Il a été annoncé, aujourd’hui 22 mai 2020, par le premier ministre Edouard Philippe et le ministre de l’intérieur Christophe Castaner, que le 2nd tour des élections municipales se tiendrait le 28 juin, date soumise à réexamen éventuel en cas de reprise de l’épidémie constatée par un rapport du Covid-19. Cela concernerait, d’après le Conseil scientifique Covid-19, 4897 communes ou secteurs qui doivent organiser un second tour et les 14 circonscriptions métropolitaines de Lyon. Un peu moins de 16 500 000 électeurs sont appelés aux urnes.
S’il convient de se ranger à cette position afin de préserver le consensus politique et de ne pas ajouter de la crise à la crise, ces élections seront forcément, ainsi qu’il est de coutume de le dire à propos du Covid-19, des « élections dégradées », concept que l’on devra à l’épidémie. La solution n’est pas la meilleure pour la démocratie locale, mais elle est comme on le sait justifiée par d’autres raisons (économiques et institutionnelles, surtout). En droit, elle devrait donner lieu, d’après Edouard Philippe et Christophe Castaner, à un droit électoral adapté : des consultations seront conduites la semaine prochaine pour adapter les modalités de campagne et de vote. Ce sera nécessairement un droit lui aussi « dégradé ».
Après une petite interview au JT AURA de France 3 de ce soir, vous trouverez ci-dessous mon analyse, un peu longue, de la situation.
Se ranger au choix du mois de juin : une décision établie par quasi-consensus politique
Après l’avis a minima du conseil scientifique Covid-19 laissant aux pouvoirs publics la seule responsabilité du choix de la date du second tour des élections municipales, la décision de choisir le mois de juin est a semble-t-il été établie par un quasi-consensus politique, même si dans son discours le Premier Ministre n’a pas hésité à endosser la responsabilité de ce choix.
Il s’agit en soi d’une bonne nouvelle. En effet, les standards internationaux préconisent une consultation large pour faciliter un consensus politique, favorable à la résolution de crise, impliquant les parlementaires et les partis politiques au moins. L’exemple polonais montre à quel point il est périlleux de vouloir s’émanciper de ce principe de bon sens. L’un des atouts de la France est justement d’avoir obtenu le consensus parlementaire.
Dores et déjà, comme le souligne régulièrement Gérard Larcher, juin est la date qui avait été prévue par la loi du 23 mars 2020, prévoyant que l’élection aura lieu au plus tard au mois de juin, la date exacte devant être fixée avant le 27 mai par le décret de convocation des électeurs, une fois que le Gouvernement aura présenté son rapport au Parlement avant le 23 mai 2020. Choisir le mois de juin préserve donc le consensus politique établi par la loi du 23 mars 2020. Dans la mesure où il est préférable de le préserver, il serait contre-productif de revenir sur le compromis cristallisé par la loi du 23 mars 2020, qui fut essentiel pour sortir de la période de crise, comme l’avions déjà écrit par ailleurs.
Par ailleurs, la préservation du mois de juin semble avoir été une décision obtenue après la consultation de maires par le Présidence de la République mardi 20 mai (la quasi-unanimité d’après Le Monde) et dans une moindre mesure par la consultation des partis politiques le mercredi 21 au soir, par le Premier ministre. Lors de cette réunion, le Premier ministre aurait indiqué aux chefs de partis que le premier tour aurait lieu en juin ou en janvier 2021, afin d’éviter les textes budgétaires de l’automne. Le mois de janvier 2021 étant peu satisfaisant pour l’ensemble des acteurs, il semble effectivement que cela ait pu faire pencher la balance du côté du mois de juin, comme cela était défendu par de nombreux élus locaux de premier plan et notamment par des maires. Cependant, dans son discours du 22 mai, le Premier Ministre a annoncé qu’il n’y avait pas eu de consensus absolu sur ce point et a donc annoncé prendre sa part de responsabilité dans ce choix. On peut cependant continuer à penser, au regard des différents éléments dans la presse, que la majorité du personne politique penchait dans ce sens là.
