01/09/2015 : Conférence de consensus des « Pas sans nous » (5) : Analyse juridique de la faisabilité du fonds public d’interpellation [R.Rambaud]

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téléchargementMarie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache dans leur rapport Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires ont proposé, afin de garantir un véritable Empowerment des citoyens (voir notre deuxième article), de donner les moyens de l’interpellation populaire. Outre les considérations plus générales que nous avons faites précédemment sur la philosophie du droit d’interpellation ou la nécessité de ré-investir les dispositifs déjà existants, il est certain que l’un des rôles assigné au juriste, et au professeur de droit public en particulier, dans une telle conférence de consensus (sur la méthodologie d’une telle manifestation, voir notre article introductif), est de déterminer la faisabilité juridique d’une telle proposition.

Si en droit tout ou presque est faisable, les développements qui suivent, ainsi que ceux qui précèdent, invitent quand même à la prudence : il est peu probable que le système juridique admette la proposition telle que celle-ci a été faite. Il faudra donc en tenir compte dans la réflexion au regard des enjeux théoriques qui ont été soulevés précédemment. Sur ce point, il faut tout de même distinguer la question du financement à proprement parler, qui sera l’objet du présent article et qui pose moins de problème, de la gestion de ce fonds par une autorité administrative indépendante, comme le propose le rapport, qui est plus difficile et qui fera l’objet de l’article suivant.

La proposition du rapport Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires : donner les moyens de l’interpellation citoyenne

téléchargement (1)L’une des propositions phares du rapport est donc de donner les moyens de l’interpellation citoyenne. En effet, d’après les auteurs (p. 45), « si les discours sur la démocratie participative ont fleuri en France au cours des vingt dernières années, appelant au développement de nouvelles formes de participation des citoyens, seule la démocratie représentative reste financée, que ce soit sous forme du financement des partis politiques ou des représentants élus. La participation n’est financée que lorsqu’elle est initiée par les institutions. La proposition est d’inscrire véritablement un droit d’interpellation citoyenne comme une dimension à part entière du fonctionnement démocratique de la République, et pour cela de dégager les moyens humains et financiers favorisant sa mise en œuvre ».

Plus précisément encore, la proposition est celle de la création d’un fonds de dotation pour le droit d’interpellation citoyenne selon les modalités suivantes : « Ce fonds pourra financer toute initiative citoyenne contribuant au débat public sur des enjeux d’intérêt commun (et non sur la base de l’intérêt d’un groupe), posés à l’échelle locale, comme nationale. Il ne contribuera pas au financement de projets de services ou d’actions et d’animations sociales. L’objectif est de soutenir la prise de parole citoyenne pour sa contribution au débat démocratique, de permettre que se structure la parole de ceux qui ne l’ont pas, et d’ouvrir ainsi sur une construction conflictuelle de l’intérêt général. Ce financement sera constitué d’un prélèvement de 1% sur le financement public des partis politiques et de 10 % sur les réserves parlementaires. Les règles de fonctionnement de la Haute autorité en charge de le distribuer et de le contrôler seront élaborées après délibération d’une conférence de consensus. On peut imaginer qu’elle sera composée d’élus, de hauts fonctionnaires, de personnalités issues de la société civile et du monde de la recherche, et pour au moins un tiers de représentants associatifs. Elle sera placée sous contrôle parlementaire. Des critères clairs seront énoncés pour l’octroi de ce financement, comme : l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs institutionnels (pas de subventions numéraires des collectivités locales, des organismes délégataire de service public et des ministères dépassant 15 % du budget) ; la non-représentation des collectivités locales et des partis politiques dans la gouvernance de la structure ; la non-participation aux élections politiques ».

téléchargementCette proposition a reçu un avis favorable de l’ »avis final » de la Conférence de citoyens, qui s’est réunie pour discuter du rapport selon une méthode délibérative proche de celle qui sera utilisée lors de la prochaine conférence de consensus, et que l’on trouve reproduit à la fin du rapport.  Cette conférence a notamment procédé à une « priorisation » des propositions formulées par le rapport (p. 113) : la n°1 est de sécuriser le financement des associations, mais la création d’une autorité administrative indépendante en charge de la gestion d’un fonds de dotation pour la démocratie d’interpellation citoyenne est la proposition classée n° 5. Cet avis final considère cependant que certains points sont à améliorer, notamment en ce qui concerne l’organisation des instances et la répartition des représentants (les collèges gérant l’AAI devront connaître plus d’habitants et d’associations que d’élus et de professionnels, la présence et le pouvoir des élus et des professionnels dans l’AAI fait l’objet d’un débat entre les participants, il faudrait vulgariser le vocabulaire de l’AAI, etc.) et la précision des critères et projets portés (définir une grille avec 2 ou 3 critères et des indicateurs, préciser ce que l’on entend par « toute initiative citoyenne de nature collective et populaire », etc.)

