Troisième référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie : la fin d’un processus référendaire trentenaire ? (art n°1) [Charlie Delorme, M1 Gouvernance territoriale, UGA ]

Un événement historique est à l’orée de se produire et, en Métropole, on n’en parle que trop peu : l’organisation du troisième, et normalement dernier, référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie… Alors que des débats intenses ont lieu sur l’île sur le maintien ou non du référendum puisque la crise de la covid-19 bat son plein là-bas, le blog du droit électoral souhaite consacrer plusieurs articles à ce sujet fondamental. Ces articles sont rédigés par Charlie Delorme, étudiante en M1 Droit des collectivités territoriales, parcours Gouvernance territoriale, Master bi-diplômant entre la faculté de droit de l’université Grenoble-Alpes et Sciences Po Grenoble. Un grand merci à elle !

Article n°1 – Le troisième référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, histoire et contexte après les référendums de 2018 et 2020.

Le 12 décembre prochain, la Nouvelle-Calédonie devrait a priori voir se dérouler le scrutin du troisième référendum sur l’indépendance, malgré la recrudescence de l’épidémie de Covid-19 sur le territoire. Il appellera pour la troisième et dernière fois une partie de la population à se prononcer sur la question qui anime vivement l’archipel depuis plus de trente ans : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».

La Nouvelle-Calédonie est une collectivité territoriale d’outre-mer sui generis, à statut spécifique dont la création et la base institutionnelle ont valeur constitutionnelle et référendaire[1]. Elle repose sur des dispositions transitoires et largement dérogatoires (propre pouvoir législatif, existence d’une citoyenneté calédonienne, transfert considérable et définitif de compétences). Par conséquent, la Nouvelle-Calédonie dispose d’une forte autonomie et d’une situation politique et institutionnelle originale voire exceptionnelle, comme en témoignent les modalités d’organisation de l’avenir du territoire modulées dans le temps.

L’enjeu propre à la consultation sur l’accès à la pleine souveraineté et à l’indépendance en Nouvelle-Calédonie est d’une grande envergure. En effet, depuis l’accord de Nouméa, l’organisation politique et institutionnelle de ce territoire insulaire fait l’objet d’une large souplesse juridique vis-à-vis de l’Etat français. Par exemple, le transfert quasi total des compétences non régaliennes de l’État français à la Nouvelle-Calédonie et la révision constitutionnelle[2] sans précédent qu’il a impliqué, sont inédits.

Retour sur les origines du processus référendaire : la question de l’autodétermination

L’usage du référendum comme outil de prise de décisions relatives à l’avenir juridique, politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est devenu fréquent à travers les lois et les accords adoptés, lui permettant parfois d’échapper au contrôle de constitutionnalité et d’affirmer ainsi ses propres règles, au titre d’un compromis politique indispensable. Par exemple, « était notamment voué à l’échec le contentieux de l’excès de pouvoir formé contre le décret qui organisait le scrutin local d’approbation de l’accord de Nouméa dans des conditions de suffrage restreint dès lors que ce décret était constitutionnellement protégé à l’encontre de celles des normes internationales dont l’invocation pour la défense de la démocratie politique, au titre de l’universalité du suffrage devait rester parfaitement vaine, devant le juge français, face à la norme constitutionnelle, à la fois supérieure et contraire[3]». La question de l’instauration d’un suffrage restreint légal suscite en effet un vaste débat sur lequel il conviendra de revenir.

A quoi renvoie la nécessité de mettre en œuvre un référendum sur la question de l’indépendance ?

