Une impression très mitigée, c’est ce qu’inspire la lecture de l’avis du Conseil scientifique du Covid 19 transmis au Premier Ministre hier soir et publié aujourd’hui, et nous ne sommes pas seul à avoir cette appréciation du rapport. Nous avions posé l’hypothèse, dans un article précédent, que le Conseil scientifique serait très prudent, échaudé par les critiques qui lui ont été adressées lors du 1er tour. Force est de constater que c’est le cas.
C’est pourtant sur la base de cet avis que le Gouvernement devra faire son rapport au Parlement, conformément aux dispositions de la loi du 23 mars 2020, avant le 23 mai. Espérons que le Gouvernement le complétera tant dans la décision que sur les modalités pratiques.
L’absence d’orientation univoque donnée par le conseil scientifique
Concernant la décision à prendre sur la date des élections, fin juin ou plus tard, le Conseil indique tout d’abord clairement que « cet avis n’a pas vocation à exprimer une orientation ou une préférence du Conseil scientifique ou de ses membres quant aux décisions à prendre, notamment quant à un éventuel report des élections, décision qui relève de la seule responsabilité des autorités publiques ». C’est donc une position de neutralité sur la prise de décision que choisit le conseil scientifique, à l’exception d’un de ses membres qui a décidé d’exprimer une position dissidente, M. Casanova, qui a estimé qu’il faudrait reporter les élections en septembre pour ne pas relancer l’épidémie, « même à moindre échelle ». Le Conseil scientifique insiste également sur le fait de se prononcer seulement sur les considérations sanitaires et en aucun cas sur des critères juridiques (sincérité du scrutin, légitimité) ou politiques (abstention).
S’agissant de la stricte analyse sanitaire, force est de constater que le conseil est très prudent. Il estime notamment qu’il est « trop tôt » pour évaluer la circulation du Covid-19 en juin et que les premières estimations ne seront disponibles que dans quelques semaines, ce qui pourrait justifier une nouvelle interruption du processus électoral. Par ailleurs, le conseil scientifique ne se prononce pas du tout sur le risque de seconde vague à l’autonome, alors que sans doute cela devrait être un point important du raisonnement. Il y aura dans quinze jours un autre rapport pour évaluer de nouveau la situation.
Toutefois, il y a un élément de l’avis qui semble plaider, eu égard aux termes de la loi du 23 mars 2020, en faveur d’une élection en juin plutôt qu’en septembre : le conseil scientifique exprime clairement sa préférence pour qu’il n’y ait qu’un seul tour de scrutin, considérant que « D’un point de vue sanitaire, la tenue d’un seul tour de scrutin plutôt que de deux, indépendamment des dates retenues, est de nature à réduire les risques sanitaires, au sens statistique du terme ». Cela plaide pour juin, puisque la loi du 23 mars 2020 prévoit qu’il faudra deux tours en septembre, en l’état du droit en tout cas.
Ainsi, sans donner un feu vert explicite, le Conseil scientifique ne s’oppose pas au second tour en juin. C’est dès lors la question du consensus politique qui devient absolument essentielle.
Une véritable problématique autour de la campagne électorale
Le Conseil scientifique, comme cela était attendu car souligné par les standards internationaux, fait part d’une véritable crainte autour de la campagne électorale qu’il considère comme étant le vecteur principal potentiel de diffusion du virus. Il souligne « les risques majeurs liés à la campagne électorale », surtout les meeting électoraux, mais aussi la distribution des tracts, le porte à porte, les réunions publiques, les réunions d’appartement. Le Conseil scientifique recommande le port du masque et d’une visière pour les personnes participant à la campagne électorale.
Le conseil scientifique se contente alors de considérer que « d’autres modalités de campagne, certes limitées, mais égales pour tous les candidats, peuvent être envisagées, notamment à travers l’usage du numérique ». Mais il ne fait guère de propositions et s’oriente donc vers une campagne électorale diminuée, appelant même à interdire certaines actions de campagne : « si des élections sont organisées, l’organisation de la campagne électorale devra être profondément modifiée », ce qui poserait cependant des questions importantes.