Il a été question un moment d’un débat suivi ou non d’un vote au Parlement, sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, le Gouvernement préférant d’abord ne pas avoir à endosser seul la responsabilité de ce choix. Cependant, il semblerait que l’opposition ait préféré ne pas s’engager dans cette responsabilité collective, notamment le Président du Sénat qui a considèré qu’un vote n’aurait pas de sens car l’ensemble est déjà prévu par la loi, ce qui a pu être qualifié de « jeu de dupes » par un éditorial du Monde dont on rejoint les termes. Sur ce point, un certain nombre de voix discordantes se sont exprimées dans la majorité, notamment Richard Ferrand ou François Patriat, le chef de file des sénateurs LREM. Cependant, ces voix discordantes auront du mal à s’imposer si le Président de la République et le chef de l’Etat ont un souhait inverse… En tout état de cause, cette option semble définitivement écartée.
En effet, d’après Edouard Philippe, le Gouvernement a pris sur cette base, « seul et en responsabilité », sa décision. D’après Edouard Philippe, la vie démocratique doit reprendre ses droits comme le reste de la vie déconfinée et la date choisie a été le 28 juin. Il peut être rappelé ici que le conseil scientifique Covid-19 avait clairement exprimé sa préférence pour un seul tour et non pas deux, ce qui orientait les élections sur juin. Il y aura en tout état de cause une « clause de revoyure », après un rapport adopté par le rapport scientifique Covid-19 dans 15 jours et un projet de loi sera déposé bientôt pour janvier 2021 « au cas où ».
Comment placer dans cette problématique de consensus politique le fait que selon un sondage récent, 55 % des Français se déclarent défavorables à l’idée d’organiser le 2nd tour des élections municipales en juin ? Sur ce point, les standards internationaux ne sont pas d’un grand secours et privilégient encore les parties prenantes de la démocratie représentative : le pouvoir exécutif, les parlementaires, les maires… En tout état de cause, s’il faut se caler sur ce consensus politique et ne pas le remettre en cause pour ne pas ajouter de la crise à la crise, force est de constater que cela n’est pas rassurant et que ces élections municipales risquent d’être fortement dégradées, peut-être plus dégradées que si elles avaient eu lieu en septembre (janvier nous aurait semblé dépourvu de sens).
Sur ce point, le principal risque est celui de l’abstention. Sans doute y a-t-il ici une forme de fatalisme. Alors qu’il devient nécessaire d’installer les collectivités territoriales afin d’éviter une grave crise économique, les pouvoirs publics semblent avoir pris la mesure du fait que la séquence électorale des élections municipales de 2020 était en tout état de cause gâchée. Que l’on ne s’y méprenne pas : quoi que l’on fasse, ces élections resteront marquées de façon indélébile par le Covid-19. Elles ne pourront jamais redevenir normales. D’une certaine manière, il est déjà trop tard, et sans doute beaucoup d’élus ont-ils cela à l’esprit en procédant à ce choix. Il n’y aura pas, comme l’a dit Edouard Philippe, un second tour « comme avant ».
Vers une campagne électorale dégradée
C’est probablement le principal point noir du choix du mois de juin, quand bien même les conditions sanitaires s’amélioreraient d’ici le 28 juin. Il s’agit d’ailleurs de la principale crainte des organisations internationales, qui constatent que la privation des libertés fondamentales empêchent de faire campagne, raison pour laquelle la commission de Venise est plutôt défavorable à l’organisation d’élections en période d’état d’urgence (de façon exagérée selon nous, mais cela est un autre sujet qui dépasse le champ de notre article).
