L’année 2017 sera l’année de l’élection présidentielle et des élections législatives pour le blog du droit électoral. Nous avions expliqué, dans plusieurs articles précédents sur ce blog, ainsi que dans un numéro à l’AJDA, la réforme opérée par le paquet de modernisation électorale du 25 avril 2016. Les principaux éléments de cette réforme sont en train d’être mis en oeuvre et la réforme est en ordre de marche : c’est le cas pour la réforme des présentations et pour la réforme de la régulation des temps de parole.
La réforme des parrainages : la décision n°2016-135 ORGA du 8 septembre 2016 du Conseil constitutionnel
Jusqu’à la réforme, la loi prévoyait que les parrainages étaient rendus publics huit jours au moins avant le premier tour et dans la limite de 500, tirées au sort. Pour rappel, la loi organique du 25 avril 2016 a instauré deux nouveautés dans le système de transparence et le calendrier des fameux parrainages (les présentations).
Tout d’abord, la loi a prévu de rendre publique huit jours au moins avant le scrutin la totalité de la liste des parrains des candidats alors que jusqu’à présent n’étaient rendus publics que 500 noms tirés au sort.
Surtout, seront désormais rendus publics au fil de l’eau le nom et la qualité des élus ayant transmis une présentation, qui ne pourra être retirée : « Au fur et à mesure de la réception des présentations, le Conseil constitutionnel rend publics, au moins deux fois par semaine, le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement présenté des candidats à l’élection présidentielle », sachant que la récolte commence à partir de la publication du décret de convocation, normalement publié fin février (article 3.I dernier alinéa, nouveau).
Dans sa décision n°2016-135 ORGA du 8 septembre 2016, le Conseil constitutionnel a établi les modalités d’application de cette réforme : celui-ci rendra publique sur son site internet deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, une liste des élus qui ont valablement présenté un candidat. Chacune des listes mentionne les élus dont la présentation a été jugée valable depuis l’établissement de la précédente liste dans l’ordre alphabétique, ainsi que le nom des candidats présentés.
Une publication complète de l’ensemble des élus qui ont valablement présenté un candidat depuis le début de la période de recueil des présentations est parallèlement assurée sur le site internet du Conseil, puis la liste finale et complète huit jours au moins avant le scrutin. La transparence sera totale.
Cette réforme aura sans doute des effets politiques importants. Notamment, les élus seront donc, en amont de la campagne, soumis de façon accrue à la pression de l’opinion et des chaînes d’info en continu. Cette application implacable du principe de transparence ne devrait pas menacer le Front National, qui dispose aujourd’hui de nombreux conseillers régionaux (358) et départementaux (62), auxquels il suffira donc d’ajouter les députés (2) et sénateurs (2), les députés européens (24) et quelques maires pour obtenir les 500 présentations. En revanche, cette règle sera très délicate pour les petits et moyens candidats : bien entendu il s’agit de l’enjeu majeur dans une élection où l’accès à la deuxième place du premier tour se présente aujourd’hui comme l’enjeu principal.
La réforme de la régulation des temps de parole : la recommandation n°2016-2 du Conseil supérieur de l’audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l’élection du Président de la République
Pour rappel également, la loi organique a modifié le système de régulation des temps de parole. Le CSA a pris acte des modifications apportées par la recommandation n°2016-2 du CSA aux services de radio et de télévision en vue de l’élection du Président de la République. Analyse :
Une régulation qui ne commence que le 1er février 2017 : pour éviter les primaires ?
Tout d’abord, il faut souligner qu’alors que sa régulation des temps de parole commençait depuis 1995 à partir du 1er janvier – elle commença même en décembre en 2007 – le CSA ne fait commencer cette période de régulation que le 1er février 2017. Cependant, il faut se garder d’interpréter ce changement comme le signe d’un raccourcissement de la campagne : au contraire, il a très certainement un lien avec les primaires et les difficultés à les intégrer pour le moment dans le système de régulation.
En effet, la question des primaires n’est pas encore résolue par le CSA, alors que dans la mesure où elles anticipent les élections et « polarisent » l’attention des médias, la mise en place d’une régulation de celles-ci présente un enjeu fondamental. De ce point de vue, il n’est pas certain que la période actuellement prise en compte par le CSA pour la régulation suffise, car cela conduit à placer le débat des primaires hors période électorale, sachant que la régulation applicable hors période électorale est beaucoup plus souple et se fonde sur la représentation parlementaire plus que sur une logique de démocratie continue.
Dans un moment où les primaires se généralisent, le CSA aurait pu le prendre en compte en remontant encore dans le temps sa période de régulation : suite à la présidentielle de 2012, il avait engagé une réflexion sur cette question. Cependant, il a reçu de la part des médias une sorte de fin de non-recevoir, comme il l’indique dans un rapport de 2015 : « à ce titre, la concertation engagée par le Conseil n’a pas suscité de demandes formelles de la part de ses interlocuteurs tendant à ce qu’une régulation spécifique aux élections primaires soit mise en œuvre. Toutefois, certains d’entre eux ont suggéré que le Conseil puisse exercer, à la demande des intéressés, un rôle de bons offices ».
