Procurations : objets de convoitises et de délits ? [D. Girard]

La suppression du procédé de vote par correspondance, source de nombreux contentieux et tenu pour être à la source de multiples fraudes en 1975[1], a donné lieu à l’instauration du procédé de la procuration électorale. La procuration électorale est l’acte par lequel un électeur, mandant, va autoriser un autre électeur, mandataire, à participer aux opérations électorales à sa place du fait de l’impossibilité pour le premier d’être présent lors de la tenue du scrutin. Le code électoral autorise ce procédé mais, pour éviter les fraudes et les manipulations de vote, a imposé une procédure particulièrement lourde[2].

Au regard de l’actualité et en vue de la prochaine tenue du second tour des élections municipales et communautaire du 28 juin 2020, il a semblé utile de rappeler le régime des procurations électorales qui est encadré par de sérieuses garanties normatives.

Les conditions d’établissement d’une procuration électorale

         La possibilité d’user d’une procuration électorale n’était nullement discrétionnaire à l’origine.

         En effet l’article L.71 du code électoral prévoyait que :

« Peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration :
a) Les électeurs attestant sur l’honneur qu’en raison d’obligations professionnelles, en raison d’un handicap, pour raison de santé ou en raison de l’assistance apportée à une personne malade ou infirme, il leur est impossible d’être présents dans leur commune d’inscription le jour du scrutin ou de participer à celui-ci en dépit de leur présence dans la commune ;
b) Les électeurs attestant sur l’honneur qu’en raison d’obligations de formation, parce qu’ils sont en vacances ou parce qu’ils résident dans une commune différente de celle où ils sont inscrits sur une liste électorale, ils ne sont pas présents dans leur commune d’inscription le jour du scrutin ;
c) Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n’entraînant pas une incapacité électorale. »

         Ces dispositions ont été abrogées par le Parlement en 2019[3] mais la loi en cause devait entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2021 ou à une antérieure date fixée par décret. L’article 6 du décret du 17 juin 2020[4] prévoit son entrée en vigueur immédiate.  Par voie de conséquence, désormais « Tout électeur peut, sur sa demande, exercer son droit de vote par procuration »[5]. L’exercice du droit de vote par procuration est ainsi devenu discrétionnaire depuis le 18 juin 2020.

         Le mandant doit jouir de ses droits électoraux[6] y compris s’il est placé dans un régime de protection des majeurs (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.)[7].   Il y a là une évolution du droit depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019[8] puisqu’auparavant les majeurs placés sous tutelle étaient privés du droit de vote. À ce titre, certaines incompatibilités ont été édictées[9].

         Cependant, l’exercice du droit de vote par procuration ne dispense pas pour autant l’électeur -quand bien même il n’exercerait pas ce droit personnellement- de la formalité de l’inscription sur les listes électorales dans les conditions de forme et de fond prévues par les textes[10].

         Dans l’ancien état du droit, il appartenait à l’électeur empêché de justifier du motif justifiant le recours à cette procédure par tout moyen approprié (la preuve étant libre) sous le contrôle des autorités compétentes[11]. On relèvera qu’il n’est prévu nulle disposition transitoire ce qui n’exclut pas une contestation devant le juge de l’élection des procurations établies avant le 18 juin 2020.

         Quant au mandataire, il doit être choisi personnellement par le mandant librement et sans contrainte[12] ; il peut s’agir d’agents publics[13]. On précisera que rien n’interdit à des candidats ou des partis politiques d’« organiser » les rencontres entre mandataires et mandants et d’ainsi faciliter l’établissement de procurations. Cette mise en relation, pour être légale, ne doit cependant pas constituer une manœuvre ou une fraude. Une manœuvre serait constituée par l’établissement de procurations irrégulières ; une fraude par l’usage de fausses qualités ou pièces.

         Le mandataire doit également être inscrit dans la même commune que le mandat[14]. Il n’est, à cet égard, pas opéré de distinction entre les personnes inscrites sur la liste électorale principale ou sur la liste électorale complémentaire destinée à permettre l’exercice du droit de vote pour les citoyens d’un autre État membre de l’Union européenne[15]. Ainsi, un citoyen belge pourrait parfaitement donner procuration à un citoyen maltais ou français.

