Référendum en Nouvelle Calédonie : maintien ou report ? L’autodétermination au défi de la Covid-19 (art. n°2) [Charlie Delorme, Romain Rambaud]

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NB : L’article ci-dessous a été publié le 11 novembre, la veille de l’annonce de la décision de l’Etat français de maintenir le référendum néo-calédonien le 12 décembre. Un article ultérieur reviendra sur cette décision de maintien et sur le déroulé à venir du référendum.

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Alors que le troisième et dernier référendum d’autodétermination en Nouvelle Calédonie doit normalement avoir lieu le 12 décembre prochain, l’organisation de celui-ci est désormais incertaine à cause de l’épidémie de Covid-19 qui frappe l’île et qui entraîne des débats intenses sur la tenue ou non du référendum. Alors qu’une décision des pouvoirs publics français sur le maintien ou le report du référendum est annoncée dans quelques jours, le blog du droit électoral poursuit sa série consacrée à cette question fondamentale. Ces articles sont rédigés par Charlie Delorme, étudiante en M1 Droit des collectivités territoriales, parcours Gouvernance territoriale, Master bi-diplômant entre la faculté de droit de l’université Grenoble-Alpes et Sciences Po Grenoble, avec la participation de Romain Rambaud pour celui qui est publié ci-dessous.

Art. n°2 – Référendum en Nouvelle Calédonie : maintien ou report ? Les enjeux de l’autodétermination au défi de l’épidémie de Covid-19

Les enjeux du troisième référendum d’autodétermination, dont l’historique et le contexte ont été expliqués dans l’article précédent publié sur le blog du droit électoral, sont essentiels. Alors que la Nouvelle-Calédonie pensait enfin sortir de l’incertitude par la tenue du dernier référendum prévu par l’accord de Nouméa, la crise de la Covid-19 vient aujourd’hui fragiliser ce scénario.

Les enjeux historiques du troisième référendum pour la Nouvelle-Calédonie


Quelles seront les conséquences du résultat du troisième référendum pour la Nouvelle-Calédonie si le oui l’emporte ? Et si le non l’emporte ?

Cette question a fait l’objet même d’un rapport rédigé par le gouvernement français avec la contribution des élus politiques concernés. Ce rapport rendu public en juillet 2021 établit les conséquences du oui et du non à l’indépendance afin d’éclairer les électeurs sur le choix qui s’offre à eux. Il en recense les implications techniques, juridiques, économiques, financières et matérielles. Ce document s’inscrit dans la phase de campagne électorale dans laquelle l’information des électeurs sur les alternatives proposées est primordiale. Toutefois, il ne s’agit que de pistes d’orientation et non de solutions fixées à l’avance sur le devenir du territoire, car il revient au peuple calédonien consulté de le définir. Le rapport a été finalisé lors d’une session d’échange et de travail à Paris du 26 mai au 1er juin 2021, supervisée par le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu. Lors de cet événement majeur, les partenaires politiques se sont réunis pour discuter de la situation calédonienne post-référendum du 12 décembre 2021. Cette rencontre a abouti à un consensus consistant en l’organisation d’un « référendum projet » durant la période transitoire qui succèdera au troisième référendum. Il sera mis en œuvre à l’initiative du gouvernement de la République et il aura pour but de consulter la population calédonienne sur le choix de la forme des institutions durables de la Nouvelle-Calédonie. Il vise à faire naître le moment venu « un projet consensuel respectueux de la volonté des Calédoniens »[1].

Le résultat du troisième référendum marquera l’entrée dans une nouvelle période transitoire de 18 mois, qui expirera le 30 juin 2023, celle de la détermination du nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Cependant, quelle que soit l’issue du vote, un retour en arrière demeure impossible au regard du principe d’irréversibilité du transfert des compétences à la Nouvelle-Calédonie consacré par l’accord de Nouméa : « tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie (par l’article 77 de la Constitution) »[2]. D’autant que l’accord de Nouméa a prévu dans son point 5 que la Nouvelle-Calédonie accède « à la fin de cette période, (à) une complète émancipation ».

