Ainsi que le rappellent nombre de médias aujourd’hui, les élections sénatoriales ont lieu demain : le Sénat a d’ailleurs élaboré une très belle infographie pour expliquer le fonctionnement de ces élections complexes, qui sera mise à jour au fur et à mesure des résultats des élections: complète et claire, elle mérite d’être consultée.
Pour ce qui nous concerne, on se contentera ici de procéder à un rappel du fonctionnement général de ces élections puis de retracer quelques éléments s’agissant des enjeux politiques de cette élection.
Les nouvelles règles des sénatoriales de 2014
L’élection sénatoriale de 2014 sera particulière car elle répond à de nouvelles règles, issues d’une série de modifications législatives intervenues depuis 2003, notamment en 2011 et 2014, et dont Le Figaro propose un très bon résumé, et que nous développons de façon plus approfondie ci-dessous.
En vertu de l’article 24 de la Constitution, « Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat ». Le rôle particulier du Sénat de représentation des collectivités territoriales explique les spécificités de ce scrutin :
Le renouvellement partiel
Comme pour les députés, le nombre de sénateurs est fixé par la loi organique en vertu de l’article 25 de la Constitution : il s’agit de la loi organique du 30 juillet 2003 portant réforme de la durée du mandat et de l’âge d’éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat. Ce nombre est actuellement de 348, soit le plafond autorisé par la Constitution. Mais les sénatoriales de dimanche conduiront au renouvellement de 178 sénateurs.
En effet, traditionnellement, le Sénat se renouvelle périodiquement : un tel renouvellement est garant de la sagesse de la Haute Assemblée, d’après la doxa constitutionnaliste traditionnelle.
Depuis 1875, et cela avait été repris en 1958, les sénateurs étaient élus pour neuf ans et le renouvellement se faisait par tiers tous les trois ans. Toutefois, après la réforme du quinquennat présidentiel, le mandat de neuf ans apparaissait vraiment trop long, et en décalage avec le nouveau rythme quinquennal de la vie politique, d’autant qu’en Europe aucune Assemblée n’avait un mandat supérieur à 6 ans. Depuis la réforme constitutionnelle de l’acte II de la décentralisation en 2003, le mandat des sénateurs est de six ans et se renouvelle par moitié tous les trois ans.
L’éligibilité
Concernant l’éligibilité, elle est classique mais il y a quelques règles spécifiques, par exemple en matière d’incompatibilités pour les fonctionnaires d’autorité qui sont inéligibles dans toute circonscription comprise dans le ressort territorial où ils ont exercé des fonctions depuis moins de six mois. Il s’agit des préfets, des magistrats des tribunaux, des recteurs d’académie, des commissaires de police, etc. Toutefois ces personnes peuvent candidater en dehors du ressort territorial où ils exercent leurs fonctions.
Par ailleurs, il y a une spécificité en termes d’âge, puisqu’il faut avoir, depuis la loi organique n° 2011-410 du 14 avril 2011, au moins 24 ans pour être élu sénateur. L’âge est gage de sagesse, et l’on peut être déjà vieux à 24 ans.
Il faut faire une déclaration de candidature : celles-ci sont disponibles sur le site du Sénat.
Le collège électoral
La spécificité du rôle du Sénat dans sa fonction de représentation des collectivités territoriales se manifeste également par son mode d’élection, modifié récemment, dans la confidentialité de l’été 2013, par la loi n° 2013-702 du 2 août 2013 relative à l’élection des sénateurs, non contrôlée par le Conseil constitutionnel et modifiant les article s. 280 et s. du Code électoral (dispositions qui ne relèvent pas de la loi organique mais d’une simple loi ordinaire).
Concernant le collège électoral, il s’agit d’un collège composé d’élus. Toutefois, le collège électoral dépend de la catégorie de sénateurs :
En ce qui concerne les sénateurs représentant les français de l’étranger, c’est la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France qui établit dans son titre III les modalités d’élection des sénateurs représentant les français établis hors de France, qui sont spécifiques. Selon cette loi, les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont élus par un collège électoral composé des députés élus par les Français établis hors de France, des conseillers consulaires et des délégués consulaires, selon un système très complexe qui fait intervenir notamment l’Assemblée des français de l’étranger, organisme consultatif crée en 2004.
En ce qui concerne les autres sénateurs, ils sont élus dans un département ou un territoire d’outre-mer, et le collège électoral manifeste la logique propre de ces élections. D’après le nouvel article 280 du Code électoral, « La composition du collège électoral appelé à élire les sénateurs assure, dans chaque département, la représentation des différentes catégories de collectivités territoriales et de la diversité des communes, en tenant compte de la population qui y réside ». Cette formulation symbolique, voulue par les sénateurs lors de la réforme de 2013, n’est pas sans portée.
Ce collège électoral est composé : des députés et des sénateurs, des conseillers régionaux de la section départementale correspondant au département (désignés par le Conseil régional), des conseillers généraux, des délégués des conseils municipaux ou des suppléants de ces délégués.
Plusieurs points peuvent être soulignés.
Tout d’abord, on peut noter que depuis la loi du 2 août 2013, les sénateurs sont membres du collège électoral qui élit les sénateurs, ce qui assez drôle même si cette disposition n’aura probablement aucun effet important.