         Cependant quatre précisions doivent être ici apportées.

         En premier lieu, le code électoral prévoit bien la qualité d’électeur de la commune. Ceci implique l’impossibilité pour un mandataire d’être désigné s’il relève de la même intercommunalité mais pas de la même commune. De même, la présence d’une sectorisation intra-communale (principalement pour les villes de Paris, Lyon et Marseille) ne fait pas obstacle à la désignation d’un mandataire inscrit dans un autre bureau de vote rattaché à une autre circonscription.

         En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel a apprécié souplement ces dispositions en visant non la commune mais la « circonscription » pour certaines élections[16].

         En troisième lieu, cette restriction géographique sera abrogée le 1er janvier 2022[17] et, à compter de cette date, tout électeur pourra recevoir mandat de la part d’un autre électeur indépendamment de leurs rattachements électoraux respectifs.

         En quatrième et dernier lieu, un mandataire ne peut recevoir qu’un nombre limité de procurations afin d’éviter les risques de fraude ou de détournements de suffrages. Ce nombre est fixé à deux mais le régime de celles-ci a été très récemment modifié par la loi du 22 juin 2020[18]. En effet, jusqu’à cette date, seule une procuration établie en France était admise, la seconde devant être établie à l’étranger. Depuis le 24 juin 2020, l’origine des procurations indiffère, tout mandataire peut avoir deux procurations.

Le recueil de la procuration par une personne habilitée

Il existe tout d’abord une procédure de recueil normale, construite pour apporter toutes les garanties nécessaires à l’établissement de la procuration. Les procédures de recueil à distance doivent faire l’objet d’une attention particulière.

La procédure normale de recueil

         Dans un premier temps, les procurations n’étaient pas tenues d’être signées[19]. Au regard du risque important de fraude que cela pouvait induire, il a été imposé par décret, que désormais les procurations soient établies sur des formules dédiées à cet usage qui seront signées par le mandant[20]. Les procurations ne peuvent pas, pour autant, être réalisées à distance contrairement à la règle générale[21] puisqu’elles imposent la comparution physique du demandeur[22] auprès d’une autorité spécialement désignée. La signature de la procuration doit être réalisée devant cette autorité et ne peut être régularisée que devant cette même autorité[23].

         L’article R.72 du code électoral définit les autorités compétentes pour recueillir les procurations sur le territoire de la République ainsi :

  • Juge du tribunal judiciaire de la résidence de l’électeur ou de son lieu de travail ;
  • Juge qui exerce les fonctions de juge du tribunal judiciaire ;
  • Directeur de greffe du tribunal judiciaire ;
  • Tout officier ou agent de police judiciaire (autre que les maires et leurs adjoints) ;
  • Tout réserviste au titre de la réserve civile de la police nationale ou au titre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, ayant la qualité d’agent de police judiciaire, désigné par le juge du Tribunal judiciaire[24] ;
  • Tout magistrat ou directeur des services de greffe judiciaire en activité ou à la retraite désigné par le premier président de la cour d’appel sur demande du juge du tribunal judiciaire.

         En dehors du territoire de la République, l’article R.72-1 du même code autorise le recueil des procurations électorales par les ambassadeurs, les chefs de postes consulaires et certains consuls honoraires. Ces mêmes attributions peuvent être déléguées à des fonctionnaires en poste à l’étranger, aux officiers de police judiciaire placés auprès des forces armées et aux autres autorités ayant la qualité d’officiers de police judiciaire.

         La même faculté est admise au profit des commandants des bâtiments d’État ou des capitaines de navire[25] à l’égard des personnes placées sous leur autorité ou sous leur responsabilité. Toutefois, ces deux dernières hypothèses se trouvant être une disposition d’exception elle ne peut trouver à s’appliquer si ces navires se trouvent au mouillage ou à quai en France[26] ; le recueil des procurations est alors effectué suivant le droit commun.

