Elections de juin : le conseil scientifique renvoie la balle aux pouvoirs publics et regrette l’absence de vote par correspondance et de vote anticipé… [R. Rambaud]

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La loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique dispose dans son article 3 (voir l’article consacré à cette loi sur le présent blog) « qu’au plus tard le 1er avril 2021, le Gouvernement remet au Parlement, au vu d’une analyse du comité de scientifiques mentionné à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, un rapport sur l’état de l’épidémie de covid-19, sur les risques sanitaires à prendre en compte et sur les adaptations nécessaires à la tenue des scrutins et des campagnes électorales les précédant. Ce rapport et l’analyse du comité de scientifiques sont rendus publics sans délai. ». C’est en application de cette disposition que le Conseil scientifique a rendu son avis le 29 mars. Vous pourrez le télécharger en cliquant ci-dessous :

Plusieurs points peuvent être analysés ici : le renvoi au Gouvernement et au Parlement de la décision de maintenir ou de reporter les élections (I), l’analyse de la situation épidémiologique et le constat bien connu que la campagne sera à tout le moins très difficile (II) et, point sur lequel on souhaite insister sur ce blog, la mise en avant du droit comparé et le regret de l’absence de modalités alternatives de vote et notamment de vote par correspondance et de vote anticipé (III). On se posera enfin la question : et maintenant (IV) ?

Le renvoi au Gouvernement et au Parlement quant à la décision de maintenir ou reporter les élections

Alors que le Premier ministre avait indiqué qu’il entendait suivre l’avis du conseil scientifique pour engager ou non la réflexion sur le report des élections, ce dernier a indiqué qu’il s’en tenait à la seule analyse de la situation sanitaire, sans prendre en compte les autres éléments, et sans se prononcer sur la nécessité de procéder au report ou non des élections, décision considérée comme éminemment politique.

« Le Conseil scientifique se situe sur un plan strictement sanitaire, qui le conduit à expliciter les risques associés à différentes situations. Il ne prend pas en compte des éléments plus généraux, par exemple relatifs à l’importance des élections pour la vie démocratique, aux effets de l’abstention, à la sincérité des scrutins, à la constitutionnalité des options envisagées ni aux calendriers électoraux, y compris présidentiels. Ces considérations très importantes s’agissant de scrutins électoraux ne relèvent pas du champ de compétence du Conseil scientifique, qui est strictement limité aux aspects sanitaires. Il incombe aux seules autorités politiques de procéder en toute légitimité démocratique aux appréciations générales, qui dépassent les seuls aspects sanitaires, ainsi qu’aux arbitrages nécessaires, qui sont éminemment politiques s’agissant de l’organisation d’élections ».

Rapport du Conseil scientifique, p. 7

Ou encore :

« Le présent rapport analyse d’un point de vue strictement sanitaire différentes situations, à propos desquelles les autorités publiques prendront les décisions qui leur incombent, lesquelles sont éminemment politiques s’agissant de l’organisation de scrutins électoraux »

Rapport du Conseil scientifique, p. 12.

Cette assertion est tout à fait logique et n’est d’ailleurs pas sans précédent. Dans son avis sur l’organisation ou non des élections municipales au mois de juin 2020, le Conseil scientifique avait adopté la même approche (v. sur ce point l’article du blog du droit électoral du 19 mai 2020). Cette position est logique puisque le Conseil scientifique n’a pas la compétence juridique pour prendre une telle décision, non plus que le seul Gouvernement. Cela relève du Parlement. On ajoutera par ailleurs que si, en droit, le Gouvernement pourrait passer en force puisque le report relève d’une simple loi (qui pourrait être adoptée en lecture définitive par l’Assemblée Nationale, v. infra), il est préférable, d’après les standards internationaux comme il a déjà été dit maintes fois ici, de respecter un consensus politique sur ce sujet.

Une situation épidémiologique incertaine, des opérations électorales possibles mais une campagne électorale qui sera très limitée

Dans son avis, le Conseil scientifique fait valoir la très grande difficulté de se prononcer sur la situation épidémiologique du mois de juin, en raison de la reprise de l’épidémie, de la diffusion du variant anglais, de l’effet ou non de la période estivale sur la diffusion du virus (incertain) et, en parallèle, des effets de la campagne de vaccination. Sur ce dernier point il estime tout de même que :

« Jusqu’à l’été 2021, le nombre de personnes vaccinées en France dépendra du nombre de doses de vaccins reçues et de la capacité à les administrer. Si le calendrier de livraison des doses prévu pour les mois à venir est tenu, ce qui demeure incertain pour la période considérée, on peut supposer qu’à la mi-avril, 10 millions de Français seront vaccinés, 20 millions à la mi-mai et 30 millions à la mi-juin. Ainsi les personnes les plus à risque en raison de leur âge ou de leur comorbidité, soit 16,5 millions de personnes, seraient majoritairement vaccinées à la mi-mai ».

