19/10/2012 : Exégèse du rapport de la Commission des sondages n° 1 : augmentation du nombre de sondages et du champ du contrôle

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Le billet ci-dessous est donc le premier de la série consistant à commenter, pas à pas, le rapport de la Commission des sondages pour les élections présidentielles et législatives de 2012 dont on a fait la présentation générale dans ce blog la semaine dernière, article auquel nous renvoyons donc pour une appréhension globale de ce que contient de rapport.

Nous nous intéresserons aujourd’hui au premier paragraphe de ce rapport, à savoir le constat de l’augmentation du nombre de sondages et la question de l’extension du champ du contrôle de la Commission, question que l’on a déjà pu aborder, par certains angles ou par d’autres, à de nombreuses reprises dans ce blog et en dernière analyse concernant le sondage de dimanche dernier du JDD et de l’IFOP consistant à refaire le match de la présidentielle a posteriori.  Une question récurrente et fondamentale du droit des sondages électoraux, donc.

On parlera également de l’appréciation que la Commission des sondages porte sur l’arrêt Mélénchon, puisqu’à l’occasion de l’examen des réclamations, la Commission des sondages a l’occasion de revenir sur ce point.

 

L’augmentation continue du nombre de sondages

C’est une observation que la Commission des sondages, mais plus généralement l’ensemble des médias et de la classe politique, font à chaque nouvelle élection. Le nombre de sondages ne cesse d’augmenter. Constat que la Commission des sondages réitère une nouvelle fois en procédant à une analyse comparative intéressante.

Selon la Commission, le nombre de sondages est en très forte augmentation puisque les élections présidentielles de 1995, 2002 et 2007 avaient donné lieu respectivement à 157, 193 et 293 sondages relevant du champ de contrôle de la commission.

En 2012, la Commission a contrôlé 409 sondages ayant un lien direct ou indirect avec l’élection présidentielle, soit une augmentation de 100 sondages par rapport à 2007, soit plus de 35% d’augmentation !  Par rapport à 2002, le nombre de sondages a doublé et presque triplé par rapport en 1995 ! On ne dispose en revanche guère de données concernant les élections législatives, qui ont donné lieu à 79 sondages en 2012.

Le tableau suivant donne des indications plus précises :

Nombre de sondages inscrits au rôle de la commission pour des élections présidentielles

1981

1988

1995

2002

2007

2012

111

153

157

193

293

409

 

En contrepoint de cette progression, notons que les sondages relatifs aux élections régionales ont vu leur nombre se réduire de 95 en 2004 ils sont passés à 88 en 2010.

Encore est-on obligé de rappeler que le tiers de ces 88 sondages se penchait sur le seul Languedoc-Roussillon, où Georges Frêche, pour sa dernière campagne, devait affronter un candidat issu des rangs de son ancien camp ; la qualité médiatique du principal acteur de cette joute fratricide a réussi à captiver l’attention des médias et à provoquer ce grand nombre d’études sondagières.

Par ailleurs, si le nombre des sondages éclaire sur l’intérêt que les lecteurs portent aux élections, il faut noter que les élections européennes avaient conduit à la publication de 60 sondages en 1999, 33 en 2004 et 28 en 2009. Même un changement de majorité annoncé mezzo vocce au Sénat n’est pas parvenu à entraîner l’achat de sondages par les médias. Il est vrai que pour une telle élection, l’exercice aurait été particulièrement délicat.

Au surplus, cette évolution présage d’un recours encore croissant aux sondages dans les années à venir, puisque ceux-ci sont désormais utilisés tout le temps, hors période électorale et très amont des périodes électorales. C’est ainsi que la Commission relève que le « scrutin présidentiel de 2012 a atteint un record, le rythme de publication atteignant environ deux sondages par jour, au cours des quatre derniers mois de la campagne et même trois en toute fin de période ».

L’intensité relative et comparative de ces publications montre que l’élection présidentielle, “mère de toutes les batailles” et « mère de toutes les élections » a phagocytée l’ensemble des autres élections. L’évolution des commandes de sondages est ainsi révélatrice des évolutions de droit constitutionnel.

