07/03/2017 : L’hypothèse du report de l’élection présidentielle s’éloigne : débats autour de l’article 7 de la Constitution [R. Rambaud]

Il est un débat qui agite le landerneau médiatique, national et même local, à mesure que la date du 17 mars approche : l’hypothèse d’un report de l’élection présidentielle. Sur ce sujet, beaucoup de choses ont été écrites et des collègues en ont déjà beaucoup discuté, de sorte qu’on peut renvoyer largement à leurs travaux. Cependant, puisqu’il ne faut sans doute pas que le blog du droit électoral reste en dehors de cette discussion, et même si cette hypothèse s’éloigne depuis les événements de lundi, plions-nous rapidement à l’exercice de droit fiction qui consisterait à imaginer l’utilisation de l’article 7 de la Constitution. Cela nous permettra de soulever quelques problèmes moins médiatisés mais néanmoins cruciaux.

L’hypothèse de l’utilisation de l’article 7 de la Constitution

Il semblerait que le Conseil constitutionnel et le Président de la République aient réfléchi à l’hypothèse. Du point de vue constitutionnel et médiatique, c’est semble-t-il par un tweet du Professeur Dominique Rousseau (auquel on beaucoup renvoyé sur ce blog, notamment pour ses travaux sur la radicalisation de la démocratie et la démocratie continue, qui ont inspiré nos propres réflexions sur l’évolution du droit électoral) du 1er février 2017 que tout a commencé. Celui-ci envisageait effectivement l’hypothèse : « si Fillon empêché, le 10 mars, le CC peut décider le report de l’élection présidentielle. Elle aurait alors lieu 35 jours après décision CC ».

Ce faisant, Dominique Rousseau faisait référence aux dispositions prévues à l’article 7 de la Constitution, introduites par la réforme de la loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976 (suite au décès de Georges Pompidou qui avait marqué à l’époque), qui prévoient les hypothèses de décès ou d’empêchement pendant la campagne présidentielle. Plus précisément, il s’agit des cas prévus aux alinéas 6, 7 et 8 de l’article 7 de la Constitution :

« Si, dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate décède ou se trouve empêchée, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection.

Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, le Conseil constitutionnel prononce le report de l’élection.

En cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits éventuels, le Conseil constitutionnel déclare qu’il doit être procédé de nouveau à l’ensemble des opérations électorales ; il en est de même en cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats restés en présence en vue du second tour ».

Cet article 7 distingue donc trois hypothèses différentes. La première donne une faculté au Conseil constitutionnel de reporter l’élection au cas où un candidat potentiel décède ou se trouve empêché avant la date limite de réception des présentations (cette année, le 17 mars à 18h). La deuxième oblige le Conseil à reporter l’élection dans le cas où c’est un candidat officiel, donc après la publication de la liste des candidats, qui décède ou se trouve empêché (date non fixe mais à partir du 18 mars et jusqu’au 7 avril au plus tard cette année). La troisième oblige le Conseil constitutionnel à faire recommencer l’ensemble des opérations électorales quand le décès ou l’empêchement a lieu entre les deux tours de l’élection présidentielle.

Même si l’abandon d’Alain Juppé prive la question de son intérêt, c’est bien la première hypothèse (mais la deuxième pourrait se poser) qui a d’abord retenu l’attention de Dominique Rousseau et qui a ouvert les discussions de la doctrine et des spécialistes. Cette discussion a permis de faire le point sur l’article 7, qui à ce stade n’a jamais été utilisé. Cette année sera-t-elle la première qui verra l’article 7 opérer ?

La question de la saisine du Conseil constitutionnel

Tout d’abord, le débat a permis de mettre en avant le fait que dans une telle hypothèse, la première question posée est celle de savoir si le Conseil constitutionnel peut décider seul ou non d’un tel report, c’est à dire s’il peut ou non s’auto-saisir. Sur ce point, la réponse semble être négative et une analyse complète a été faite par Pascal Jan sur son blog, à laquelle nous renvoyons. L’article 7 al. 9 dispose en effet ici que « Dans tous les cas, le Conseil constitutionnel est saisi dans les conditions fixées au deuxième alinéa de l’article 61 ci-dessous ou dans celles déterminées pour la présentation d’un candidat par la loi organique prévue à l’article 6 ci-dessus », c’est à dire que le Conseil constitutionnel ne pourrait décider du report que s’il est saisi par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat, ou 60 députés ou sénateurs, ou encore par 500 personnes habilitées à présenter des candidats à l’élection présidentielle (venant de 30 départements différents et sans que 50 demandes puissent venir du même département). Le Conseil constitutionnel ne peut donc pas s’auto-saisir et il faudrait qu’une autorité politique, des parlementaires, ou 500 élus pouvant présenter, décident de lui demander expressément le report de l’élection présidentielle. Il n’est pas dit que cela sera fait, notamment depuis les événements de lundi, à savoir l’abandon d’Alain Juppé et la réaffirmation de François Fillon.