Plus classique, si ce collège comprend des députés, des sénateurs et des conseillers généraux, tous déjà désignés, la dernière catégorie, les délégués des conseils municipaux, n’est pas encore désignée : c’est-à-dire qu’il faut les élire auparavant, or ceux-ci représentent 95 % de l’effectif global. La désignation de ces délégués est organisée par les articles L. 283 et s. du code électoral . Ils sont élus 6 semaines au moins avant l’élection des sénateurs, selon des modalités qui avantagent les petites communes. Pour les communes de moins de 9000 habitants, le nombre de délégués varie de 1 à 15 en fonction de la taille du conseil municipal, pour les communes de plus de 9000, tous les conseillers municipaux (sauf les étrangers) sont délégués de droit, et au-delà de 30.000 habitants, les conseilleurs désignent en plus des délégués supplémentaires, 1 pour 800 habitants depuis la réforme d’août 2013 contre 1 pour 1000 habitants avant la réforme de 2013, ce qui a pour effet d’atténuer un peu la sous-représentation des grandes villes, sans aller très loin dans la réalité. Cela fait un tout un collège électoral de 150.000 personnes environ.
Pour l’élection de dimanche, d’après le Sénat, le nombre total de grands électeurs est de 87 534, puisqu’il s’agit de renouveler la moitié du Sénat.
Le mode de scrutin
Le mode de scrutin est particulier et a été modifié par la loi du 2 août 2013.
La circonscription de base est le département, mais le mode de scrutin varie en fonction du département, et plus précisément en fonction du nombre de sénateurs à élire par département (tableau n°6 annexé au Code électoral). Parfois c’est au scrutin majoritaire (petits départements) parfois c’est au scrutin proportionnel (grands départements) :
En vertu de l’article L294 du code électoral nouveau, dans les départements où sont élus deux sénateurs ou moins, l’élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours (avant, c’était trois).
En vertu de l’article L295, dans les départements où sont élus trois sénateurs ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Sur chaque liste, les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation (avant, c ‘était quatre).
D’après l’infographie du Sénat, parmi les 178 sièges concernés, 119 sont à pourvoir à la représentation proportionnelle et 59 au scrutin majoritaire.
Or, le choix du mode de scrutin n’est pas neutre politiquement, car on considère que, le corps électoral étant conservateur, le scrutin proportionnel a plutôt tendance à avantager la gauche. La majorité étant de gauche actuellement, l’abaissement du seul de la proportionnelle (trois au lieu de quatre) pourrait la favoriser dans le cadre des prochaines sénatoriales, ou en tout cas permettre de modifier la casse. C’est en tout cas ce que certains ont pu vouloir en déduire. Mais le calcul risque de s’avérer hasarder demain.
Le financement de la campagne et le contentieux électoral
En vertu de l’article 59 de la Constitution : « Le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des députés et des sénateurs. » Ce contentieux électoral, par renvoi du code électoral, suit les mêmes règles que celui de l’Assemblée Nationale et relève du Conseil constitutionnel (article LO 325 du Code électoral). Le Conseil constitutionnel a lui aussi préparé, pour le contentieux des élections sénatoriales à venir, un dossier fort intéressant à consulter.
S’il n’y a pas lieu ici de revenir sur l’intégralité du contentieux des sénatoriales devant le Conseil constitutionnel, on peut remarquer qu’il y aura une originalité du contentieux de cette année, puisque en vertu de l’article L. 308-1 du code électoral modifié par la loi du 14 avril 2011, les dispositions du chapitre V bis du titre Ier du livre Ier du code électoral, relatif au financement et au plafonnement des dépenses électorales, sont désormais applicables aux candidats aux élections sénatoriales. Cette disposition ne s’était pas appliquée pour les élections sénatoriales de 2011 car en vertu de l’article 30 de la loi, cette disposition n’était applicable qu’à « compter du premier renouvellement du Sénat suivant le prochain renouvellement de cette assemblée, prévu en septembre 2011 ». C’est donc la première fois que la législation relative aux comptes de campagne va s’appliquer de manière pleine aux élections sénatoriales.
Par conséquent, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pourra saisir le Conseil et le contentieux de l’élection peut également porter sur la contestation du financement de la campagne du candidat élu. Il sera très intéressant de voir la manière dont cette législation s’appliquera cette année… par manque d’habitude, elle risque de donner lieu à un certain nombre de difficultés ! Affaire à suivre !
Les enjeux politiques de l’élection
Pour ce qui concerne les enjeux politique de l’élection, on fera plus court et l’on se contentera pour l’essentiel de renvoyer à un article du Monde sur ce sujet pertinemment intitulé « La droite se prépare à reconquérir le Sénat ». Mais sur ce sujet, la presse est tout à fait unanime : le Figaro, les Echos, etc.
En effet, d’après Le Monde, 130 UMP, 128 Ps, 31 UDI, 19 RDSE, 10 écologistes, 5 non-écrits siègent actuellement au Sénat, et 4 sièges sont vacants. Or, les dernières élections municipales ayant causé un raz de marée de la droit dans les communes, le PS devrait perdre sa majorité, déjà très faible : l’UMP, dont 77 sièges sont renouvelés, espère en avoir après les élections entre 90 et 92, les centristes conserver leurs sièges voire en gagner, ce qui porterait la majorité de droite à 182-185, alors que la majorité est à 172.
Si ce pronostic se confirme, le basculement du Sénat pendant 2 ans sera resté une exception historique. Les enseignement de l’histoire longue ont la vie dure.
Vérification demain ?
Romain Rambaud