.

L’article L. 79 du code électoral disposait que « Les électeurs appartenant à l’une des catégories prévues à l’article suivant et qui se trouvent absents de la commune sur la liste électorale de laquelle ils sont inscrits peuvent, sur leur demande, exercer leur droit de vote par correspondance. Cette procédure reste exceptionnelle et ne peut être utilisée qu’au bénéfice de citoyens retenus loin de leur commune d’inscription par des obligations légales ou professionnelles dûment constatées ou des empêchements irréfragables et dans les conditions prévues ci-après » (militaires, fonctionnaires, personnes malades, personnes en déplacement professionnel, etc.)

Pouvaient bénéficier de ce dispositif en vertu de l’article L. 80 du code électoral :

1° Les militaires stationnés sur le territoire métropolitain ;

2° Les mariniers, artisans ou salariés et les membres de leur famille habitant à bord ;

3″ Les fonctionnaires, cheminots et agents des services publics appelés en déplacement par les nécessités de leur service ;

4° Le personnel navigant de l’aéronautique civile ;

5° Les femmes en couches, les malades, infirmes ou incurables en traitement ou en pension dans les établissements de soins ou d’assistance dont la liste est fixée par arrêté du ministre de la santé publique et de la population ;

6° Les personnes qui ont quitté leur résidence habituelle du fait des événements de guerre et ne l’ont pas regagnée à la date du scrutin.

L’absence des électeurs appartenant aux catégories ci-dessus énumérées devait être motivée soit par des obligations professionnelles, en ce qui concerne les électeurs des catégories 1, 2, 3 et 4, soit par d’impérieuses raisons de santé en ce qui concerne les électeurs de la catégorie 5.

En vertu de l’article L. 81 du code électoral, c’était le cas également pour les personnes suivantes, qu’elles se trouvent ou non dans la commune le jour du scrutin :

— les grands invalides de guerre titulaires d’une pension égale ou supérieure à 85 p. 100 ;

— les titulaires d’une pension d’invalidité allouée au titre d’une législation de sécurité sociale, bénéficiant de la majoration pour assistance d’une tierce personne, notamment les assurés sociaux du régime général de sécurité sociale placés dans le troisième groupe ;

— les titulaires d’une pension de vieillesse allouée au titre d’une législation de sécurité sociale bénéficiant de la majoration pour assistance d’une tierce personne ;

— les victimes d’accident du travail bénéficiant d’une rente correspondant à un taux égal ou supérieur à 85 p. 100 ;

— les personnes âgées et infirmes bénéficiant de la majoration pour aide constante d’une tierce personne prévue soit par l’article 160, soit par l’article 170 du code de la famille et de l’aide sociale

— les personnes qui assistent les invalides, vieillards ou infirmes visés aux alinéas précédents ;

 — les malades, femmes en couches, infirmes ou incurables qui, en raison de leur état de santé ou de leur condition physique, seront dans l’impossibilité de se déplacer le jour du scrutin ; 2° Sur justification de leur impossibilité d’être présents dans leur commune d’inscription le jour du scrutin :

 — les journalistes, titulaires de la carte professionnelle, en déplacement par nécessité de service ;

— les voyageurs et représentants qui exercent leur activité dans les conditions prévues par les articles 29 K et suivants du livre Ier du code du travail ;

— les agents commerciaux ;

— les commerçants et industriels ambulants et forains et les personnels qu’ils emploient ;

— les travailleurs employés à des travaux saisonniers agricoles, industriels ou commerciaux, en dehors du département de leur domicile ;

— les personnels de l’industrie utilisés sur des chantiers éloignés du lieu normal de leur travail ;

— les entrepreneurs de transport public routier de voyageurs ou de marchandises et les membres- de leur personnel roulant, appelés en déplacement par les nécessités du service ;

 — les personnes suivant, sur prescriptions médicales, une cure dans une station thermale ou climatique

— les jeunes gens qui, pour les nécessités de leurs études, sont régulièrement inscrits, hors de leur domicile d’origine, dans les facultés, écoles, instituts et autres établissements d’enseignement supérieur publics ou privés ou dans une classe d’un établissement public ou privé préparatoire aux grandes écoles

— les artistes en déplacement pour l’exercice de leur profession dans un théâtre national ou dans une entreprise de spectacles titulaire de la licence instituée par l’ordonnance du 13 octobre 1945 ;

— les auteurs, techniciens et artistes portés sur la liste contenue dans le dossier de l’autorisation de tournage de film délivrée par le centre national du cinéma ;

— les membres des associations et fédérations sportives appelés en déplacement par les nécessités de leur participation aux manifestations sportives ;

— les ministres des cultes en déplacement pour l’exercice de leur ministère ecclésiastique.

