L’année universitaire 2019-2020 fut, pour le droit électoral, particulièrement chargée : parmi de nombreux autres exemples, on peut citer la procédure de référendum d’initiative partagée qui a finalement échoué, le débat constitutionnel sur le seuil de 5% des suffrages exprimés pour l’admission aux sièges du Parlement européen, la suppression de l’évolution du mode de scrutin pour les métropoles, le débat et la décision du Conseil d’Etat sur la circulaire Castaner, et bien entendu la saga des élections municipales et du Covid-19, qui aura duré quatre mois et qui n’est pas terminée…
Pour ce qui concerne les travaux de l’auteur de ces lignes, ce fut également une année charnière, avec la publication de l’ouvrage Droit des élections et des référendums politiques chez LGDJ, dans la prestigieuse collection Domat, et la résurrection du blog du droit électoral en septembre 2019, sans compter les nombreux articles de revues et de blog écrits cette année, ainsi que les interventions médias dans le cadre de la crise du covid-19.
Une année extrêmement dense, donc, qui fut également hélas marquée par le décès de Richard Ghevontian, un des fondateurs de la discipline.
Pour clore cette année de droit électoral et se projeter sur la suite (ce sera, pour le blog du droit électoral, après la suspension d’été), on proposera ci-dessous un bref teasing de quelques sujets qui pourraient être sur le devant de la scène du droit électoral l’année prochaine. Et en attendant de les retrouver, nous vous souhaitons d’excellentes vacances d’été !
Les élections sénatoriales de septembre 2020 pour la série 2
Les élections, en France, ne prennent désormais plus de pauses. En effet, dès la rentrée, en septembre, auront lieu de nouvelles élections sénatoriales. Conformément au décret n° 2020-812 du 29 juin 2020 portant convocation des collèges électoraux pour l’élection des sénateurs, les élections sénatoriales auront lieu le dimanche 27 septembre 2020. En raison de la crise sanitaire, ces élections vont renouveler 172 sénateurs sur 178 prévus initialement, ceux de la série 2. L’élection des six sénateurs des Français établis hors de France est en effet reportée à septembre 2021 en raison de la crise du Covid-19.
Le droit électoral commencera donc très rapidement à faire de nouveau parler de lui, dès la rentrée. Sur les chapeaux de roue, donc !
Les élections départementales et les élections régionales en mars 2021 ?
Sans aucun doute, le droit électoral n’a plus le caractère cyclique qu’on lui connaissait auparavant. Après les élections municipales rocambolesques de 2020, devraient être organisées, conformément au code électoral, les élections départementales et les élections régionales en mars 2021, ces élections devant en principe se tenir ensemble (art. L. 336 du code électoral) et le mandat des conseils régionaux élus en décembre 2015 expirant en mars 2021 (art. 10 de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral). A priori, d’après les derniers déclarations du Président du Sénat, le Président de la République aurait renoncé à reporter ces élections, alors qu’il en était question.
Sur le plan juridique, reporter les élections régionales en fin d’année 2021 (mais pas après la présidentielle de 2022) serait possible. En effet, le Conseil constitutionnel reconnaît une grande marge de manœuvre au législateur dès lors qu’il existe un motif d’intérêt général suffisant et que les moyens adoptés par le législateur ne sont pas manifestement irrationnels au regard de l’objectif poursuivi. Il exercice un contrôle très restreint et, sur le plan pratique, il n’a à ce jour jamais censuré une loi sur le fondement du principe constitutionnel ici protégé, le principe de périodicité du suffrage. Si un report en 2022 semble inenvisageable au regard du motif de la relance économique et d’une nouvelle étape dans le processus de décentralisation, un report à la fin de l’année 2021 semble en revanche possible, d’autant que le mandat des conseillers régionaux ne serait alors que de 6 ans (les conseillers régionaux ont été élus en décembre 2015). Les élections départementales pourraient peut-être suivre, afin d’éviter un trop grand nombre d’élections la même année.
En l’état, le débat semble clos. Il pourrait cependant revenir sur le devant de la scène si, à la rentrée, la crise économique s’avérait extrêmement grave et qu’il existerait un consensus politique pour reporter ces élections de quelques mois, au nom des nécessités de la relance et de la mise en oeuvre d’une nouvelle réforme de la décentralisation.
Le contentieux électoral et la question de l’abstention liée au covid-19
Une question qui se posera nécessairement est celle du contentieux électoral des élections municipales de 2020 et notamment la façon dont l’abstention sera traitée dans le cadre de ce contentieux. Pour rappel, dans sa décision du 17 juin n°2020-849 QPC ayant validé la loi du 23 mars 2020, le Conseil constitutionnel a ouvert la porte à une interprétation plus forte que d’habitude de l’abstention.
En effet, dans cette décision, si le Conseil constitutionnel a validé la loi malgré l’abstention « en général », conformément à la position classique selon laquelle l’abstention n’est pas un motif d’annulation en tant que telle (Cons. const., n°98-2571 AN, 09 mars 1999, Alpes-Maritimes, 2ème circ. ; CE, 17 dec. 2014, n°381500, El. Mun. de Saint-Rémy-sur-Avre ; CE, 22 juill. 2015, n° 385989, El. Mun. de Montmagny), il se montre cependant ouvert à une analyse de l’abstention au cas par cas.