Si le oui à l’indépendance l’emportait, la période transitoire succédant à la tenue du troisième référendum aboutirait à l’élaboration de la Constitution d’un nouvel État à part entière et à une redéfinition du lien de la Nouvelle-Calédonie avec la France. En matière de dévolution de compétences, si le territoire devenait indépendant, il ne resterait plus que le transfert des compétences régaliennes à effectuer. Néanmoins, la victoire du « oui » lors du troisième référendum ne donnera pas à la Nouvelle-Calédonie un accès immédiat à la pleine souveraineté, une période de transition pour organiser ce transfert étant nécessaire.

À l’inverse, si le non à l’indépendance ressortait majoritaire des urnes, tout serait alors à réinventer, l’accord de Nouméa envisageant cette voie sous une formule évasive : « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée »[3]. Il s’agirait a priori de définir le futur statut de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française. Deux formes d’ « Etat partenaire » ont été envisagées par la doctrine. Il y a tout d’abord la possibilité du « pays associé » (J.-J. Urvoas), voire de l’ « Etat associé »  dans lequel la compétence de la compétence appartiendrait aux autorités calédoniennes. Par le choix d’un pays associé, « le respect du partenariat noué entre les deux parties serait garanti dans la longue durée par sa constitutionnalisation, le mettant à l’abri des aléas inhérents aux alternances politiques »[4]. D’autre part, certains auteurs prônent la mise en place d’un « État fédéré », tels que J.-Y.Faberon pour lequel cette solution permettrait la conciliation du pluralisme des aspirations de la population calédonienne[5]. Il estime que le fonctionnement du système calédonien est déjà similaire sur bien des aspects à l’ « État fédéré », car la Nouvelle-Calédonie est en charge de la totalité des compétences non régaliennes. Elle dispose d’un congrès et d’un exécutif confié à un Haut-commissaire et assisté d’un conseil composé de trois présidents de province et d’un président de congrès. La mise en place d’un « État fédéré » nécessiterait alors une révision constitutionnelle.

En 1988, J.-M. Tjibaou, figure emblématique du processus d’indépendance et de son règlement à la fin du XXème siècle, était favorable à la voie d’une interdépendance avec la France sous la forme d’une indépendance avec partenariat. Il affirmait que « la souveraineté, c’est le droit de choisir ses partenaires ; l’indépendance, c’est le pouvoir de gérer la totalité des besoins créés par la colonisation. […] C’est la souveraineté qui nous donne le droit de négocier les interdépendances »[6].

La particularité du territoire calédonien réside dans le fait qu’il existe différentes « populations intéressées » qui détiennent chacune une légitimité réelle à décider pour l’avenir de leur terre : « d’un côté, celle du peuple autochtone présent depuis trois mille ans et, de l’autre, celle de ces hommes et femmes d’origine asiatique, européenne, wallisienne, futunienne, polynésienne qui les ont rejoints contre leur gré ou librement. (…) Des Calédoniens qui, aujourd’hui, n’imaginent plus pour leurs enfants d’espoir hors de cette terre. Tous ont acquis une légitimité à vivre dans l’archipel et à contribuer pareillement à son développement ».[7]

Toutefois, la question binaire que pose le référendum d’autodétermination ne doit pas faire de la population calédonienne un peuple divisé entre indépendantistes et non-indépendantistes. Derrière ce choix manichéen se cache bien des nuances, car la Nouvelle-Calédonie n’est pas le pays d’un oui ou d’un non. Elle est une terre de partages et de mélanges, composée d’une population métissée. Il existe une réelle identité calédonienne bâtie sur des héritages et des mémoires plurielles. Par exemple, en 2019, 11,3 % de la population revendiquaient une pluri-appartenance et 10 % n’ont pas renseigné de communauté d’appartenance. Ces derniers ont délibérément spécifié qu’ils étaient avant tout « calédoniens » [8] car ils ne se retrouvaient pas dans les modalités proposées.  

Le troisième référendum au défi de l’épidémie de Covid-19

Le troisième référendum présente donc des enjeux historiques. En principe, il marque la clôture d’un vaste processus qui a débuté il y a plus de trente ans. Il doit aboutir à une réflexion portant sur le renouvellement institutionnel total du territoire et sur la fin de l’accord de Nouméa.