Les fraudes constatées au vote par correspondance avant 1975 : le traumatisme des fraudes corses

Cette procédure a entraîné il est vrai des fraudes à la fin des années 1960 et au début des années 1970, raison pour laquelle il a été supprimé en 1975 (AN, 1ère séance du 4 décembre 1975, p. 9368, v. M.  Michel Poniatowski).

Si des doutes existaient sur la fiabilité de la Poste et le risque de fraudes au bénéfice du parti communiste, c’est surtout en Corse que des problèmes ont eu lieu, en raison de la présence de nombreux corses du « continent » qui votaient, ou que l’on faisait voter, par correspondance (v., sur ce point Jean-Louis Briquet « Le vote au village des corses de l’extérieur. Dispositifs de contrôle et expressions des sentiments (19e-20e siècles), Revue française de science politique », 2016/5 Vol. 66 | pages 751 à 771 ; Bernard Maligner, Halte à la fraude électorale !, 1986). Aux élections législatives de mars 1967, quand 1,58 % des électeurs en France seulement votaient par correspondance, ils étaient 21,99 % en Corse (L. Boichot, G. Tabard, « le vote par correspondance fait-il augmenter la participation ?, Le Figaro, 25 nov. 2020).

C’est également ce que montre la jurisprudence électorale de l’époque, faisant surtout état de fraudes importantes en Corse.

Conseil constitutionnel, décision n° 67-435 AN du 24 janvier 1968, A.N., Corse (2ème circ.) :

« Dans le sixième bureau de la ville de Bastia, le procès-verbal des opérations électorales, la liste d’émargement et les feuilles de pointage ont disparu sans que la proclamation publique des résultats ait pu être faite ni dans ce bureau ni dans le bureau centralisateur de la ville, contrairement aux prescriptions des articles R. 67 et R. 69 du Code électoral ; que ces graves irrégularités font obstacle au contrôle par le Conseil constitutionnel de la sincérité des résultats des opérations électorales dans le sixième bureau ;

Dans le douzième bureau de Bastia, des individus non identifiés ont, pendant le déroulement des opérations de vote, procédé à l’enlèvement de l’urne ainsi que de la liste d’émargement et des dossiers de votes par correspondance ; que si l’urne a été récupérée intacte et scellée, la disparition définitive de la liste d’émargement et des dossiers de votes par correspondance rend impossible la comparaison du nombre des votants et de celui des bulletins et enveloppes trouvés dans l’urne et, de façon générale, ne permet pas au Conseil constitutionnel de contrôler la sincérité des résultats dans ce bureau

Considérant que des électeurs inscrits sur les listes électorales de la ville de Bastia qui s’étaient rendus dans le département des Alpes-Maritimes pour y assister à une rencontre sportive le jour du scrutin ont voté par correspondance alors qu’ils n’entraient dans aucune des catégories prévues aux articles L. 79 à L. 81 du Code électoral ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le nombre des votes par correspondance pris en compte dans les résultats des opérations électorales de la ville de Bastia, s’il reste proportionnellement inférieur à celui de ces mêmes votes émis dans l’ensemble de la circonscription, est cependant sensiblement supérieur à la différence entre, d’une part, le nombre des plis recommandés d’envoi des instruments de vote par correspondance et, d’autre part, le nombre des plis retournés à Bastia, soit que leurs destinataires n’aient pu être touchés, soit qu’ils n’aient pas demandé à voter par correspondance ; qu’il en découle que de nombreux votes par correspondance n’émanent pas d’électeurs ayant demandé à utiliser ce mode de votation »