         On précisera que si les juges et agents de greffe, les ambassadeurs et agents diplomatiques et consulaires voient leur compétence territorialement définie, tel n’est pas le cas des autres autorités qui ont donc une compétence nationale.

         Pour des raisons pratiques, le code prévoit également que des « permanences » peuvent être organisées dans des lieux accueillant du public[27] par arrêté préfectoral. Ceci permet aux autorités compétentes de s’adapter aux circonstances locales[28]. Le juge de l’excès de pouvoir ou le juge de l’élection peuvent toujours sanctionner les éventuels abus (permanence installée à proximité immédiate d’une permanence électorale, etc.).

Le recueil à distance des procurations

Mais il existe aussi des procédures dérogatoires de recueil des procurations à distance. Lorsque la personne ne peut se déplacer, pour des raisons indépendantes de sa volonté (personne détenue, personne hospitalisée ou malade, difficultés objectives de transport, etc.), les officiers et agents de police peuvent se déplacer en tout lieu approprié pour y recueillir les procurations.

         En outre, des « délégués d’officier de police judiciaire » peuvent être désignés à cette même fin. Ces délégués sont choisis par ledit officier de police judiciaire avec l’agrément du magistrat compétent. C’est sur cette dernière base que peuvent être désignés des tiers à l’administration dont les directeurs d’établissement médicaux ou assimilés. Toutefois, on notera que, parfois, les personnes ainsi désignées ne sont pas neutres politiquement ce qui soulève une difficulté quant au principe de neutralité politique de l’administration[29].

         Cependant, le déplacement auprès d’un électeur n’est pas un droit inconditionnel mais implique, d’une part, une demande en ce sens ainsi que, d’autre part, un motif valide de recours à cette exception à la règle de présentation devant l’administration. La demande doit être normalement faite par écrit et doit mentionner le motif fondant cette demande[30]. Toutefois, dans le cadre du Covid 19, les services de l’État ont attiré l’attention des autorités compétentes afin qu’elles facilitent le recueil de procurations à domicile pour les personnes ayant des contraintes sanitaires particulières (dont le simple risque de contamination) ce qui a introduit une certaine souplesse dans les procédés de demande de déplacement (un appel téléphonique étant désormais admis). Ces possibilités ont été consacrées par la voie décrétale[31] puis législative[32] sans qu’il ne soit précisé si cela impacterait la régularité des procurations antérieurement établies.

         En effet, le recueil d’une signature « authentique » constitue une formalité substantielle[33] ; à défaut, la procuration est irrégulière. Toutefois les personnes illettrées ou ne pouvant signer ne sont pas tenues de signer sous la réserve que l’autorité recueillant la procuration le constate expressément et en précise les motifs[34].

La vérification des procurations

         L’agent habilité à recueillir les procurations doit s’assurer que le mandant est en capacité de manifester sa volonté et que les formulaires réglementairement requis sont intègres et complets. Ce contrôle doit être opéré lors du recueil de la procuration ou, en cas de délégation du recueil de celle-ci en vue d’un déplacement auprès de l’électeur, lors du retour des formulaires auprès de cette autorité.

         Outre une vérification de l’identité de la personne par la production d’une pièce d’identité[42], qui s’impose en toute hypothèse ; l’autorité doit également s’assurer de la bonne compréhension du mandant.

         Il peut être rappelé, le cas échéant, les dispositions légales applicables en particulier en cas de tutelle ou de difficulté prévisible. Mais il n’appartient pas au recueillant de refuser une procuration à ce titre ; il a compétence liée pour l’établir.

         La signature du mandant doit être apposée devant l’autorité (soit l’OPJ, soit son délégué) qui, ensuite, procédera à un contrôle formel (complétude des mentions, absence de ratures ou de contradictions, etc.).

         Si la formule lui apparaît comme étant irrégulière sur la forme, il doit être systématiquement proposé une régularisation immédiate sur une nouvelle formule dont les agents doivent être munis.

