Résultats du 1er tour des élections législatives de 2022 : quelques remarques de droit électoral et constitutionnel [R. Rambaud]

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Au lendemain du 1er tour des élections législatives du 12 juin 2022, les commentaires sur les résultats sont très nombreux. Comme il était prévisible, ces derniers sont particulièrement intéressants en ce qu’ils n’ont pas suivi la pente habituelle depuis le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. A la différence du phénomène classique de confirmation très nette de l’élection présidentielle qui a prévalu depuis 2002 garantissant une majorité écrasante au Président de la République, une autre réalité politique se dessine.

Les résultats publiés par le Ministère de l’intérieur sont les suivants :

Nuances de CandidatsVoix% Inscrits% ExprimésNb Sieges
Divers extrême gauche266 3710,541,17
Parti radical de gauche126 7070,260,56
Nouvelle union populaire écologique et sociale5 836 20211,9225,664
Divers gauche713 6411,463,14
Ecologistes608 1791,242,67
Divers192 6300,390,85
Régionaliste291 3920,601,28
Ensemble ! (Majorité présidentielle)5 857 56111,9725,751
Divers centre283 6130,581,25
Union des Démocrates et des Indépendants198 0550,400,87
Les Républicains2 370 8114,8410,42
Divers droite530 7751,082,33
Droite souverainiste249 6100,511,10
Reconquête !964 8681,974,24
Rassemblement National4 248 6268,6818,68
Divers extrême droite6 4570,010,03
Nombre% Inscrits% Votants
Inscrits48 953 984
Abstentions25 696 47652,49
Votants23 257 50847,51
Blancs360 8440,741,55
Nuls151 1660,310,65
Exprimés22 745 49846,4697,80

Bien entendu, ces chiffres suscitent de nombreuses réactions, qui ne seront pas toutes reprises ici en ce qu’elles ne présentent pas de caractère original. D’autres analyses méritent qu’on s’y attarde davantage.

Un nouveau record d’abstention

L’abstention, bien entendu, qui atteint 52,49 % des inscrits, soit 47,51 % de votants seulement, bat un nouveau record. En 2017, elle avait déjà atteint les 51,3 %, soit ici une augmentation de plus d’un point. Une tendance qui naturellement s’applique hélas pour toutes les élections et dont l’explication est multiple : désintérêt pour la politique et les élections en général, désintérêt pour les élections législatives en particulier suivant la présidentielle, campagne électorale atone, etc., l’ensemble étant facilité, de notre point de vue, par un droit électoral toujours aussi peu moderne et peinant à mobiliser les électeurs. Il est à parier que de nombreux électeurs ne savaient même pas que des élections législatives étaient organisées.

La question est désormais celle de savoir s’il y aura ou non une remobilisation pour le second tour. En 2017, l’abstention avait augmenté pour le second tour, s’établissant à 57,36 % des suffrages ! La même tendance sera-t-elle observée ou au contraire, la spécificité de la structure des résultats en 2022 conduira-t-elle certains électorats à se remobiliser ? Nul doute en tout cas que la campagne électorale sera probablement plus intense cette semaine…

La confirmation politique du 1er tour de l’élection présidentielle : un paysage politique morcelé en trois blocs distincts

Les résultats quant à eux sont particulièrement originaux à ce stade, dans la mesure où ils ne montrent pas de dynamique particulièrement forte pour la majorité sortante, mais s’analysent plutôt comme une réplique du 1er tour de l’élection présidentielle, confirmant la répartition du paysage politique en trois blocs clairement distincts.

D’après les résultats du ministère de l’intérieur, Ensemble ! (la majorité présidentielle) arrive en tête du scrutin avec 25,75 % des voix, là où la NUPES obtient 25,66 % des suffrages, soit 0,09 % des suffrages et 21359 voix de plus.

On constate donc d’abord qu’il n’y a pas eu, à la différence des élections législatives précédentes depuis l’inversion du calendrier électoral, de raz de marée pour le Président sortant dès le premier tour. Les explications sont multiples : première réélection d’un Président sortant depuis le quinquennat et première réélection d’un Président sortant au suffrage universel hors cohabitation (de Gaulle ayant été la première fois élu au suffrage universel indirect), temps particulièrement long entre l’élection présidentielle (24 avril) et les élections législatives (12 juin), dynamique de campagne, polémiques de début de mandat, etc.