Ainsi, si l’on veut résumer cette proposition, notamment pour la tester juridiquement, elle présente les caractéristiques suivantes :

L’objet du fonds d’interpellation est limité à l’interpellation mais celle-ci est entendue de façon très large : le fonds pourra financer « toute initiative citoyenne contribuant au débat public sur des enjeux d’intérêt commun (et non sur la base de l’intérêt d’un groupe), posés à l’échelle locale, comme nationale. Il ne contribuera pas au financement de projets de services ou d’actions et d’animations sociales ».  Si les auteurs précisent que le fonds ne contribuera pas au « financement de projets de services ou d’actions et d’animations sociales », c’est pour le distinguer des outils de ce type qui peuvent être utilisés dans le cadre de la politique de la ville, par exemple les « fonds de participation habitants » dits FPH que peuvent gérer les conseils citoyens au sens de la loi Lamy de février 2014. téléchargement (3)En revanche, on constate que le droit d’interpellation lui-même est entendu de façon extrêmement large : tout initiative citoyenne contribuant au débat public sur des enjeux d’intérêt commun à l’échelle locale comme nationale. Le caractère très large de cette définition supposera alors de filtrer les initiatives, ce qui implique le rôle de l’AAI au sens du rapport.

 – Le financement sera constitué d’un prélèvement de 1% sur le financement public des partis politiques et de 10 % sur les réserves parlementaires. Les auteurs du rapport ont donc décidé d’annoncer la façon dont ils souhaitaient voir ce fonds financé afin de faciliter sa mise en oeuvre. Bien sûr, on comprend ici l’objectif politique : il s’agit de substituer la démocratie participative à la démocratie représentative, en visant les partis qui la représentent, ainsi que les réserves parlementaires qui sont très critiquées.

– Le fonds sera géré par une AAI qui devra mettre en oeuvre des critères clairs : « Les règles de fonctionnement de la Haute autorité en charge de le distribuer et de le contrôler seront élaborées après délibération d’une conférence de consensus ». Ce point est particulièrement important et il fera l’objet d’une étude plus détaillée dans notre prochain article, parce qu’il pose sans doute plus de difficultés que la question du financement en tant que telle.

On se concentrera donc dans le présent billet sur la question du financement au sens strict, c’est à dire la question de savoir d’où peut provenir l’argent.

Problématique du financement public du droit d’interpellation

De ce point de vue, il faut tout d’abord noter que l’idée même d’un financement public suppose la construction d’un droit d’interpellation public, préféré au droit d’interpellation privé. Cela n’a rien d’évident, au regard des contraintes et des freins qui ont été posés à l’exercice de ce droit dès que celui-ci a été institutionnalisé, tant au niveau national qu’au niveau local.

Un tel choix n’est pas neutre car il conduit, d’une part, à négliger la perspective du droit d’interpellation privé, et d’autre part, à prendre le risque de la capture du droit d’interpellation public par le biais du financement. On retrouve concernant le financement les mêmes enjeux et les mêmes risques que pour l’instauration du droit d’interpellation de façon plus générale.

téléchargement (1)Concernant le financement privé de l’interpellation privée, en effet, et même s’il ne s’agit que d’obtenir de l’argent, une nouvelle institutionnalisation accompagnée d’un financement public risque d’être de nature à créer une distorsion entre les différentes associations et à renforcer certaines, « officielles » selon un processus de sélection organisé selon des modalités législatives que fondamentalement on ne maîtrise pas. Dès lors, la question est posée de savoir s’il ne faut pas rester dans un modèle plus libéral d’interpellation citoyenne. On peut le voir par exemple avec  l’Alliance citoyenne de Grenoble et l’importance qui met en avant l’importance de son indépendance financière : cette alliance refuse les fonds publics et est fondée sur des fonds privés. Cependant, une telle modalité de financement conduit à des difficultés pour fonctionner, ce qui nuit à  une véritable expression citoyenne en mesure d’interpeller les décideurs politiques, administratifs, comme économiques.