Conseil d’Etat, 4 / 1 SSR, du 21 juin 1972, 83676, Commune de Serriera (Corse) :

« cons., d’une part, qu’il résulte de l’instruction que cinq demandes de votes par correspondance n’étaient pas accompagnées de pièces justificatives ; que si, pour trois d’entre elles, les requérants soutiennent que ces pièces ont et égarées, cette allégation n’est, pour deux de ces demandes, assortie d’aucune indication qui permette de la prendre en considération et que pour la troisième présente par la dame d…, le certificat médical en date du 25 janvier 1972, qui a été produit, ne saurait tenir lieu du certificat manquant au moment de la demande et régulariser le vote émis le 14 mars 1971 ; qu’il n’est pas allégué que la quatrième demande, qui émanait de la dame c…, était accompagnée d’un certificat médical ; que si l’intéressée a produit un certificat le 6 mars, son admission le 4 mars à voter par correspondance n’en a pas moins été irrégulière ; qu’enfin s’il est maintenant soutenu que l’empêchement qui justifiait l’admission de la dame b… à voter par correspondance était d’ordre professionnel et qu’ainsi l’intéressé n’avait pas à fournir de certificat médicale, il résulte des pièces du dossier que la demande de la dame a…, qui a et admise bien qu’elle n’ait pas été accompagnée d’un certificat médical, était fondée sur l’allégation d’une maladie ; cons., d’autre part, que le décret du 1er janvier 1967, qui a modifié le décret du 31 octobre 1958 fixant les justifications à fournir par les électeurs qui demandent à voter par correspondance, dispose que ceux-ci doivent produire « un certificat médical délivre par un médecin exerçant dans le département ou réside le malade… » ; ces prescriptions ont été méconnues par quatre électeurs résidant dans les départements du val d’Oise et des Hauts-de-Seine qui ont produit, a l’appui de leur demande, des certificats médicaux établis par un médecin exerçant a paris ; qu’ainsi, neuf votes par correspondance doivent être annules »

Conseil d’Etat, Assemblée, Commune de Bastia, du 14 octobre 1967, 67061 67062 67130 67524, publié au recueil Lebon, avec les conclusions Braibant car l’arrêt est en économie de moyens :

L’arrêt ne prend en compte que des problèmes d’inéligibilité. Cependant, d’après Le Monde dans un article de 1967, « Le commissaire du gouvernement auprès du Conseil d’État, réuni en assemblée générale, a conclu vendredi à l’annulation totale des élections municipales qui se sont déroulées à Bastia en mars 1965. Au premier tour, la liste du maire sortant, M. Faggianelli, ancien sénateur gauche démocratique, ancien député radical, et devenu en 1967 député U.D. Ve République, avait été proclamée élue (elle comportait des élus du centre-gauche, des indépendants et de l’U.N.R., dont M. Sammarcelli, ancien député U.N.R.) par 6 181 voix contre 5 692 à la liste conduite par M. Jean Zuccarelli, alors député radical de Bastia, et comprenant des candidats radicaux, communistes et S.F.I.O. La liste de gauche avait présenté un recours contre ces élections devant le tribunal administratif de Nice. Celui-ci annulait seulement l’élection de MM. Sammarcelli et Gavini, fils de l’ancien ministre et leader des indépendants, car n’étant ni électeurs, ni inscrits au rôle des contributions directes de Bastia ni domiciliés dans la ville ils n’y étaient pas éligibles. Pour le reste de la liste de M. Faggianelli, le tribunal avait sursis à statuer en attendant les résultats d’une information pénale ouverte au sujet des fraudes commises dans l’organisation des votes par correspondance et de diverses irrégularités (des bulletins avaient été déposés au nom d’électeurs décédés et de faux malades). Le Conseil d’État a alors été saisi d’appels émanant des deux listes. Au cours de l’assemblée plénière du contentieux du 13 octobre, M. Braibant, commissaire du gouvernement, a tout d’abord conclu au rejet des recours formés par MM. Sammarcelli et Gavini contre l’annulation de leur élection par le tribunal administratif de Nice. Il a ensuite estimé que leur inéligibilité devait entraîner l’irrégularité de la liste tout entière, considérant de surcroît que les fraudes graves entachant les votes par correspondance avaient été sanctionnées pénalement par le tribunal de Montpellier. Il a donc conclu à l’annulation des élections. L’arrêt a été exceptionnellement lu ce samedi 14 octobre dans l’après-midi au Conseil d’État. Mais les conclusions de l’arrêt lu le samedi 14 octobre au Conseil d’État et proclamant l’annulation totale des élections municipales de Bastia ne retiennent qu’un motif. Il y est dit en effet :  » Dans le régime des listes complètes  » bloquées « , applicable aux villes de trente mille habitants, en vertu de l’article 260 du code électoral, l’inéligibilité d’un ou plusieurs candidats d’une liste entache d’irrégularité l’ensemble de cette liste, dont l’élection n’est pas valable. « .

