22/04/2017 : Premier tour à hauts risques : que peut faire le Conseil constitutionnel en cas d’accidents ? [R. Salas Rivera]

L’heure est à la réflexion, dans le « silence républicain » (sur ce principe de silence républicain et les failles qu’il pourrait connaître demain dimanche, voir l’article sur ce sujet de Romain Rambaud publié hier) mais aussi aux questionnements, comme le suggère les « cinq questions clés avant le premier tour »de France Info. Nous aussi, au sein du blog du droit électoral, nous nous posons des questions sur le premier tour, et pas des moindres ! De la supervision des opérations électorales par le Conseil constitutionnel à l’hypothèse d’un attentat terroriste dans un bureau de vote, tour d’horizon de quelques questions qui intéressent le droit électoral, et les électeurs soucieux de la bonne tenue du scrutin présidentiel.

Le contrôle du vote par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel est, au regard de l’article 58 de la Constitution, chargé de veiller « à la régularité de l’élection du Président de la République ». Aussi, le Conseil n’étant composé, à l’heure actuelle, que de dix membres, dont un ancien Président de la République, et que les interactions avec un hologramme n’étant pas encore totalement au point, il est matériellement impossible pour les membres du Conseil constitutionnel de se rendre dans chacun des 67 000 bureaux de vote du territoire de la République pour constater le bon fonctionnement de la journée électorale.

La solution réside dans la nomination de délégués du Conseil constitutionnel chargés de cette mission de supervision. L’article 48 de l’ordonnance de 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoit que « Le Conseil constitutionnel peut désigner un ou plusieurs délégués choisis, avec l’accord des ministres compétents, parmi les magistrats de l’ordre judiciaire ou administratif et chargés de suivre sur place les opérations ». Les plus fins observateurs constateront que cet article 48 s’inscrit dans le Chapitre VII sur la surveillance des opérations du référendum et de la proclamation des résultats, et non pas dans le court chapitre V sur l’exercice des attributions du Conseil constitutionnel en matière d’élection à la Présidence de la République. C’est en effet, l’article 3-III de la loi du 7 novembre 1962, dès sa rédaction initiale, qui précise que « Le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations et examine les réclamations dans les mêmes conditions que celles fixées pour les opérations de référendum par les articles 46, 48, 49, 50 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ».

Depuis 1988, le Conseil constitutionnel inaugure les décisions PDR par les décisions portant nomination des délégués du Conseil constitutionnel chargés de suivre sur place les opérations relatives à l’élection du Président de la République. Pour l’élection présidentielle de 2017, c’est par deux décisions (n° 2017-157 PDR du 9 février 2017 et n° 2017-163 PDR du 14 mars 2017), que le Conseil a désigné ses représentants, qui sont :

– les rapporteurs adjoints auprès du Conseil constitutionnel ;

– les premiers présidents des cours d’appel et le président du tribunal supérieur d’appel, ainsi que les magistrats qu’ils désigneront à cet effet ;

– les présidents des tribunaux administratifs de Basse-Terre, de Cayenne, de Mamoudzou, de Mata-Utu, de Nouméa, de Papeete, de Saint-Denis, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Schœlcher ainsi que les magistrats qu’ils désigneront à cet effet

– MM. Pierre-Etienne BISCH, Christophe EOCHE-DUVAL, Mme Marie PICARD, M. Paul-Henri RAVIER, Mme Catherine SCHNEIDER, M. Philippe THIEBAUD, Mme Célia VEROT, chargés de suivre les opérations d’outre-mer

Concrètement, à quoi servent les délégués du Conseil ? Au titre de l’article 22 alinéa 3 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, modifié par l’article 3-1° du décret n°2006-459 du 21 avril 2006, « Les délégués désignés par le Conseil constitutionnel en application de l’article 48 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ont accès aux bureaux de vote et peuvent mentionner au procès-verbal des opérations de vote leurs observations ».

Le site internet du Conseil constitutionnel précise qu’ « en cas d’irrégularité ou de difficulté constatée, ils adressent au besoin des observations au président du bureau de vote. Si celles-ci ne sont pas prises en compte, ils en font mention au procès-verbal. Si nécessaire, ils en font rapport au Conseil constitutionnel ». Il se peut, en effet, que les délégués du Conseil soit un peu trop « procéduriers » pour un président de bureau de vote, qui n’a d’égard pour les observations formulées par le délégué. Dans ce cas, ce dernier peut en référer directement au Conseil constitutionnel qui, d’ailleurs, assure une permanence téléphonique « essentiellement à l’intention de ses délégués », tel que le précise le site internet du Conseil.