téléchargement (2)Dans ce cadre, toutefois, ne faut-il pas mieux s’orienter vers les nouvelles méthodes de faire qui pourraient viser les personnes privées et non pas immédiatement les institutions et les financements étatiques ? C’est la problématique du crowdfunding citoyen. En effet, en parallèle des projets de démocratie participative portés par des collectivités, des initiatives privées de plateformes dédiées au financement de projets publics voient le jour. Le crowdfunding citoyen (ou civic crowdfunding en anglais), que l’on peut aussi nommer le financement participatif, donne la possibilité à des particuliers de financer des projets de services publics via des plateformes spécifiques que l’on trouve sur internet et dont le succès apparaît très important en pratique. En d’autres termes, il leur permet d’allouer une partie de leur richesse à des projets d’intérêt général qu’ils choisissent. De tels dispositifs existent déjà dans les pays anglo-saxons. Ainsi, d’après les spécialistes du Crowdfunding (voir Maaloui et Conreaux, Crowdfunding, Les clés du financement participatif, Ellipses, 2014), l’économie citoyenne est précisément l’une des perspectives les plus intéressantes du Crowdfunding. C’est donc un aspect qu’il faudrait développer, par exemple en se rapprochant de l’association Financement participatif France  et il faudrait s’intéresser aux potentialités offertes offertes par l’ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif et le décret d’application n° 2014-1053 du 16 septembre 2014.

téléchargement (6)Par ailleurs, le choix du financement du droit d’interpellation par une ligne budgétaire de l’État peut poser des problèmes en termes de capture de la démocratie participative par l’État. C’est un risque important, à l’opposé de la conception libérale que l’on pourrait retenir de la démocratie participative et de son financement par les personnes privées dans le cadre du crowdfunding par exemple. Il faut prendre garde à ne pas voir se réaliser dans la démocratie participative ce que l’on constate s’agissant des partis politiques, à savoir la cartellisation des porteurs de démocratie participative. C’est en effet une dérive très importante et largement constatée du système français que le financement quasi-exclusivement public des partis politiques mis en oeuvre par le droit électoral (voir notre article sur ce blog pour une plus longue explication) entraîne ce que les politologues ont appelé leur « cartellisation », autrement dit leur transformation en nouvel appendice de l’Etat déconnecté de la société réelle : professionnalisation du personnel politique, détachement de la société civile, absence d’enjeu en termes politique en raison du fonctionnement en autonomie du système politique et du jeu de l’alternance, faiblesse du contrôle et dérives des voies de financement, etc. Ceci est d’autant plus vrai, on y reviendra, que l’organisation de l’AAI prévue poserait des difficultés juridiques importantes.

Le choix du financement public de l’interpellation présente donc des risques importants d’autant il est très peu probable que la création d’un éventuel dispositif se fasse sans aucune référence aux dispositifs déjà existants d’interpellation. En effet, le législateur qui serait conduit à intervenir n’aurait pas une analyse hors sol de la situation, contrairement au rapport de 2013 pris en lui-même : il serait très probablement conduit à construire un lien entre les droits d’interpellation publics et le financement. Or, comme nous l’avons vu, ces droits d’interpellation peuvent conduire à restreindre de façon importante en réalité le droit d’interpellation.

Cependant, si ce choix est fait, la question du financement devrait pouvoir être réalisée juridiquement, même si un certain nombre de mises au point techniques sont utiles pour situer cette proposition dans le cadre du droit des finances publiques. La création de ce fonds selon les modalités qui sont décrites ci-dessus, mobilise trois champs distincts et complémentaires du droit : les grands principes des finances publiques et de la comptabilité publique, la question du financement des partis politiques, et la question de la réserve parlementaire.

Les principes des finances publiques et la création d’un fonds d’interpellation

téléchargement (5)Comment créer un fonds d’interpellation et existe-t-il des principes qui doivent en régir le fonctionnement ? Le constat ici est qu’il est nécessaire de déterminer d’abord quel pourrait ou devrait être le niveau pertinent : le niveau national ou le niveau local, car chaque niveau n’obéit pas à la même logique.

