19/06/2015 : [PUB] Primaires ouvertes et financement de la vie politique : interventions au Congrès de l’association française de Science Politique [R.Rambaud]

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Le 13e Congrès de l’Association française est organisé du 22  au 24 juin 2015 à Sciences Po Aix-en-Provence où l’Association ne s’était pas réunie depuis 1996. Un événement absolument énorme, sans aucun équivalent dans les sciences juridiques.

Le Congrès d’Aix-en-Provence est structuré autour de quatre séries principales d’activités distinctes. Premièrement, 65 Sections thématiques (ST) permettent de présenter dans toute sa diversité thématique, générationnelle et disciplinaire, l’état des travaux de science politique aujourd’hui en France. Deuxièmement, une conférence pleinière est programmée le 23 juin.  Troisièmement, de manière complémentaire, un troisième type d’activités est proposé sous la forme de cinq Modules transversaux (MTED) faisant l’état de la science politique française dans son environnement international.

Du point de vue scientifique, ce sont les sections thématiques qui nous intéressent ici le plus. En effet, celles-ci sont souvent l’occasion de confronter les résultats des travaux des politistes avec ceux d’autres disciplines des SHS. Le programme confirme ici combien la science politique française est une discipline centrale dans le dialogue interdisciplinaire. Les sections thématiques se déroulent sur une ou, le plus souvent, deux sessions de trois heures. L’ensemble de ces ST permettra la discussion approfondie de quelques 850 rapports qui ont été préalablement publiés en ligne sur le site web du Congrès et l’application du congrès.

Pour ce qui nous concerne, c’est la ST21 sur les primaires qui nous intéressent le plus : « Adoption, organisation et diffusion des primaires ouvertes. Une approche comparée » : vous trouverez le programme de cette section thématique en suivant le lien suivant. 

Nous avons été invité à parler ici de l’approche juridique de ces primaires. Vous trouverez en PDF ici : ST21Rambaudd et ci-dessous le texte de cette communication qui sera discutée lundi prochain. Bonne lecture  !

Romain Rambaud

ST 21 Adoption, organisation et diffusion des primaires ouvertes. Une approche comparée

 Romain Rambaud, Professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes,

CRJ, GREAT, romain.rambaud@upmf-grenoble.fr

Les primaires ouvertes : une approche juridique.

Le financement de la vie politique et les primaires ouvertes en France.

 

Importées des États-Unis, utilisées dans d’autres pays européens, les primaires sont récentes en France mais se développent. Celles-ci furent dans un premier temps organisées sous la forme de primaires « fermées », au cours desquelles seuls les membres du parti peuvent voter. Concernant les élections présidentielles, la première fut organisée par le Parti Socialiste (PS) pour la campagne de 1995, qui l’utilisa de nouveau pour celle de 2007 (avec toutefois un système d’adhésions simplifiées). Les Verts (puis Europe-Ecologie – Les Verts) ont suivi cette procédure pour les élections de 2002, 2007 et 2012 (pour cette dernière également un système de primaires semi-ouvertes). L’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) a fait de même en 2007. Toutefois, ces primaires ont soulevé peu de difficultés car elles s’inscrivent pleinement dans le système de la démocratie partisane consacrée à l’article 4 de la Constitution.

En revanche, il en va différemment des primaires « ouvertes », pour lesquelles tous les sympathisants sont invités à voter. La première fut organisée par le PS en vue de l’élection présidentielle de 2012. Elle fut le marqueur d’un changement profond, puisque ce système fait de n’importe quel français – s’acquittant d’un euro et acceptant de signer un engagement de reconnaissance dans les valeurs de la Gauche – un électeur potentiel, dépassant la logique partisane afin de revitaliser la démocratie (A. Bergounioux, « Primaires or not Primaires ? », Pouvoirs, 2011/3, n° 138, pp. 47-56). On sait que cette entreprise fut couronnée de succès, puisque le vainqueur de cette primaire fut élu Président de la République, la dynamique de la primaire participant de cette victoire. Dès lors, soutenu par les français (69% des français en approuvent l’organisation selon un sondage Terra Nova/Opinion Way d’octobre 2011), le système de la primaire ouverte se diffuse dans la société, l’UMP en ayant adopté le principe pour les futures élections présidentielles dans ses nouveaux statuts adoptés le 30 juin 2013. Mais cette évolution, sans doute logique dans le cadre du régime présidentialiste de la Vème République, s’est étendue jusqu’à certaines élections municipales. Le PS a organisé des primaires ouvertes à Aix-en-Provence, Béziers, Boulogne-Billancourt, Le Havre, Marseille et la Rochelle. L’UMP a adopté ce système à Paris, Lyon, Colombes (Lefebvre, 2014).