En tout état de cause, le Conseil constitutionnel devrait être saisi à partir du 10 mars. Le texte prévoit en effet : « Si, dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate »… Cela signifie que le Conseil peut reporter dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures (le 17 mars) c’est à dire à partir du 10 mars en l’espèce. Quant à la disposition « une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate », il faut l’entendre comme voulant dire ayant annoncé ou « ré-annoncé » sa décision de se porter candidat. Une des raisons pour lesquelles François Fillon a tant affirmé que sa mise en examen ne le ferait pas reculer ?

Le problème de la définition de l’empêchement

Dans un second temps, même à imaginer le Conseil constitutionnel saisi, encore faut-il que le candidat soit décédé ou empêché au sens de l’article 7. C’est donc la question de la définition juridique de l’empêchement qui poserait alors question, comme le souligne Jean-Philippe Derosier dans son blog. Il ne semble pas que l’empêchement soit ici constaté :  il ne s’agit ni de maladie, ni d’impossibilité physique et extérieure au candidat pour mener campagne. Les difficultés auxquelles F. Fillon fait face sont des difficultés politiques liées à ses propres engagements. Cependant, Dominique Rousseau considère au contraire qu’une impossibilité de faire campagne liée à des scandales pourrait constituer un empêchement au sens de ces dispositions.

Dans un tel cas de figure, le Conseil constitutionnel devrait sans doute mener une analyse en décidant d’abord de prendre en compte des éléments de droit ou de fait. En droit, la question qui se pose est celle de la mise en examen, dont François Fillon a annoncé qu’elle lui serait signifiée le 15 mars. De ce point de vue, la mise en examen ne semble pas pouvoir être considérée à elle-même comme un empêchement, pour deux raisons.

D’une part, parce que si la mise en examen peut être une mesure préalable à des actes de coercition adoptés par le juge (contrôle judiciaire, assignation à résidence, détention provisoire), elle est en elle-même une mesure de protection vis-à-vis de la personne contre qui l’enquête est menée puisqu’elle l’informe de la situation, lui donne accès à un avocat, lui permet de demander à ce que des actes d’instruction soient menés (Article 82-1 et s. du code de procédure pénale). Par elle-même, elle n’empêche sans doute pas.

Par ailleurs, s’ il devait y avoir des mesures de coercition, elles feraient l’objet de mesures supplémentaires qui se heurteraient immédiatement à une difficulté : François Fillon est protégé par son immunité parlementaire prévue par l’article 26 de la Constitution, en vertu de laquelle « Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ».

L’immunité parlementaire ne fait pas obstacle à l’ouverture d’une enquête, ni à l’engagement des poursuites. Un parlementaire peut être entendu en qualité de témoin ou de mis en cause, ou interrogé et mis en examen par un juge d’instruction. L’inviolabilité ne fait pas obstacle à une perquisition au domicile d’un parlementaire, ni à une fouille de son véhicule. En revanche, toute mesure de restriction ou de privation de liberté supposerait d’abord la levée de l’immunité parlementaire de M. Fillon, et depuis 1995 il n’y a plus de distinction selon que l’Assemblée est en session ou non. Tant que cette levée n’a pas été prononcée, l’empêchement est rendu impossible par l’immunité parlementaire. On peut donc déjà imaginer le prochain scandale de la campagne : une demande de levée de l’immunité parlementaire de M. Fillon par les juges d’instruction.  De quoi alimenter le feuilleton…

En droit donc, en raison de la nature de la mise en examen et de l’immunité parlementaire, il semble douteux que le 15 mars François Fillon puisse être considéré comme empêché. En faits, constater l’empêchement est difficile : après tout, n’est-ce pas l’argumentation de François Fillon lui-même au Trocadéro que de dire qu’il est encore en mesure de mobiliser ses troupes et de faire campagne ? Le Conseil constitutionnel irait-il contre l’argumentaire du candidat lui-même ? Tout cela est douteux. Le débat continue, par exemple sur le site du Club des juristes. 