Ce risque est très réel pour ce qui concerne la situation française. Ainsi, le Conseil scientifique a fait part d’une véritable crainte autour de la campagne électorale qu’il considère comme étant le vecteur principal potentiel de diffusion du virus. Il souligne « les risques majeurs liés à la campagne électorale », surtout les meeting électoraux, mais aussi la distribution des tracts, le porte à porte, les réunions publiques, les réunions d’appartement. Le conseil scientifique considère que « d’autres modalités de campagne, certes limitées, mais égales pour tous les candidats, peuvent être envisagées, notamment à travers l’usage du numérique », mais il ne fait guère de propositions et s’oriente donc vers une campagne électorale diminuée. Entre les lignes, le rapport du Conseil scientifique Covid-19 semble même considérer qu’il faudrait interdire certaines actions de campagne : « si des élections sont organisées, l’organisation de la campagne électorale devra être profondément modifiée ».
Dans différentes interviews, le président du Conseil scientifique est même allé beaucoup plus loin : « Pas de campagne sur le terrain, sur le marché, à domicile… » Cela semble assez excessif et une interdiction générale et absolue de faire campagne ne manquerait pas de faire l’objet d’un contrôle extrêmement étroit des juges constitutionnel et administratifs qui pourraient bien la remettre en cause comme n’étant pas strictement proportionnée, comme le Conseil d’Etat l’a fait avec la question des rassemblements dans les lieux de culte récemment. Sur le plan de la campagne électorale, la mise en oeuvre d’instructions pour le respect des gestes barrières semblerait bien plus pertinente, réaliste, juste et légale que des interdictions générales et absolues. Sur ce point, le rapport du Conseil scientifique semblait d’ailleurs plus prudent que les déclarations de son président… Il se contentait de considérer que « Dans un esprit de responsabilité, une attention particulière doit être portée aux échanges entre personnes et aux moments de convivialité pendant la campagne électorale. Le Conseil scientifique recommande le port du masque et d’une visière (avis du HCSP du 13 mai 2020) pour toutes les personnes participant à des opérations de campagne dans le souci de les protéger ». Le Gouvernement, par la voix de Christophe Castaner, est heureusement plutôt sur cette ligne et prévoit bien davantage le respect des gestes barrières qu’une interdiction totale.
Il existe en effet, dans les circonstances que nous connaissons, un intérêt fort à permettre une campagne électorale minimale. Comme nous l’avions souligné dans un article précédent, certes, en temps normal, la campagne d’entre-deux tours ne dure qu’une semaine, mais cette fois le problème est accru par le fait que dans beaucoup de cas, les sortants auront disposé d’une exposition extrêmement forte à la faveur de la crise du Covid-19, normale dans les circonstances mais qui peut poser question sur le plan de l’égalité entre les candidats. Il faudrait donc rééquilibrer les choses, surtout si les élections ont lieu en juin. Certes, une campagne minimale pourrait avoir lieu en respectant les gestes barrières (tractage, affichage et porte-à-porte, excluant les réunions publiques), avec comme cela est préconisé par le rapport du Conseil scientifique le port de « masques et visières », mais le succès n’est pas garanti et on pourrait aller plus loin. La propagande officielle est un premier élément de réponse : elle pourrait être augmentée, et c’est en ce sens que Christophe Castaner est également allé en proposant, comme nous l’avions fait dans un article précédent, une augmentation de la taille des professions de foi. On pourrait aussi imaginer, suivant des expérimentations qui ont été faites pour d’autres élections, de prévoir la mise en ligne des professions de foi sur les sites des préfectures pour les listes qui le souhaiteraient. Il faudrait également que les télévisions et radios locales organisent des débats télévisés permettant la confrontation contradictoire. Internet et les réseaux sociaux seraient évidemment très largement utilisés par les candidats, comme c’est déjà le cas. On pourrait aussi penser à revenir sur l’interdiction faite aux candidats de mettre à disposition des numéros d’appel gratuits, afin de permettre aux électeurs de joindre facilement les candidats, mais ce point supposerait une modification législative. Enfin, a posteriori, le juge électoral serait chargé de vérifier que les élus sortants n’ont pas abusé de leur position. Cela sera-t-il suffisant ?