D’après Bernard Maligner, dans son ouvrage Halte à la fraude électorale ! (1985), ce sont dans les conclusions Braibant que l’on trouve les éléments relatifs à la fraude dans le cadre du vote par correspondance. “S’il fallait en croire les attestations qui accompagnent les demandes de vote par correspondance, le taux de morbidité des habitants de Bastia se serait singulièrement aggravé au mois de mars 1965, releva M. Braibant, puisque des raisons de santé auraient mis près de 1500 d’entre eux dans l’impossibilité de se déplacer le jour du scrutin. Pour ne prendre qu’un exemple, poursuivait le Commissaire du Gouvernement, la situation d’une famille qui est censée habiter au 28 rue Lepic, à Paris, serait particulièrement alarmante : dix de ses membres auraient été malades à l’époque…”. Plus loin, l’éminent juriste notait : “…Nous trouvons mieux ou pire. Il est établi qu’environ 150 des certificats qui figurent au dossier… sont des faux purs ét simples. Les médecins auxquels ils sont attribués, et qui sont au nombre d’une quinzaine, ont en effet déclaré qu’ils n’en avaient jamais délivrés pour les électeurs de Bastia ou que leurs certificats n’avaient jamais été, comme ceux du dossier, tapés à la machine. Les organisateurs de cette fraude ont d’ailleurs commis une légère erreur ; ils ont fourni des certificats d’un médecin de Nice sur un papier à en-tête portant l’adresse d’un domicile que ce praticien avait quitté depuis deux ans… » La fraude avait été préparée avec soin. Il apparaissait nettement que les feuilles d’ordonnance avaient été confectionnées spécialement pour l’occasion parce été émis par des personnes totalement inconnues à l’adresse indiquée, on mesure l’ampleur de la fraude. Et l’on mesure également son succès en tenant compte de deux chiffres : le nombre de votes par correspondance émis dans des conditions irrégulières s’élevait à plus d’un millier cependant que l’écart de voix séparant les deux listes en présence était de 988 voix.

Conseil constitutionnel décision n° 74-32 PDR du 24 mai 1974, Proclamation des résultats de l’élection du Président de la République

« Considérant que des réclamations mettant en cause la régularité des votes par correspondance dans les premier, troisième, quatrième, septième, dixième, onzième, douzième et treizième bureaux de vote de la ville de Bastia ainsi que dans la commune d’Albertacce (Corse) ont été déposées ; que, pour ces bureaux, les enveloppes des plis recommandés ayant contenu les enveloppes électorales n’ont pas été jointes aux procès-verbaux, contrairement aux prescriptions dé l’article R. 91 du code électoral ; que cette violation du code électoral n’a pas permis au Conseil constitutionnel d’exercer son contrôle sur la régularité des votes ainsi mis en cause ; que, dès lors, il y a lieu d’annuler l’ensemble des votes par correspondance émis dans les bureaux susvisés et, pour chacun de ces bureaux, de retrancher le nombre des votes par correspondance du nombre des suffrages recueillis par le candidat le plus favorisé »

Cependant la fraude ou les tentatives de fraudes, réelles ou seulement possibles, ou les simples dysfonctionnements, n’étaient pas le monopole de la Corse :