Rapport du Conseil scientifique, p. 5.

Sur ce point, le constat est le même que précédemment : il avait été fait lors des élections municipales, il avait aussi été fait par le rapport Debré (voir sur blog l’article consacré au rapport Debré). Les opérations électorales présentent un risque pouvant être réduit tandis que c’est le campagne électorale qui est ici la plus problématique :

‘Si les autorités décident de la tenue des élections dans un contexte où le niveau de circulation virale reste élevé comme c’est actuellement le cas, particulièrement dans certaines régions, les risques associés aux élections seront d’autant plus importants que le niveau de circulation circulation sera élevé. Les risques auxquels s’exposent les électeurs en allant voter peuvent être réduits par la mise en oeuvre d’un protocole adapté. Il en va de même des risques auxquels s’exposent les personnes participant aux opérations opérations de vote de dépouillement et des risques liés à l’utilisation des locaux, notamment scolaires. En revanche, les risques auxquels s’exposent les candidats et les équipes de campagne pourraient s’avérera plus importants et potentiellement plus délicats à gérer’.

Rapport du conseil scientifique, p. 8.

On savait déjà que la campagne électorale poserait un problème spécifique. C’est la raison pour laquelle le Conseil scientifique espère un « autre modèle » des campagnes électorales en faisant la promotion des campagnes dématérialisées et de la mise en place des numéros verts. On se rappelle ici des évolutions a minima qui ont été décidées par la loi de février dernier : si en effet l’article L. 50-1 du code électoral a été suspendu permettant la mise à disposition de numéros d’appel gratuits à destination des électeurs (ou tout autre dispositif que l’imagination des candidats et des entreprises de communication saura créer), d’autres dispositifs plus offensifs n’ont pas été permis, ainsi notamment de la publicité commerciale qui n’a pas été autorisée, freinant l’utilisation des réseaux sociaux (voir l’article consacré à cette loi sur le présent blog). En revanche, le Conseil scientifique demande une interdiction des réunions publiques à visée électorale, même à l’extérieur, et déconseille les « réunions d’appartement ».

Concernant un éventuel report (qu’on pourrait alors envisager au mois de septembre), le Conseil scientifique indique que :

« Si les autorités décident un report des élections, les risques de contamination seraient sensiblement moindres qu’au cours du mois de juin en raison d’un niveau prévisible de vaccination nettement plus élevé. Fin septembre 2021, entre 40 et 45 millions de personnes pourraient être vaccinées. Ce niveau de vaccination permettra de diminuer significativement la circulation du virus dans la population, et protégera individuellement les personnes vaccinées. Les bénéfices collectifs et individuels de la vaccination seront de nature à atténuer significativement l’ensemble des risques associés aux élections. Même réduits par la vaccination, les risques liés à la campagne électorale continueraient de nécessiter une attention particulière, notamment de la part des personnes n’ayant pas été vaccinées. Un protocole sanitaire sécurisé devra également être mis en œuvre lors des opérations de vote et de dépouillement ».

Rapport du Conseil scientifique, p. 9.

Cependant les choses dépendent largement de la campagne de vaccination et de la non apparition de variants. Par ailleurs on peut douter de l’existence d’une véritable campagne électorale à l’été 2021 si l’élection devait avoir lieu au mois de septembre 2021…

Analyse comparée du Conseil scientifique et regrets sur l’absence d’adaptation du droit électoral français à la Covid-19…

Enfin, on peut souligner que le Conseil scientifique procède à une analyse comparée des différentes élections qui ont pu se tenir en Europe, comparant ainsi l’adaptation des modalités de vote et les chiffres de la participation à ces élections.

Le rapport comporte ainsi une très intéressante annexe, rendue possible grâce à l’aide du ministre des affaires étrangères et européennes, que nous reproduisons ci-dessous, et qui est terrible pour la France lorsque l’on constate les adaptations dont on su faire preuve d’autres pays. Ces derniers mois, la quasi-totalité des pays européens ont organisé leurs élections grâce à des mesures d’adaptation de leur droit électoral : la Pologne (vote par correspondance), la Lituanie (vote anticipé), le Portugal (vote par correspondance et vote anticipé), l’Espagne (vote par correspondance), l’Allemagne (vote par correspondance), les Pays-Bas (vote anticipé sur trois jours), le Royaume-Uni (vote par correspondance), Norvège (vote anticipé). Seule la Finlande a décidé, comme la France, de reporter ses élections.