         Une fois la procuration remplie, l’autorité doit :

  • Horodater celle-ci (la mention de l’heure est requise en cas de difficultés de mise en œuvre ou de contentieux ultérieur) ;
  • Indiquer ses noms, prénoms et qualités[43] ;
  • Signer les différents volets de la procuration avec apposition de son cachet.

         L’omission de ces mentions rend irrégulière la procuration[44] sauf s’il peut être démontré qu’il ne s’agit que d’une simple omission matérielle[45] ou que ces mentions peuvent être reconstituées[46].

         On relèvera donc que le contrôle qui est ici opéré est théoriquement purement formel et que ni les conditions de fond, ni celle de temps ne peuvent être prises en compte[47].

         Il appartient à l’autorité de recueil des procurations de tenir un registre spécifique qui comprend, outre ses noms et qualités :

  • un spécimen de son visa ou de sa signature ainsi que de son cachet ;
  • la liste chronologique de toutes les procurations recueillies.

         Il doit y être obligatoirement annexé l’intégralité des pièces justificatives qui doivent être tenues à la disposition des autorités administratives et judiciaires en cas de contestation. Le registre et lesdites pièces doivent être conservées durant 6 mois à compter du jour d’expiration de la dernière procuration valide (soit au maximum 3 ans et 6 mois). En cas de contentieux, ce délai est prorogé jusqu’à ce que la dernière juridiction saisie se prononce de manière définitive.

         Il peut y être mentionné également les périodicités de transmission des formules.

         En cas d’allégation de fraude ou de falsification, ce registre constitue un élément d’authentification non négligeable[48].

         Pour les personnes détenues, le greffe judiciaire doit tenir trace des demandes de déplacements des autorités compétentes et de leur venue ce qui permet également de justifier de la volonté du mandataire en cas de contentieux.

         Par la suite, les procurations sont transmises aux maires (en France) ou aux postes consulaires.

         Cet envoi s’opère soit en franchise postale par la voie recommandée, soit par remise contre signature par tout moyen équivalent en France. Depuis ou à destination de l’étranger, la transmission est opérée soit par la « valise diplomatique » et la voie postale recommandée, soit par courriel ou télécopie.

         En pratique, la remise contre reçu est devenu la règle lorsque la procuration est adressée à une autorité municipale de proximité. A défaut, la voie postale est utilisée. Mais le Conseil d’État admet, en réalité, tout mode de transmission qui ne serait pas constitutif d’une manœuvre[49].

         Le maire ou l’agent diplomatique qui est destinataire des procurations électorales doit, dès réception de celles-ci, les porter sur un registre d’ordre.

         Celui-ci a vocation à éviter toute contestation liée à un retard anormal d’acheminement[50].

         Il est ensuite opéré un contrôle de la validité de la procuration par le maire ou par tout agent délégué par lui à cette fin.

         Il est tout d’abord vérifié que le mandataire et le mandant sont présents sur les listes électorales de la commune sous la double réserve de leur correcte identification[51] et des éventuelles erreurs matérielles[52] ou erreurs sans conséquences[53].

         Ensuite, le nombre de procurations est contrôlée puisqu’il ne peut être donné que deux procurations à un même mandataire. Ce contrôle implique de tenir compte de la date et de l’heure à laquelle chaque procuration a été établie. Seules les deux premières sont valides.

         Toutefois, devront être préalablement écartées, les procurations périmées ou résiliées.

         Le maire ou l’agent consulaire compétent est tenu d’informer le mandant et le mandataire de toute difficulté à ce titre[54].

         Si la procuration est valide, il sera alors procédé à :

  • L’annotation de la liste électorale ;
  • L’annotation de la liste d’émargement.

         Ici également, pour éviter toute fraude, un registre spécial, obligatoirement tenu sur format « papier », devra être ouvert. Celui-ci comprendra la mention des « noms et prénoms du mandant et du mandataire, le nom et la qualité de l’autorité qui a dressé l’acte de procuration et la date de son établissement ainsi que la durée de validité de la procuration » [55].

         On précisera que le maire ou l’agent diplomatique peuvent ainsi admettre des procurations qui leur parviendraient le jour même du scrutin.

