Discours de politique générale du Premier Ministre : les annonces concernant le droit électoral [R. Rambaud]

Le 14 janvier 2025, le nouveau Premier Ministre, François Bayrou, a fait devant l’Assemblée Nationale, sans engagement de la responsabilité du Gouvernement, son discours de politique générale.

Sur le plan du droit électoral, si on suit le site info.gouv.fr, c’est la reconnaissance du pluralisme qui a été mise en avant par le Premier Ministre. Sur ce plan les principales mesures annoncées ont été les suivantes, et nous nous permettrons à chaque fois quelques petits commentaires.

La relance du débat sur la proportionnelle

Le Premier Ministre a indiqué que, pour mieux faire vivre le pluralisme, il existe la nécessité que « chacun trouve une place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus. C’est la seule règle qui permette à chacun d’être lui-même authentiquement sans être prisonniers d’alliances insincères », critiquant en ceux l’alliance de la NUPES (v. à ce sujet, d’ailleurs, le débat sur la « nuance » NUPES en 2022). « Il y a une option à prendre sur ce principe et une discussion sur ses modalités », a-t-il ajouté.

Il s’agit donc, comme nous l’avions indiqué sur le présent blog, de la relance du débat sur le mode de scrutin proportionnel en France.

Comme nous l’avons déjà écrit sur ce blog, du fait de la nouvelle donne politique, le scrutin majoritaire échoue aujourd’hui complètement (et sans préjuger d’une élection présidentielle en 2027 qui serait suivie d’une dissolution) à apporter la « majorité stable et cohérente » qui justifie constitutionnellement son existence, même si le législateur dispose en la matière d’une très grande liberté d’appréciation. On pourrait même s’interroger sur un éventuel nouvel examen de constitutionnalité que ce mode de scrutin pourrait subir, sans résultat certain évidemment, mais ce qui ne manquerait pas d’interroger de nouveau, au delà des dimensions critiques de la question, sur son maintien. Les effets du barrage républicains de 2024 de ce point de vue pourraient aussi être largement questionnés : cela suscite aujourd’hui une méfiance, comme en témoigne une proposition de loi organique « pour le retour de la sincérité démocratique » qui vient d’être déposée le 2 janvier 2025 à l’Assemblée nationale par Madame la députée Christelle D’intorni et quelques membres de l’Union des droites pour la République (UDR). Elle vise à interdire la pratique des « barrages républicains » en imposant le maintien des candidats qualifiés au deuxième tour des élections législatives (v. sur ce sujet un article de Philippe Blachèr au club des juristes).

Nul doute qu’avec l’arrivée du Président du Modem à Matignon, la question sera très rapidement mise sur la table. Au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, dans la proposition gouvernementale de 2018 (qui faisait partie du projet de transformation des institutions finalement abandonné), il était prévu de réduire les effectifs de parlementaires de 30%, avec 404 sièges restants. Il était aussi prévu de faire élire 15% de ces 404 députés (soit 61 députés) au scrutin proportionnel de liste à l’échelle nationale. En 2019, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique a été complété par un projet de loi ordinaire qui introduisait 20% de proportionnelle aux élections législatives, toujours couplé avec la réduction du nombre de parlementaires (25% au lieu de 30% proposés en 2018, soit 433 députés, parmi lesquels 87 sont élus à la proportionnelle, avec 346 restant au scrutin majoritaire).

On se rappelle aussi par exemple qu’en 2021, deux propositions de loi pour les élections législatives ont été déposées par Patrick Mignola, député du Modem : la première entendait instaurer un scrutin législatif mixte, avec le maintien du mode de scrutin actuel dans les départements comportant 11 députés ou moins, mais les députés seraient élus à la proportionnelle (sans seuil) dans les départements qui comptent douze députés ou plus. La seconde proposition de loi visait à instaurer une proportionnelle intégrale, avec une circonscription égale à un département, avec le scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. En 2021, François Bayrou, Julien Bayou, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, et Laurent Hénart ont écrit une lettre à Emmanuel Macron, pour demander l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives de 2022. En août 2022, une nouvelle proposition de loi relative à la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel pour l’élection des députés était déposée pour mettre en place une proportionnelle départementale à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel, tandis que pour les députés élus par les Français établis hors de France, le vote a lieu dans une circonscription unique.

