Un nouveau référentiel comptable pour les partis politiques : la conclusion logique d’une séquence riche pour le droit électoral [M. Sannet]

Il est arrivé ! Le règlement n° 2018-03 du 12 octobre 2018 Relatif aux comptes d’ensemble des partis ou groupements politiques de l’autorité des normes comptables, attendu depuis longtemps, a enfin été publié. Tour d’horizon des nouveautés par Matthieu Sannet !

 

La notion de référentiel comptable appliquée aux partis politiques

Un référentiel comptable est un ensemble cohérent de règles d’enregistrement des opérations et de présentation des états financiers. Technique par essence et par construction, il n’est pas pour autant dépourvu d’enjeux politiques en ce qu’il s’inscrit dans la hiérarchie des normes juridiques.

L’Autorité des normes comptables (ANC) établit sous forme de règlements « les prescriptions comptables générales et sectorielles que doivent respecter les personnes physiques ou morales soumises à l’obligation légale d’établir des documents comptables conformes aux normes de la comptabilité privée ». L’ANC n’a pas de personnalité morale et est rattachée au ministère de l’Economie. Ses règlements sont homologués par arrêté conjoint des ministres de l’Economie, de la Justice, et des Comptes Publics.

Les lois successivement adoptées en matière de transparence de la vie politique n’ont de sens que tant que les documents comptables produits permettent d’en assurer l’effectivité. La certification des comptes d’ensemble des partis politiques, c’est-à-dire l’émission d’une opinion motivée sur leur sincérité et leur régularité par des commissaires aux comptes, ne peut s’entendre que vis-à-vis d’un cadre normatif.

Certes, le formulaire des comptes d’ensemble des partis politiques a été amené à évoluer dans le temps. Mais il a été constaté que tous les comptes déposés ne respectent pas ce jeu de comptes préconisé par la CNCCFP, sans que cela ne constitue une infraction aux lois et règlements. En effet, le formulaire n’a pas de valeur normative. Le règlement comptable a le mérite d’édicter des principes opposables à la CNCCFP, aux partis politiques et à leurs certificateurs.

L’art. 11-7-1 de la loi n°88-227 modifiée prévoit d’ailleurs que les partis ou groupements politiques ont l’obligation de tenir une comptabilité selon un règlement établi par l’Autorité des normes comptables.

Une actualisation nécessaire du cadre comptable des partis politiques

Dès lors, la mise à jour du référentiel jusqu’alors applicable (l’avis n°95-02 du conseil de la normalisation comptable, ancêtre de l’ANC) devenait à la fois nécessaire et urgente.

Deux lois promulguées en 2017 sont d’incidence directe sur l’établissement des comptes d’ensemble. Les nouvelles dispositions portent notamment sur l’encadrement des emprunts, suite au retentissement de cas de financements par des établissements étrangers n’offrant pas les toutes garanties nécessaires en termes de traçabilité des fonds. Mais elles portent également sur l’encadrement des prêts aux candidats, du fait de certaines dérives constatées dans la refacturation des intérêts refinancés via le remboursement forfaitaire accordé par l’Etat.

En premier lieu, la loi n°2017-286 du 6 mars 2017 prévoit désormais que les partis ou groupements transmettent, dans les annexes de leurs comptes, les montants et les conditions d’octroi des emprunts souscrits ou consentis par eux, l’identité des prêteurs ainsi que les flux financiers avec les candidats tenus d’établir un compte de campagne.

Le non-respect des règles relatives à la tenue des comptes d’ensemble et notamment de ces nouvelles dispositions est assorti de sanctions (perte du financement public et de la réduction fiscale octroyée aux donateurs et cotisants).

En second lieu, la loi n°2017-1339 dite confiance dans la vie politique détermine que les personnes physiques peuvent accorder des prêts aux partis d’une durée maximale de 5 ans, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une activité habituelle. Les annexes aux comptes d’ensemble doivent permettre de suivre l’état de remboursement des prêts.

Les seules personnes morales habilitées à prêter aux partis et groupements politiques sont les autres partis ou groupements et les établissements de crédit et sociétés de financement ayant leur siège social dans un Etat de l’UE ou partie à l’accord sur l’EEE. Il en va de même pour l’octroi de garanties d’emprunt.