Quant au nombre d’instituts, il a fortement augmenté mais semble se stabiliser autour de 8-9 acteurs, qui sont TNS Sofres, Ifop, Ipsos, BVA, CSA, LH2, Viavoice, Harris
Interactive et OpinionWay. La concurrence semble donc satisfaisante aujourd’hui.

Il existe, pour la Commission, trois types de facteurs qui expliquent cette augmentation :

1) Tout d’abord, des explications structurelles liées à l’évolution de la vie politique française, notamment l’organisation d’élections primaires du parti socialiste – et la Commission ne fait pas état ici, mais la logique est la même, de l’organisation des primaires vertes qui avait d’ailleurs posé d’importants problèmes en termes de méthodologie sondagière et notamment de construction de l’échantillon pertinent.

L’organisation de ces primaires produit un double effet, du point de vue chronologique d’abord et du point de vue quantitatif ensuite. Du point de vue chronologique, ils font remonter bien en amont dans le temps la parution de sondages ayant un lien avec l’élection présidentielle ce qui fait démarrer plus tôt le contrôle de la Commission des sondages : en l’espèce, avant même l’automne 2011, pour une campagne ayant lieu en mai 2012 ! Du point de vue quantitatif, la Commission relève que 118 sondages ont été publiés avant l’organisation des primaires : 24 ont porté spécifiquement sur les primaires tandis que 107 sondages relatifs à l’élection présidentielle ont été réalisés, en soumettant aux personnes interrogées plusieurs hypothèses s’agissant du candidat socialiste.

2) Ensuite, des explications plus conjoncturelles, notamment la réalisation par l’Ifop, à l’instar de ce qu’avait fait l’Ipsos en 2007, d’un sondage quotidien destiné à être publié : 84 sondages quotidiens ont été réalisés par cet institut.

3) Enfin, une explication juridique est soulignée par la Commission des sondages : sa volonté d’interpréter de manière plus extensive la notion de sondage électoral. On va s’attarder un peu sur ce point qui concerne bien sûr particulièrement le droit des sondages électoraux.

 

Une interprétation toujours plus extensive de la notion de sondage électoral

C’est une question que l’on a déjà abordé ici et qui est par ailleurs un point très important de notre ouvrage : la notion de sondage électoral et la question de l’extension continue de l’interprétation de cette notion.

Cette question est fondamentale, en effet, puisque c’est elle qui, en vertu de l’article 1er de la loi 77-808 du 19 juillet 1977 détermine le champ de contrôle de la Commission : « Sont régies par les dispositions de la présente loi la publication et la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l’une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu’avec l’élection des représentants au Parlement européen ».

Or, on a déjà relevé que cette définition large du sondage électoral a permis à la Commission d’adapter progressivement son contrôle. Jusqu’en 2009, elle divisait son contrôle en deux temps : deux mois avant l’élection, et encore avant. Deux mois avant l’élection, elle contrôlait l’ensemble des sondages ayant un rapport avec l’élection, alors que dans la période antérieure, elle ne contrôlait que les sondages d’intention de vote.

Cette position a évolué depuis 2009, où la Commission des sondages contrôle l’ensemble des sondages ayant un rapport suffisamment étroit avec l’élection, et ce tout le temps, en raison de facteurs dont certains sont repris par la Commission des sondages dans son rapport (COMMISSION DES SONDAGES, La Commission des sondages face aux élections municipales de 2008 et aux élections européennes de 2009, pp. 13-14).

Tout d’abord, et même si la Commission des sondages n’en parle pas dans le rapport ici commenté, l’augmentation du nombre de sondages est  liée à l’accélération du temps politique, qui est elle-même liée à deux facteurs. En premier lieu, bien sûr, le quinquennat, qui a raccourci le temps politique. D’une certaine manière, et même si le constat est moins vrai sous Sarkozy que sous Hollande, il n’est pas certain que nous ne soyons pas – on y viendra bien assez tôt – en campagne en permanence. En second lieu, ce processus est accéléré par l’importance politique croissante des élections locales, et donc un recours peut-être accru aux sondages. 2014 n’est pas loin, et l’on a déjà vu certains sondages pour les municipales, peut-être hasardeux, faire grand bruit dans le presse.

