Référendum d’initiative citoyenne : pourquoi il ne faut pas en avoir peur et comment il faudrait faire [R. Rambaud]

Le débat sur le référendum d’initiative citoyenne est désormais lancé, chacun ayant pris acte de l’insuffisance du dispositif d’initiative partagée aujourd’hui prévu par l’article 11 de la Constitution.

Étonnamment, notamment parmi la doctrine constitutionnelle française, de nombreuses voix s’élèvent pour s’y opposer. L’instrument serait incontrôlable et pourrait dériver vers la pire démagogie, entendons-nous régulièrement. Mais cette position doit être contestée car le référendum d’initiative citoyenne est en théorie mais aussi en pratique un bon outil pour répondre à la crise de la démocratie représentative.  Il s’agit, ici, de défendre la position selon laquelle on peut très raisonnablement être favorable à ce dispositif, sans être ni d’extrême-gauche, ni d’extrême droite, ni adepte du « tous pourris ». Ce qu’il faut dire, c’est que la raison se trouve du côté du référendum d’initiative citoyenne, qu’il s’agit d’un dispositif d’amélioration de la démocratie et non d’un dispositif révolutionnaire et/ou dangereux. Son refus est problématique à la fois en théorie et en pratique, car il existe au contraire toutes les bonnes raisons de penser que sa mise en place serait utile et possible, sans  que ce dispositif ne soit problématique pour la stabilité des institutions et de l’Etat.

Les fondements théoriques du référendum d’initiative citoyenne

Ce qui se conçoit bien s’annonce clairement, et cela tombe bien, puisque la Constitution de la Vème République est bien écrite. Son article 3 dispose que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La démocratie représentative et la démocratie directe ont toutes les bonnes raisons de pouvoir coexister. La première est indispensable en raison du principe de réalité de division du travail dans une société. La deuxième est indispensable si l’on veut que nos régimes méritent la qualification de « démocratique ».

Sur ce point, il faut souligner que les critiques de l’exclusivité qu’a tendance à s’octroyer le « régime représentatif’  ne sont pas le seul fait d’énergumènes complotistes, même s’il y en a. Sur ce point, les travaux du politologue Bernard Manin, notamment sur les principes du gouvernement représentatif (ainsi que sur les métamorphoses du régime représentatif), sont fondateurs et ils sont aujourd’hui bien acceptés par la communauté scientifique dans son ensemble. Ce qui ne signifie pas (on peut s’éloigner sur ce point en partie de Bernard Manin) que la démocratie représentative n’a pas ou plus de légitimité : elle en aura toujours parce qu’elle est en pratique indispensable au regard des capacités de travail limitées de l’espèce humaine. En revanche, ses modalités sont à discuter pour faire une plus grande place au peuple.

Il est vrai, sur ce point, que les traditions françaises d’analyse de séparation des pouvoirs (trois « pouvoirs » : exécutif, législatif, et une « autorité » judiciaire) ne facilitent pas la tâche. Mais, fondées sur l’héritage certes prestigieux mais ancien de Montesquieu, ne méritent-elles pas d’être profondément renouvelées ?

Notamment, ne faudrait-il pas consacrer, à côté du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, un véritable « pouvoir électoral », ou « pouvoir de suffrage » comme le soutenait le fondateur Maurice Hauriou, qui n’était pas, loin de là, un dangereux révolutionnaire ? Le rejet de la théorie du pouvoir de suffrage sous la IIIème République n’était-il pas lié au constat de l’existence d’un régime d’Assemblée à cette époque, que l’on s’empresserait de qualifier de régime représentatif éloigné de la démocratie à notre époque ? Plus récemment, cette idée n’a-t-elle pas été mobilisée en 1962 une partie de la doctrine de droit constitutionnel pour justifier l’élection du président de la République au suffrage universel, coeur même de la Vème République ? Il n’existe pas, aujourd’hui, dans la Vème République, de raison de principe de s’opposer à la reconnaissance d’un véritable « pouvoir citoyen » fondant tant les élections que les référendums, s’exerçant dans le cadre du pouvoir constituant.

Mais ce pouvoir constituant, lui-même, doit-être repensé : s’agit-il d’une entité abstraite ou de la somme des individus citoyens souverains qui, il y a 60 ans, ont adopté notre Constitution ? Et, si la deuxième option est la bonne, les citoyens d’aujourd’hui, qui sont souverains, n’auraient-ils pas le droit de se positionner de nouveau sur la Constitution, et de la modifier sans être limités par les obstacles de l’article 89 de la Constitution et/ou qu’on fait des personnes aujourd’hui en partie décédées ?

L’existence d’une voie d’accès à l’initiative des citoyens semble indispensable car en l’état, ces derniers ne peuvent s’exprimer que par la rue, l’élection à intervalles réguliers étant aujourd’hui nécessaire mais insuffisante. Est-ce souhaitable que la seule contre-puissance soit la rue ? Il n’est pas certain que l’on pourra , comme le risque a été vu lors des derniers événements, distinguer si facilement que cela demain ceux qui ont des revendications pacifiques et ceux qui troublent l’ordre public, surtout si troubler l’ordre public devient la façon la plus efficace de se faire entendre et d’obtenir un gain. C’est la raison pour laquelle il convient impérativement de créer un mécanisme institutionnel.