Ce n’est pas totalement nouveau. En effet, de jurisprudence constante y compris pour l’abstention, l’annulation des élections ne s’envisage qu’au cas par cas (en théorie surtout, la pratique faisant état surtout de la neutralisation de l’abstention) lorsque des circonstances particulières sont présentes en l’espèce, comme des manoeuvres ou des pressions (Cons. const., n°2007-3742/3947 AN, 20 dec. 2007, Hauts-de-Seine, 10ème circ. ; CE, 17 dec. 2014, n°381500, El. Mun. de Saint-Rémy-sur-Avre ; CE, 22 juill. 2015, n° 385989, El. Mun. de Montmagny) ou en cas de circonstances exceptionnelles s’il existe une inégalité entre les candidats (Cons. const., n°80-892/893/894 AN, 19 janv. 1981, Cantal, 1ère circ ; Cons. const., n°93-1279 AN, 1er juil. 1993, Wallis-et-Futuna).
Mais le Conseil constitutionnel semble ouvrir un peu plus la porte, considérant dans une formule générale qu’ « Il appartiendra, le cas échéant, au juge de l’élection, saisi d’un tel grief, d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin ». La référence explicite au « niveau » de l’abstention a ici quelque chose de particulier. Dans la jurisprudence classique du Conseil d’Etat, il faut démontrer une inégalité entre les candidats, un écart de voix faible… Cette phrase signifie-t-elle que les juges électoraux se voient autorisés à aller plus loin, ce qui pourrait être facilité par les délais longs, cette année de manière exceptionnelle, du traitement du contentieux électoral, comme nous en avons déjà évoqué l’hypothèse ? Les débats ne sont donc pas terminés, et le Conseil d’Etat va sur ce point retrouver la plénitude de ses compétences.
Le deuxième référendum d’auto-détermination en Nouvelle Calédonie
En novembre 2018 s’était tenu en Nouvelle Calédonie le premier référendum sur l’auto-détermination, ayant abouti au maintien de cette collectivité au sein de la France. D’abord prévu pour le 6 septembre 2020, le deuxième référendum a finalement été repoussé, en raison de l’épidémie de covid-19, au 4 octobre 2020, jour anniversaire des 62 ans de la Vème République.
Comme lors du premier vote, la question à laquelle les électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale répondront « oui » ou « non » sera la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Les conditions de la campagne et le résultat du vote seront à suivre de très près. Pour rappel, en cas de nouvel échec du choix de l’indépendance, un troisième référendum sera encore possible au terme des accords de Nouméa de 1988.
Les suites de la Convention citoyenne pour le Climat et la relance des révisions constitutionnelles ?
Bien sûr, on sera particulièrement attentifs au suivi des mesures proposées par la Convention citoyenne pour le Climat. Le Président de la République a en effet proposé un référendum constitutionnel afin de modifier l’article 1er de la Constitution, ainsi que potentiellement un ou des référendums législatifs pour les mesures de nature législative dans le cas où il y aurait des blocages au Parlement, solution pour laquelle nous avons exprimé notre préférence afin de réconcilier écologie et démocratie (sur le fondement de l’article L. 558-45 du code électoral). De tels référendums seraient dans l’objet du droit électoral.
Par ailleurs, on peut se demander si la volonté de réformer cet aspect de la Constitution ne pourrait pas entraîner dans une certaine mesure la relance des réflexions sur la révision de la Constitution, suspendue depuis le mois d’août 2019, en matière de participation citoyenne ou de réforme du RIP par exemple. On pense également à la réforme du Parquet qui pourrait être relancée, suite au changement de Gouvernement.
Du nouveau sur le front du financement de la vie politique ?
Les questions de financement de la vie politique pourraient aussi connaître de nouveaux éléments.
Tout d’abord, il faut noter que le Président de la CNCCFP a changé. En effet, par décret du Président de la République du 3 juillet 2020, M. Jean-Philippe Vachia a été nommé président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à la place de M. François Logerot, qui présidait cette institution depuis 2005, soit depuis 15 ans ! La question se pose de savoir si le changement de Président aura un impact sur l’action de la CNCCFP, qui a pu connaître des difficultés ces dernières années.
Par ailleurs, le droit des financements politiques pourrait aussi évoluer en raison d’éléments de nature pénale. Des procès sont attendus, au premier desquels le procès Bygmalion, impliquant Nicolas Sarkozy lui-même. Le point est important alors que la pénalisation du droit électoral est un phénomène qui tend aujourd’hui à prendre de l’ampleur, heureusement.
Autre sujets possibles…
De nombreux autres sujets pourront émerger l’année prochaine en matière de droit électoral : le traitement des fraudes aux procurations, l’émergence éventuelle de nouvelles « affaires », la prolongation, suite aux déclarations récentes d’Eliane Houlette, de la polémique sur la question de la trêve judiciaire, etc. De nombreux éléments qui montrent que le droit électoral se trouve plus que jamais au coeur du droit politique et démocratique.
… Bonnes vacances !
En attendant que l’ensemble de ces sujets ne reviennent sur la table, nous vous souhaitons, parce que le blog du droit électoral en prend aussi, d’excellentes vacances d’été ! A très vite !
Romain Rambaud