C’est fait ! Dans le sens de ce que nous souhaitions sur le blog du droit électoral ce matin, appelant à un consensus politique indispensable sur ce texte, la commission mixte paritaire, réunissant députés et sénateurs cet après-midi, a été conclusive. Un accord a été trouvé sur toutes les dispositions du texte, à la fois sur le volet électoral et sur le volet sanitaire. Ce consensus était primordial en temps de crise. Les deux assemblées, Sénat puis Assemblée Nationale, vont désormais voter la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 de façon définitive.
Le contenu électoral de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19
Le texte de la commission mixte paritaire est disponible sur le site du Sénat. Les dispositions électorales ont été placées à la fin du texte, pour bien marquer leur caractère secondaire par rapport à l’état d’urgence sanitaire (Titre III bis).
La loi prévoit les éléments suivants, qui sont très proches des hypothèses qui ont été émises sur le présent blog au fur et à mesure de la crise et dans la tribune publiée dans Le Monde :
- Un nouvel alinéa a été créé concernant les élections acquises au 1er tour afin de les sécuriser définitivement. Le texte prévoit que « Dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l’article 3 de la Constitution ». Les élections acquises au 1er tour le restent donc bien. On notera ici l’importance accordée à ce point par les parlementaires qui le rattachent directement à l’expression souveraine du peuple. Cette disposition vise à rassurer et à sécuriser : on peut se demander si elle était vraiment nécessaire, les élections étant déjà juridiquement acquises. Cependant, sa vertu pédagogique est à saluer dans le contexte.
- Le deuxième tour des élections est bien reporté « au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l’impérative protection de la population face à l’épidémie de covid-19 ». On notera que la référence aux « circonstances exceptionnelles » est explicite, dans le sens de la ligne que nous avons tenu depuis le début de la crise ici. Sa date sera fixée par décret en conseil des ministres pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire permet l’organisation des opérations électorales au regard, notamment, de l’analyse du Conseil scientifique. Au plus tard le 23 mai 2020, sera en effet remis au Parlement un rapport du Gouvernement fondé sur une analyse du Conseil scientifique (rebaptisé comité de scientifiques) se prononçant sur l’état de l’épidémie de covid-19 et sur les risques sanitaires attachés à la tenue du second tour et de la campagne électorale le précédant.
- Concernant le dépôt des listes de candidats pour le 2nd tour, ce point de dissensus a été réglé dans le sens d’un compromis du type de celui qu’on proposait ce matin. Les sénateurs ont renoncé à la date du 31 mars 2020 pour le dépôt des listes. A la place, le texte prévoit que « Les déclarations de candidature à ce second tour sont déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs ». En pratique, après le rapport rendu le 23 mai, si le premier tour peut se tenir, le dépôt des listes devrait avoir lieu le 2 juin, pour un début de campagne le 8 juin et des élections le 21 juin. Ce sera donc un dépôt de listes tardif.
- L’entrée en fonction des nouveaux conseils municipaux est bien différée : le texte prévoit que « Les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l’analyse du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal se tient de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction ». Les exécutifs restent en fonction provisoirement.
- Enfin, il doit être souligné que le texte prévoit désormais ce qu’il devra se passer si l’élection ne peut pas être organisée en juin. Il dispose ainsi que « Si la situation sanitaire ne permet pas l’organisation du second tour au plus tard au mois de juin 2020, le mandat des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains concernés est prolongé pour une durée fixée par la loi. Les électeurs sont convoqués par décret pour les deux tours de scrutin, qui ont lieu dans les trente jours qui précèdent l’achèvement des mandats ainsi prolongés. La loi détermine aussi les modalités d’entrée en fonction des conseillers municipaux élus dès le premier tour dans les communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet ». Cela signifie donc que l’intégralité des élections municipales devra être refaite dans les communes où l’élection n’a pas été acquise au 1er tour, par exemple en septembre, conformément à la ligne qui avait été ténue ici également. L’avantage de cette disposition est aussi d’anticiper sur la continuité des circonstances exceptionnelles, permettant ainsi d’éviter un nouveau psychodrame au mois de juin, la loi étant déjà prête. Il faudra cependant adopter une autre loi, organique, afin de repousser les élections sénatoriales de septembre 2020.
En somme, c’est donc bien le consensus politique et parlementaire qui a prévalu et c’est incontestablement ce qu’il fallait faire dans les circonstances. Il faut rendre hommage à nos parlementaires qui ont su se placer à la hauteur des problématiques. Il va désormais pouvoir être possible de se focaliser sur l’essentiel, à savoir la lutte contre l’épidémie.
L’absence d’inconstitutionnalité quasi-certaine du volet électoral du texte
Nous ne savons pas encore, à cette heure, si le Conseil constitutionnel va être saisi, par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président d’une deux assemblées, 60 députés ou 60 sénateurs, ou s’il faudra attendre les questions prioritaires de constitutionnalité qui ne manqueront pas d’être posées dans le cadre du contentieux électoral.
Cependant, il est clair que les risques d’inconstitutionnalité de la loi, que nous estimions déjà faibles, ne font que se réduire avec ce consensus. Non seulement, comme nous l’avons dit notamment dans notre tribune du Monde, ce report est justifié par un motif d’intérêt général suffisant, les circonstances sanitaires exceptionnelles, mais il est désormais presque certain que, dans ce double contexte de circonstances exceptionnelles et de consensus parlementaire, le Conseil constitutionnel considérerait, comme il le fait souvent en matière de vie politique, qu’il ne « dispose pas du même pouvoir d’appréciation que le Parlement » sur ces éléments.
Une saisine du Conseil constitutionnel pourrait être la bienvenue pour solder définitivement la question, mais il n’est pas certain que l’exécutif estime qu’il a en a le temps. En tout état de cause, on peut compter sur des QPC qui interviendront dans les semaines à venir dans le contentieux électoral, ne serait-ce que sur la sécurisation du premier tour.
Conclusion : la crise électorale est pour l’instant derrière nous
En définitive, on peut considérer que la situation sur le plan électoral est réglée pour l’instant et que les efforts vont pouvoir se porter sur les questions sanitaires.
Que les lecteurs du blog du droit électoral n’en soient pas trop peinés : il est à peu près aussi certain que l’actualité électorale va revenir très vite.
Romain Rambaud