Un point particulier que l’on peut noter ici est l’intérêt juridique et politique de la présentation de ces résultats, avec la prise en compte de la nuance NUPES en tant que telle par le ministère de l’intérieur, là où dans sa première mouture le ministère n’avait pas acté de l’existence d’une nuance NUPES à part entière mais distingué les différents partis membres de cette alliance. Il avait fallu l’intervention du Conseil d’Etat (ordonnance du 7 juin 2022) pour que la nuance NUPES soit comptabilisée, comme il avait été expliqué sur le présent blog.

Cette présentation a suscité une nouvelle polémique, la NUPES ayant cette fois accusé le ministère de l’intérieur d’avoir artificiellement fait baisser son score en nuançant par ailleurs certains candidats (divers extrême gauche, divers gauche), afin de placer symboliquement Ensemble ! en tête de cette élection. La NUPES revendiquant alors 6.101.968 voix, soit 26,8% des suffrages. La contestation porte notamment sur certains candidats Outre-Mer qui se déclaraient divers gauche dont certains seulement se prévalaient de la NUPES.

Ainsi de son côté, Le Monde a publié des résultats un peu différents de ceux du ministère de l’intérieur. Selon le journal « Les résultats que nous affichons diffèrent légèrement de ceux publiés par le ministère de l’intérieur. Selon nos calculs, la Nupes arrive très légèrement en tête avec 26,10 % contre 25,81 % pour Ensemble !, alors que le site du ministère de l’intérieur donne Ensemble ! légèrement devant avec 25,75 % contre 25,66 % à la Nupes. Nos calculs se basent cependant sur les mêmes chiffres que ceux du ministère de l’intérieur. Alors pourquoi cette différence ? Cela tient à l’étiquetage des candidats que nous avons retenu, lequel peut différer légèrement de celui du ministère. Ainsi, à la Réunion, par exemple, nous avons placé sous l’étiquette Nupes certains candidats de gauche, ce qui n’est pas le cas du ministère. Le ministère de l’intérieur avait d’abord rechigné à considérer la Nupes comme une nuance à part entière. Le Monde, estimant que les choix effectués par la place Beauvau étaient problématiques, a alors procédé à sa propre classification. Finalement, le Conseil d’Etat, saisi par La France insoumise, Europe Ecologie-Les Verts, Génération·s, Génération Ecologie, Les Nouveaux Démocrates, le Parti communiste français, le Parti socialiste et la Nupes, a enjoint au ministère de l’intérieur de « comptabiliser la Nupes comme une nuance politique unique dans la présentation des résultats qui sera faite » lors des deux tours des législatives. Une décision de justice tombée le 7 juin. Le ministère a alors dû procéder dans l’urgence au réétiquetage des candidats. Pour la rédaction du Monde, il était important de fournir aux lecteurs les informations les plus détaillées possible. Les Décodeurs et le service politique avaient publié dès le 12 mai un premier travail de recension des investitures officielles communiquées par certains des partis et coalitions. Nous nous sommes appuyés sur cette base de travail pour commencer à réétiqueter avec le plus de précision possible la liste complète des 6 293 candidatures diffusée par le ministère de l’intérieur le 23 mai au soir. Non sans difficulté : cela représente un travail considérable, qui est ensuite complété par les informations des correspondants du Monde, fins connaisseurs des personnalités locales et de leurs trajectoires. Une base que nous mettons à jour quotidiennement et que nous mettons à disposition de tous ceux qui le souhaitent, en open data sur ce lien« .

Sur le plan juridique, sauf contre-information, il semblerait cependant que des recours soient exclus en pratique (ou rares), car il faudrait cette fois contester les nuances candidat par candidat (et non la circulaire), pour un résultat faible. En tout état de cause et une nouvelle fois, comme il a été dit précédemment, ces accusations sont facilitées par le fait que les nuances sont attribuées par le ministère de l’intérieur : la présence d’une autorité indépendante en charge des élections serait sans doute de nature à résoudre une telle difficulté.