D’après Edouard Philippe, des consultations auront lieu pour adapter la campagne électorale, organisées par Christophe Castaner. Il sera alors possible d’assouplir des dispositions réglementaires, comme les règles relatives aux procurations, comme nous l’avions proposé précédemment dans un article du Parisien, et peut-être même des dispositions législatives si le Parlement s’accorde à adopter très rapidement une loi, comme cela est possible.
Le jour du vote : peur des électeurs et risque d’une abstention très élevée
Un autre problème très important est celui de l’abstention attendue pour le 28 juin. Elle fut déjà très forte, comme on le sait, au premier tour des élections municipales, avec une abstention de 55% environ, de 18 points supérieure aux élections municipales de 2014 (36,45% d’abstention), et cela avait été extrêmement critiqué : on rappellera ici qu’une procédure judiciaire visant à remettre en cause la constitutionnalité des élections du 15 mars 2020 est toujours pendante devant le Conseil d’Etat, ce qui n’est pas sans poser de très importantes questions.
Les Français se déplaceront-ils pour voter le 28 juin, un dimanche probablement ensoleillé, juste avant les vacances, alors que la séquence autour des élections municipales a été très critiquée et qu’il existe un risque au niveau du Covid-19, un certain nombre d’articles de presse et de reportages télévisuels ayant insisté sur le fait que des personnes avaient pu être contaminées, et décéder, à cause des opérations de vote ou de la campagne électorale qui les ont précédées, et ce même si une étude aurait démontré que les opérations électorales du 15 mars n’ont pas eu d’impact massif sur la diffusion globale du virus ? Sans doute des sondages seront-ils rapidement faits pour déterminer si les Français ont l’intention ou non de se rendre aux urnes….
Que faire pour inciter les électeurs à se rendre aux urnes le 28 juin prochain ? Sur ce point, la question se pose de savoir s’il convient d’adopter des adaptations a minima ou s’il faudrait prendre des mesures fortes afin de propulser un « choc de confiance » auprès des électeurs. Le Gouvernement a sur ce point été prudent et choisi la première solution.
Pour le moment, il ressort de l’avis du conseil scientifique, qui sera suivi par le Gouvernement, que concernant les membres des bureaux de vote et des assesseurs, les leçons du premier tour semblent retenues : il est notamment déconseillé que des personnes âgées ou fragiles soient membres de bureaux de vote, le port de masques chirurgicaux devrait devenir obligatoire pour les assesseurs qui devraient aussi être équipés d’une visière de protection, et il est également envisagé une paroi de protection en plexiglas… Il est cependant probable qu’il sera difficile, encore plus difficile que d’habitude, de constituer les bureaux de vote, au mois de juin prochain…
Concernant les électeurs, les propositions du conseil scientifique étaient vraiment a minima : une file spécifique pour les personnes à risque, l’ouverture des portes et fenêtres, un port du masque seulement « préconisé pour les électeurs, qui doivent pouvoir en disposer », le stylo personnel, un nombre limité de personnes dans les bureaux, l’extension des horaires des bureaux de vote, etc., la validité des procurations établies au premier tour… Les personnes ayant des symptômes pourraient être redirigées vers des isoloirs spéciaux. Le port du masque ne serait obligatoire que pour le dépouillement. Ces mesures seront-elles suffisamment « impactantes » pour faire revenir les électeurs aux urnes, notamment les personnes fragiles ? Non, a jugé le Gouvernement, qui s’est en partie inspiré de la Corée du Sud, dont les opérations électorales ressemblent aux nôtres et qui a vu ses élections législatives du 15 avril dernier se dérouler avec le plus fort taux de participation depuis 1992 malgré l’épidémie de Covid-19… Le principal ajout aux conseils du Covid-19 est l’obligation de porter un masque, quitte à le fournir si l’électeur n’en dispose pas, comme l’a annoncé Christophe Castaner dans son discours. En revanche, hélas, il n’a pas été prévu, contrairement à la Corée du Sud, la prise de température à l’entrée du bureau de vote, les personnes ayant de la fièvre étant dirigées vers des isoloirs spéciaux. Pour le moment, cette solution ne semble pas envisagée.
