RIP relatif à la réforme des retraites : le Conseil constitutionnel confirme et développe sa jurisprudence d’octobre 2022 sur le RIP « Super profits » [R. Rambaud]

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Il est évidemment impossible d’avoir pu échapper, ces temps-ci, à l’attente des décisions du Conseil constitutionnel relatives, d’une part, à la réforme des retraites engagée par le biais d’un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale et, d’autre part, à la proposition de loi référendaire déposée par la NUPES sur le maintien de l’âge de la retraite à 62 ans. Il n’en sera pas fait un commentaire complet supplémentaire ici : il en existe à foison.

On se contentera de dire quelques mots, dans le cadre du blog du droit électoral, sur la décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 Proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans, pour indiquer qu’elle apparaît logique au regard de l’évolution jurisprudentielle amorcée par la décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022 relative à la proposition de loi « superprofits » que nous avions commentée sur ce blog et dans l’AJDA et qui mettait en valeur, nous l’avions souligné, le concept de « réforme ».

Dans sa décision relative à la réforme des retraites, le Conseil constitutionnel l’affirme d’emblée : « Ainsi qu’il l’a jugé tant par sa décision du 9 mai 2019 que par sa décision du 25 octobre 2022 mentionnée ci-dessus, il s’assure, en particulier, que la proposition porte sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tend à autoriser la ratification d’un traité qui aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Et c’est bien la notion de réforme ici qui va poser problème, comme dans la décision Superprofits, dans laquelle un changement marginal de la loi fiscale ne méritait pas la qualification de « réforme » au sens de l’article 11 : le Conseil constitutionnel considère que cette proposition de loi « ne porte pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une « réforme » relative à la politique sociale ».

S’agissant de ce raisonnement qui fut plus inauguré que confirmé lors de la décision RIP sur la proposition de loi super profit, nous renverrons donc à notre article précédent sur le blog du droit électoral : cette solution est fondée sur la volonté du législateur, ici du pouvoir constituant en 1995 au moment de l’extension du champ du référendum. La proposition de loi référendaire, comme le projet de loi référendaire, doit être d’une ampleur suffisante pour justifier le recours direct au peuple, suivant le raisonnement tenu par les parlementaires en 1995… à plus forte raison, elle doit au minimum changer quelque chose à l’état du droit, et quelque chose donc d’assez important.

Le Conseil constitutionnel explicite donc ici sa position sur le concept de réforme. Il considère qu’il n’y en pas en l’espèce, en tirant ce constat du fait que cette proposition de loi ne fait que maintenir l’état du droit, à savoir le maintien de l’âge de la retraite à son état actuel, en son état avant la loi, plus précisément à la date de sa saisine, puisque c’est le critère temporel utilisé par le Conseil constitutionnel. Il estime ainsi que : « à la date à laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi de cette proposition de loi, l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale prévoit que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné à ces mêmes dispositions est fixé à soixante-deux ans. Ainsi, à la date d’enregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit ». De ce point de vue le fait que le véhicule ici soit un référendum n’y change rien en tant que tel : « en outre, le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le Parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum. Ainsi, ni la circonstance que ses dispositions seraient adoptées par voie de référendum ni le fait qu’elles fixeraient un plafond contraignant pour le législateur ne permettent davantage de considérer que cette proposition de loi apporte un changement de l’état du droit ».

Cette solution est logique au regard de la décision précédente et elle avait d’ailleurs été anticipée par les déposants, puisqu’une seconde proposition de loi référendaire a été déposée et fait aujourd’hui l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, laquelle a précisément pour vocation d’enrichir l’aspect « réforme » de la question en abordant le sujet de son financement. Le feuilleton va donc continuer.

Sur cette décision en droit confirmative de la jurisprudence précédente, on fera deux commentaires de nature strictement juridique, sans rentrer ici dans les considérations politiques, ou les considérations tenant à l’institution même du Conseil constitutionnel, qui ne manqueront pas.

Tout d’abord, il nous semble que le Conseil constitutionnel n’avait pas vraiment en droit d’autre choix que de prendre cette décision, sauf à se déjuger de sa propre jurisprudence récente. S’il souhaitait se considérer en juridiction et juger en pur droit, c’était la position la plus logique à adopter. En d’autres termes, le Conseil constitutionnel adopte une position conforme à un raisonnement juridique, qui lui permet de se prémunir de la critique politique, même si elle existera en tout état de cause.

Ensuite, sur le plan du référendum et sa théorie (blog du droit électoral oblige), cette position du Conseil constitutionnel vient acter du fait que le RIP ne sera pas, dans la situation française, un référendum seulement « veto » d’une réforme en cours. Ce faisant, le Conseil constitutionnel résout en partie le débat existant en France sur une éventuelle concurrence de la logique parlementaire et de la logique référendaire. Cette solution se discute, car les référendums veto existent bien et ne sont pas illégitimes, mais il s’agit déjà là d’un autre sujet.

Mise à jour suite à la décision Décision n° 2023-5 RIP du 3 mai 2023 proposition de loi visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans

Le Conseil constitutionnel a par la suite rendu une décision concernant la deuxième proposition de loi référendaire visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans. Il a également déclaré non conforme à la Constitution cette proposition de loi référendaire, considérant d’une part que la mesure d’âge ne changeait pas l’état du droit au moment de sa saisine (62 ans), et d’autre part que les mesures fiscales supplémentaires prévues par cette deuxième proposition avaient « pour seul effet d’abonder le budget d’une branche de la sécurité sociale en augmentant le taux applicable à une fraction de l’assiette d’une imposition existante dont le produit est déjà en partie affecté au financement du régime général de la sécurité sociale », de sorte qu’elle ne répondait pas non plus à qualification de « réformes ». Le commentaire de la décision confirme l’interprétation donnée à cette décision initialement : « Pour répondre à une telle question, le Conseil a fait le choix de ne pas affirmer de manière tranchée qu’une disposition fiscale relève ou non de la politique économique, mais s’est appuyé sur la notion de « réforme » pour apprécier si, au regard de son objet et de son effet, l’article unique de la proposition de loi référendaire satisfaisait à la condition prévue par l’article 11 de la Constitution »

Romain Rambaud