En ce qui concerne le niveau national, la réflexion conduit aux principes budgétaires qui doivent être pris en compte lors de l’élaboration de ce budget. Cela conduit notamment à reconnaître la compétence du législateur en la matière en vertu de l’article 34 de la Constitution : le financement de l’interpellation conduira sans doute à l’adoption d’une législation et donc à une nouvelle institutionnalisation du droit d’interpellation encadrée par le législateur avec les risques que cela représente.Cela ne signifie pas que la dépense soit décidée dans le détail par le législateur mais elle doit y être autorisée avec possibilité de renvoi au gouvernement, comme pour les partis politiques (voir loi n° 88-227 et décret n° 2015-53 du 23 janvier 2015 pris pour l’application des articles 9 et 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique).

Quant à l’approvisionnement de ce fonds, il s’agira pas de prélèvement au sens strict mais de simples choix budgétaires réalisés par le législateur. La création d’un fonds implique la question des dépenses et non des recettes, qui répondent au principe de l’universalité budgétaire. L’idée ici n’est pas d’aller chercher de nouvelles recettes mais en réalité de réaffecter des dépenses. La création d’un « fonds » correspondrait donc ici du point de vue juridique et du vocabulaire du droit des finances publiques à une « ouverture de crédits » qui constitue une autorisation juridique de dépenser portant sur deux éléments : l’objet de la dépense et son montant. Il ne s’agirait pas de la création d’un fonds au sens juridique ou d’un compte d’affectation spéciale (qui constitue un élément beaucoup plus spécifique et dérogatoire en termes de finances publiques, avec des recettes spécifiques et spéciales affectées à certaines dépenses en particulier).

téléchargement (7)Ces dépenses figurent aujourd’hui dans la mission « administration générale et territoriale de l’Etat » et plus précisément le programme n° 232 « vie politique, culturelle et associative » qui disposait pour mémoire dans le PLF 2015 de 439 147 920 euros. En pratique, d’un point de vue budgétaire, il faut donc autoriser des crédits de paiement dans le cadre de ce programme afin de financer ce fonds d’interpellation : il ne s’agit donc pas de « prélever » 1% de la somme donnée aux partis politique (il faudrait d’abord déterminer de laquelle des deux fractions de l’aide publique on parle) mais simplement de ventiler différemment les dépenses. Aujourd’hui, à l’intérieur de ce programme, la répartition des ressources se fait de la manière suivante (PLF 2015) et elle est fixée par décret à condition qu’il y a ait une autorisation :

  • Financement des partis : 58 342 272
  • Organisation des élections : 235 980 000
  • Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques : 6 744 700
  • Cultes : 1 936 037
  • Vie associative : 75 000

On voit donc qu’il y a ici très peu d’argent donné au niveau national et qu’une autre répartition serait possible : L’action 5 « Vie associative » regroupe les activités liées au respect de la législation relative aux associations et aux établissements d’utilité publique. En pratique elle sert en dépense de fonctionnement, à la maintenance du Répertoire national des associations et en dépense d’investissement à améliorer le fonctionnement de ce répertoire. Si le législateur décidait de créer un fonds d’interpellation associé à un droit d’interpellation en particulier, il serait envisageable d’augmenter cette somme qui paraît aujourd’hui dérisoire (l’essentiel de la vie associative étant prise en charge au niveau local et non national).

téléchargement (8)En ce qui concerne le niveau local, c’est un cadre d’analyse différent qui implique les finances publiques locales et la préparation du budget local. Même si on ne se situe pas au sens strict dans le cadre de l’interpellation (limitée comme on l’a vu au niveau local), une initiative intéressante de ce point de vue est celle du budget participatif comme il est en train d’être fait à Grenoble. Il s’agit de dégager une ligne budgétaire pour réaliser des travaux relevant de la compétence de la collectivité locale et de mettre en place en amont une procédure permettant aux citoyens de participer au choix du projet mis en œuvre, suivi par des délibérations du conseil municipal, qui reste seul compétent pour décider. Ces projets présentent en effet l’intérêt de ne pas être directement contraires au droit comme c’est le cas pour le droit de pétition local.

Si le législateur l’admet, un tel financement public ne semble donc pas impossible. Cependant, on peut s’attendre évidemment à un certain nombre de résistances.