La portée de la procuration électorale

         En théorie, l’article R.74 du code prévoit que la procuration n’est valide que pour un unique scrutin. Il peut être précisé si ce mandat est donné pour le premier ou le second tour de scrutin ou pour les deux tours ; à défaut de précision, la procuration est réputée établie pour tous les tours de scrutin d’une même élection[35].

         On signalera que dans le cadre du Covid 19, les procurations limitées aux élections municipales et communautaires qui auraient été valides pour le second tour de scrutin du 22 mars sont de plein droit valides pour celui du 28 juin 2020.

         Il ne s’agit là que de la consécration de la volonté du législateur, depuis la réforme de 1975[36], de favoriser le vote personnel des électeurs.

         Par exception à ce principe général et à la demande expresse du mandant, les procurations peuvent être établies pour une durée maximale d’une année lorsque la personne réside en France et se trouve dans l’impossibilité durable de se rendre à son bureau de vite. Cette rédaction de l’article R.74 du code électoral doit être regardée comme pour partie obsolète au regard de l’entrée en vigueur de la suppression de l’obligation de la justification du motif de recours à la procuration électorale depuis le 18 juin 2020[37].

         Depuis cette date, on peut donc considérer que les termes « si les documents prévus au deuxième alinéa de l’article R.73 établissent que l’intéressé est de façon durable dans l’impossibilité de se rendre à son bureau de vote » sont implicitement abrogés par l’entrée en vigueur de l’article 112 de la loi du 27 décembre 2019[38] en vertu du décret du 17 juin 2020[39].

         Pour les procurations établies à l’étranger la durée d’une année est portée à 3 ans[40].

         On précisera qu’en cas d’omission de certaines de ces mentions, si la date d’établissement permet de reconstituer sans le moindre doute la validité exacte de la procuration, alors celle-ci est réputée valable[41].

         Enfin, la procuration peut être résiliée ou modifiée dans les mêmes formes et à tout moment.

         Le mandataire doit exercer personnellement le droit de suffrage ainsi délégué[56]. Il n’est pas fondé à subdéléguer ce droit en l’absence de dispositions expresses en ce sens. Ceci est volontaire pour éviter toute fraude.

         Afin de respecter le caractère secret du vote, le vote par procuration s’opère exactement dans les mêmes formes que les autres votes : l’enveloppe et le bulletin de vote sont strictement identiques. Seules les mentions portées sur la liste électorale et la liste d’émargement permettent d’identifier cette situation particulière.

         On précisera que l’établissement d’une procuration ne prive pas le mandant de son droit de vote ; il peut se présenter à tout instant pour exercer son droit électoral personnellement.

         Toutefois, pour éviter un double vote, il ne peut y procéder que pour autant que le mandataire n’est pas venu voter en son nom[57] et après avoir justifié de son identité[58] et cela quelque soit la taille de la commune[59].

         En cas de décès du mandant, la procuration est censée ne pas recevoir application puisque le décès implique la radiation de la liste électorale.

         Si le mandataire venait, quant à lui, à décéder ou à être privé de son droit de vote, la procuration est annulée de plein droit ce dont le mandant est informé sans délai[60] afin qu’il puisse en établir une nouvelle.

Le contrôle et le contentieux des procurations électorales

Le contrôle a priori

         Le contentieux a priori des procurations est limité, d’abord, car il résulte des textes que la procuration peut être révoquée à tout moment par le mandant et, ensuite, parce que leur juge naturel est le juge de l’élection[61] qui est normalement saisi qu’après la tenue des opérations électorales.

         En réalité, trois cas de figures théoriques peuvent être esquissés comme étant détachables du contentieux électoral lui-même au regard des critères limitatifs posés par la jurisprudence du Conseil d’État[62] qui pourrait être ici éventuellement transposée.

         En premier lieu, dans l’hypothèse ou une autorité habilitée à recevoir les procurations refuserait de se déplacer au domicile de l’électeur, outre un éventuel recours gracieux ou hiérarchique, seule la voie du référé-liberté semble ouverte[63]. Dans le cadre du Covid 19, l’État a imposé un déplacement systématique sur simple demande ce qui devrait anéantir tout risque contentieux à ce titre.