Toutefois, en pratique, la pandémie de la covid-19 qui frappe le territoire depuis septembre dernier sème le désordre en pleine période électorale et modifie considérablement le contexte électoral, alors que les électeurs ont été convoqué pour le 12 décembre prochain par le décret n° 2021-866 du 30 juin 2021 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et que toute la Nouvelle-Calédonie espérait enfin sortir de l’incertitude institutionnelle.

L’arrivée de l’épidémie en Nouvelle-Calédonie a plusieurs incidences sur le bon déroulement du troisième référendum.

Tout d’abord, la priorité des autorités politiques locales est la gestion de l’épidémie : elles ont donc été amenées à suspendre pendant un temps la campagne du troisième référendum, phase essentielle du processus électoral. La « campagne officielle », quant à elle (affiches officielles et professions de foi, campagne audiovisuelle), est censée démarrer le lundi 29 novembre 2021, à zéro heure, et prendre fin le vendredi 10 décembre 2021, à minuit… Cependant, l’annonce de la « non-participation » des indépendantistes au scrutin est de nature à remettre en cause le bon déroulement y compris de la campagne officielle (v. ci-dessous).

De plus, l’épidémie risque de créer une atteinte au principe d’égalité d’accès aux urnes le jour du scrutin. Il existe en effet un risque pour la santé de certaines populations en particulier, d’autant plus que les populations mélanésiennes sont des populations à risque face au covid, qui présentent des comorbidités : l’obésité et le diabète principalement. L’atteinte au caractère démocratique des opérations électorales est donc dénoncée par les indépendantistes.

Ensuite, l’État français a contribué massivement à la gestion de lutte contre la covid-19 sur l’île par la mise à disposition de moyens humains, matériels et financiers importants. Cet élément pourrait jouer en défaveur du vote indépendantiste, car il aura permis de montrer l’importance du rôle de l’État.

La volonté actuelle des indépendantistes est donc de repousser la tenue du scrutin du troisième référendum tandis que les non-indépendantistes souhaitent à tout prix le maintenir à la date du 12 décembre afin de ne pas rallonger le processus.

Sur cette question, il revenait au ministre des outre-mer Sébastien Lecornu d’effectuer un état des lieux global de la situation pour que l’État français tranche sur la question. Le ministre s’est donc déplacé sur le territoire en octobre dernier. Après de nombreuses discussions avec les acteurs concernés, il en a conclu que l’État ne devait pas envisager le report du troisième référendum pour le moment, l’épidémie n’étant pas « hors de contrôle ». L’Etat français avait aussi pour volonté de régler la question du troisième référendum à la date du 12 décembre afin qu’elle n’empiète pas sur la période des élections présidentielles de 2022.

Cependant, en réaction, plusieurs mouvements indépendantistes, dont le mouvement majoritaire du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), ont appelé la population à la « non-participation » au scrutin du troisième référendum du 12 décembre prochain et appelé l’Etat à « assumer ses actes »[9] si la date est maintenue.

Notamment, les indépendantistes ont décidé de ne pas participer à la campagne officielle. En effet, l’article 6 du décret de convocation prévoit que « Les représentants des partis et groupements politiques souhaitant figurer sur la liste prévue au 2° du III de l’article 219 de la loi organique du 19 mars 1999 susvisée présentent une demande en ce sens à la commission de contrôle le 10 septembre 2021 au plus tard. Cette demande est accompagnée de déclarations individuelles de rattachement à ces partis et groupements signées par les membres du congrès ». Cette liste est celle « des partis et groupements habilités à participer à la campagne en raison de leur représentativité en Nouvelle-Calédonie ». Ces partis ont fait cette demande et sont inscrits officiellement comme participants à la campagne, ce qui leur donne droit normalement à la participation à la campagne officielle audiovisuelle et à l’envoi de circulaires au domicile des électeurs à partir du 29 novembre. Cependant, il s’agit pour eux d’une faculté, et non d’une obligation, comme le prévoit l’article 8 du décret, et les documents en question devaient être déposés avant le 27 octobre, en application de l’article 9 du décret. Volontairement, les indépendantistes ont décidé de ne pas déposer ces documents à temps auprès de la commission de contrôle : ni l’Uni, ni le Parti travailliste, ni le groupe UC-FLNKS et Nationalistes n’ont transmis à la commission de contrôle les documents de propagande destinés à la campagne référendaire. Cela est bien entendu de nature à altérer la campagne officielle : il n’y aura ni affiches ni circulaires des partis indépendantistes…