CE, 18 octobre 1972, Commune de Saint-Germain d’Esteuil (Gironde), n°84098 84098 :

« cons. qu’en vertu des dispositions de l’article r. 81 du code électoral et des articles 3 et 4 du décret du 31 octobre 1958, modifie par le décret du 1er janvier 1967, les électeurs qui demandent à bénéficier du droit de vote par correspondance en application des dispositions de l’article l. 81 du code doivent adresser au maire une demande accompagnée d’une attestation sur l’honneur établie par eux-mêmes et d’un certificat médical délivré par un médecin exerçant dans le département ou ils résident ; que 32 au moins des électeurs et électrices de Saint-Germain-d’Esteuil qui ont présente une demande tendant a être autorises a voter par correspondance ont été admis à utiliser ce mode de votation alors qu’ils avaient omis de fournir l’une ou l’autre de ces pièces ; qu’en outre, il n’est pas contesté que, en violation des dispositions de l’article r. 83 du code, les instruments du vote par correspondance n’ont pas été expédies par pli recommande à ces 32 électeurs, ainsi qu’a un trente troisième électeur, le sieur b…, mais ont été délivrés a des membres de leur famille a la mairie même ; qu’il suit de la que les requérants ne sont pas fondes à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaque, le tribunal administratif de bordeaux a regardé comme irrégulièrement émis les 33 votes dont s’agit et invalide par voie de conséquence l’élection de 10 des 12 candidats élus au premier tour ».

Conseil d’Etat, 1 / 4 SSR, du 9 janvier 1974, 84145, Commune de Louviers :

« considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction que 59 dossiers de demandes de vote par correspondance, émanant d’électeurs qui déclaraient appartenir a la catégorie visée au dernier alinéa du 1e de l’article l. 81 du code electoral et qui ont effectivement vote de cette manière ne comportaient pas l’attestation sur l’honneur prévue par application des articles r. 81 et r. 82 du même code, a l’article 3 du décret du 31 octobre 1958, modifié par le décret du 1er janvier 1967, et dont les dispositions ont été étendues par le décret du 14 février 1959 aux elections cantonales et municipales ; qu’ainsi, et bien que chacune d’entre elles ait été accompagnée du certificat médical exige par les mêmes dispositions règlementaires, ces demandes étaient irrecevables ; que, des lors, les 59 électeurs dont s’agit ont été admis a tort au bénéfice du vote par correspondance ; que, d’autre part, 14 votes par correspondance ont fait l’objet d’un envoi groupé et ne peuvent dès lors être regardes comme étant l’œuvre personnelle des électeurs, qu’enfin 3 récépissés d’envois de vote par correspondance étaient détenus le jour du scrutin par un candidat, et que les votes émis dans ces conditions ne peuvent pas davantage être regardes comme étant l’œuvre personnelle des électeurs ; qu’ainsi, 76 votes par correspondance ne peuvent être tenus pour valables et doivent être déduits du nombre des voix obtenues par chacun des candidats proclames élus ; qu’après cette déduction, 13 de ces candidats n’obtiennent plus qu’un nombre de voix inferieur a 3.296, chiffre atteint par le premier des candidats non proclames élus ; que, par ailleurs, si la déduction portait non sur 76 votes mais sur 78, c’est-à-dire sur la totalité des votes par correspondance, elle n’affecterait que les mêmes 13 candidats ; que, dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs soulevés en première instance par les sieurs z… et x… et qui ne concernaient également que les votes par correspondance ; considérant que ni l’importance du nombre des suffrages émis par correspondance par rapport au nombre tant des électeurs inscrits que des votants, ni la nature des irrégularités dont ces suffrages étaient entaches ne révèlent l’existence de manœuvres qui auraient porte atteinte à la sincérité de l’ensemble du scrutin ; que, des lors, c’est à tort que, par le jugement attaque, le tribunal administratif de Rouen a annulé l’ensemble des opérations électorales ; qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de maintenir l’annulation de l’élection des 13 candidats proclames élus les moins bien places et de valider l’élection des 14 autres candidats ». Donc ici des problèmes d’attestations sur l’honneur, d’envoi groupé de votes par correspondance, mais pas de manœuvre ».