On se souvient aussi par exemple de la proposition de la Présidente de l’Assemblée Nationale, qui avait imaginé un système dans lesquel les parlementaires seraient élus sur des listes à la proportionnelle dans les départements les plus peuplés, ceux où sont élus 11 députés ou plus, le reste des députés, soit 425, restant élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Système qui avait le mérite de ne pas entraîner de redécoupage des circonscriptions, mais l’inconvénient d’entrer en résonance particulière dans un contexte de possible résurgence de la crise des gilets jaunes.

Le diable se trouve ensuite bien sûr dans les détails. On se permettra cependant de rappeler que, dans un contexte Post-Brexit, la France est désormais seule en Europe avec son système. D’autres systèmes de proportionnelle peuvent être imaginés, comme il en existe de nombreux dans le monde, soit de façon intégrale, soit de façon mixte, avec une dose de proportionnelle. Il existe en la matière un certain nombre d’exemples étrangers : on reverrai ici à notre article précédent.

En France, une autre thèse serait de prendre exemple sur les modes de scrutin municipal dans les communes de 1000 habitants et plus ou régional, qui accordent respectivement une prime majoritaire de 50 % et 25 % des sièges à la liste arrivée en tête avant que le reste des sièges ne soit réparti à la proportionnelle, assurant à la liste gagnante, notamment dans le cadre des élections municipales, une écrasante majorité.

Sur ce point François Bayrou a donné quelques détails sur « son opinion ». « Mon opinion est que le mode de scrutin doit être enraciné dans les territoires, et il ne faut pas que se crée deux catégories de citoyens avec des droits différents ». Une telle déclaration semble éloigner l’hypothèse du schéma proposé par exemple par Yael Braun-Pivet précédemment exposé ci-dessus, ou l’hypothèse de la dose de proportionnelle. Il semble pencher pour une proportionnelle départementale, et non nationale, comme cela était le cas dans le modèle de la loi de juillet 1985 qui s’est appliqué en 1986, hormis probablement l’hypothèse d’une circonscription unique pour les Français de l’étranger. On pourrait également imaginer une proportionnelle nationale avec des sections départementales sur le modèle des élections régionales. Aucune prise de position en revanche n’est prise sur la question de savoir s’il l’on resterait sur le principe d’avoir deux tours de scrutin ou un seul, alors que cela apparaît un enjeu essentiel aujourd’hui pour certaines forces politiques.

Sur ce point, on renverra au très intéressant rapport de Terra Nova faisant un certain nombre de simulations, que tous les partis sans doute examinent désormais avec soin dès lors qu’il s’agit de veiller à leurs intérêts électoraux.

C’est donc bien le débat sur le scrutin proportionnel qui se trouve ainsi relancé et il est particulièrement heureux. Il n’est pas certain en revanche qu’au delà du principe, les partis s’accordent sur les modalités, pouvant ainsi sous prétexte de désaccords démocratiques sur les modalités à adopter, faire obstacle aux avancées, consistant dans un jeu de dupes à faire traîner les choses jusqu’en 2027…

La relance du débat sur le cumul des mandats

Dans ce cadre, comme il l’avait déjà annoncé, François Bayrou souhaiterait un débat sur le non-cumul des mandats et notamment sur la question de savoir s’il ne faudrait pas revenir sur l’interdiction du cumul d’une fonction parlementaire et d’une fonction exécutive locale, d’une « responsabilité simultanée d’une fonction nationale et d’une fonction locale ».

En tant que maire de Pau et en l’absence d’interdiction de cumul de mandat entre une fonction gouvernementale nationale et une fonction exécutive locale, il donne l’exemple.

La relance de la banque de la démocratie

Le Premier ministre a indiqué souhaiter la création d’une banque de la démocratie pour confier à des organismes publics, contrôlés par le Parlement, le financement des partis politiques.

Pour le Premier ministre, ce nouveau mode de financement des partis politiques et des syndicats, qu’il souhaite voir « reconnus comme des mouvements d’utilité publique », doit permettre une meilleure prise en compte du pluralisme et d’éviter de passer par « des stratégies de contournement ». On notera ici que l’article 4 de la Constitution prévoit déjà que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie », et que cela n’est pas toujours sans effet en droit positif : on renverra sur ce sujet à notre article récent sur l’arrêt du Conseil d’Etat Civitas du 30 décembre 2024.