Ensuite, c’est bien l’organisation de primaires qui a modifié cette approche. Ainsi que le relève la Commission dans son rapport, les sondages relatifs aux primaires ont un rapport avec l’élection présidentielle et font donc l’objet d’un contrôle. C’est solution a été posée par la Commission des sondages dans un communiqué du 12 octobre 2006 en vertu duquel la Commission a considéré qu’en vertu de leur rapport « indirect mais certain à l’élection présidentielle », les sondages portant sur les primaires seraient « systématiquement contrôlés ». Ce principe a été confirmé pour les primaires ouvertes socialistes de cette élection par un communiqué du 21 septembre 2011. Ce contrôle se trouve en dernière analyse confirmé par le présent rapport.

Enfin, et la Commission des sondages s’en fait l’écho dans le présent rapport, la Commission considère comme étant des sondages électoraux des sondages ne comportant aucune intention de vote mais dont le contenu est clairement lié à la campagne électorale, comme, par exemple, des enquêtes portant sur tel candidat et son programme électoral ou encore sur une « proposition phare » ou un enjeu fort de la campagne. Cette solution est l’application d’un principe déjà reconnu par la Commission des  sondages précédemment : dans une décision du 12 avril 2006, la Commission avait ainsi estimé, à propos d’une élection locale, que le sondage était soumis au contrôle dès lors qu’il portait sur une question qui « résumait » le débat électoral. On en trouve ici une nouvelle manifestation, adaptée à l’élection présidentielle.

Dernier point, le rapport est intéressant car il porte sur un type relativement nouveau de sondage et dont l’utilisation va grandissante : les sondages ayant pour objet de suivre de façon continue les « électeurs changeants ». Dans le cadre de la campagne présidentielle, ces sondages, réalisés par Ipsos et rendus publics par Le monde, étaient effectués auprès d’un panel d’internautes interrogé à intervalle régulier sur ses intentions de vote, complétés par des enquêtes qualitatives visant à comprendre ces changements, permettant alors une analyse fine des mouvements d’opinion et des changements d’intention de vote entre candidats.

 

L’analyse des réclamations et le prononcé de mises au point

La Commission s’intéresse également aux réclamations qui lui ont été adressées et constate que le nombre de celles-ci est relativement faible et relativement stable. Ainsi, les élections présidentielles de 1995, 2002, 2007 et 2012 ont donné lieu respectivement  à 9, 5, 7 et 7 réclamations. Quant aux élections législatives, elles ont donné lieu à 6 réclamations.

Toutefois, si le nombre de réclamations est faible, la Commission des sondages tient à rappeler qu’elle n’agit pas que sur saisine : au contraire, elle contrôle de sa propre initiative l’ensemble des sondages, solution en vigueur depuis toujours conformément à l’article 11 du décret du 25 janvier 1978.

La Commission indique alors avoir procédé à la publication de mises au point ordonnées sur le fondement de l’article 9 de la loi du 19 juillet 1977 : sept mises au point à propos de l’élection présidentielle et six à propos des élections législatives. Le prononcé de mises au point n’est bien sûr pas le seul moyen d’action de la Commission des sondages, mais nous parlerons dans un prochain billet de ces méthodes alternatives d’application du droit auxquelles la Commission est très attachée.

Au demeurant, l’exposé des réclamations est l’occasion pour la Commission de se prononcer, de manière sibylline, sur l’arrêt Mélenchon du Conseil d’Etat, qu’il n’est plus nécessaire de présenter ici.

Elle considère ainsi que la « décision de principe » rendue par le Conseil d’Etat « conforte la position de la commission sur plusieurs points importants », citant notamment le considérant de principe du Conseil d’Etat ayant précisé les modalités et la nature du contrôle de la Commission selon lequel « il appartient à la commission des sondages de demander la publication ou la diffusion d »une mise au point appropriée lorsque les conditions de réalisation d’un sondage par un organisme ou de publication d’un sondage par un organe d’information ont porté une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions légales et réglementaires dont elle a pour mission d’assurer l’application en compromettant, préalablement à des consultations électorales, la qualité, l’objectivité ou la bonne compréhension par le public de ce sondage ».