Cependant, cette bataille de chiffres, et les analyses politiques qui l’accompagnent, ne doit pas faire oublier à notre avis le troisième acteur de ces élections législatives : le Rassemblement National, qui réalise une très importante performance avec 18,68 % des suffrages. Il ne faudrait pas l’oublier. Ce premier tour d’élection présidentielle vient donc bien plutôt confirmer la tripartition de la vie politique française.

Les autres forces politiques, en effet, s’effacent, ainsi des Républicains avec 10,42 % des suffrages seulement, malgré leur forte implantation locale.

Du correctif majoritaire à la dose de proportionnelle ?

Bien entendu, ces résultats sont instructifs sur le plan politique mais ne constituent pas une réalité juridique.

Sur le plan juridique, les élections législatives constituent 577 élections se déroulant en deux tours (sauf les 5 sièges acquis au 1er tour d’après les résultats du ministère de l’intérieur), qui opposeront dans la quasi totalité des cas deux candidats seulement, eu égard au fait qu’il est nécessaire pour être présent au second tour soit de réaliser 12,5 % des inscrits (ce qui est très difficile dans un contexte de forte abstention), soit d’être repêché, ce qui ne peut concerner que les deux premiers candidats. Le résultat juridique est l’élection de la personne qui obtient le plus de voix lors de ce second tour.

Cette règle produit des effets totalement différents du scrutin proportionnel, mais est justifiée d’après le Conseil constitutionnel par la nécessité d’assurer une majorité stable : « ces dispositions, qui tendent à favoriser la constitution d’une majorité stable et cohérente à l’Assemblée nationale, n’affectent pas l’égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée » (Conseil constitutionnel, Décision n° 2017-4977 QPC / AN du 7 août 2017, A.N., Gard (6ème circ.) M. Raphaël BELAÏCHE). Entrent alors en considération les reports de voix, les considérations politiques propres à chaque territoire, les personnalités, etc.

L’office du scrutin majoritaire devrait cette fois encore faire son office, empêchant d’après les instituts de sondage la NUPES d’avoir la majorité et Jean-Luc Mélenchon de devenir Premier Ministre. D’après les instituts, la majorité gardera l’avantage dans les projections des 577 sièges de députés, avec une fourchette de 255 à 295 sièges, devant la Nupes (150 à 210). Le Front National est donné entre 25 et 35 sièges. La principale question aujourd’hui semble donc celle de savoir si la majorité présidentielle aura ou non la majorité absolue, ou si elle devra, sur le modèle de 1988, gouverner avec une majorité relative.

Un point intéressant que l’on voudrait souligner ici est que la France, du point de vue politique, semble mûre pour envisager une élection présidentielle suivie d’élections législatives présentant une part de proportionnelle, solution prévue par la réforme institutionnelle de 2019 et que nous proposions également dans notre ouvrage Refonder la Vème République. Il semble que ces trois blocs distincts n’aient jamais auparavant obtenu une telle répartition de leurs résultats électoraux, comme le montre l’excellente infographie réalisée par Laurent de Boissieu pour la Croix. Un éclatement politique plus propice à la proportionnelle qu’au scrutin majoritaire ?

Ces éléments montrent aussi que, sans doute, la déprésidentialisation relative du régime ne passe pas nécessairement par de mauvaises solutions, comme le retour du septennat ou la concomitance des élections présidentielle et législatives, mais surtout par une refonte des élections législatives.

De quoi formuler au final une conclusion optimiste. Et si envisager les élections législatives à la suite de l’élection présidentielle avec une dose de proportionnelle était un bon compromis pour garder l’assise présidentielle de la Vème République tout en donnant aux élections législatives la possibilité de mieux représenter la société française d’une part, et d’éviter une trop grande présidentialisation du régime d’autre part ? Autrement dit, et si la politique commençait dès aujourd’hui à précéder la réforme institutionnelle, la rendant d’autant plus possible ? Sur ce point, on rappellera qu’Emmanuel Macron évoquait dans la PQR la possibilité de mettre en place, peut-être seule, la proportionnelle dès l’automne. Une bonne nouvelle à venir !

Romain Rambaud