Comme nous l’avions souligné dans un article précédent, certes, en temps normal, la campagne d’entre-deux tours ne dure qu’une semaine, mais cette fois le problème est accru par le fait que dans beaucoup de cas, les sortants auront disposé d’une exposition extrêmement forte à la faveur de la crise du Covid-19, normale dans les circonstances mais qui peut poser question sur le plan de l’égalité entre les candidats. Il faudrait donc rééquilibrer les choses, surtout si les élections ont lieu en juin. Certes, une campagne minimale pourrait avoir lieu en respectant les gestes barrières (tractage, affichage et porte-à-porte, excluant les réunions publiques), mais le succès n’est pas garanti et on pourrait aller plus loin. La propagande officielle est un premier élément de réponse : elle pourrait être augmentée. On pourrait aussi imaginer, suivant des expérimentations qui ont été faites pour d’autres élections, de prévoir la mise en ligne des professions de foi sur les sites des préfectures pour les listes qui le souhaiteraient. Il faudrait également que les télévisions et radios locales organisent des débats télévisés permettant la confrontation contradictoire. Internet et les réseaux sociaux seraient évidemment très largement utilisés par les candidats, comme c’est déjà le cas. On pourrait aussi penser à revenir sur l’interdiction faite aux candidats de mettre à disposition des numéros d’appel gratuits. Enfin, a posteriori, le juge électoral serait chargé de vérifier que les élus sortants n’ont pas abusé de leur position. Cela serait-il suffisant ?
Les conditions de campagne seront donc très compliquées… Il serait intéressant que, dans son rapport, le Gouvernement fasse des propositions pour améliorer les choses.
Une adaptation a minima des opérations électorales
Le manque d’audace du conseil scientifique se ressent aussi dans l’adaptation qu’il préconise des opérations électorales, presque identique au fond, avec quelques améliorations quand même, aux gestes barrières appliqués le 15 mars 2020. De ce point de vue, l’absence de référence à la Corée du Sud, ainsi que l’absence de toute bibliographie juridique, peut être regrettée, espérant que le Gouvernement sera plus constructif de ce point de vue.
Sur les membres des bureaux de vote et des assesseurs, les leçons du premier tour semblent retenues et on peut penser que le Gouvernement fera des remarques similaires : il est notamment déconseillé que des personnes âgées ou fragiles soient membres de bureaux de vote, le port de masques chirurgicaux devrait devenir obligatoire pour les assesseurs qui devraient aussi être équipés d’une visière de protection, et il est également envisagé une paroi de protection en plexiglas… Il est probable qu’il sera difficile, encore plus difficile que d’habitude de constituer les bureaux de vote, au mois de juin prochain…
Concernant les électeurs, les propositions du conseil scientifique sont vraiment a minima : une file spécifique pour les personnes à risque, l’ouverture des portes et fenêtres, un port du masque seulement « préconisé pour les électeurs, qui doivent pouvoir en disposer », le stylo personnel, un nombre limité de personnes dans les bureaux, l’extension des horaires des bureaux de vote, etc., la validité des procurations établies au premier tour… Les personnes ayant des symptômes pourraient être redirigées vers des isoloirs spéciaux. Le port du masque ne serait obligatoire que pour le dépouillement.
Sur ce plan, on peut regretter le manque de propositions du Conseil Covid-19. Pourtant, il aurait été impératif de s’inspirer ici de la Corée du Sud, dont les opérations électorales ressemblent aux nôtres, qui a vu ses élections législatives du 15 avril dernier se dérouler avec le plus fort taux de participation depuis 1992 malgré l’épidémie de Covid-19. Certaines solutions ne posent pas de difficulté car elles se situeraient dans le prolongement des mesures adoptées en mars, ajoutant à la distanciation physique et au lavage des mains l’obligation de porter un masque (quitte à le fournir si l’électeur n’en dispose pas) et la prise de température à l’entrée du bureau de vote, les personnes ayant de la fièvre étant dirigées vers des isoloirs spéciaux. Il serait également possible de faciliter encore les procurations, notamment de permettre de disposer de deux ou trois procurations. Certaines solutions seraient difficiles à envisager parce qu’elles n’existent pas en France là où elles n’ont été que renforcées dans d’autres pays, comme le vote anticipé en Corée du Sud ou le vote par correspondance en Suisse ou en Allemagne. De ce point de vue, la Pologne, pour laquelle il a été envisagé de créer un vote par correspondance quelques jours avant l’élection présidentielle finalement reportée en catastrophe, constitue un véritable contre-exemple.