La loi prévoit la transmission en annexes aux comptes d’ensemble des montants et conditions d’octroi des emprunts souscrits ou consentis, de l’identité des prêteurs ainsi que des flux financiers avec les candidats tenus d’établir un compte de campagne. Plus que jamais, l’annexe forme avec le bilan et le compte de résultat un tout indissociable dans la lecture de la situation financière d’un groupement politique.

Le principe de non-rétroactivité de la loi est toutefois rappelé. Seuls les nouveaux contrats conclus sont concernés. Ceci constitue une limitation réelle, au moins dans un premier temps, de la portée des nouvelles obligations.

Enfin, un candidat ne peut contracter auprès d’un parti ou groupement politique des prêts avec intérêts que si ce dernier a lui-même souscrit des prêts à cette fin et dans la limite des intérêts y afférents.

La loi n°2017-1339 précise également le périmètre des comptes d’ensemble en ce qu’il doit désormais explicitement inclure les comptes des organisations territoriales sous certaines conditions. Ces conditions sont posées par le décret n°2017-1795 du 28 décembre 2017 : « les organisations territoriales comprennent les organisations qui sont affiliées au parti ou groupement avec son accord ou à sa demande ou qui ont participé localement, au cours de l’année considérée, à son activité ou au financement d’une campagne ».

Ledit décret fixe également des taux plafonds pour les prêts et emprunts contractés par la formation politique.

Les principales solutions comptables adoptées par le normalisateur et leurs limites

L’étude des innovations du règlement comptable en attente d’homologation entre en parfaite résonance avec les dernières dispositions législatives et réglementaires en ce qu’il en constitue souvent un prolongement et parfois un complément.

Le périmètre

Les critères de définition des organisations territoriales définis par le décret n°2017-1795 sont rappelés par le règlement comptable ANC n°2018-03. Le financement d’une campagne est l’un d’eux. Ce point est une question déjà tranchée par le droit (voir art. L. 52-8 du Code électoral). Elle a donné lieu à plusieurs contentieux (parmi les arrêts les plus notables, voir notamment association « Emergence citoyenne », CE, 10 mars 2009 ; CE, 27 février 2013, Fédération du Bas-Rhin du Parti Radical de Gauche et CE, 5 mars 1997, Elections municipales de Villejuif).

Il était donc bienvenu de délimiter un périmètre des comptes d’ensemble à la fois respectueux du principe constitutionnel de liberté d’administration et adapté à la réalité de l’activité politique des partis. Toutefois, l’ « auditabilité » des critères définis demeurera à démontrer. Comment le certificateur pourra-t-il en effet s’assurer que telle association locale n’a pas participé à l’activité du parti au cours d’une année donnée ? L’affiliation au parti d’une section locale doit-elle revêtir une forme écrite particulière ? Voilà quelques-unes des questions que n’épuise pas le règlement.

Au-delà des organisations territoriales, au sens de la loi n°88-227, les entités sur lesquelles un parti exerce un « pouvoir prépondérant de décision ou de gestion » doivent être intégrées au périmètre des comptes d’ensemble.

Le règlement propose un certain nombre de critères. Ce faisceau d’indices, sans couvrir l’ensemble des situations envisageables, est de nature à préciser un concept législatif aux contours jusqu’alors incertains :

  • L’entité est créée à l’initiative du parti ou d’une entité intégrée ;
  • Une part substantielle des produits de l’entité provient du parti ou d’une entité intégrée ;
  • Une part substantielle des emprunts de l’entité est contractée avec le parti ou les entités intégrées ;
  • Les moyens d’organisation ou de fonctionnement de l’entité sont majoritairement mis à disposition par le parti ou une entité intégrée ;
  • Le parti ou une entité intégrée a la capacité de dissoudre, de changer les statuts ou d’empêcher la modification des statuts de l’entité sous contrôle.

Le nouveau règlement prévoit la liste des mentions devant figurer en annexes aux comptes d’ensemble, ce qui n’était pas le cas de l’avis CNC 95-02. C’est un progrès notable vers le concept d’image fidèle, du point de vue de la compréhension des comptes d’ensemble par leurs lecteurs.

