20/02/2013 : Droit des sondages italien : élection du Pape et organisation de courses de chevaux clandestines… ou comment contourner avec humour l’interdiction de publier des sondages pendant 15 jours.

(Le droit des sondages sur Facebook, c’est ici !)

Le délai d’interdiction de publier des sondages pendant 15 jours est-il respecté en Italie, ou la péninsule connaît-elle des problèmes comparables, voire plus importants, que ceux qui ont touché la dernière campagne présidentielle en France ? Force est de constater qu’il existe là-bas aussi des failles, interrogeant le respect de l’interdiction et donc son maintien… mais aussi qu’en Italie, celles-ci ont une certaine classe !

 

La presse traditionnelle…. et Twitter

Dans la presse traditionnelle, l’interdiction semble respectée. Les grands quotidiens ne publient pas de sondages, et les journaux étrangers se font l’écho de ce silence, qui invite à la prudence quant aux résultats de l’élection qui aura lieu dimanche. Sur ce versant, la sanction prévue par la loi de 2000 et la pratique décisionnelle de l’autorité, consistant à obliger le média à reconnaître publiquement la violation de la loi par lui-même et, en cas de refus, à lui imposer une sanction administrative lourde, semble donc suffisamment dissuasive. Pour davantage de précisions sur le régime applicable, on pourra renvoyer ici à notre article précédent consacré à cette question.

Alors, pour chercher si violation de la loi il y a, le mieux à faire est encore d’aller sur Twitter qui fut, comme on le sait, le grand défi au principe de l’interdiction en France lors des dernières élections (… avec Ségolène Royal, il est vrai…). Alors, on avance : en effet, il y a  au moins un hashtag twitter sur lequel certaines informations circulent, et il n’est pas dur de le trouver : il s’agit du hashtag #sondaggi.

Les différents tweets échangés sur le réseau social renvoient eux-mêmes, notamment, à deux sources principales de fuites de sondages malgré l’interdiction, toutes deux des médias en ligne : Youtrend d’une part et Notapolitica d’autre part. Or, chacun de ces deux médias a développé sa propre stratégie de contournement de la loi, non sans faire preuve d’un grand sens de l’humour, chacun dans son genre.

 

L’élection papale de You Trend.it

Youtrend, tout d’abord, a profité de l’actualité en grimant l’élection à venir en élection .. au trône pontifical ! Ainsi, selon le site internet, « Les indiscrétions se multiplient sur le futur Conclave, qui se tiendra le dimanche 24 et le lundi 25 et qui ne concerne pas seulement l’élection nationale au siège pontifical, mais aussi le renouvellement de la Conférence épiscopale régionale de deux des régions les plus importantes d’Italie : la Lombardie et le Lazio. ». 

Est-il besoin de préciser que l’élection du Pape n’aura pas lieu les 24 et 25 février et qu’il n’existe pas de conférence épiscopale régionale à renouveler ces mêmes jours dans deux régions d’Italie ? Bien entendu, l’élection dont il s’agit ici n’a rien à voir avec l’église catholique : il s’agit bien des élections nationales et régionales italiennes, et plus précisément ici, comme l’indique la suite de l’article, de l’élection régionale de Lombardie.

Selon Youtrend, « Les oracles attribuent un léger avantage à la candidature du cardinal Piacenza, de rite ambrosien, qui atteint 39,6 cardinaux (oui, même les cardinaux ont des décimales), permettant ainsi de surmonter la dynamique de l’archevêque de Varèse, prélat de rite maronite, lequel atteint 38.6. En souffrance, avec seulement 12.3, l’ancien évêque de Milan de rite albertin, soutenu par des cardinaux plus sobres, tandis que la candidature… » 

En somme, et au delà du contenu politique des informations diffusées qui nous ne intéressent que secondairement, nous qui sommes si loin de la Lombardie, ce sont bien des indications chiffrées sur les positions respectives des différents candidats qui sont données par ce site internet autrement dit, le résultat direct de sondages.

Alors, drôle ou débile ? Dans tous les cas, illégal.

 

Les courses clandestines de chevaux de Notapolitica.it

Mais beaucoup plus importante encore est la réalisation du site Notapolitica. Et que les lecteurs se rassurent : nous n’avons pas manqué de réaliser des captures d’écran de ce site pour les jours prochains, où, peut-être, ces pages disparaîtront.  Nous conseillons vivement aux lecteurs la visite de ce site, dont il faut reconnaître qu’il est particulièrement bien fait. Donc allez-y avant de lire la suite !

Le site Notapolitica fait état et commente le déroulement de plusieurs courses clandestines de chevaux, et cela depuis précisément, coïncidence étrange, le 8 février 2013.