C’est pour tenter de répondre à cette question du « choc de confiance » qu’un ensemble de propositions commencent à émerger. Que décidera le Gouvernement dans ce panel de solutions possibles ?
Certaines solutions seraient difficiles à envisager parce qu’elles n’existent pas en France là où elles n’ont été que renforcées dans d’autres pays, comme le vote anticipé en Corée du Sud ou le vote par correspondance en Suisse ou en Allemagne. Certaines personnalités politiques souhaiteraient mettre en place un vote par correspondance, appuyées en ce sens par certains chercheurs, qui citent en exemple les élections locales en Bavière. Il est vrai que certains pays votent par correspondance, mais dans ces pays, là où le vote par correspondance a été utilisé, il était déjà prévu par le droit et il a donc suffi de l’augmenter. En France, le vote par correspondance, sauf pour les Français de l’étranger pour les élections législatives, n’existe plus pour les élections politiques depuis 1975, à cause des nombreuses fraudes qu’il avait pu engendrer. Sur le plan juridique, cette solution n’est pas à conseiller, en principe. En effet, le principe de stabilité du droit électoral implique de ne pas changer trop brusquement les règles du jeu afin de laisser aux administrations, aux électeurs, aux partis politiques, le temps de s’adapter. Dans le cas contraire, le risque de fraude est trop important, notamment de la part des collectivités elles-mêmes. De ce point de vue, la Pologne, pour laquelle il a été envisagé de créer un vote par correspondance quelques jours avant l’élection présidentielle finalement reportée en catastrophe, constitue un véritable contre-exemple. C’est ce qu’il ressorti des discussions entre le Premier Ministre et les maires, dont certains avaient proposé ce type de solutions, mais très difficiles à mettre en oeuvre dans un délai aussi court. Christophe Castaner a explicitement rejeté cette solution en répondant aux questions des journalistes.
D’autres solutions peuvent être envisagées, sachant que pour être valables elles ne doivent pas trop perturber le principe de stabilité du droit électoral, être simples et immédiates à mettre en place. Comme nous l’avons suggéré dans un article du Parisien, il sera possible de faciliter encore les procurations, et peut-être de permettre de disposer de deux ou trois procurations à titre exceptionnel : aujourd’hui, on peut disposer d’une procuration établie en France et une établie à l’étranger (ou deux établies à l’étranger) ; ce nombre pourrait peut-être augmenté à deux ou trois en raison des circonstances exceptionnelles, suivant la mécanique déjà bien rodée, mais il faudrait obtenir un changement de la loi.
On pourrait imaginer aussi un moyen terme entre ne rien faire et le vote par correspondance, afin de rassurer au maximum les électeurs : joindre, comme cela était fait un temps, l’enveloppe électorale à la propagande, en gardant le dispositif classique des bureaux de vote. Cela leur permettrait de voter rapidement, sans trop attendre et sans rien toucher dans les bureaux de vote, tout en évitant les contraintes en permettant le changement d’avis. Cette solution présente cependant un risque au moment du dépouillement, puisque le fait de « bourrer les urnes » au moment de l’ouverture de celle-ci par la subtilisation d’enveloppes pourrait en être facilité, même si ce risque existe déjà en temps normal bien que l’opération ne soit pas facile (CE 14 septembre 1983, El. mun. d’Aulnay-sous-bois, Seine-Saint-Denis, n° 51.420 et 52.323). Ce risque pourrait être diminué par le plus faible nombre de personnes présentes du dépouillement, préconisé par le conseil scientifique, qui faciliterait la surveillance. Il faudrait aussi, pour contrecarrer ce risque, passer des consignes très claires dans les circulaires et les formations aux membres des bureaux de vote pour que ceux-ci soient très vigilants au moment de la récolte des bulletins pour la préparation des enveloppes de centaines, ce qui est une possibilité qui permettrait de mettre la focale sur ce risque particulier pour le limiter au maximum. A titre habituel, c’est la précipitation, le manque de vigilance, l’habitude qui permet les fraudes électorales. Peut-être que si des consignes très claires de vigilance étaient passées, ce risque serait-il diminué ? On pourrait aussi imaginer un système de tampons au moment de mettre les bulletins dans les enveloppes de centaines, sous le regard de l’ensemble des membres du bureau de vote. Un bilan avantage/risque devrait être effectué, entre la nécessité d’un choc de confiance et le risque qu’il y ait certains abus. Pour le moment, le ministère de l’intérieur a écarté cette solution, plus sécurisante pour le vote mais peut-être moins performative sur le plan de la confiance politique des électeurs.