Comme nous l’avions déjà dit sur ce blog, dans de nombreux articles scientifiques et de nombreux articles de presse (v. par exemple l’article du Figaro de Loris Boichot), il y a eu une véritable incapacité de la France à adapter son droit électoral à la Covid-19, à la différence de beaucoup d’autres pays dans le monde. Le constat est terrible pour notre pays, qui donne hélas raison aux analyses qui ont été faites de très nombreuses fois sur ce blog. Sur ce point, on pourra regretter le conservatisme de nombreux acteurs : ministres, parlementaires, élus, partis politiques et candidats, universitaires, qui ont finalement été majoritaires.

Le conseil scientifique a ainsi raison de le regretter, concernant le vote anticipé et le vote par correspondance (on ne partage pas son avis en revanche concernant le vote électronique…)

« Bien qu’il soit plus complexe à organiser et ne soit pas habituellement privilégié en France, un étalement sur plusieurs jours, comme réalisé aux dernières élections législatives néerlandaises, peut réduire la densité de personnes au sein d’un même lieu et éviter des files d’attente à l’extérieur du bureau de vote »

Rapport du Conseil scientifique, p. 11-12.

« Finalement, le Conseil scientifique regrette que la digitalisation des votes et le vote par correspondance ne puisse être envisagé pour ces élections »

Rapport du Conseil scientifique, p. 12.

Conclusion : et maintenant ?

La balle se trouve désormais renvoyée dans le camp du Gouvernement et du législateur. Sur ce point, il nous semble qu’il est juridiquement encore possible de reporter les élections pour cause de crise sanitaire, par exemple en septembre/octobre, par l’adoption d’une loi : ce report nous semble constitutionnel tant qu’il ne conduit à reporter les élections régionales après l’élection présidentielle (voir article sur le blog du droit électoral du 19 octobre 2020). Le rapport Debré était également allé en ce sens (voir sur blog l’article consacré au rapport Debré).

On pourrait aussi penser, ce serait une solution, repousser les élections d’une semaine, ce qui serait possible dans le cadre de la loi actuellement en vigueur, qui prévoit : « I. – Compte tenu des risques sanitaires liés à l’épidémie de covid-19, les premier et second tours du prochain renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse et des assemblées de Guyane et de Martinique ont lieu en juin 2021 ». C’est le décret n° 2021-251 du 5 mars 2021 portant convocation des collèges électoraux pour procéder à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des conseillers à l’Assemblée de Corse, des conseillers à l’assemblée de Guyane et des conseillers à l’assemblée de Martinique qui a fixé les dates des 13 et 20 juin mais il serait possible d’organiser ces élections les 20 et 27 juin en restant dans le cadre fixé par cette loi. Le Gouvernement peut décider cela seul.

Il faut cependant insister ici sur plusieurs éléments. Tout d’abord, comme il a déjà été indiqué à de nombreuses reprises, le consensus politique est préférable en la matière. Il est probable que si le Gouvernement décidait d’un report à l’automne, ce consensus serait impossible à atteindre et il faudrait alors reporter les élections en forçant au Parlement, par une lecture définitive à l’Assemblée Nationale, peut-être, si la majorité même y était hostile, à coup de 49 al. 3. Il faut évidemment à tout prix éviter une telle situation.

Ensuite, serait-ce utile ? Si la vaccination fonctionne, les personnes fragiles seront immunisées et pourront aller voter en juin sans risque particulier. De ce point de vue, le report en septembre/octobre n’aurait guère d’intérêt pour la campagne électorale, qui ne pourrait se dérouler de toute façon correctement pendant les congés d’été. Cela aurait par ailleurs pour effet de parasiter l’élection présidentielle, juridiquement et politiquement.

Enfin, il est préférable d’éviter de laisser penser que le pouvoir exécutif cherche à manipuler le calendrier électoral. Cela ne pourrait se faire qu’à son détriment et au détriment de la démocratie française qui, en tout état de cause, ne ressortira pas grandie de cette pandémie. Il est sur ce point déjà trop tard.

A suivre : Marlène Schiappa est auditionnée ce jeudi devant le Sénat concernant les suites que le Gouvernement entend donner à ce rapport.

Romain Rambaud