Le « prélèvement » sur l’argent des partis politiques

Juridiquement, il semble donc possible de prendre de l’argent aux partis politiques pour le donner à un fonds d’interpellation citoyenne organisé. Il existe quelques obstacles qui ne sont pas indépassables mais auxquels il faut songer.

images (5)Cela peut poser une question constitutionnelle qui pourrait servir d’argument aux partis politiques pour résister. Dans ce cadre, le problème, mais aussi peut-être la solution, vient de l’article 4 de la Constitution. En effet, celui prévoit que « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » ce qui accorde aujourd’hui une très forte légitimité aux partis. Cependant, depuis 2008, l’article 4 prévoit également que « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Si à ce jour le Conseil constitutionnel n’a fait produire aucun effet concret à cette disposition et qu’à vrai dire personne ce qu’elle signifie vraiment, il y aura quelque chose qu’un avocat audacieux s’amuserait à plaider.

L’autre problème est qu’un tel prélèvement se confronterait au constat de la baisse des ressources au bénéfice des partis politiques : il faut donc s’attendre à des résistances fortes, dans un contexte de baisse généralisée des ressources. Alors que le montant des aides publiques pour les campagnes électorales est bloqué jusqu’à ce que le déficit soit redevenu nul, autrement dit pour très longtemps (article L. 52-11 du code électoral, en vertu duquel « Il n’est pas procédé à une telle actualisation à compter de 2012 et jusqu’à l’année au titre de laquelle le déficit public des administrations publiques est nul »), l’aide publique versée au titre de la loi de 1988 a subi une baisse brutale ces dernières années: stable autour de 73.200.000 d’euros de 2004 à 2007, proche de 75.000.000 d’euros de 2008 à 2011 (décrets pris pour l’application des articles 9 et 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique), elle est tombée à 130.695,04 euros en 2012 (décret n° 2012-191 du 7 février 2012), 70.083.332,15 euros en 2013 (décret n° 2013-430 du 27 mai 2013) puis à 63.099.073,55 euros pour 2014 (décret n° 2014-111 du 6 février 2014), et 63 100 722 pour l’année 2015 (décret n° 2015-53 du 23 janvier 2015), soit 10.000.000 d’euros de moins qu’il y a dix ans. Or cette baisse de ressources est également source de nombreux problèmes de la démocratie représentative, il sera donc difficile de justifier une nouvelle ponction. Tout le problème alors sera de savoir quel montant il faudra débloquer et consacrer au droit d’interpellation dans cette optique.

téléchargement (2)Par ailleurs, à l’image de ce que l’on voit pour les partis politiques, il faudra un suivi, un contrôle : on rejoint ici la question de l’AAI que l’on traitera par la suite. Cependant l’enseignement du droit des partis politiques montre qu’un tel contrôle est difficile et pas toujours satisfaisant. Il y aura donc nécessairement des difficultés.

Le « prélèvement » sur les réserves parlementaires

Qu’est-ce que la réserve parlementaire ? La réserve parlementaire est un ensemble de subventions d’État votées et modifiées en lois de finances initiales ou rectificatives.  Le système dit « de la réserve parlementaire » permet aux députés et aux sénateurs de faire allouer des subventions de l’État. Leur finalité est en priorité de financer les investissements des collectivités territoriales (communes…) et accessoirement, de soutenir des personnes morales de droit privé ayant (au moins en principe) une activité d’intérêt général.

Ce système existe depuis les années 1970 et relève d’une « pratique coutumière » qui s’est instaurée progressivement (réponse à la Q.E n° 219 de M. MASSON, J.O. Sénat du 2 août 2007). Il a fonctionné pendant longtemps dans le secret. Depuis la loi de 2013, on appelle cela la « dotation d’action parlementaire » et elle fait l’objet d’une transparence dans son attribution. Depuis la loi sur la transparence de la vie publique, on trouve l’ajout aux documents joints au projet de loi de règlement. L’article 11 de la loi organique a modifié l’article 54 de la LOLF qui prévoit désormais  que doit être joint à ce projet « 9° La liste des subventions versées sur proposition du Parlement au moyen de crédits ouverts dans les lois de finances afférentes à l’année concernée. Cette liste présente, pour chaque département, collectivité d’outre-mer et pour la Nouvelle-Calédonie :  « a) L’ensemble des subventions pour travaux divers d’intérêt local versées à partir de programmes relevant du ministère de l’intérieur ;  « b) L’ensemble des subventions versées à des associations.  « Elle indique, pour chaque subvention, le nom du bénéficiaire, le montant versé, la nature du projet financé, le programme concerné et le nom du membre du Parlement, du groupe politique ou de la présidence de l’assemblée qui a proposé la subvention. »