Cependant, on peut penser que ces fraudes étaient aussi largement dues au caractère archaïque du système de l’époque.

Des fraudes liées au système archaïque du vote par correspondance de l’époque, ne correspondant aux standards actuels du vote par correspondance

Il existe plusieurs différences entre le système antérieur à 1975 et le système qui pourrait être mis en œuvre aujourd’hui, notamment lorsqu’on le compare aux standards internationaux de l’OSCE, qui doivent guider nos réflexions sur ce point (v. OSCE/ODHIR, Alternative voting methods and arrangements. Benefits, risks and practical considerations in light of international standards and good practice, including in the context of the covid-19 pandemic). Il est très clair que le système antérieur à 1975 ne respectait pas du tout les standards internationaux.

Les principaux points de différences nous semblent les suivants :

Le système était directement pris en charge par les maires, ce qui évidemment était un facteur de fraudes

L’article R. 81 disposait que : « Dès la publication du décret ou de l’arrêté convoquant le collège électoral tout électeur admis à voter par correspondance en application des articles L. 79, L. 80 et L. 81 et désirant utiliser cette procédure doit en aviser le maire de la commune sur la liste électorale de laquelle il est inscrit.

La demande, faite sur papier libre doit, obligatoirement :

— comporter les nom, prénoms, date et lieu de naissance et domicile de l’électeur ;

 — préciser si l’électeur est déjà ou non en possession de sa carte électorale ;

— indiquer l’adresse à laquelle doivent être envoyés les documents nécessaires à l’expression du vote.

Elle doit en outre être accompagnée d’une attestation et, le cas échéant, de justifications établissant que l’électeur appartient à l’une des catégories prévues aux articles L. 80 et L. 81 et qu’il se trouvera, pour les motifs prévus par ces articles, dans l’impossibilité de se rendre au bureau de vote le jour du scrutin.

La demande peut être déposée directement à la mairie ou adressée au maire par lettre recommandée.

L’article R. 83 disposait que « Dès réception de la demande, le maire vérifie qu’elle comporte les indications et est accompagnée des pièces prévues à l’article R. 81. Dans l’affirmative, le maire envoie, sans délai, • à l’électeur, sous pli recommandé :

— la carte d’électeur, si l’intéressé ne la possède déjà ;

 — une enveloppe électorale pour recevoir le bulletin de vote ;

— une enveloppe de type officiel pour la transmission de l’enveloppe électorale, portant la mention « Elections. — Vote par correspondance » ainsi que l’indication du bureau de vote destinataire du suffrage.

Dans la négative, le maire indique aussitôt à l’électeur les raisons pour lesquelles sa demande ne peut être accueillie.

L’article R. 84 disposait que « Pour chaque bureau de vote et pour chaque tour de scrutin le maire dresse la liste des électeurs ayant demandé à voter par correspondance.

Sur cette liste doivent figurer les nom, prénoms, date et lieu de naissance, domicile et adresse actuelle de l’électeur, ainsi que le numéro d’inscription de celui-ci sur la liste électorale.

Mention de la suite donnée par le maire à chaque demande est portée en face du nom de l’électeur »

L’article R. 85 disposait que « Au fur et à mesure de son élaboration la liste des électeurs admis à voter par correspondance est envoyée par le maire au président de- la commission de propagande dont relève la commune et au plus tard avant l’expiration du délai fixé pour l’envoi des documents de propagande électorale ».

Le système était donc à la mainmise des maires, comme le révèlent les débats de l’époque. V., par exemple sur ce point l’intervention de M. Jean-Paul de Rocca Serra (AN, 1ère séance du 4 décembre 1975, p. 9368) :

« Monsieur le ministre d’Etat, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention et je partage tout à fait votre analyse sur la fraude électorale ainsi que sur l’impérieuse nécessité d’y mettre un terme afin d’interdire à certains de contester trop facilement, et d ‘une façon globale, la légitimité des élus et de porter ainsi une grave atteinte à la démocratie.