Le référendum est un moyen de consultation d’un peuple sur l’accès à sa pleine souveraineté. Le processus référendaire de la Nouvelle-Calédonie dans lequel s’inscrit le troisième référendum, répond à une obligation internationale qui consiste à accorder un droit à l’autodétermination interne aux peuples colonisés ou soumis à une domination étrangère. Ce principe reconnu par le droit international et plus précisément par l’ONU, découle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes[4]. Ce dernier reconnaît le droit pour ces peuples à déterminer librement leur statut politique et à poursuivre leur développement économique, social et culturel de manière autonome. La question de l’autodétermination interne du peuple calédonien a donc été soulevée afin de consulter les «populations intéressées» en juillet 1983 lors de la table ronde de Nainville-les-Roches par la reconnaissance du droit du peuple kanak[5] à l’indépendance. La Nouvelle-Calédonie figure dès lors toujours sur la liste des Nations Unies des territoires non autonomes à décoloniser, un Comité spécial de la décolonisation étant chargé de veiller au respect de cette obligation par les États concernés. Par ailleurs, le droit à l’autodétermination des peuples est garanti constitutionnellement aux territoires d’outre-mer par l’alinéa 2 du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958[6], une consécration symboliquement très forte. Le peuple calédonien a ainsi été consulté par les autorités politiques par référendum non seulement sur la question de l’indépendance, mais aussi sur l’évolution statutaire du pays, au sein ou en dehors de la République.

Toutefois, si le droit à l’autodétermination interne des populations intéressées est obligatoire, il n’est pas synonyme d’indépendance, car le premier à l’inverse du second comporte davantage de nuances. Il laisse entrevoir la possibilité d’une troisième voie, entre rupture et appartenance à la France métropolitaine : celle de la création d’un statut d’autonomie de la Nouvelle-Calédonie, dont les caractéristiques et les spécificités restent à définir. « Le processus se caractérise par sa particularité puisque la réponse à la consultation devrait produire des suites institutionnelles bien plus nuancées et complexes que celles qui caractérisent généralement l’accès d’un territoire à l’indépendance : ni table rase ni statu quo »[7]. 

A quand remonte l’émergence du processus référendaire ?

Le processus référendaire de la Nouvelle-Calédonie trouve ses racines à la fin du XXe siècle (à partir des années 1970-1980), période dite des « événements », durant laquelle il règne une instabilité statutaire et des inégalités économiques et sociales flagrantes, qui font apparaître des heurts et des violences insurrectionnelles. L’apogée de cette phase se manifeste par la prise d’otages sur l’île d’Ouvéa en 1988. À cette date, la situation en Nouvelle-Calédonie s’apparente à celle d’une guerre civile. Dès lors, discussions et négociations deviennent les maîtres mots d’une nouvelle ère qui débute par la mise en place des accords Matignon-Oudinot le 26 juin 1988[8], puis de l’accord de Nouméa le 5 mai 1998[9], votés par voie référendaire et conclus entre le gouvernement français et les représentants politiques néo-calédoniens.

Les orientations des accords Matignon-Oudinot prévoyaient entre autres la tenue d’un référendum d’autodétermination à l’issue d’une période de dix ans, en 1998[10]. Entre temps, une politique de développement économique, social et culturel devait être mise en place afin de rééquilibrer la situation ainsi créée. C’est donc l’article 2 de la loi du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 qui prévoit entre le 1er mars et le 31 décembre 1998, l’organisation d’un « scrutin d’autodétermination ». En effet, en 1988 la question de l’avenir du territoire est particulièrement sensible et les populations concernées ne semblent pas prêtes à l’affronter. L’objectif des accords Matignon-Oudinot étant de « libérer le débat politique du seul positionnement à l’égard de l’indépendance »[11]. De plus, les autorités politiques avaient bien  conscience de la victoire certaine du maintien du territoire dans la République en 1988[12] : « une alternative binaire, à travers la proposition sans nuance du « oui » ou du « non » à la France, ne peut assurer la paix »[13].

Par la suite, l’accord de Nouméa, voté par un référendum local en 1998, décide de reporter le référendum initialement prévu pour 1998 par les accords Matignon-Oudinot et laisse entrevoir une période transitoire de vingt ans, indispensable pour construire l’idée d’un destin commun avant de reprendre les discussions sur l’autodétermination par la tenue de futurs référendums. Cette période est jugée nécessaire par les représentants politiques pour favoriser l’ « émancipation qui se traduit par un effacement progressif de l’État au profit du Pays »[14]. L’article 77 de la Constitution du 4 octobre 1958 consacre l’existence constitutionnelle de l’accord de Nouméa : « si l’accord de Nouméa n’est pas la Constitution, il est cependant un texte de valeur constitutionnelle dans l’ensemble de son dispositif en tant que ses dispositions sont constitutionnellement validées par effet de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998[15]». L’article 77 de la Constitution comporte ainsi des dispositions relatives aux compétences transférées à la Nouvelle-Calédonie, aux règles d’organisation et de fonctionnement des institutions, aux règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier.