L’objectif étant de faire repousser la date du référendum à fin 2022, dans le but de faire campagne mais aussi de tenir compte du deuil des familles. A ce sujet, le sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie (institution coutumière) s’est prononcé mardi dernier dans une lettre ouverte adressée au président de la République en faveur du report du référendum à fin 2022 afin de respecter « à compter du 6 septembre 2021, un deuil kanak d’une année [10]», comme le veut la tradition kanak. Des considérations culturelles et traditionnelles sont ainsi à l’œuvre en dehors de considérations éminemment politiques. Les différents mouvements indépendantistes (FLNKS, MNSK, USTKE) se sont rassemblés pour créer un « comité stratégique indépendantiste de non participation »[11] le 9 novembre dernier, afin d’unir leur revendication. Les indépendantistes, acteurs majeurs du processus référendaire ont de plus annoncé qu’ils ne prendront pas part aux discussions post-référendum sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Cette déclaration est hautement problématique car elle ne laisse pas présager la clôture d’une situation de crise institutionnelle comme l’envisageait le troisième référendum et les négociations qui doivent en découler.

En contre-réaction, les principaux partis loyalistes non-indépendantistes ont annoncé qu’ils relançaient leur campagne référendaire au vu de l’amélioration de la situation sanitaire[12]. A l’inverse, les indépendantistes ne participeront pas à la campagne officielle papier. Le 12 décembre, il ne devrait donc y avoir que des affiches, devant les bureaux de vote, appelant à voter « non » à l’accession à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Conclusion : un référendum en sursis ?

Cas de force majeure obligeant le report pour les indépendantistes, prétexte politique pour les loyalistes, la situation complexe provoquée par la covid-19 illustre la profusion des difficultés qui règnent pour parvenir à trouver un accord.

Face à la tournure prise par les événements et le désengagement conséquent d’une partie cruciale des acteurs à l’égard du processus référendaire, l’Etat français est amené à se prononcer de manière définitive dans les prochains jours sur le maintien du scrutin le 12 décembre, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire[13].

Le destin de la Nouvelle-Calédonie est en tout état de cause aujourd’hui suspendu à la décision de l’Etat, qu’on annonce comme imminente.

Charlie Delorme et Romain Rambaud


[1] J.-J.Urvoas, « Vers un « pays associé », esquisse pour le futur statut de la Nouvelle-Calédonie », Le club des juristes, juin 2021, p.28.

[2] Document d’orientation, pt 5, al. 5 ; égal. Préambule, pt 5.

[3] Article 5, Accord de Nouméa du 5 mai 1998.

[4] J.-J.Urvoas.

[5] Entretien avec le professeur J.-Y.FABERON, « Le consensus fédéral : unis dans la diversité », les Nouvelles Calédoniennes.

[6] Les temps modernes,  « Nouvelle-Calédonie : pour l’indépendance – vingt ans après, entretien avec J.-M. Tjibaou, n° 464, mars 1985.

[7] J.-J.Urvoas, « Vers un « pays associé », esquisse pour le futur statut de la Nouvelle-Calédonie », Le club des juristes, juin 2021, p.12.

[8] Insee Première, n° 1823, octobre 2020, p. 2.

[9] F.Tromeur, « Référendum : en cas de maintien au 12 décembre, le FLNKS  prévient qu’il ne participera pas aux discussions sur l’après », NC la 1ère, Franceinfo, 5 novembre 2021.

[10]B.Whaap et A.Madec, « Le sénat coutumier décrète un « deuil kanak » d’une année et se repositionne en faveur du report du référendum », NC la 1ère, Franceinfo, 9 novembre 2021.

[11] Ch.Mannevy, « Référendum : le mouvement indépendantiste uni contre la date du 12 décembre », NC la 1ère, Franceinfo, 9 novembre 2021.

[12] AFP, « Nouvelle-Calédonie : le FLNKS appelle à la « non participation » au référendum du 12 décembre », Libération, 21 octobre 2021.

[13] AFP, « Nouvelle-Calédonie : la décision sur la tenue du référendum se prendra « dans les dix jours », annonce Sébastien Lecornu », NC la 1ere, Franceinfo, 4 novembre 2021.