Vote par correspondance : le Sénat avance ! [R. Rambaud]

Alors que le Projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire est en cours de discussion au Parlement, les sénateurs font à juste titre avancer le débat sur la mise en œuvre d’un vote par correspondance, solution indispensable pour adapter le droit électoral français à l’épidémie de Covid-19 en vue des élections départementales et régionales, qu’elles soient ou non reportées (sur ce sujet, voir notre article précédent sur le blog portant sur la constitutionnalité d’un éventuel report).

Un amendement en faveur du vote par correspondance voté par la commission des lois du Sénat

L’initiative vient, de longue date déjà, du sénateur et politologue Eric Kerrouche. Lors des discussions préalables à la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires, un dispositif visant à instaurer un vote par correspondance avait déjà été adopté par le Sénat. Il n’avait pas pu prospérer à l’Assemblée Nationale au motif que les conditions n’étaient pas réunies pour sécuriser cette nouvelle modalité de vote dans les délais impartis, ce sur quoi on pouvait s’accorder à l’époque sur le fondement du principe de stabilité du droit électoral.

Mais aujourd’hui, comme l’indique le sénateur Kerrouche dans son amendement, « Cette justification, qui pouvait apparaître légitime, ne peut pas expliquer l’absence de réflexion sur ce sujet dans la perspective des prochaines échéances électorales de 2021. Le contexte sanitaire du Coronavirus ne constitue désormais plus un fait conjoncturel, mais bel et bien structurel. Il convient de le prendre en considération comme tel, ainsi que l’exécutif nous y invite régulièrement en déclarant qu’« il faut apprendre à vivre avec le virus. » L’imprévisibilité et l’impréparation ne sont désormais plus des arguments recevables ». On ne peut que le rejoindre lorsque celui indique que « afin de pouvoir assurer une continuité démocratique et le respect des principes démocratiques lors des prochains scrutins électoraux, cet amendement propose d’instaurer un vote par correspondance, sous pli fermé, qui garantirait le secret du vote et la sincérité du scrutin lors des scrutins électoraux de mars 2021. De nombreuses démocraties le pratiquent, et leurs électeurs y ont davantage recours lors de récents scrutins, ou lors du prochain scrutin présidentiel aux Etats-Unis. Pourquoi la France, qui le pratique notamment pour les français de l’étrangers, serait-elle incapable d’en faire de même? ».

Cet amendement a été repris de façon transpartisane en commission, où il vient d’être adopté sur la base d’un amendement modifié proposé par le rapporteur Philippe Bas. L’exposé des motifs, que l’on ne peut que rejoindre, est rédigé de la façon la plus claire :

« Cet amendement vise à sécuriser le déroulement des élections régionales et départementales, prévues en mars 2021. Certes, le Gouvernement a annoncé la création d’une commission présidée par Jean-Louis Debré pour évaluer la possibilité d’un report de ces scrutins. Néanmoins, « vivre avec le virus » implique de préserver notre vie démocratique, tout en protégeant les citoyens dans l’accomplissement de leurs droits civiques ainsi que les personnes participant à l’organisation des scrutins (membres des bureaux de vote, scrutateurs, agents municipaux, etc.).

Au-delà des élections régionales et départementales, renoncer à organiser des élections en raison de l’épidémie pourrait remettre en cause l’élection présidentielle de mai 2022, dont la périodicité relève pourtant de l’article 6 de la Constitution. Notre droit doit ainsi s’adapter à la situation sanitaire, ce qui nécessite de prendre des précautions très en amont des scrutins pour ne pas être pris au dépourvu.

Dès lors, le présent amendement propose trois mesures concrètes pour sécuriser les élections régionales et départementales de mars 2021 […] dont :

   – Autoriser le vote par correspondance « papier », en suivant l’exemple de la Bavière ou de certains cantons suisse. De nombreuses précautions seraient prises pour éviter les fraudes : documents pour s’assurer de l’identité des votants, conservation des plis dans un lieu sécurisé du tribunal d’instance, acheminement des plis par des officiers de police judiciaire (OPJ), etc. »

Ce diagnostic nous semble tout à fait juste. Le nouvel article prévoit ainsi que :

« VII.- Outre le vote à l’urne, les électeurs peuvent voter par correspondance dans les conditions fixées au présent VII.

Le matériel de vote par correspondance est adressé aux électeurs au plus tard le deuxième lundi qui précède le scrutin. En l’absence de réception dans le délai imparti, l’électeur peut saisir le ministère de l’intérieur, le cas échéant par voie électronique.

Ce matériel comporte trois enveloppes : une enveloppe d’expédition, une enveloppe d’identification et une enveloppe électorale.

Afin de permettre le contrôle de son identité, l’électeur signe l’enveloppe d’identification. Il y insère une copie d’une pièce d’identité ainsi qu’un justificatif de domicile.

Son pli est transmis au tribunal d’instance par voie postale ou par les autorités compétentes pour établir les procurations.

Dans l’attente du scrutin, les plis sont conservés dans un lieu sécurisé du tribunal d’instance. Le greffier en chef tient un registre du vote par correspondance, un numéro d’ordre étant apposé sur chaque pli. Tout électeur et tout candidat, ou son représentant, peut consulter le registre et y consigner leurs observations relatives aux opérations du vote par correspondance.

Le jour du scrutin, les plis sont acheminés jusqu’au bureau de vote par les autorités compétentes pour établir les procurations.

À la clôture du bureau de vote, son président et ses assesseurs indiquent le numéro du pli sur la liste d’émargement et introduisent l’enveloppe contenant le bulletin de vote dans l’urne, après s’être assurés que l’électeur concerné n’a pas déjà voté.

À l’issue du scrutin, les enveloppes d’identification et leur contenu ainsi que les plis parvenus après la fermeture du bureau de vote sont conservés jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux ».

Une avancée indispensable soutenue par le blog du droit électoral

Si l’on pourrait discuter des choix opérés quant aux modalités du vote par correspondance, il reste qu’incontestablement, cet amendement va dans le sens qui est nécessaire pour garantir que le scrutin se déroulera dans des conditions démocratiques satisfaisantes, comme nous l’indiquions déjà précédemment dans une vidéo proposée par maître Eric Landot :

De nombreux pays, comme l’Allemagne, la Suisse, la Pologne, les Etats-Unis, ont décidé avec succès de mettre en place le vote par correspondance pour faire face à la crise de la Covid-19. D’autres solutions sont envisageables, telles que le vote anticipé.

Il est désormais absolument impératif que l’Assemblée Nationale et le Gouvernement le votent en l’état ou avec modification, tant la question du « comment » faire les élections à venir semble aussi impérative que celle du « quand », les deux questions ne se posant que l’une avec l’autre !

Le blog du droit électoral soutient ce projet, comme le montre la pétition que nous avons déposé à la fois sur le site des pétitions de l’Assemblée Nationale et du Sénat, que vous vous pouvez signer dans la colonne de droite du blog, et ci-dessous. N’hésitez pas à soutenir cette initiative !!!

Affaire à suivre !

Romain Rambaud