09/11/2015 : Séminaire de droit électoral, exposé n°1 : Le droit de vote des femmes [Laurie Astier et Thérèse Barut]

Nous publions ci-dessous le premier exposé du séminaire de droit électoral sur le droit de vote des femmes, soutenu par Laurie Astier et Thérèse Barut lors du séminaire consacré aux sources historiques du droit électoral. Merci à elles !

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La revendication du droit de vote des femmes

A la Révolution française, le droit de vote censitaire accordé aux hommes. Le suffrage masculin exclut de facto la moitié de la population, et le cens n’offre la possibilité de voter qu’aux citoyens les plus aisés. Aux citoyens actifs, qui versent le cens et exercent le droit de vote, on oppose donc les citoyens passifs qui représentent l’écrasante majorité de la population.

téléchargementDans la foulée de cette proclamation, Olympe de Gouges (1748-1793) réclame l’émancipation des femmes, ce qui passe entre autres par le droit de vote. Elle rédige une Déclaration des droits des femmes dont le célèbre article 10 affirme : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».

Son engagement politique lui sera fatal, puisqu’elle sera guillotinée pour avoir remis en cause le principe républicain, en diffusant dans Paris des affiches critiquant Robespierre.

Au final, il faut attendre la fin du XIXème siècle pour voir de vrais mouvements de revendication prendre forme en faveur du droit de vote des femmes.

Les hommes obtiennent le suffrage universel en 1848 sous le gouvernement provisoire. La France est considérée comme le premier Etat au monde à l’avoir proclamé. Dans la foulée, certaines femmes revendiquent le droit de vote : le Club « la voie des femmes » veut que les femmes puissent prendre part à la vie politique. Ses membres essayent alors de convaincre l’écrivaine Georges Sand de se présenter aux législatives, mais sans succès.

De plus en plus de revendications

 A l’aube du XXème siècle, dans le sillage des mouvements anglais, se mettent en place des mouvements français de suffragettes, qui revendiquent l’égalité hommes-femmes dans le droit de vote. Hubertine Auclert et Madeleine Pelletier sont toutes les deux à l’origine de mouvements suffragistes en France, et organisent des actions spectaculaires souvent illégales. La première renversera une urne en 1908, tandis que la seconde brisera les vitres d’un bureau de vote la même année.

images (1)La suffragette la plus connue reste Louise WEISS. En 1936, pendant la finale de la coupe de France de football, elle lâche des ballons rouges auxquels sont accrochés des tracts en faveur du droit de vote des femmes.

A partir de 1906, les propositions de loi accordant le vote aux femmes se succèdent, ce qui montre l’amorce d’un changement d’opinion. Mais de nombreux textes sont rejetés, laissés à l’abandon ou encore adoptés par la chambre des députés, tandis que le Sénat refuse de  se prononcer.

Les arguments contre le droit de vote des femmes

Il faut se pencher sur les arguments déployés pour refuser le droit de vote aux femmes. Ces arguments se sont développés en réaction aux revendications des femmes et montrent quels préjugés pesaient sur la société française.

Il est d’abord considéré que la femme évolue dans une sphère distincte de celle de l’homme : à l’homme la vie politique et publique, et à la femme la maison et l’éducation des enfants, ces sphères étant hermétiques. Au cours du XIXème siècle, il est largement admis que la femme possède un pouvoir d’influence sur l’ensemble de sa famille (notamment par le biais de l’éducation des enfants). Selon Agénor de Gasparin, donner le droit de vote aux femmes ferait donc double emploi.

Les femmes sont considérées comme naturellement éloignées de la sphère politique : le sénateur Alexandre BERARD dira, le 3 octobre 1919, « Les mains des femmes ne sont pas faites pour voter ».

Donner le droit de vote aux femmes est également considéré comme une remise en cause de la puissance paternelle : il n’est pas concevable que la femme s’oppose à son mari en votant pour un candidat d’un bord politique différent de celui soutenu par le chef de famille. Le droit de vote est à ce titre envisagé comme un moyen d’émancipation de la femme par rapport à l’emprise de son mari, puisque par ce biais elle peut contribuer à décider de l’avenir du pays.