Alors, quel rapport entre des courses de chevaux clandestines et des sondages ? Bien sûr, la référence à la course de chevaux est déjà familière des personnes qui fréquentent de près les sondages, puisque c’est précisément par cette expression, la « course de chevaux », que les politologues désignent ces vagues mouvantes de courbes d’intentions de vote qui caractérisent la publication des sondages d’opinion… et les comportements que les hommes politiques adoptent en conséquence !

Le 8 février 2013, le site Notapolitica publiait l’article suivant, dont la reproduction du premier paragraphe suffira à la compréhension de ce dont il s’agit :

« Le retour des courses clandestines !

Méfiez-vous des imitations. La course clandestine se déroulant dans les hippodromes les plus importants d’Italie peut être trouvée seulement sur Notapolitica et seulement grâce aux commentaires du duo Andrea Manche / Simone Bressan.

Le Grand Prix de la Rimonte que nous allons vous raconter est une course complexe qui est divisée en deux concours. Le premier, appelé Manche de la Chambre, se joue sur un circuit national avec 60 millions de téléspectateurs. Le deuxième, appelé la Manche du Sénat, a lieu dans les 20 hippodromes régionaux.

A partir de maintenant et jusqu’au 24 février, il y aura beaucoup de courses illégales dans de nombreux hippodromes dans la péninsule. Puis, le dimanche 24 et lundi 25, les chevaux seront sérieux et leur temps sera mesuré avec le chronomètre officiel ».

Ces courses clandestines, donc, ne sont rien d’autre… que des sondages !

Le site nous explique alors quelles sont les équipes :

  • L’équipe favorite est l’équipe Bien Commun. Cette équipe part de la  voie la plus à gauche de la piste. On reconnaît ici facilement la coalition menée par M. Bersani.
  • Au milieu de la piste, très fréquenté, on trouve l’équipe d’Ipson de la Boccon, qui réunit autour de lui de nombreux autres jockeys. Il s’agit ici, bien sûr, de la coalition Monti.
  • A droite du champ de courses se trouve toujours l’équipe de la Maison de la Liberté, menée par l’éternel Varenne. On reconnaît bien sûr ici la coalition menée par Silvio Berlusconi.
  • Puis on trouve un enfin un nouveau venu, l’Etoile Igor Brik, étoile montante par rapport aux dernières années. Il s’agit ici de Beppe Grillo et de son mouvement cinq étoiles, ce comique italien placé en très bonne position dans les sondages avant le 8 février 2013.

Et à partir de cette grille de lecture, il est possible de suivre les résultats des courses des différents championnats clandestins en cours… et qui sont très nombreux, puisqu’il existe au moins une course par jour, voire plusieurs. Par exemple, le 19 février se sont tenues trois courses différentes, une course à l’hippodrome de San Nicola, une course pour le  grand prix du Pirellon, et enfin une course à l’hippodrome di Agnano, soit sans doute trois sondages de trois instituts différents.

 

Ainsi Notapolitica vient-il de publier le 20 février une course de l’Hippodrome de l’Oreal (un institut français?), donnant la coalition Bersani à 34,9 %, la coalition Berlusconi à 29.4%, avec un Silvio à 19.7%, la coalition Monti à 12% et Beppe Grillo à 17 % ! Mais la veille, d’autre chiffres ont circulé. Par exemple, le 19, l’hippodrome de San Nicola donnait la coalition Bersani à 36%, la coalition Berlusconi à 32%,  la coalition Monti à 8.5 % seulement et Beppe Grillo à 14 %…

 

Oups, nous venons de méconnaître l’article 8 de la loi n°28 du 22 février 2000…

 

 

Une pratique remettant en cause le principe d’interdiction ?

En soi, le seul fait de constater la violation de la loi n’est pas un argument permettant de remettre en cause sa validité… et nous avons par ailleurs défendu l’idée qu’un délai court d’interdiction peut se justifier, idée sur laquelle nous ne reviendrons pas ici.

Toutefois, une violation aussi flagrante de la loi est rendue possible et encouragée par un délai d’interdiction de la publication des sondages qui est sans aucun doute excessif, comme nous l’avons déjà défendu précédemment. Ces pratiques nous conduisent donc à nous interroger encore sur la durée de ce délai d’interdiction et nous renforce sur l’idée qu’il faudrait le réduire… même s’il faut saluer qu’il pousse à l’imagination !

 

Sur ce point, nous avons d’ailleurs eu la confirmation que ce délai de 15 jours pourrait faire dans quelques années l’objet d’une appréciation de la CEDH, sur la base d’une affaire judiciaire grecque… mais là c’est un point si important que nous y reviendrons dans un article postérieur.

 

Enfin, bien sûr, une question intéressante du droit des sondages italien sera celle de savoir comment l’AGCOM, confrontée à Twitter et à ces médias imaginatifs, réagira dans les semaines à venir, sans doute lorsque l’élection sera terminée.

 

 

 

Des recherches en perspective, encore !

 

Romain Rambaud

 

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