Passe sanitaire pour les meetings politiques : une liberté pour les partis fondée sur l’article 4 de la Constitution ? [R. Rambaud]

Le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, actuellement en discussion au Parlement, et dont la portée principale est la mise en place d’un passe vaccinal selon des conditions exactes qui sont encore à finaliser, présente également un intérêt du point de vue du droit électoral pour l’élection présidentielle, à propos duquel une commission réunissant les principaux partis politiques a par ailleurs mise été en place pour réfléchir aux modalités matérielles d’organisation pendant la période de Covid.

Cette loi cherche en effet à résoudre le problème de la possibilité d’exiger, à l’entrée des réunions politiques, un passe sanitaire. Nous n’entrerons pas ici dans le débat sur le statut du passe sanitaire ou vaccinal en tant que tel, parce que le débat au Parlement n’est pas terminé sur ce point et que cela cela n’est pas notre objet ici. En effet, pour les réunions politiques, il n’est pas prévu par cette loi encore en discussion de mettre en place un passe vaccinal mais seulement un passe sanitaire.

L’état du droit actuel laisse subsister une incertitude juridique. Dans sa décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, alors que le pass sanitaire n’était pas prévu pour les réunions politiques, le Conseil constitutionnel avait souligné que les mesurées prononcées dans le cadre du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire « peuvent intervenir en période électorale » mais que « la présentation du « passe sanitaire » ne peut être exigée pour l’accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques », estimant sans doute que ces éléments participaient au brevet de constitutionnalité de la loi. Précédemment, dans sa décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021 Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, le Conseil constitutionnel avait estimé que « en permettant de subordonner l’accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes, le législateur a entendu limiter l’application des dispositions contestées aux cas où il est envisagé de mettre en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu » mais que « la notion d’activité de loisirs, qui exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle, n’est ni imprécise ni ambiguë », position rappelée dans la décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021.

Ainsi la loi d’août 2021 dispose que « Hors les cas prévus aux 1° et 2° du A du présent II, nul ne peut exiger d’une personne la présentation d’un résultat d’examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19 ». Il en a résulté une controverse : est-il possible ou non aux partis politiques de prévoir un passe sanitaire pour les meetings, comme cela est la pratique pour un certain nombre de partis politiques ? Pour certains, cela est impossible et constituerait une infraction pénale. Pour d’autres, et cela a été la position adoptée ici, il vaut mieux considérer que si le pass sanitaire n’est pas prévu pour les meetings politiques, il n’est pas totalement interdit non plus de le demander : ce qui est explicitement interdit est de l' »exiger ». Cette position est justifiée pour des raisons d’opportunité (de nombreux partis ayant fait le choix de demander le passe sanitaire) mais aussi pour des raisons de droit. Du point de vue du droit pénal, parce qu’il faut en matière pénale toujours privilégier le principe de l’interprétation stricte. Du point de vue du droit constitutionnel également, en vertu de l’article 4 de la Constitution, qui dispose « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie« , lequel pourrait être confronté à l’incrimination pénale elle-même… En interdisant aux partis politiques d’exiger un passe sanitaire, dans quelle mesure cette incrimination pénale est-elle ou non conforme à l’article 4 de la Constitution ?

Pour résoudre cette difficulté, un amendement a été déposé lors de l’examen du projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique à l’Assemblée Nationale par le député Guillaume Larrivé, le texte adopté par l’Assemblée Nationale disposant alors que « Par dérogation aux deux premiers alinéas du présent F, la personne responsable de l’organisation d’une réunion politique peut en subordonner l’accès à la présentation du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid‑19, d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid‑19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid‑19. ». Il s’agit donc de demander un passe sanitaire et non un passe vaccinal, puisqu’il est toujours possible de présenter le résultat d’un examen de dépistage virologique. Le Sénat, encadrant davantage le dispositif, a modifié le texte pour que celui-ci dispose que « Par dérogation aux deux premiers alinéas du présent F, lorsque le nombre d’hospitalisations liées à la covid-19 est supérieur à 10 000 patients au niveau national, ou dans les départements où moins de 80 % de la population dispose d’un schéma vaccinal complet contre la covid-19 ou dans lesquels une circulation active du virus est constatée, mesurée par un taux d’incidence élevé de la maladie covid-19, la personne responsable de l’organisation d’une réunion politique peut en subordonner l’accès à la présentation soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19. Les garanties prévues aux B et E du présent II sont applicables. ».

Ces amendements ont suscité des débats au Parlement et dans la société civile. Quel que soit le dispositif précis adopté, la question se pose de savoir si le principe même de demander ou d’exiger un passe sanitaire serait ou non conforme à la Constitution, eu égard à la jurisprudence précédente. Une controverse existe aussi parmi les juristes. Certains défendent la thèse que cela serait inconstitutionnel parce que cela résulte des décisions précitées, qui auraient ainsi créé une sorte de principe général d’interdiction. D’autres pensent que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet pas encore d’en déduire cela.

La position que nous souhaitons pendre sur ce débat s’inscrit dans la deuxième option. Au delà de l’interprétation des décisions du Conseil constitutionnel, il faut nous semble-t-il pour ce faire revenir tout simplement au texte de la Constitution, à savoir l’article 4 de la Constitution lui-même, qui dispose pour rappel que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».

« Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement ».

Article 4 de la Constitution

De ce texte résulte de notre point de vue l’idée que dans ce cadre, la liberté des partis politiques se trouve particulièrement protégée. Dès lors, du point de vue de la constitutionnalité de ce dispositif, il en résulterait que le principe de la liberté des partis justifie tout aussi bien la liberté de demander et d’exiger un passe sanitaire pour accéder à une réunion politique d’un coté, que l’impossibilité pour la loi d’exiger que le passe sanitaire soit obligatoire pour les réunions politiques d’un autre côté. Ceci s’examinant bien sûr par ailleurs dans le respect du principe de proportionnalité contrôlé par le Conseil constitutionnel.

Une solution logique de nature à satisfaire toutes les formations politiques quelles qu’elles soient, respectueuse de la diversité des opinions formées en âme et conscience et véritablement fondée sur le texte même de la Constitution.

Romain Rambaud