Les possibilités pratiques du référendum d’initiative citoyenne : l’imagination du droit électoral

Pour le reste, il est douteux que la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne entraîne automatiquement l’instabilité de l’Etat ou une démagogie systématique. Mais cela suppose d’être encadré par le droit de façon claire. On l’a constaté à Grenoble, où la municipalité a mis en place un mécanisme d’interpellation citoyenne (qui était une bonne idée), qui a été annulé par le tribunal administratif (non-respect des seuils de l’article 72 de la Constitution, vote des non-électeurs) et dont la pratique s’était révélée contestée au niveau local (absence de délibération du conseil municipal, seuil de 20.000 voix exigé fixé en fonction des résultats de l’élection municipale inatteignable pour des raisons culturelles et pratiques, refus difficilement défendable de la mairie d’appliquer son propre dispositif lors de la pétition sur les bibliothèques, etc.). Au contraire, le droit électoral peut être mobilisé pour fixer des dispositifs accessibles et clairs.

Tout d’abord, il faut noter que le droit est là pour garantir l’équilibre entre le besoin démocratique et la stabilité des institutions, et il y a lieu de lui faire confiance. Sur ce point, le mieux à faire serait d’instaurer et distinguer deux procédures, constitutionnelle et législative, car cela éviterait la tentation de transformer un procédé législatif en procédé constitutionnel en l’absence de possibilité alternative, comme on l’a vu en 1962. Les citoyens comprendraient la distinction.

S’il devait y avoir un référendum d’initiative citoyenne constitutionnel (comme c’est le cas en Suisse) et un référendum d’initiative citoyenne législatif, il est certain que les conditions mises à la révision constitutionnelle devrait être fortes, beaucoup plus fortes que pour le domaine législatif. Le droit ne manque pas sur ce point de ressources : condition de nombre de signatures élevée pour déclencher l’initiative, mise en place de délais contraints pour recueillir les signatures, condition de majorité ordinaire ou qualifiée pour la décision, condition de participation minimale au référendum pour garantir une représentativité suffisante, etc. Les outils existent pour garantir la légitimité du processus constituant dérivé. Cela ne vaut-il pas mieux qu’un processus actuel de révision constitutionnelle en toute hypothèse à la main du Sénat, qu’une guerre ou qu’une révolution ?

Pour le référendum législatif, les conditions pourraient être moins strictes mais garantiraient que le référendum mobilise suffisamment de citoyens (par exemple un seuil de 500.000 ou 700.000 signatures d’électeurs pour le déclenchement, un référendum à la majorité absolue, une condition de participation minimale au scrutin comme cela existe déjà pour le référendum local). Dans cette hypothèse, il serait en outre assez facile (d’autant si un référendum constitutionnel est institué par ailleurs), de prévoir un contrôle du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi : il ne serait ainsi pas possible, comme on l’entend parfois, de revenir sur l’interdiction de la peine de mort par ce biais.  Il ne serait pas non plus possible de remettre en cause les libertés fondamentales car le Conseil constitutionnel serait vigilant dans le cadre du respect de ce référendum législatif, d’autant s’il existe à côté une procédure constitutionnelle.

Sur le fond, faut-il craindre le peuple en quelque sorte « par définition », notamment s’il existe par ailleurs une protection constitutionnelle ? L’exemple suisse montre le contraire et il suffit pour cela de consulter le site internet consacré aux initiatives populaires. Il montre tout d’abord que le dispositif est exigeant et que peu de propositions aboutissent finalement. Par ailleurs, sur le fond, les résultats ne sont pas du tout révolutionnaires, bien au contraire. En 2014, les suisses ont ainsi voté contre l’augmentation des salaires minimum, contre le non-remboursement de l’IVG, contre le fait de favoriser fiscalement la garde des enfants à la maison, contre l’élection directe des membres du conseil fédéral, mais ont voté pour le fait que les pédophiles ne puissent plus travailler avec les enfants… Certes, certains résultats ont été contestés (interdiction des minarets, fermeture des frontières), mais préfère-t-on des contre-réactions ponctuelles ou l’arrivée au pouvoir de forces politiques populistes ? Comme le dirait notre collègue et ami Raul Magni-Berton, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet, le peuple est plutôt conservateur et il n’y a donc, au final, aucune raison d’en avoir peur.

Conclusion

En somme, il résulte de ce qui précède qu’il n’existe aucune bonne raison de s’opposer au référendum d’initiative citoyenne et bien au contraire toutes les bonnes raisons d’y être favorable, car il n’y a pas lieu de craindre que ce dispositif ne déstabilise l’Etat français. Et si l’idéologie, c’était chez les autres ?

Romain Rambaud