L’entrave à la mission de délégué, constituée par des pressions et des menaces exercées à son encontre, peut justifier l’annulation des résultats d’un bureau de vote (Décision n°2002-109 PDR, considérant 3), tout comme l’impossibilité pour le magistrat délégué d’accéder au bureau de vote et au procès-verbal, sinon en fin de journée accompagné de la force publique (Décision n°2012-152 PDR, considérant 2).

Le Conseil constitutionnel, étant pris par le temps, accorde une grande importance au rôle que jouent ses délégués sur place. Claude Franck, dans son manuel de Droit des élections nationales et locales, souligne même que « Les rapports des délégués désignés par le Conseil constitutionnel pour suivre sur place le déroulement du scrutin constituent un des éléments les plus importants de l’instruction » (Claude Franck, Droit des élections nationales et locales, 1. ed, coll. Ce qu’il vous faut savoir, Paris, Delmas, 1988, p. 227).

Le contrôle du vote… par les préfets, les candidats et surtout les électeurs !

Le premier alinéa de l’article 30 du décret n°2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, modifié par l’article 1 du décret n°2016-1819 du 22 décembre 2016 donne cette compétence de surveillance à chaque électeur car « Tout électeur a accès au procès-verbal des opérations de vote pendant la durée de ces opérations. Tout électeur a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant porter au procès-verbal mention de sa réclamation ». Le décret de 2016 a souhaité préciser que chaque électeur avait un droit absolu de faire porter une réclamation au procès-verbal afin de garantir de façon précise ce droit et de faciliter la saisine du Conseil constitutionnel.

Ce même article donne également compétence au représentant de l’État et aux candidats pour saisir le Conseil constitutionnel, dans un délai de quarante-huit heures après la clôture du scrutin, en cas de suspicions sur la régularité des opérations électorales.

Ce pouvoir de contestation de la régularité des opérations de vote offre ainsi aux différents acteurs de l’élection, et au représentant de l’État, la possibilité de faire annuler les résultats d’un ou plusieurs bureaux de vote si une irrégularité est constatée. Il faut toutefois noter que les électeurs ne peuvent saisir directement le Conseil constitutionnel d’une irrégularité, mais uniquement au travers d’une mention dans le procès-verbal.

L’examen automatique des réclamations au moment de la proclamation des résultats

Les réclamations sont transmises par les commissions locales de recensement des votes au Conseil constitutionnel, qui est saisi automatiquement. Celui-ci doit statuer sur chacune d’elle rapidement, car si les résultats d’un bureau de vote doivent être annulés, le Conseil doit le prendre en compte au moment de la proclamation des résultats. Il est à noter que le Conseil ne répond pas individuellement à chaque réclamation. L’article 27 du décret n°64-231 donne au Conseil jusqu’au mercredi suivant à 20 heures pour faire connaitre publiquement le nombre de suffrages obtenus par chacun des candidats. Le Conseil a déjà fait savoir qu’il rendra publics les résultats officiels du premier tour de l’élection présidentielle en s’adressant à la presse le mercredi 26 avril 2017 à 17 heures.

Toutes les irrégularités conduisent-elles à l’annulation des résultats d’un bureau de vote ? En sa qualité de garant de la régularité de l’élection du Président de la République, le Conseil peut prononcer l’annulation d’opérations électorales s’il constate l’existence d’irrégularités suffisamment graves. Se pose alors la question du degré de gravité des irrégularités. Au regard de la jurisprudence, sont considérées comme des irrégularités justifiant l’annulation d’opérations électorales l’absence de vérification de l’identité des électeurs, l’absence d’isoloirs, le refus répété du bureau de vote d’inviter les électeurs à passer par l’isoloir ou refus répété des électeurs à le faire, l’usage de matériels non conformes aux prescriptions légales ou réglementaires et de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin, comme l’utilisation d’une urne non transparente, ou l’usage d’enveloppes ou de bulletins non réglementaires. La jurisprudence constitutionnelle sur la question est brève, car c’est uniquement dans ses décisions de proclamation des résultats que le Conseil énonce les irrégularités ayant entraîné l’annulation d’opérations électorales.