Problématique

Les primaires ouvertes sont bien sûr un problème politique. Mais elles sont aussi un problème juridique, car elles constituent un phénomène nouveau et donc difficile à gérer pour le système juridique. Différents types de problèmes peuvent alors se poser. En premier lieu, celui des règles adoptées par les partis pour l’organisation des primaires. Si celles-ci ne sont pas directement régies par le code électoral, il reste que la pratique a montré la nécessité d’adopter des règles pour les encadrer : mise en place de « hautes autorités », de règles pour encadrer le financement, de procédures de règlement des conflits, etc., comme on a pu le voir encore récemment par exemple pour l’UMP le 7 avril 2015. S’il est important, ce n’est pas le point sur lequel on s’arrêtera ici, au profit d’un problème plus global et peut-être plus aigu, plus important encore, car il touche à la faisabilité même des primaires ouvertes dans le système français.

Ce problème, en effet, est celui du rapport entre les primaires et le droit électoral, et notamment au regard du système de financement de la vie politique, très contraint, tel qu’il existe en France.  Il existe aujourd’hui des difficultés majeures à déterminer quelles sont les règles pertinentes et le problème n’a pas été résolu. Il existe une difficulté d’articulation entre les primaires ouvertes, le système de financement et de plafonnement du financement de la vie politique en France. C’est ce que l’on va étudier ici.

En France, le financement des campagnes électorales est plafonné, notamment dans les élections où l’on trouve des primaires. C’est le cas pour l’élection présidentielle : le II. al 2 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel prévoit que « Le plafond des dépenses électorales prévu par l’article L. 52-11 du code électoral est fixé à 13,7 millions d’euros [16,851] pour un candidat à l’élection du Président de la République. II est porté à 18,3 millions d’euros [22,509] pour chacun des candidats présents au second tour » (les montants ont été revalorisés par le décret n° 2009-1730 du 30 décembre 2009 :  » Le montant du plafond des dépenses électorales est multiplié par le coefficient 1,23 pour les élections auxquelles les dispositions de l’article L. 52-11 du code électoral sont applicables, à l’exception de celles des députés et des représentants au Parlement européen. « ). C’est aussi le cas pour les élections municipales : les règles relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales sont applicables dès lors que la commune compte plus de 9000 habitants (art. L. 52-4 du code électoral). Le plafond est déterminé en fonction du nombre d’habitants (art. L. 52-11). La France a mis en place pour vérifier ces plafonnements un système de comptes de campagne qui tracent les recettes et les dépenses pendant l’année qui précède les élections (art. L. 52-4 et L.52-12).

Le problème est alors de savoir comment articuler ce plafonnement avec la question des primaires. De ce point de vue, la jurisprudence distingue les primaires fermées et les primaires ouvertes. Pour les élections primaires fermées, la situation est simple, le Conseil d’État a estimé dans un arrêt de 2009 que les dépenses engagées au cours d’une élection interne à un parti ont pour but de promouvoir un candidat auprès des seuls adhérents de ce parti, ne sont pas engagées en vue de l’élection et n’ont donc pas à figurer dans les comptes de campagne du candidat (CE, 23 juillet 2009, Élections municipales d’Argenteuil, n° 322425). Cette solution a été appliquée par la CNCCFP lors de la dernière élection présidentielle à propos du compte de campagne de Mme Eva Joly, laquelle ne fait nullement référence à des dépenses engagées au titre de la primaire (semi-)fermée de 2011, ce qui laisse penser que ce type de primaire a  été considéré comme une primaire fermée et non ouverte (CNCCFP, Décision du 19 décembre 2012 relative au compte de campagne de Mme Éva JOLY). Les primaires fermées ne bouleversent donc pas le système électoral traditionnel dans la mesure où elles n’impactent pas le plafonnement des dépenses des campagnes électorales.