Le problème du délai de report de l’élection présidentielle

Enfin, même dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel constaterait un empêchement, il semble qu’il existe une difficulté du point de vue du délai de report, en tout cas si le Conseil constitutionnel décidait de reporter l’élection avant la date limite de réception des parrainages, soit entre le 10 et le 17 mars, permettant ainsi à l’hypothèse d’un candidat de remplacement de prendre corps. Ce problème a été évoqué par Jean-Philippe Derosier dans son blog et constitue depuis un cheval de bataille de M. Stéphane Hauchemaille, avocat, bien connu des spécialistes de droit électoral car à l’origine de jurisprudences fondatrices en la matière. Ce dernier a adressé une lettre au Premier ministre pour lui faire  part des difficultés et a publié le communiqué suivant, disponible sur son compte Twitter :

Le problème est selon lui le suivant : l’article 7 al. 10 dispose que « Le Conseil constitutionnel peut proroger les délais prévus aux troisième et cinquième alinéas sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de trente-cinq jours après la date de la décision du Conseil constitutionnel ». C’est à dire qu’en principe le 1er tour de l’élection doit avoir lieu au plus tard 35 jours après la décision de report du Conseil constitutionnel. Mais cela pose une difficulté. En effet, à ce stade, le premier tour est prévu le 23 avril. Or, si le Conseil constitutionnel devait prendre une décision, par exemple le 15 mars, de reporter l’élection, cela conduirait à placer le premier tour de l’élection au plus tard le… 20 avril, voire le dimanche 16 avril, soit avant la date aujourd’hui prévue ! Le report se transformerait ainsi en anticipation de l’élection… Comment une telle chose, qui s’apparente à un véritable bug constitutionnel, est-elle possible ?

Comme le montre M. Hauchemaille, ce « bug » est lié à la réforme de 2006. En effet, en 2006, la date limite de réception des présentations au Conseil constitutionnel a été largement avancée, le Conseil constitutionnel souhaitant disposer de plus de temps. Avant 2006, la loi organique de 1962 prévoyait la date limite « dix-huit jours au moins avant le premier tour de scrutin ». Depuis 2006, la loi organique prévoit « le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures », soit plus de cinq semaines avant le premier tour, contre deux semaines auparavant. Avant 2006, le délai de 35 jours permettait donc un report effectif de l’élection présidentielle, de deux semaines environ, ce qui ne semble plus être le cas depuis la réforme de 2006. En somme, les rédacteurs de la loi organique n’ont pas pensé à l’effet utile de l’article 7 de la Constitution à cette époque. Il est vrai qu’il aurait fallu modifier la Constitution…

Il n’est pas facile de sortir de la difficulté, même si le report de l’élection entraîne l‘adoption d’un nouveau décret de convocation des électeurs et/ou un allongement de la période de recueil des présentations, ce qui est l’objectif du texte puisque les débats parlementaires visent l’hypothèse du « décès, avant le dépôt des candidatures, d’une personne ayant publiquement annoncé sa volonté d’être candidat, ce décès intervenant à une date trop proche dudit dépôt pour qu’il soit encore possible matériellement de réunir les signatures requises pour présenter en temps utile une autre candidature de la même tendance ».

Le Conseil constitutionnel pourrait certes, puisque la date limite de publication de la liste des candidats n’est qu’au 7 avril, décider d’attendre pour constater l’empêchement afin que le report soit effectif, ouvrir une nouvelle phase de présentation, et faire en sorte que l’élection présidentielle se tienne après le 23 avril. Cependant, le problème des 35 jours pour tenir le scrutin par rapport à la décision du Conseil constitutionnel reste entier, puisque comme le souligne M. Hauchemaille 35 jours sera toujours un délai plus court que le sixième vendredi qui précède le jour du scrutin, qui correspond à 37 jours. Dans cette hypothèse, la date limite de présentation des candidature serait donc nécessairement… antérieure à la date de décision du report du Conseil constitutionnel ! La situation semble donc très peu satisfaisante… sauf à mobiliser les dispositions sur les hypothèses d’empêchement du Président qui prévoient alors que les présentations doivent arriver « le troisième mardi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures », ce qui serait serré mais jouable.

La ré-inversion des calendriers ?

Dans la mesure où il existe au final une incertitude sur la date qui serait retenue, peut-on imaginer que le report conduise à organiser l’élection présidentielle en même temps ou après les élections législatives ? Et ainsi, bouleverse complètement les équilibres actuels de la Vème République ? Le premier tour des législatives ayant lieu le 11 juin, et le deuxième le 18 juin, cela semble improbable…  Mais le droit fiction n’a de limite que l’imagination de ceux qui s’y prêtent…

Conclusion

En tout état de cause, la question semble poser beaucoup de difficultés et le droit fiction se révèle comme toujours un exercice extrêmement périlleux. Sans doute, dans la mesure où l’hypothèse de l’article 7 s’éloigne, ce n’est pas cette année que nous aurons la réponse… mais il est peu douteux que la difficulté sera soulevée après l’élection présidentielle, sauf évolution grave (qui serait liée à l’immunité parlementaire ?) Faut-il espérer pour le droit constitutionnel, que l’élection soit reportée ou qu’elle ne le soit pas ?

Romain Rambaud