Les emprunts et les prêts

Parmi ces mentions, doivent figurer la liste des prêts à des personnes morales ou physiques non incluses dans le périmètre, et ce par catégorie d’emprunteur (candidats ; partis ; organisations territoriales ou spécialisées non intégrées ; autres) avec le nom de l’emprunteur s’il s’agit d’une personne morale, le capital initial, restant dû, remboursé et les intérêts courus non échus.

Symétriquement, les emprunts sont à ventiler selon leur date d’échéance, leur nature et/ou leur origine (souscription à taux préférentiel auprès de personnes physiques ou non, envers les candidats ou les organisations territoriales ou spécialisées, envers des établissements de crédit ou des partis politiques. Le nom des prêteurs doit être mentionné dans ces deux derniers cas).

 Le financement direct et définitif des campagnes électorales

Les annexes issues du nouveau règlement prévoient un état des prestations de services facturées, ventilées par élection et par type de candidats (tenus ou non de présenter un compte). Un état des prises en charge de frais de campagne par catégorie d’élection, type de candidat et poste de charges est également prévu.

Les liens financiers avec des parties liées

En annexe, un état des contributions à des partis et à des organisations territoriales ou spécialisées non incluses dans les comptes d’ensemble est également rendu obligatoire.

Il est à noter que les versements entre formations politiques figuraient déjà dans le formulaire des comptes d’ensemble fourni par la CNCCFP.

 Diverses dispositions complémentaires, dans un même esprit d’approfondissement du droit comptable applicable, sont arrêtées par le règlement.

La reconnaissance des créances

Ainsi, les créances auprès de partis doivent désormais être ventilées selon leur échéance inférieure ou supérieure à 1 an (et ce, pour éviter des prêts voire des dons déguisés).

Par ailleurs, la norme établit clairement, de façon dérogatoire aux principes comptables généralement admis, que le fait générateur de la comptabilisation des produits de cotisations est leur perception et non l’appel de cotisation, sauf à ce que ce dernier justifie de la naissance effective d’un droit à recette.

La présentation des comptes

Le règlement exige également la comptabilisation séparée des deux fractions du financement public direct et de faire ressortir la modulation à la baisse résultant d’un non-respect de la règle de parité hommes-femmes dans la présentation des candidatures aux élections législatives.

Les modalités de comptabilisation des dons et des cotisations doivent être précisées en annexe, favorisant ainsi leur distinction et l’appréciation des plafonds applicables.

La rémunération des dirigeants non salariés

Autre innovation notable introduite par transposition de dispositions issues du droit commercial, les montants globaux des rémunérations des dirigeants non salariés d’une part et des mandataires d’autre part doivent désormais figurer en annexe. Le volume des remboursements de frais forfaitaires ou sur justificatifs des dirigeants non salariés (personnels d’administration, de direction et de surveillance) est également à communiquer.

Conclusion

L’adoption d’un règlement comptable applicable aux partis et groupements politiques est un signal fort de renforcement des règles de transparence de la vie politique. L’application des nouvelles règles pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018, bien que prévue par la loi, ne laisse néanmoins que peu de temps d’adaptation aux partis politiques.

La convergence des normes comptables entre les organisations économiques, souhaitable en son principe pour l’intelligibilité et la comparabilité des états financiers, trouve ses limites compte-tenu des spécificités des modes d’organisation, de gestion ou de financement des partis politiques. Le renvoi au seul règlement ANC 2014-03 applicable à toutes les entités auxquelles est faite l’obligation de tenir un bilan, un compte de résultat et une annexe, ne permet pas d’appréhender les spécificités de la gestion associative (règlement CRC 99-01) ou du processus de consolidation (défini par le règlement CRC 99-02).

On peut également regretter que le règlement demeure évasif quant aux principes d’évaluation des concours en nature, compte-tenu des enjeux légaux et réglementaires associés.

Mais c’est d’abord et avant tout l’appropriation du règlement par les partis politiques, pour s’y conformer ou mieux le contourner, qui déterminera son efficacité à renforcer les principes de moralisation et de transparence affichés par le législateur.

Les commissaires aux comptes, la CNCCFP voire la HATVP, dans leurs rôles respectifs de contrôle, contribueront à l’effectivité des nouvelles dispositions.

Matthieu Sannet