Que pourrait-il se passer si l’écart entre les candidats est faible ?

Il est vrai qu’au regard des sondages, et de façon inédite dans l’histoire électorale de la Vème République, il plane une totale incertitude sur les deux candidats qui accèderont au second tour. Quatre des onze candidats sont susceptibles d’être qualifiés au second tour.

Mis à part l’impact politique qu’implique une première place à l’issue du premier tour, la vraie question se pose sur l’écart entre le second et le troisième. Les médias ont déjà pris des précautions, en n’excluant pas la possibilité de faire apparaitre trois visages au moment de l’annonce rituelle du dimanche à 20 heures.

Mais quelles sont les implications d’un point de vue du droit ? Cette situation inédite laisse présager un premier tour sous haute tension, où aucun faux-pas ne sera toléré, et avec une forte activité de contrôle de la part des électeurs ayant une affinité avec un des candidats, ce qui impliquera nécessairement une grande charge de travail pour le Conseil constitutionnel dans les 69 heures qui séparent la fermeture du dernier bureau de vote et la déclaration en public de Laurent Fabius le mercredi à 17 heures. Il faut de plus ajouter les réclamations pouvant émaner des candidats, qui disposent d’un délai de 48 heures. Aussi convient-il de prendre avec des pincettes les résultats non-officiels annoncés par les médias dimanche soir.

Les décisions du Conseil constitutionnel n’étant pas susceptibles de recours, personne ne pourra remettre en cause la décision relative aux résultats du premier tour de scrutin de l’élection du Président de la République (n°2017-169 PDR ?) et la décision relative à la liste des candidats habilités à se présenter au second tour de l’élection du Président de la République (n°2017-170 PDR ?). Aussi, ce premier tour de scrutin sera le test de la confiance des différents acteurs politiques dans l’institution électorale qu’est le Conseil constitutionnel.

Et enfin… si un bureau de vote est victime d’un attentat ?

La menace terroriste plane au-dessus de l’élection présidentielle… Entre les attentats déjoués et la fusillade des Champs-Élysées, vient s’ajouter à la tension liée à l’incertitude du résultat, la tension liée à la sécurité aux abords des bureaux de vote, en période d’état d’urgence. Le Premier ministre Bernard Cazeneuve a déclaré que « Rien ne doit entraver ce moment démocratique fondamental pour notre pays ». Le lieutenant-colonel Karine Lejeune, porte-parole de la gendarmerie nationale, a confirmé qu’il y « aura des patrouilles dynamiques pour surveiller au plus près les bureaux de vote ».

Se pose la question de la présence d’arme à feu dans les bureaux de vote. La règle est que l’entrée dans la salle de vote est formellement interdite à tout électeur porteur d’une arme, au titre de l’article L.61 du Code électoral, applicable à l’ensemble des opérations électorales lors des élections au suffrage universel direct, comme le mentionne la circulaire du ministre de l’Intérieur INTA1637796J du 17 janvier 2017. Or, les forces de l’ordre ne sont pas nécessairement électeur lorsqu’ils pénètrent dans l’enceinte du bureau de vote. Contrairement à ce qu’a pu dire Matthias Fekl, ministre de l’Intérieur, « aucune force de sécurité armée ne peut apparaître dans et à proximité immédiate des bureaux de vote. C’est la règle démocratique », il appartient aux présidents du bureau de vote d’autoriser des forces armées à stationner dans la salle de vote ou à ses abords. La circulaire du 17 janvier 2017 ajoute que : « Les autorités civiles et les commandants militaires sont tenus de déférer à ses réquisitions. (…) L’autorité qui a procédé, sur réquisition du président du bureau, à l’expulsion d’un ou de plusieurs assesseurs, délégués ou scrutateurs doit, immédiatement après l’expulsion, adresser au procureur de la République et au représentant de l’État un procès-verbal rendant compte de sa mission ». Ainsi, libre à chaque président de bureau de vote d’autoriser ou non la présence de forces armées. Certains jugeront cela nécessaire, d’autres estimeront qu’il est inconcevable de voter avec des militaires dans l’enceinte du bureau. L’attentat de Nice nous rappelle que malgré un grand arsenal de mesures, et un renfort de policiers, le risque qu’un attentat survienne ne peut être nul, d’autant que le symbole serait fort.