On soulignera qu’il s’agit ici de la reprise d’une ancienne idée chère à François Bayrou, initiée avec la loi de 2017 pour la confiance de la vie politique. En effet, habilité en ce sens par l’article 30 de la loi n°2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, le Gouvernement de l’époque avait été autorisé à prendre par ordonnance, « dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour que les candidats, partis et groupements politiques soumis à la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique puissent, en cas de défaillance avérée du marché, le cas échéant après intervention du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, assurer, à compter du 1er novembre 2018, le financement de campagnes électorales pour les élections présidentielle, législatives, sénatoriales et européennes par l’obtention de prêts, avances ou garanties ». Cependant, le délai dans lequel le Gouvernement était susceptible d’intervenir a expiré sans qu’aucune ordonnance ne soit adoptée. La « banque de la démocratie » est alors mort-née.

Faut-il, alors qu’un médiateur du crédit a été institué, regretter la disparition de la banque de la démocratie ? On peut penser que cette création serait une bonne idée alors que certaines forces politiques ont parfois des difficultés à trouver des financements bancaires et qu’aujourd’hui le financement par des prêts de personnes physiques se développe avec son lot de danger, notamment les dons déguisé ou le financement potentiel par des forces étrangères. Cependant, une telle banque de la démocratie serait dès sa création confrontée à de très grandes difficultés. Il y aurait immédiatement une problématique d’impartialité, qui ne pourrait être que renforcée au demeurant par l’idée que ces organismes publics prêteurs devraient être « contrôlés par le Parlement ». Par ailleurs une telle banque de la démocratie aurait le plus grand mal à concilier, conformément aux termes de la loi de 2017, le « pluralisme de la vie politique » et « la viabilité financière du dispositif mis en place ». Comment l’opinion publique et la doctrine réagiraient-elles lorsque la banque publique de la démocratie refuserait de financer telle ou telle candidature au motif que les chances d’atteindre le seuil du remboursement forfaitaire des dépenses électorales auraient été trop faibles ? Sur le fond, faut-il vraiment ajouter du financement public au financement public et détacher encore davantage, par l’autonomisation de ses ressources, la vie politique de la vie civile ? Ce sont les questions que la relance de la banque de la démocratie va poser.

Le statut de l’élu local

Concernant la décentralisation, le Premier Ministre a indiqué que  «les collectivités locales doivent avoir (…) une place centrale ». Il veut donc «conforter les avancées très attendues sur des sujets comme l’eau, l’assainissement, le statut et la protection des élus ».

Concernant le renforcement du statut de l’élu, le Sénat avait adopté, le 7 mars 2024, une proposition de loi portée par Françoise Gatel, actuelle ministre déléguée chargée de la Ruralité dans le gouvernement de François Bayrou. Les députés pourraient donc repartir de ce texte et y intégrer les mesures contenues dans une autre proposition de loi portée les députés Violette Spillbout et Stéphane Delautrette, déposée le 17 septembre dernier. Nous renvoyons ici à un article de Maylis Douence sur le club des juristes.

La Nouvelle-Calédonie

François Bayrou veut enfin rouvrir fin janvier « les négociations » sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. On se rappelle sur ce point qu’après l’abandon du projet de loi constitutionnelle de réforme du corps électoral des élections provinciales adopté en termes identiques par le Sénat le 2 avril 2024, puis par l’Assemblée nationale le 13 mai 2024, mais laissé de côté suite à la dissolution du 9 juin 2024 et le discours de politique générale du Premier Ministre Michel Barnier, les élections provinciales furent, après avoir été dans un premier repoussées au nom de la réflexion sur la réforme du code électoral, reportées pour la deuxième fois en raison des troubles sur le territoire, au 30 novembre 2025 au plus tard, par la loi organique du 15 novembre 2024. Portant à une durée totale de 18 mois la prorogation des mandats en cours, cette extension a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2024-872 DC du 14 novembre 2024).

Dans l’attente et après le 3ème référendum d’autodétermination de 2021, la Nouvelle-Calédonie cherche son chemin… le reste de la France aussi.

Romain Rambaud