En même temps, la France pourrait trouver dans son dispositif dit de « propagande officielle », créé au lendemain de la première guerre mondiale et que l’on pensait dépassé, des ressources insoupçonnées. On peut proposer une idée simple permettant de prendre en compte le risque sanitaire sans bouleverser nos opérations électorales : pourquoi ne pas ajouter à l’envoi au domicile des électeurs de la profession de foi et des bulletins de vote, traditionnel dans les communes à partir de 2500 habitants mais que l’on pourrait imaginer élargi, une enveloppe électorale ? En gardant l’ensemble du dispositif classique des bureaux de vote avec signature, qui permettrait aux électeurs de pouvoir changer d’avis et/ou d’échapper à d’éventuelles pressions ou menaces sur le secret du vote et ainsi diminuer les risques de fraude, un tel système, facile à mettre en œuvre car déjà connu sur le plan technique et administratif, permettrait aux électeurs de pouvoir voter sans aucun contact physique s’ils viennent avec leur propre stylo au bureau de vote. Cela permettrait aussi d’accélérer les opérations de vote et de faciliter le respect de la distanciation physique. De quoi les rassurer et les faire revenir jusqu’aux urnes ? Certes, on peut estimer qu’il existerait un risque accru lors du dépouillement, et il est arrivé que des personnes soient prises la main dans la sac en ajoutant des enveloppes supplémentaires au moment du dépouillement (CE 14 septembre 1983, El. mun. d’Aulnay-sous-bois (Seine-Saint-Denis), req n° 51.420 et 52.323). Ce risque existe. Dès lors, la tenue du dépouillement en nombre de personnes restreint cette année, associée à la vigilance des membres du bureau de vote si ce dispositif était mis en oeuvre et spécialement alerté sur ce risque, et pourquoi pas à l’utilisation par exemple d’un tampon au moment de l’ouverture de l’urne, ou à l’utilisation de deux couleurs par exemple, seraient de nature à minimiser les risques. Il serait en tout cas intéressant de réfléchir à cette hypothèse.
La valse des rapports n’est pas terminée
Le Conseil scientifique termine son rapport en considérant que « Quelle que soit l’option décidée par les Autorités publiques concernant l’organisation du 2ème tour des élections municipales, le Conseil scientifique appelle à tenir compte de la situation épidémiologique dans les 15 jours précédant la date décidée du scrutin, ainsi qu’à une surveillance soutenue 15 jours après le scrutin ». Il y aura donc un nouveau rapport pour pouvoir, cette fois, mieux se prononcer sur la situation sanitaire.
Enfin, c’est surtout le rapport du Gouvernement, attendu d’ici le 23 mai, que l’on attend avec impatience, et il y aura sans doute au Parlement un débat sur celui-ci. On ne peut que souhaiter que ce rapport soit plus ferme mais aussi plus audacieux dans les solutions en termes de campagne électorale et d’opérations électorales.
Conclusion : plus d’imagination pour plus de confiance
Les préconisations du rapport scientifique, si elles sont peut-être suffisantes sur le plan sanitaire, ne le sont sans doute pas sur le plan politique et le plan psychologique. Si le Gouvernement devait décider d’organiser les élections en juin avec le soutien du Parlement, il faudrait sans doute aller plus loin pour permettre une campagne électorale minimale et des opérations électorales plus sécurisées. Il faut en effet impérativement regagner la confiance des électeurs, si l’on ne veut pas que l’abstention soit massive dans l’hypothèse où les élections seraient organisées en juin, ce qui serait dommageable pour la démocratie.
Romain Rambaud