         En deuxième lieu, s’il est refusé de dresser une procuration électorale car celle-ci serait irrégulière en la forme, les autorités habilitées se doivent de disposer de formules vierges afin de permettre une régularisation immédiate de la demande. Ceci est bienvenu et permet de corriger immédiatement les erreurs matérielles.

         En troisième lieu, en cas de refus d’une procuration par le maire ou l’agent consulaire, cette décision doit être motivée[64] et peut faire l’objet d’un théorique recours devant le juge administratif. Mais au regard de la compétence liée en ce domaine et des larges possibilités de régularisation, le recours au juge apparaît également comme hypothétique.

         On précisera que le bureau de vote n’est pas habilité à contrôler la validité des procurations qu’il doit appliquer[65].

Le contrôle par les électeurs

Il existe ensuite un contrôle par les électeurs. Les électeurs ont la possibilité, à tout moment y compris en dehors des périodes électorales, d’obtenir communication immédiate du registre des procurations tenu à jour par le maire ou le chef de poste[66]. Cette faculté n’est pas limitée aux électeurs inscrits dans la commune et constitue une garantie pour le juge de l’élection du contrôle des électeurs sur les opérations de vote[67].

         Conformément à une jurisprudence classique[68], le maire ou le chef de poste diplomatique peuvent adopter les mesures réglementaires tendant à la bonne organisation du service et, notamment, définir des heures et modalités d’ouverture au public des services concernés ou des dispositions propres à s’assurer de l’intégrité des documents mis à disposition. Il n’est pas fait exception à cette règle le jour même du scrutin.

         La consultation à distance ou la réalisation de copies n’est pas exclue par les textes mais n’est nullement obligatoire : seule la consultation sur place est de droit.

         Durant les opérations électorales, un extrait de ce registre doit être présent et mis à la disposition des électeurs dans chaque bureau de vote.

         L’absence de ce registre ou l’absence d’annotation sur la liste d’émargement est sanctionnée par le juge de l’élection car elle prive l’électeur de leur droit et pouvoir de contrôle[69].

         On précisera que, sur le fondement du droit commun de la communication des documents administratifs[70], le droit au respect de la vie privée fait obstacle à la communication des formules de procuration et des pièces justificatives éventuelles[71].

Le contrôle du juge de l’élection

         Le juge de l’élection est le juge naturel des procurations[72], il est donc logique que celui-ci apprécie leur validité. Il peut, en réalité, y procéder suivant deux voies.

         En premier lieu, il peut procéder à un contrôle global des procurations.

         Dans cette hypothèse, le juge recherche si le nombre de procurations et leur mode d’établissement est révélateur d’une fraude. Si tel est le cas, il annule l’intégralité des opérations électorales[73] et peut, désormais, également prononcer des sanctions d’inéligibilité[74].

         Il peut opérer ainsi que la fraude soit présente dans toute la commune ou dans une partie de la circonscription électorale[75] ou au profit d’une liste seulement[76].

         Le nombre et l’importance des procurations est normalement sans incidence sauf s’ils sont révélateurs d’une fraude au regard de sa disproportion ou de son aberration[77].

         À ce titre, c’est en réalité la présence de manœuvres ou de fraudes qui est recherchée. La sanction en est généralement l’annulation des opérations électorales selon l’écart des voix ou la gravité de la fraude.

         En second lieu, le juge de l’élection peut examiner le grief tiré de l’irrégularité d’une procuration en particulier.

         Ce grief, qui n’est pas d’ordre public, implique que l’identité des personnes soit précisée[78] dans le délai de recours contentieux soit par l’indication de leur noms et prénoms, soit par la mention de leur numéro d’ordre issu de la liste d’émargement.

         C’est en réalité un véritable travail de bénédictin qui doit être alors réalisé. Au regard des éléments usuels en la matière (validité de la procuration, identité des signatures, absence de double vote, etc.), le juge de l’élection procédera par déduction de suffrages pour estimer s’il y a lieu de rectifier les résultats ou d’annuler le scrutin en son entier[79].