Enfin, la crainte est toujours grande d’une influence de l’église sur le bulletin de vote des femmes : les femmes sont considérées comme influençables, immatures.  A ce titre, elles seraient moins aptes à voter.

L’opposition d’écrivains au droit de vote des femmes (comme Romain ROLLAND) s’inscrit dans une opposition plus large au suffrage universel, qu’il soit masculin comme féminin. Selon Pierre Rosanvallon, le suffrage féminin est la cible de ceux qui sont opposés au suffrage universel masculin, mais n’osent pas le critiquer ouvertement, étant devenu un droit acquis.

Des avancées dans la représentation des femmes en politique

Malgré l’interdiction du vote des femmes et de leur éligibilité, les femmes ne sont pas absentes de la vie politique.

Ainsi, en 1925, le maire sortant de la commune de Villeurbanne, Lazare Goujon, propose aux électeurs de désigner des conseillères municipales privées qui ont une voix consultative. 60% des électeurs ayant voté au second tour des élections municipales ont ensuite voté pour les conseillères privées.  Cette expérience servira d’exemples pour d’autres communes : aux élections municipales de 1935, des scrutins parallèles aux élections aboutissent à l’élection de 6 conseillères dans la commune de Louviers, dirigée par Pierre Mendès France.

images (2)En 1936, sous le gouvernement de Léon BLUM, 3 femmes sont nommées sous-secrétaires d’Etat. Alors que ces femmes n’étaient ni électrices ni éligibles, elles se retrouvent à des postes très élevés, qui correspondent à ceux de ministre. Les postes qu’elles exercent sont par ailleurs des postes stratégiques : Cécile Brunschvicg est sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale, Irène Joliot-Curie, sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique et Suzanne Lacore, sous-secrétaire d’État à la protection de l’enfance. Ce choix montre aux français que des femmes compétentes peuvent exercer des postes habituellement réservés aux hommes, dans un contexte de revendication toujours plus forte du droit de vote des femmes.

Mais ce gouvernement démissionne en 1937, et il n’y aura plus de femme ministre n’ayant pas le droit de vote.

L’obtention du droit de vote des femmes  

La Seconde Guerre mondiale a eu un impact sur l’obtention du droit de vote par les femmes.

Gilberte Brossolette qui fut une résistante pendant l’occupation allemande s’est confiée au journal Le Monde « C’est pendant l’Occupation que les mentalités ont changé, et c’est dans la Résistance que les femmes ont gagné le droit de voter et d’être élues. Elles avaient montré leur courage, pris des risques fous, reçu les clandestins, assuré la transmission des messages… (…) Il était impossible de leur dénier encore le droit de vote. Ce n’est pas de Gaulle qui leur a donné. Ce sont les femmes qui l’ont glorieusement gagné. »

Les femmes se sont investies durant la guerre à plusieurs niveaux. Pour commencer elles se sont investies dans la sphère militaire puisqu’elles ont exercé des tâches militaires comme le montre la citation. Ensuite elles ont occupé des rôles différents des rôles traditionnels comme dans la sphère familiale par exemple car elles ont dû représenter l’autorité auprès des enfants dans leur éducation. Finalement dans la sphère économique elles ont travaillé dans les usines et les exploitations agricoles que les hommes ont laissées en partant à la guerre. En bref elles ont assumé le rôle de l’homme durant cette période.

Si on veut théoriser ce qui vient de se passer en France on pourrait dire qu’elles ont obtenu le droit de vote « en récompense du service rendu ». Cette expression a été empruntée à une doctorante qui a fait une thèse sur le droit de vote des femmes en Angleterre.

téléchargement (1)Elles ont obtenu le droit de vote par une ordonnance qui a été promulguée le 21 avril 1944. Elle pose une égalité complète entre les hommes et les femmes. Elles ont le droit de voter et le droit d’être élues donc de se présenter aux élections.

Pour pouvoir voter il faut remplir les même conditions que pour un homme, c’est à dire avoir 21 ans, justifier d’un domicile et s’être inscrit sur les listes électorales.