Concrètement, dans le budget, les réserves parlementaires font partie de la mission « relation avec les collectivités territoriales » et plus précisément du programme « concours spécifique et administration » soit 283 873 646 euros dans le PLF 2015.

téléchargement (5)En pratique, un député a la possibilité de proposer l’attribution de subventions à hauteur de 130 000 euros en moyenne, la modulation de la répartition entre les députés relevant de chaque groupe politique. Les membres du Bureau de l’Assemblée nationale disposent d’une réserve de 140 000 euros, les vice-présidents de l’Assemblée nationale, les questeurs, les présidents de groupe, les présidents de commission disposent de 260 000 euros, le Président de l’Assemblée nationale de 520 000 euros. Le montant de la réserve institutionnelle de l’Assemblée nationale a été fixé en 2014 à 5,5 millions d’euros. En 2012, le montant total de la réserve parlementaire, qui inclut la réserve institutionnelle, était de 90 millions d’euros. Les communes et établissements publics de coopération intercommunale représentent 54% des subventions, les associations 46%. Les objets associatifs se répartissent ainsi : promotion du sport pour le plus grand nombre (8%), soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle (8%), développement de la vie associative locale (3%).

Mais dans tous les cas ce sont des fonds de l’Etat distribués par des parlementaires et non des fonds des Assemblées et par conséquent cela est possible de les modifier dans le cadre de la loi de finances… juridiquement cela est possible. C’est d’ailleurs en ce sens qu’est allée la Cour des comptes dans un document du 27 novembre 2014 : elle a ainsi fait la proposition de « réorienter une part significative des crédits alloués aux subventions pour travaux divers d’intérêt local vers des programmes, des actions ou des sous-actions budgétaires (dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ou autres dispositifs d’aide) adaptés aux politiques publiques que l’État entend soutenir dans le cadre de la nouvelle étape de la décentralisation ». Donc la réorientation est souhaitée et il serait possible de plaider en ce sens.

On peut noter plusieurs difficultés : la première est qu’il faudra une décision des parlementaires eux-mêmes de réduire le montant de ces réserves… pour les attribuer à des dispositifs d’interpellation s’éloignant de la démocratie représentative ! La deuxième est qu’une éventuelle redistribution des crédits de la réserve parlementaire ne se ferait sans doute pas prioritairement en faveur des dispositifs d’interpellation mais d’autres types d’associations ou de structures dont l’action sera jugée prioritaire. La troisième est qu’il existe un risque de redondance ou de conflits avec d’autres associations puisque déjà 11 % environ de la réserve parlementaire selon l’Assemblée Nationale est utilisée pour des associations de ce type : soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle (8%), développement de la vie associative locale (3%). Il y a des risques de concurrence.

Conclusion

téléchargement (4)En conclusion, on peut donc considérer que si le législateur le prévoit, le projet est juridiquement possible (à la fois pour l’existence du droit d’interpellation, pour l’existence du fonds et ses modalités de financement) sous réserve d’un obstacle constitutionnel qui cependant paraît peu probable, d’autant qu’un tel projet pourrait aussi profiter du dernier alinéa de l’article 4 réformé depuis 2008.

S’agissant des ressources considérées et concernant la question des prélèvements, la question ne se pose pas réellement en ces termes juridiquement en raison du principe d’universalité budgétaire.  Les fonds qui devront être mobilisés résulteront donc d’un choix politique qui devra être fait par le législateur.

Le fait de viser les partis politiques et les réserves parlementaires est donc possible juridiquement mais il faut faire attention au fait de vouloir assumer explicitement de retirer des ressources aux instances qui décideront de la mise en place du dispositif, à savoir les parlementaires et les partis politiques eux-mêmes.  Il n’est donc peut-être pas forcément souhaitable politiquement de flécher l’origine des ressources dans la mesure où cela pourrait être considéré comme une inutile déclaration de guerre. Si le dispositif était créé, les ressources suivraient logiquement la création du dispositif et le législateur accorderait les crédits qu’il lui nécessaire à une telle ligne budgétaire.

Mais une telle suggestion priverait peut-être le projet de sa force politique. A ce stade du raisonnement, le juriste se trouve dépourvu d’instruments d’analyse.

Romain Rambaud

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