Sachant cela, alors que les primaires socialistes se tiendront les 22 et 29 janvier 2017, comment interpréter le fait que le début de la régulation ait été déplacé du 1er janvier au 1er février 2017 autrement que par rapport aux primaires ? Trois considérations ont pu conduire à cette décision: accorder une plus grande liberté aux médias suite au mouvement impulsé par le Conseil constitutionnel, respecter une sorte de principe d’égalité en n’appliquant pas aux primaires socialistes une régulation qui n’aurait pas été appliquée aux primaires des Républicains de novembre 2016, mais aussi, et en cela la décision du CSA est plus contestable, éviter une confrontation avec les médias, ce qui pose le problème de la polarisation de ceux-ci sur les primaires et l’avantage qu’elle procure dès lors aux partis qui en organisent au détriment des autres. Ce point illustre parfaitement, a contrario, l’allongement dans le temps des campagnes électorales et la difficulté pour le modèle traditionnel d’y faire face. Une autre solution consisterait à faire démarrer la régulation du CSA dès le mois de novembre… soit un étirement considérable.
Les critères utilisés lors des périodes de régulation
Le CSA distingue trois périodes, suivant sa doctrine classique, en prenant en compte les modifications apportées par la loi organique. La période préliminaire court du 1er février 2017 jusqu’à la publication de la liste des candidats, la période intermédiaire de cette publication jusqu’à la campagne officielle, qui démarre le deuxième lundi précédant le premier tour de scrutin. La période de la campagne officielle relève du principe d’égalité stricte prévue par le décret de 2001.
Pour ce qui concerne l’équité, applicable lors des deux premières périodes, elle est fondée d’une part sur la représentativité du candidat et d’autre part sur sa contribution à l’animation du débat électoral. La représentativité du candidat repose sur les résultats obtenus aux plus récentes élections, ce qui vise d’après le CSA toutes celles qui se sont déroulées depuis la précédente élection présidentielle comprise, le nombre et les catégories d’élus dont peuvent se prévaloir les partis politiques qui soutiennent le candidat, et enfin les indications des sondages d’opinion réalisés et publiés conformément à la loi. La contribution du candidat à l’animation du débat électoral repose sur l’organisation de réunions publiques, les déplacements et visites sur le terrain, l’exposition au public par tout moyen de communication, y compris les réseaux sociaux, la participation à des débats et, lors de la première période, de la désignation d’un mandataire financier, ce qui montre une intéressante articulation entre la législation financière et la législation audiovisuelle.
Les évolutions les plus récentes du droit électoral consacrent donc l’importance croissante de la campagne électorale elle-même. Ces nouvelles règles de la démocratie continue sont encore mal maîtrisées et il faudra à leur propos faire preuve de vigilance. Elles pourraient notamment renforcer l’effet « course de chevaux » qui caractérise la formation de l’offre politique et l’importance des sondages dans la construction de celle-ci : plus les candidats seront hauts dans les sondages, plus ils seront exposés médiatiquement, plus ils seront hauts dans les sondages, et inversement. C’est la raison pour laquelle cette modification de la loi organique rendait nécessaire une réforme du droit des sondages électoraux qui eut lieu par la loi ordinaire du 25 avril 2016. Cependant, elles vont dans le sens du renforcement de la démocratie d’opinion qui a aussi sa légitimité.
La précision des conditions de programmation comparables
Enfin, le CSA précise ce qu’il faut entendre par les « conditions de programmation comparables » désormais applicables lors de la période intermédiaire, garantissant le principe d’équité renforcée, et la période d’égalité. Il s’agit de la présentation et l’accès à l’antenne des candidats et de leurs soutiens en fonction de certains créneaux horaires : tranche du matin (6h-9h30), tranche de la journée (9h30-18H), tranche de la soirée (18-24h) avec au sein de cette tranche une sous-tranche de 19h30 à 21h pour les chaines d’information généralistes, et enfin une tranche de la nuit (0h-6h). Il s’agit ici d’éviter l’effet pervers constaté pendant l’élection présidentielle de 2012 où l’équité avait permis à certains chaînes d’information de se contenter de passer les petits candidats à des heures creuses ou la nuit et les autres à des heures de grande écoute.
Conclusion
Ces deux décisions étaient attendues : elles posent les règles que les aspects les plus controversés de la réforme. Elles sont en tous points conformes à la logique de celle-ci, dans le sens de la « démocratie continue » chère à Dominique Rousseau et que l’on peut appliquer au droit électoral. La campagne présidentielle peut commencer.
Mais… n’avait-elle pas déjà commencé ? Ah ! Les primaires… Nous en parlerons bientôt.
Romain Rambaud