Mais vous permettrez au député ultramarin que je suis d’exprimer le double souci avec lequel il a examiné le projet de loi qui nous est soumis : lutter contre la fraude électorale, mais aussi maintenir le vote à distance (…)

Certes, la suppression du vote par correspondance est présentée à l’opinion publique comme une réforme vraiment décisive et très significative des intentions du Gouvernement et du Parlement de lutter contre la fraude. II faut reconnaître que les abus scandaleux auxquels avait donné lieu trop souvent le vote par correspondance, notamment dans mon département de la Corse, avaient discrédité ce mode de votation, bien qu’il eût été considéré comme un moyen efficace de supprimer, dans le domaine de l’élection, et sans doute dans ce seul domaine, le handicap de l’insularité.

Je dirais même qu’il aurait pu, assorti d ‘une réglementation plus stricte, plus contraignante, moraliser les élections en supprimant, dans un département insulaire, l’avantage que peut avoir, d’entrée de jeu, tout candidat fortuné disposant des moyens d’organiser et de financer le transport d’importants contingents d’électeurs.

En réalité, le pouvoir exorbitant, vraiment ubuesque, laissé au maire de trancher seul, souverainement, à tous les stades d’instruction du vote, les aléas de l’acheminement des documents de vote par correspondance, la pratique des certificats médicaux abusifs ou frauduleux exigeaient une réforme, à défaut d’une réglementation nouvelle garantissant la loyauté des votes par correspondance, réglementation que nous avons souhaitée, mais attendue en vain ».

Or, d’après les standards internationaux de l’OSCE, un tel système est une absurdité car il faut impérativement confier ce système à des autorités indépendantes :

« Concernant le management des élections, il est considéré qu’il faut une administration de l’Etat responsable tant pour les procédures permettant l’envoi des bulletins pour les procédures de vote que pour le retour des bulletins. Cette autorité doit être indépendante d’après le paragraphe 20 du UN HRC General Comment No. 25 : “an independent electoral authority should be established to supervise the electoral process and to ensure that it is conducted fairly, impartially and in accordance with established laws which are compatible with the Covenant””

Standards OSCE sur le vote par correspondance, non respecté à l’époque

Le système d’exigence en termes d’identité était très limité

L’article R. 81 précisait que « Dès la publication du décret ou de l’arrêté convoquant le collège électoral tout électeur admis à voter par correspondance en application des articles L. 79, L. 80 et L. 81 et désirant utiliser cette procédure doit en aviser le maire de la commune sur la liste électorale de laquelle il est inscrit. La demande, faite sur papier libre doit, obligatoirement : — comporter les nom, prénoms, date et lieu de naissance et domicile de l’électeur ;  — préciser si l’électeur est déjà ou non en possession de sa carte électorale ;  — indiquer l’adresse à laquelle doivent être envoyés les documents nécessaires à l’expression du vote. Elle doit en outre être accompagnée d’une attestation et, le cas échéant, de justifications établissant que l’électeur appartient à l’une des catégories prévues aux articles L. 80 et L. 81 et qu’il se trouvera, pour les motifs prévus par ces articles, dans l’impossibilité de se rendre au bureau de vote le jour du scrutin.

Cela signifie qu’une pièce d’identité n’était pas demandée à l’époque (voir les débats parlementaires en 1966 notamment), la carte d’électeur pouvant être envoyée en même temps et seule la carte d’électeur était demandée en renvoi. Il y a avait donc un très faible contrôle de l’identité.

Or d’après l’OSCE :

Une question clé dans le vote par correspondance est de savoir comment établir l’identité de l’électeur lors du vote. Les exigences en matière d’identité varient selon les États participants avec le vote par correspondance. La plupart des systèmes de vote par correspondance reposent sur une combinaison de pratiques pour établir l’identité, y compris les déclarations sous serment des électeurs (auto-déclarations), les signatures des témoins (parfois) et les copies jointes des documents d’identification des électeurs. La déclaration sous serment de l’électeur est généralement une déclaration signée attestant le fait que l’électeur est bien celui qu’il prétend être et son désir de voter par correspondance. Dans certains cas, ces déclarations doivent également être signées par un ou plusieurs témoins, ou notariées.