Les sanctions pénales

         L’article L.111 du code électoral prohibe l’usage irrégulier des procurations électorales et prévoit une peine maximale de 2 ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. C’est cette dernière disposition qui est ici privilégiée en lieu et place de l’article L.97 du même code[80].

         Ainsi le refus du vote de mandataires porteurs de procurations par un président de bureau de vote est punissable[81] et, par voie de conséquence, toute mesure prise par un agent public tendant aux mêmes fins.

         De même, la réalisation d’une fausse demande de procurations à son profit au détriment d’une personne malade constitue également le délit réprimé par l’article L.111 du code électoral[82].

         Enfin, l’organisation d’un système frauduleux d’’établissement de fausses procurations par la direction d’une structure médicale à l’initiative d’agents municipaux avec des formules pré-remplies comportant le nom de mandataires totalement inconnus des mandants et de cet établissement relève également de cette qualification pénale[83].

Didier Girard


[1]   Loi n°75-1329 du 31 décembre 1975 modifiant certaines dispositions du code électoral.

[2]   Articles L.71 et s. du code électoral.

[3]   Cf le 3° du I de l’article 112 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

[4]   Décret n° 2020-742 du 17 juin 2020 prévoyant des dispositions spécifiques en vue du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon prévu le 28 juin 2020 et adaptant certaines dispositions du code électoral.

[5]   Nouvelle rédaction de l’article L.71 du code électoral.

[6]   Article L.72 du code électoral.

[7]   Article L.72-1 du code électoral dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice.

[8]   Article 11 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice

[9]   Article L.72-1 du code électoral.

[10] Articles L.9 et s. du code électoral.

[11] CE, 8 septembre 1993, Élections cantonales de Castifao-Morosaglia.

[12] CC, 7 décembre 2012, A.N., Bouches-du-Rhône (8ème circ.), n° 2012-4578 AN.

[13] CE, 15 février 1980, Élections cantonales de Perpignan II.

[14] Article L.72 du code électoral.

[15] Article L.O.227-2 du code électoral

[16] CC, 14 juin 1978, AN Saint-Pierre-et-Miquelon, n° 78-880 AN.

[17] Cf. 4° du I de l’article 112 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

[18] Loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires.

[19] CE, 14 décembre 1977, Élections municipales de Cristinace.

[20] Décret n° 79-380 du 10 mai 1979 portant modification de certaines dispositions du code électoral relatives au vote par procuration.

[21] Articles L.112-8 et s. du code des relations entre le public et l’administration.

[22] Articles R.72 et R.73 (a contrario) du code électoral.

[23] CE, 18 janvier 1985, Karam Antoine ; CE, 8 août 2002, Élections du conseiller général du canton d’Orange.

[24] Ceci exclut les réservistes qui ne sont pas agents de police judiciaire et les membres de la réserve citoyenne.

[25] Article R.72-2 du code électoral.

[26] CE, 20 octobre 1978, Élections municipales de Ghisoni.

[27] Article R.72 du code électoral.

[28] A titre illustratif, un arrêté du préfet de l’Essonne du 23 juin 2020 définit de telles permanences dans des bureaux de poste ainsi que dans un barnum installé dans une commune.

[29] CE, 11 juin 1993, Élections cantonales de Badonviller.

[30] CE, 4 janvier 1978, Élections de Beussent ; CE, 10 octobre 1986, Élections cantonales de Derval.

[31] Article 4 du décret n° 2020-742 du 17 juin 2020 prévoyant des dispositions spécifiques en vue du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon prévu le 28 juin 2020 et adaptant certaines dispositions du code électoral.

[32] Cf. le III de l’article 1er de la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires.

[33] CE, 2 mars 1984, Élections municipales de Condom.

[34] CE, 30 octobre 1987, Élections cantonales de Montaigut-en-Combrailles.

[35] CE, 11 juillet 1973, Campitello.

[36] Loi n°75-1329 du 31 décembre 1975 modifiant certaines dispositions du code électoral.