Ce n’est toutefois qu’un des points de la pratique de la Commission des sondages qui a été validée par le Conseil d’Etat : ici, on peut citer également, notamment, la question de la transmission des notices aux tiers dont les modalités ont également été validées, dans une large mesure, par le Conseil d’Etat, selon un raisonnement détaillé ici  et dont on a encore fait état ici récemment concernant les propositions que nous avions faites pour une éventuelle proposition de la loi nouvelle. Sur l’ensemble de ces questions, nous renvoyons à notre article à la RFDA.

Ce qui nous conduit à un dernier point, celui des évolutions que semble préconiser la Commission des sondages concernant la notion de sondage électoral.

 

Un plaidoyer pour une évolution de la notion de sondage électoral ?

Nous reviendrons sur ce point dans un article que nous consacrerons aux évolutions de la loi préconisées par la Commission des sondages, mais l’on peut revenir dès ici, puisque ce billet est consacré à ce problème, sur ce que la Commission des sondages dit concernant le champ de son contrôle et la notion de sondage électoral.

La Commission des sondages profite en effet de son rapport sur les élections présidentielles pour « prendre publiquement parti sur certains aspects » de la proposition de loi Sueur et Portelli. Une partie prenante supplémentaire qu’il faut donc ajouter au débat sur cette proposition de loi sur lequel on a pu revenir récemment à l’occasion de la conférence de presse organisée par la site Délits d’opinion.

Deux points peuvent être relevés ici :

D’une part, la Commission des sondages indique que le cadre de la loi de 1977 a permis à la Commission de contrôler efficacement la réalisation et la publication des sondages électoraux et qu’il « n’apparaît pas souhaitable d’élargir le champ de compétences de la commission, eu égard à la seule mission qui lui est confiée de veiller, à l’occasion du contrôle de la réalisation et de la publication des sondages électoraux, au respect de la sincérité des scrutins ».

Entre les lignes, il faut lire ici que la Commission des sondages s’oppose à une extension du contrôle à l’ensemble des sondages politiques, contrôle qui consisterait alors une atteinte à la liberté d’expression non justifiée en droit car n’ayant pas pour support légitime la liberté du suffrage et la sincérité du scrutin, seuls fondements permettant de limiter la liberté d’expression tant en droit constitutionnel qu’au sens de la CEDH.  C’est une position constante de la Commission qui se justifie bien juridiquement, même s’il n’est pas non plus interdit de faire oeuvre d’imagination ou de proposer quelques aménagements, comme nous avions pu le dire entre autres ici.

C’est d’ailleurs peut être pour cette raison que la Commission des sondages, d’autre part, considère qu’il « n’en reste pas moins vrai que la loi pourrait être utilement modifiée, notamment en comportant une définition précise du sondage électoral ». Cette position doit être soulignée car elle est nouvelle et constitue un certain revirement.

En effet, si la Commission avait pu soutenir une telle position par l’intermédiaire de son président en 1979 (HUET P., « Le contrôle des sondages d’opinion en matière électorale », EDCE, 1979-1980, n°31, pp. 105-110), elle considérait de façon constante depuis 1998 au moins (COMMISSION DES SONDAGES, La réforme de la législation relative aux sondages d’opinion en matière électorale, 1998, pp. 4-5) que cette définition donnait satisfaction car précisément assez souple pour permettre une extension du contrôle. Les sénateurs Sueur et Portelli n’avaient d’ailleurs pas remis cela en question.

La notion de sondage électoral apparaît en effet satisfaisante. Toutefois, peut-être la Commission indique-t-elle par là qu’il lui semble que si d’aventure, on souhait aller au delà, il lui faudrait la caution de la loi et non celle de sa seule et propre interprétation. Pourquoi pas, d’ailleurs : ici, on peut penser à ce que nous avions nous-mêmes concernant certains sondages particuliers car concernant des élections potentielles, pensons ici aux sondages, multiples et divergents, sur la ratification du traité budgétaire européen et sur la question de l’organisation d’un référendum.

La Commission des sondages semble en tout cas faire preuve ici d’une ouverture d’esprit dont il faudra prendre compte dans les réflexions prochaines sur le droit des sondages. A suivre !

 

Romain Rambaud

 

 

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