Rien n’est prévu dans le cas d’une attaque terroriste contre un bureau de vote. Aussi plusieurs scénarii se présentent. Un bureau de vote est victime d’un attentat :

  • Les bureaux de vote de l’ensemble du territoire de la République sont fermés.
    • Qui peut prendre une telle décision ? Le ministre de l’Intérieur ? Le Premier ministre ? Le Président de la République ? Le Président du Conseil constitutionnel ?
    • L’élection est-elle reportée ? Si oui, de combien de temps ?
  • Le bureau de vote ciblé est fermé.
    • Un second bureau de vote de fortune est-il laissé à la disposition des électeurs n’ayant pas encore eu l’occasion de voter ?
    • S’il y a destruction du matériel électoral, peut-on permettre aux électeurs ayant déjà exprimés leur vote, de le refaire ?
  • Le bureau de vote peut continuer son fonctionnement.
    • Comment articuler, dans ce cas, le temps démocratique et le temps de l’enquête ?

Les plus pragmatiques diront que dans tous les cas « le bon déroulement des opérations électorales impose de ne pas excéder, autant que possible, le nombre de 800 à 1 000 électeurs inscrits par bureau ». Aussi, si le bureau de vote est fermé, l’impact ne sera que minime sur la sincérité du scrutin. Mais qu’en est-il si ce sont plusieurs bureaux de vote qui sont touchés ?

Plus généralement, comment le Conseil constitutionnel pourrait-il fonder une non-proclamation, un report ou une annulation, en cas d’attentats, limités ou de grande envergure ? Si l’écart entre les deuxième et troisième candidat est inférieur au nombre de bulletins invalidés à cause de l’attentat, le Conseil constitutionnel devra faire un choix : soit il estimera que la sincérité du scrutin n’a pas été altérée, ce qui semble assez difficilement soutenable, et que par conséquent, le résultat est maintenu. Ou bien, il pourra considérer que la sincérité du scrutin n’est pas assurée, que les résultats obtenus ne peuvent garantir qu’il s’agit de l’expression de la majorité, et que par conséquent, il ne peut proclamer le résultat, annule les opérations électorales, et prévoit un report de l’élection présidentielle.

Le Conseil constitutionnel pourrait également se réfugier derrière la dignité du scrutin, qui est une notion pour le moins vague dans la jurisprudence du Conseil, consacrée dans l’affaire du pédiluve de la commune de Villemagne dans un tout autre contexte. Néanmoins, la plasticité de la notion laisse imaginer que le Conseil pourrait tout à fait justifier une non-proclamation, une annulation des opérations électorales et un report de l’élection car la dignité du scrutin n’a pas été respectée, celui-ci étant un moment fort de la démocratie française.

Une autre notion peut être mobilisée, celle d’intégrité du scrutin. Celle-ci n’a jamais été utilisée en tant que telle par le Conseil constitutionnel. Il parle d’intégrité du vote dans sa décision n° 2013-673 DC du 18 juillet 2013, Loi relative à la représentation des Français établis hors de France, mais l’intégrité du scrutin n’a pas été invoquée. Visiblement, elle est intégrée par le juge judiciaire dans une affaire de subdélégation de procuration lors de l’élection du bâtonnier et des membres du conseil de l’ordre des avocats de Nouméa (Cour d’appel de Nouméa, 22 mai 2008, 07/771 et la cassation de cette décision Cour de cassation, Première Chambre civile, 22 octobre 2009, 08-70.093, Inédit). La notion d’intégrité du scrutin, bien qu’utilisée dans un contexte totalement différent par le juge judiciaire, semble être plus adaptée au cas d’une remise en question des opérations électorales par une attaque terroriste. Une telle attaque ne porte-t-elle pas atteinte à l’intégrité du territoire, comme le précise l’article 412-1 du Code pénal « Constitue un attentat le fait de commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national » ? Le lien entre l’attaque terroriste et la non-proclamation, l’annulation, et le report semble peut-être plus évident et, du coup, plus audible par le grand public.

Il ne reste qu’à espérer que ces scénarii ne restent que de la pure fiction…

La singularité des circonstances englobant ce premier tour de scrutin nous invite à la plus grande prudence… et à nous armer de patience… Vivement mercredi 17 heures !

Ricardo Salas Rivera