[37] Nouvelle rédaction de l’article L.71 du code électoral.

[38] Article 112 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

[39] Décret n° 2020-742 du 17 juin 2020 prévoyant des dispositions spécifiques en vue du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon prévu le 28 juin 2020 et adaptant certaines dispositions du code électoral.

[40] Il apparaît d’ailleurs délicat d’obtenir une justification inattaquable de cet écart de durée de validité des procurations au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage. V. C. Castor, « l’égalité devant le suffrage », RFDC n° 2/2012 p. e1. ; D. Turpin, « Le principe d’égalité de suffrage », in Le caractère équitable de la représentation politique, L’Harmattan, 2004 p. 35.

[41] CE, 12 mai 1978, Élections municipales de Tarrano.

[42] Celle-ci ne se limite pas à la liste des pièces admises pour voter.

[43] Article R.75 du code électoral.

[44] CE Sect., 3 novembre 1978, Élections municipales de San-Gavino-di-Carbini.

[45] CE, 4 janvier 1978, Élections municipales de Saint-Cirgues-de-Malbert.

[46] CE, 9 décembre 1987, Élections cantonales de l’Île-Rousse.

[47] CE, 18 janvier 1984, Élections municipales de Saint-Rémy-de-Champagnat.

[48] CE, 2 juin 1978, Élections municipales de Valle-di-Rostino.

[49] CE Sect., 23 décembre 1966, Élections municipales de Saint-Barthélemy.

[50] Voir le second alinéa de l’article R.76-1 du code électoral.

[51] CE, 4 octobre 1978, Élections municipales d’Aramits.

[52] CE, 30 mars 1984, Élections municipales de Pietracorbara.

[53] CE, 26 juillet 1978, Élections municipales de Santa-Lucia-di-Moriani.

[54] Article R.77 du code électoral.

[55] Article R.76-1 du code électoral.

[56] Voir la rédaction de l’article L.74 du code électoral.

[57] Article L.76 du code électoral.

[58] Article R.79 du code électoral.

[59] Voir l’article R.60 du code électoral pour les communes de moins de 1000 habitants.

[60] Article R.80 du code électoral

[61] CE Sect. 4 mai 1973, Élections municipales de Croce.

[62] CE, 2 juin 2012, Guardia.

[63] Article L.521-2 du code de justice administrative.

[64] Article L.211-2 du code des relations entre le public et l’administration.

[65] CE Sect. 4 mai 1973, Élections municipales de Croce, précité.

[66] Article R.76-1 du code électoral.

[67] CE, 30 mars 1984, Élections municipales de Pietracorbara.

[68] CE, 7 février 1936, Jamart.

[69] CE, 22 décembre 1967, Élections municipales de Sainte-Marie-Sicché.

[70] Article L.311-1 du code des relations entre le public et l’administration.

[71] CADA, avis n° 20064039 du 28 septembre 2006

[72] CE Sect. 4 mai 1973, Élections municipales de Croce, précité

[73] CE, 16 juin 1986, Élections municipales de Propriano.

[74] Article L.118-4 du code électoral ; CE sect., 4 février 2015, Élections municipales de Vénissieux.

[75] CE, 16 janvier 1987, Assemblée de Corse.

[76] CE, 8 juillet 1970, Élections municipales de Santa-Maria-di-Lota.

[77] CE, 16 octobre 2009, Élections dans la province des îles Loyauté et au congrès de la Nouvelle-Calédonie.

[78] CE, 18 novembre 1977, Élections municipales de Viggianello.

[79] CE, 8 juillet 1970, Élections municipales de Santa-Maria-di-Lota, précité ; CE, 23 février 1990, Élections municipales de Bastia.

[80] Cf. Le droit pénal électoral, actes du colloque de Grenoble, IFJD, 2019.

[81] Cass. Crim, 9 octobre 1973, Bull. n° 347.

[82] Cass. Crim, 30 avril 1986, Bull n° 150.

[83] Cass. Crim, 11 juin 1987, GP 1988.1.Somm.3