Si Georges Clemenceau estimait que « la guerre, c’est une chose trop grave pour la confier à des militaires », le Conseil constitutionnel a décidé qu’il en allait autrement des affaires communales dans sa décision QPC n°2014-432 du 28 novembre 2014.
Suite à l’élection de M. L., militaire de carrière, en tant que conseiller municipal le 23 mars 2014, le Préfet de la Charente a demandé au tribunal administratif de Poitiers de procéder à l’annulation de son élection. Le 19 juin 2014, le tribunal a ainsi considéré que « n’ayant pas expressément fait connaître son choix dans le délai imparti par les dispositions […] de l’article L. 237 du code électoral, M. L. doit être regardé comme ayant opté pour la conservation de son emploi de militaire » concluant à l’annulation de « son élection comme conseiller municipal de Garat ».
Pour ce faire le tribunal administratif s’est fondé sur l’article L. 46 du code électoral qui dispose que la fonction de militaire est incompatible avec les mandats de conseiller général, de conseiller municipal ainsi que de conseiller communautaire. L’article L. 237 du même code dispose que « les personnes désignées à l’article L. 46 […] qui seraient élues membres d’un conseil municipal auront, à partir de la proclamation du résultat du scrutin, un délai de dix jours pour opter entre l’acceptation du mandat et la conservation de leur emploi. À défaut de déclaration adressée dans ce délai à leurs supérieurs hiérarchiques, elles seront réputées avoir opté pour la conservation dudit emploi ».
Estimant que ces dispositions sont contraires à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, M. L. décida donc de poser une question prioritaire de constitutionnalité au tribunal administratif, question qui donnera l’occasion au Conseil constitutionnel de clarifier les différentes possibilités pour un militaire d’accéder à un mandat électif.
Le Conseil va tout d’abord rappeler les différentes exigences applicables aux militaires, à travers les articles 5, 15, 20 et 21 de la Constitution, ainsi que les obligations de neutralité et de disponibilité qui leur sont imposées par les articles L. 4111-1, L. 4121-1 à L. 4121-3 et L. 4121-5 du code de la défense.
Le Conseil constitutionnel va ensuite écarter différents mandats du champ d’application de l’article L. 46 du code électoral en cela qu’ils disposent d’un régime d’incompatibilité spécifique prévu par d’autres textes. Il en va ainsi du mandat de parlementaire (art. L.O. 142 et L.O. 297 du code électoral), de conseiller régional (art. L. 342), de conseiller de l’assemblée de Corse (art. L. 368), de conseiller à l’assemblée de Guyane ou de Martinique (art. L.558-15) ainsi que des mandats relatifs aux assemblées délibérantes des collectivités ultra-marines.
Il va enfin clarifier le régime applicable aux militaires en examinant séparément chacune des situations d’incompatibilités prévues par le texte, soit celles de conseiller municipal, de conseiller communautaire ainsi que de conseiller général.
Concernant l’incompatibilité prévue avec le mandat de conseiller général, il va juger que celle-ci est conforme à l’article 6 de la DDHC au motif que l’interdiction, « par sa portée, n’excède pas manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l’électeur ou l’indépendance de l’élu contre les risques de confusion ou de conflits d’intérêts ». En justifiant le régime d’incompatibilité par la liberté de choix de l’électeur ainsi que par la protection de l’élu contre les risques de conflits d’intérêts, il ne fait que confirmer sa jurisprudence antérieure, dégagée notamment dans sa décision n°2000-426 DC du 30 mars 2000 sur la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d’exercice. Ce considérant de principe a d’ailleurs été réaffirmé plus récemment dans des décisions relatives à la loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (Décision n° 2014-689 DC du 13 février 2014), à la loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (Décision n° 2014-688 DC du 13 février 2014).
Concernant l’incompatibilité prévue avec le mandat de conseiller communautaire, le Conseil abrègera l’analyse en considérant qu’il « en va de même » que pour le mandat de conseiller général.
Cependant, concernant le mandat de conseiller municipal, l’analyse sera toute autre puisque les sages de la rue Montpensier vont estimer que le législateur, en établissant une incompatibilité générale et absolue, a violé l’article 6 de la Constitution. Pour aboutir à ce résultat, il va exercer un contrôle in concreto et reprocher au législateur de ne pas avoir tenu compte de la situation professionnelle du militaire (notamment de son grade, des responsabilités qu’il exerce et de son lieu d’affectation) mais également de ne pas avoir opéré de distinction en fonction de la taille de la commune où celui-ci aurait été élu. Il s’agit ainsi d’un véritable appel du pied fait au législateur afin que celui-ci adopte un régime différencié d’incompatibilité tenant compte à la fois de la situation du militaire et de la taille de la commune. Il semblerait que le Conseil constitutionnel considère ainsi que le mandat de conseiller municipal d’une grande ville suppose un engagement partisan fort, contrairement à un mandat exercé dans une commune de taille plus modeste. Cette hypothèse avait d’ailleurs été abordée dans le rapport de la commission de révision du statut général des militaires, présidée par Renaud Denoix de Saint Marc, qui affirmait que « l’exercice d’un mandat municipal dans une petite commune par un militaire en position d’activité ne paraît pas incompatible avec le principe de neutralité ». En dépit de cette possibilité, la commission avait conclu que « si l’exercice d’un mandat municipal en position d’activité ne paraît pas inenvisageable au plan des principes, il n’apparaît pas opportun à la commission d’en ouvrir la possibilité, tant il faudrait l’assortir de conditions étroitement restrictives et largement dérogatoires au droit électoral ».
Il semble donc que le Conseil constitutionnel en ait décidé autrement.
Mehdi Taboui