Il s’agit d’un véritable phénomène de malléabilité du droit constitutionnel. La situation juridique calédonienne s’est construite sur une création : l’émergence d’un droit évolutif en matière de souveraineté, par opposition au droit constitutionnel français généralement rigide. D’ailleurs, la doctrine publiciste a vivement discuté de la nouveauté constitutionnelle apportée par la situation institutionnelle calédonienne, évoquant une « horreur constitutionnelle » et une « absurdité juridique »[16] , car ne se rattachant à aucune notion juridique connue.

Le contexte du troisième référendum d’autodétermination après les référendums de 2018 et 2020

Pourquoi la Nouvelle-Calédonie a t-elle prévu l’organisation de trois référendums successifs sur la même question ?

À la suite de l’adoption de l’accord de Nouméa, l’article 271 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit l’organisation au maximum de trois référendums successifs dans le cas où la première et la deuxième consultations aboutiraient à un rejet de l’accession à la pleine souveraineté par la majorité des suffrages exprimés. La tenue des deuxième et troisième référendums était donc soumise à deux conditions : un résultat négatif du scrutin lors du référendum et une demande écrite du tiers des membres du Congrès pour provoquer l’organisation du référendum suivant. L’accord de Nouméa prévoit un délai maximum de deux ans entre chaque référendum. La même question est donc posée aux électeurs calédoniens à trois reprises, le 4 novembre 2018, le 4 octobre 2020 et le 12 décembre 2021 : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».

Les partenaires politiques avaient en effet décidé et inscrit dans le cadre de l’accord de Nouméa (point 5) l’objet de la consultation : « la consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Malgré l’objectif tripartite exprimé par ces dispositions, la nécessité de poser une question unique est apparue essentielle pour préserver la clarté du processus et ne pas le complexifier davantage. Certains ont pu critiquer ce choix, qualifiant la formulation retenue de « question sèche et clivante »[17].

On a pu tirer certaines conséquences des données et des résultats issus des deux référendums du 4 novembre 2018 et celui du 4 octobre 2020. Lors du premier referendum, 56,4% des votants ont voté contre l’indépendance et le taux de participation au scrutin s’est élevé à 81%. Lors du deuxième referendum, le taux du non à l’indépendance a diminué puisqu’il ne représentait plus que 53,26% des voix. Le taux de participation a quant à lui augmenté (85,6%).

La victoire du non lors du referendum de 2018 n’a pas été totale car elle a laissé apparaître un résultat en demi-teinte. Bien que ce dernier ait été majoritaire, le poids du oui dans les résultats a surpris les indépendantistes tout comme les non-indépendantistes. Les résultats davantage resserrés entre la part du oui et celle du non à l’indépendance lors du deuxième referendum a confirmé cette tendance. Les partisans de l’indépendance sont en majorité Kanak. À l’échelle communale, lors du premier référendum, le coefficient de corrélation entre le vote pour l’indépendance et la part de la population qui s’est définie comme Kanak au recensement de 2014, est de 0,97[18]. Par extension de ce constat, on observe que les zones de terres coutumières votent pour l’indépendance.

Cela ne signifie pas pour autant que le peuple kanak soit indépendantiste dans son intégralité. On remarque également lors du référendum du 4 novembre 2018 que le vote est géographiquement marqué, voire « spatialement tranché »[19]: « les électeurs provenant de la province des îles Loyauté et de la province Nord ont voté pour l’indépendance respectivement à 82,2 % et 75,8 %, alors que ceux de la province Sud ont voté contre à 74,1 % ». Il existe d’autre part une propension des femmes kanak avec l’âge à voter contre l’indépendance. Par ailleurs, les Kanak de statut civil de droit commun, très minoritaires, votent moins massivement en faveur de l’indépendance que ceux de statut civil coutumier. Un constat moins intuitif consiste à relever que la part de la population kanak la plus aisée est la plus favorable à l’indépendance, « probablement parce que celle-ci est une opportunité pour prendre en main la destinée du pays»[20].