Ce n’est pas le cas des primaires ouvertes, qui posent beaucoup plus de problèmes. La question est la suivante : les dépenses des primaires ouvertes doivent-elles être imputées sur les comptes de campagne ? La réponse à cette question est absolument fondamentale. Le respect du plafond conditionne le remboursement forfaitaire des frais de campagne par l’État (art. L. 52-11-1) et leur non-respect peut donner lieu au prononcé d’inéligibilités par le juge de l’élection, lesquelles peuvent conduire à des annulations d’élection (art. L. 118-3), sauf pour la présidentielle, l’inéligibilité n’étant pas applicable (loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel). Pourtant, le droit positif est pour le moment d’une très grande instabilité et est très insatisfaisant.

Instabilité et insatisfaction du droit positif

 Dans un premier temps, les réponses de la CNCCFP ont beaucoup varié. Dans son Mémento à l’usage du candidat et de son mandataire relatif à la présidentielle de 2012, la CNCCFP ne distinguait pas entre les primaires fermées et les primaires ouvertes et considérait que les dépenses engagées dans le cadre de primaires ne présentent pas, en principe, le caractère de dépenses engagées en vue de recueillir le suffrage des électeurs devant être imputées dans les comptes de campagne (CNCCFP, Élection présidentielle de 2012, Mémento à l’usage du candidat et de son mandataire, p. 25). Dans sa décision du 19 décembre 2012 relative au compte de campagne de François Hollande, elle a précisé la position adoptée dans le mémento, considérant qu’il fallait intégrer dans les comptes « certaines dépenses d’impressions et de réunions publiques, effectuées avant ou pendant la campagne de la « primaire » et visant la promotion du candidat auprès des électeurs [qui] relèvent du scrutin présidentiel » car ces dépenses relèvent des « dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection et spécifiquement destinées à l’obtention des suffrages ». Cela ne signifiait pas l’imputation de toutes les dépenses de la primaire, mais seulement de celles qui, au sein de la primaire, avaient pour but de promouvoir le candidat auprès de l’ensemble des électeurs. Au départ, le compte de campagne comportait une somme de 299 546 euros de dépenses relatives à la « primaire » organisée en 2011 par le Parti socialiste. Cependant, pour la CNCCFP certaines dépenses d’impressions et de réunions publiques, effectuées avant ou pendant la campagne de la « primaire » et visant la promotion du candidat auprès des électeurs, relèvent du scrutin présidentiel mais n’ont pas été imputées au compte de campagne, et à ce titre la CNCCFP a considéré qu’il convenait d’intégrer une somme de 65 010 euros aux dépenses payées par les formations politique. Si l’on compte bien, la CNCCFP a donc imputé toute la primaire socialiste pour un montant de 350.000 euros environ (CNCCFP, Décision du 19 décembre 2012 relative au compte de campagne de M. François Hollande, considérant n°12).

Sa position a évolué encore, ou plutôt a été confirmée, à partir du Guide du candidat et du mandataire, dans sa version en date du 24 mai 2013 (modifiée depuis décembre 2013), lequel considère que « les réunions de confrontation contradictoire entre plusieurs pré-candidats ne présentent pas non plus de caractère électoral » dès lors qu’elles visent à obtenir les suffrages des militants et des « sympathisants ayant versé une participation aux frais d’organisation de la campagne », à l’exception bien sûr des dépenses engagées par le candidat victorieux et dirigées vers tous les électeurs (CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, version mise à jour le 24 mai 2013, pp. 22-23). Ainsi, les primaires ouvertes, car les réunions entre pré-candidats visant à obtenir les suffrages des militants et des sympathisants ayant versé une participation aux frais d’organisation de la campagne visent bien les élections primaires ouvertes (le fameux euro des primaires socialistes), ne sont pas imputées, sauf les dépenses qui dans cette primaire sont engagées directement en vue de l’élection auprès de tous les électeurs, et non des seuls votants à la primaire. Cette solution est cependant peu pertinente en réalité, notamment lorsque cette « participation aux frais d’organisation de la campagne » est récoltée le jour du vote, après la primaire et ses effets sur l’électorat.