Avant la promulgation de l’ordonnance il y a eu un débat avec des arguments soit en faveur ou en défaveur de l’octroi du droit de vote aux femmes. On peut citer Ribière qui était en faveur du droit de vote, il pensait que « le vote des femmes n’est pas à craindre : elles vont voter… comme leur mari. »

Il ne vient à l’idée de personne qu’elles puissent voter indépendamment de leur sexe ou d’un conjoint et qu’elles puissent être soumises, comme les hommes, à des déterminants sociologiques tels que leur classe sociale, ou voter selon leur « bon vouloir ».

L’Angleterre durant la guerre de 14-18

téléchargement (2)Le droit de vote des femmes a été acquis en 1918. Pour qu’une femme puisse voter elle devait avoir 30 ans, être mariée et être propriétaire terrienne ou locataire ayant un loyer annuel supérieur à 5 £ivre sterling ou dont le conjoint est lui-même propriétaire ou locataire. Les hommes avaient le droit de voter à partir de 21 ans avec ensuite les mêmes conditions concernant le logement. Pour arriver à avoir un droit de vote parfaitement égal il a fallu attendre 1928 donc dix ans.

Deux thèses s’affrontent concernant les raisons de l’octroi du droit de vote aux femmes. Certains disent que c’est un droit de vote comme récompense car « les femmes avaient en effet répondu massivement à l’appel de leurs dirigeants en remplissant par milliers les usines d’équipements et de munitions indispensables à la guerre et en remplaçant les hommes – qui pouvaient ainsi être libérés pour le front . Les organisations suffragistes elles-mêmes qui, depuis plus de cinquante ans, n’avaient cessé de lutter pour le droit de vote des femmes avaient, dès le début du conflit, suspendu leurs activités pour se mettre au service de la nation ».

Il existe une autre thèse qui cherche à expliquer l’octroi du droit de vote aux femmes en Angleterre. « Le fait est que le Representation of the People Act de 1918 ne fut à aucun moment une mesure destinée aux femmes mais fut occasionné par la nécessité de modifier les registres électoraux afin de pouvoir faire voter les hommes partis au combat, car ceux-ci ne remplissaient plus l’obligation de résidence exigée par la précédente loi électorale. Le système électoral britannique était, en effet, au début de la guerre, encore régi par les lois de 1884 et 1885 selon lesquelles tout individu de sexe masculin devait, afin de jouir du droit de vote, justifier de l’occupation d’un logement de manière ininterrompue pendant les douze mois précédant le 15 juillet écoulé. » Vous comprenez bien que sans cette mesure les hommes partis à la guerre n’aurait pas pu voter.

Si l’on prend un peu plus du recul on s’aperçoit que l’on peut récupérer la décision de l’octroi du droit de vote dans un sens qui nous intéresse. En effet, on peut dire que c’est le gouvernement qui a l’époque a été généreux pour les services rendus durant la guerre, ou plutôt que c’est entièrement grâce aux suffragettes qu’elles ont obtenu le droit de vote. Si on prend du recul on s’aperçoit de la multitude des arguments et à quel point c’est plus difficile d’arriver à expliquer pourquoi on a accordé le droit de vote aux femmes.

En France il ne semble pas qu’il existerait d’autres arguments que celui de la récompense pour service rendu, c’est à dire que c’est grâce à leur engagement qu’elles l’ont obtenu, mais peut-être y en a-t-il?  Or en comparant avec l’exemple britannique on peut conclure en disant qu’il est peu probable que des arguments autres que celui de la récompense pour service rendu existent du fait que les femmes en France ont eu un droit de vote complètement égal avec celui octroyé aux hommes.

Conclusion : la parité dans l’accès aux responsabilités politiques

Même si le droit de vote des femmes est garanti actuellement en France d’autres enjeux demeurent comme celui de la parité. En effet même si de nombreux progrès ont été faits pour garantir l’égal accès des hommes et femmes dans la vie politique, les hommes occupent la majorité des postes par exemple les présidents des conseils départementaux sont à 90 % des hommes.

Laurie Astier et Thérèse Barut