Les enjeux du troisième référendum, dans ce contexte politique incertaine, apparaissent donc absolument fondamentaux.

Charlie Delorme, étudiante M1 Droit des collectivités territoriales – Gouvernance territoriale (Faculté de droit et Sciences Po Grenoble, Université Grenoble-Alpes)

Bibliographie et notes


[1] Il s’agit de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 adopté par voie référendaire puis constitutionnalisé par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998. De plus l’article 77 (Titre XIII) de la Constitution du 4 octobre 1958 se réfère aux orientations de l’accord de Nouméa.

[2] Loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juill. 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie, qui rétablit, au sein de la Constitution, un titre XIII comprenant les articles 76 et 77 rassemblant les « dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

[3] O.Gohin, «Commentaire des lois organiques nos 99-909 et 99-910 du 19 mars 1999 relatives à la Nouvelle-Calédonie. » L’Actualité juridique: Droit administratif (AJDA), n°. 6, Dalloz, 1999, p. 500.

[4] Le principe juridique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été consacré par  la Résolution 637 (VII) du 16 décembre 1952 et la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 de l’AGNU.

[5] Selon la graphie officielle, ce mot demeure invariable en nom et en genre.

[6] Cons. constit., déc. n° 87-226 DC du 2 juin 1987, Consultations des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, Rec. p. 34.

[7] H.Alcaraz, « La consultations sur « l’accès à la pleine souveraineté et à l’indépendance » de la Nouvelle-Calédonie », RFDA, n°2 du 9 mai 2018, p.291.

[8] Accords soumis à l’approbation d’un référendum organisé sur le fondement de l’article 11 de la Constitution.

[9] Accord soumis à l’approbation d’un référendum local organisé sur le fondement de l’article 76 de la Constitution.

[10]« Au terme de ces dix années, les populations de Nouvelle-Calédonie, intéressées au choix de son destin, pourront se prononcer, assurées de leur avenir, sur la nature des liens entre ce Territoire et la France, en exerçant le droit constitutionnel à l’autodétermination » – Accords Matignon-Oudinot du 26 juin 1988.

[11] S.Mohamed-Gaillard, « Référendum en Nouvelle-Calédonie : quels enjeux pour la France dans le Pacifique. Diplomatie : affaires stratégiques et relations internationales », Areion Group, 2018.

[12] Un référendum sur l’indépendance fut organisé le 13 septembre 1987 (référendum PONS), dont il résulta un vote favorable à 98,3% au maintien du territoire dans la France et un taux d’abstention conséquent (40,9%). Tous les Français ayant 3 ans ou plus de résidence sur le territoire étaient autorisés à participer au scrutin. Il fut boycotté par les indépendantistes, sans succès.

[13] Ibid note 6.

[14] M. Chauchat, « Transferts de compétences et avenir de la Nouvelle-Calédonie », AJDA 2007, p.2243.

[15] O.Gohin, “Commentaire des lois organiques nos 99-909 et 99-910 du 19 mars 1999 relatives à la Nouvelle-Calédonie.” L’Actualité juridique: Droit administratif (AJDA), n°. 6, Dalloz, 1999, p. 500.

[16] D.Turpin, « La consultation relative à l’autodétermination et les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie ou le droit constitutionnel revisité », Revue du droit public, Lextenso, 2019, n° 4, pp. 1013-1045.

[17] J.Courtial et F.Mélin-Soucramanien, « Rapport sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », octobre 2013, p.26 : «  La question simple et sèche est nécessairement clivante. Certes, elle ne s’écarte pas de la lettre de l’accord de Nouméa mais, paradoxalement, elle va à rebours de son esprit qui est celui de la construction d’un destin commun ».

[18] J.Ch. Gay, « L’autodétermination pour solder la colonisation : le cas de la Nouvelle- Calédonie », L’Espace Politique, n°36, mars 2018, pp.15-16. L’ensemble des chiffres cité dans ce paragraphe provident du même auteur.

[19] Ibid.

[20] Ibid.