On se dirige donc, semble-t-il, vers une adaptation plutôt a minima des opérations de vote, selon une formule proche du 15 mars, le port du masque en plus. Cela sera-t-il suffisant pour faire revenir les électeurs aux urnes ? Force est de constater que, dans de nombreux endroits, ces élections ne s’étaient pas si bien déroulées, notamment dans les grandes villes. Il est à craindre que le bis repetita posera les mêmes difficultés.
L’émergence d’un concept « Covidien » : les « élections dégradées »
Il faudra espérer sortir rapidement de cette séquence, afin de ne pas s’y habituer, mais force est de constater que, au 1er tour comme au 2nd, ces élections resteront des élections dégradées.
Il y aura, sur ce point, de nombreuses leçons à tirer pour le droit électoral de cette séquence : nécessité d’une disposition de crise pour permettre un report des élections sans connaître les difficultés que nous avons eues, adaptation des campagnes électorales par la numérisation, amélioration de nos procédures par le vote par correspondance ou le vote numérique, etc. La crise du Covid-19, du point de vue du droit électoral, ne devra pas être oubliée.
Sur ce point, il est intéressant de comparer la situation française avec les standards internationaux et les autres pays. D’après la compilation sur les états d’urgence réalisée par la commission de Venise, (16 April 2020, CDL-PI(2020)003), il existe des Constitutions qui permettent de repousser les élections en cas de circonstances exceptionnelles, par exemple en étendant la durée du mandat des parlementaires (Croatie, Italie, Allemagne, Grèce, Pologne,Lituanie, Slovénie, Espagne, Hongrie, Canada) ou en permettant au Parlement de changer la date des élections (République Tchèque, Slovénie), semblant indiquer que les élections seraient assez peu compatibles avec un état d’urgence sanitaire. Le Conseil de l’Europe semble de manière générale avoir été échaudé par l’exemple Turc, qui a maintenu des élections en état d’urgence pour un résultat très négatif sur le plan de l’état de droit.
Cependant, pour notre part, en espérant qu’elles soient évidemment le moins dégradées possible, nous continuons à penser qu’il est préférable que la démocratie continue, sur le modèle de la Corée du Sud. Il est en effet extrêmement intéressant de noter qu’un article du droit électoral en Corée du Sud prévoit la possibilité de repousser des élections (article 196 of the Public Official Election Act of the Republic of Korea) en cas de désastre naturel, de séisme ou d’autre catastrophe naturelle. Les coréens auraient donc pu légalement facilement, contrairement à nous, repousser leurs élections. Mais ils ont choisi de ne pas le faire et la démocratie a gagné contre le Covid-19.
De la même façon, en France, il ne faut pas oublier que les élections régionales de 2015 et les élections présidentielles et législatives de 2017 se sont tenues sous état d’urgence. La démocratie n’a pas plié contre le risque terroriste. Il est sans doute sain qu’elle se maintienne face à une pandémie, même si on aurait pu souhaiter que la France soit mieux préparée à ce risque. On peut regretter ces élections dégradées. Mais on ne refait pas le passé.
Sauf si, la semaine prochaine, le Conseil d’Etat et/ou le Conseil constitutionnel devaient adopter la position inverse… la série continue.
Romain Rambaud