Standard OSCE sur le vote par correspondance, non respecté à l’époque

Le système de vérification de l’identité du votant était très limité voire inexistant

Le pli était en effet envoyé directement à la Poste puis conservé pour être acheminé au bureau de vote le jour même du vote et confié directement au Président du bureau de vote.

L’article L. 82 disposait que : « Les plis contenant les suffrages sont conservés par le bureau de poste destinataire jusqu’au matin même du scrutin et apportés par un agent des postes dans la salle du vote après le commencement des opérations. Ils sont remis au président du bureau qui en donne décharge dans la forme employée usuellement pour les lettres recommandées ».

L’article L. 83 disposait que : « Le président ouvre chaque pli, donne publiquement connaissance au bureau de la carte électorale qu’il contient, et, après émargement, met aussitôt dans l’urne, pour être dépouillée avec les autres, l’enveloppe renfermant le bulletin ».

L’article R. 87 disposait que « Pour la transmission de son suffrage l’électeur place son bulletin de vote dans l’enveloppe électorale envoyée par le maire, sans la cacheter. Il insère cette enveloppe et sa carte électorale dans la deuxième enveloppe qu’il a reçue portant la mention : « Elections. — Vote par correspondance », et adresse celle-ci, par pli recommandé, au président du bureau de vote où il est inscrit ».

Cela veut dire qu’il n’y avait pas de vérification au préalable : les plis étant remis par l’agent des postes directement dans le bureau de vote, donc il n’y avait pas de vérification en continu de l’identité des votants avant la mise du bulletin dans l’urne.

Or d’après les standards internationaux, les exigences de vérification d’identité sont fondamentales et doivent être effectuées suffisamment en amont du vote. Ainsi d’après l’OSCE :

« Les électeurs et l’administration électorale ont également besoin de suffisamment de temps pour identifier et remédier aux problèmes et aux omissions dans la remise et le retour des bulletins de vote ». Il faut donc un contrôle en continu, et non seulement un contrôle très limité le jour J dans le bureau de vote.

Standards OSCE sur le vote par correspondance, non respecté à l’époque

Le matériel de vote pouvait être envoyé à n’importe quelle adresse

L’article R. 81 précisait que « Dès la publication du décret ou de l’arrêté convoquant le collège électoral tout électeur admis à voter par correspondance en application des articles L. 79, L. 80 et L. 81 et désirant utiliser cette procédure doit en aviser le maire de la commune sur la liste électorale de laquelle il est inscrit. La demande, faite sur papier libre doit, obligatoirement : — comporter les nom, prénoms, date et lieu de naissance et domicile de l’électeur ;  — préciser si l’électeur est déjà ou non en possession de sa carte électorale ;  — indiquer l’adresse à laquelle doivent être envoyés les documents nécessaires à l’expression du vote ».

Si ce système d’envoi à n’importe quelle adresse peut être positif en tant qu’il est flexible (cela fait en effet partie des standards de l’OSCE), il ne garantissait pas nécessairement la protection contre les fraudes. Or dans un système qui ne connaît pas bien le vote par correspondance, il vaut peut-être mieux prévoir des garanties sur ce point afin de sécuriser les choses en premier lieu. Ce serait le cas en France, associé à la justification d’une adresse et d’une identité.

Conclusion

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que l’argument tiré des fraudes de 1975 n’est pas définitif, voire est irrecevable. Les fraudes de l’époque, si elles ont incontestablement existé, étaient dues à des situations politiques particulières et surtout aux défaillances du dispositif de l’époque, tout à fait contraire aux standards d’aujourd’hui.

Il convient donc de surmonter le traumatisme des fraudes corses et d’imaginer aujourd’hui un dispositif présentant les garanties de sécurité nécessaires, comme il en existe dans de grandes démocraties qui ont surmonté, avec succès, la crise de la Covid : Allemagne, Suisse, Pologne, Etats-Unis, Ecosse, et la liste ne fait que commencer. La question des fraudes pouvant exister à l’étranger ne sera pas évitée, mais à ce stade des recherches, elles ne s’avèrent pas non plus un argument suffisant, notamment si on met en perspective le vote par correspondance et le vote par procuration.

A suivre !

Romain Rambaud