C’est peut-être la fragilité de cet état du droit qui a conduit le gouvernement, en 2013, à saisir le Conseil d’État (section de l’intérieur) pour avis en application de l’article L. 112-2 du code de justice administrative. Or, dans son avis d’Assemblée générale du 31 octobre 2013, le Conseil d’État a considéré qu’à la différence des primaires fermées, les « dépenses engagées ou effectuées à l’occasion d’une élection primaire ouverte à l’ensemble des électeurs doivent être regardées comme engagées en vue de l’élection ». Le Conseil d’État tire alors toutes les conséquences spécifiques au scrutin municipal de cette solution sur le double fondement des articles L. 52-12 et L. 52-13 du code électoral, suivant sur ce point la solution suggérée par la CNCCFP (CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, dans sa version du 24 mai 2013, pp. 22-23). En vertu de l’article L. 52-12, « [s]ont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l’accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien (…) », ce qui implique l’absence de distinction, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, entre les dépenses engagées par le candidat tête de liste et celles engagées par ses colistiers (CE, 27 juin 2005, Gourlot, n° 272551 ; CE, 19 juin 2009, Mme Ollivro c / CNCCFP, n° 322051). En outre, et surtout, l’article L. 52-13 prévoit que « [l]es dépenses exposées par des candidats ayant agi séparément avant de figurer sur une même liste sont totalisées et décomptées comme faites au profit de cette liste lorsqu’elle a été constituée avant le premier tour ». Cela implique, lorsque les différents candidats à la primaire se regroupent sur une liste commune, de « totaliser et de décompter […] les dépenses de leurs campagnes respectives à l’occasion de cette élection primaire dans le compte de campagne du candidat à l’élection en vue de laquelle l’élection primaire a été organisée ». En somme, selon le Conseil d’État, les dépenses de tous les candidats aux primaires ouvertes présents sur la liste doivent fusionner dans le compte de campagne de la liste. Il s’agit d’une solution maximaliste.

Pourtant, la CNCCFP a maintenu sa position traditionnelle dans le Guide du candidat et du mandataire, dans sa version du 20 décembre 2013, selon lequel pour la primaire ouverte « est considérée au cas par cas comme dépense à intégrer au compte de campagne toute dépense engagée par ou pour le (ou les) pré-candidat(s) en définitive désigné(s) candidat(s) et visant sa (/leur) promotion auprès des électeurs ».

La CNCCFP a donc fait une interprétation restrictive, et sans doute volontairement, de la décision du Conseil d’Etat. Celle-ci pose en effet trop de problèmes, car elle conduit tout simplement à faire exploser les plafonds des comptes de campagne, ce qui est susceptible de provoquer des réactions en chaîne :

Premièrement, cette solution pourrait conduire à l’abandon des élections primaires ouvertes, notamment pour les élections municipales. Ce n’est pas qu’une hypothèse d’école. Ces primaires ont souvent posé des difficultés au parti organisateur (Paris, Marseille), se sont parfois avérées peu attractives (Paris), voire ont tout simplement échoué (Grenoble). Peut-être les partis, l’effet de mode étant passé, préfèreront revenir à l’ancien système.

Deuxièmement, les partis pourraient décider d’organiser leurs primaires plus en amont encore de l’élection, c’est à dire avant l’année à partir de laquelle les comptes de campagne doivent être établis. La France se trouverait alors dans un état d’élection permanent, y compris au niveau local, ce qui n’est pas non plus une hypothèse d’école tant cette évolution est déjà tangible au niveau national.

Troisièmement, cette solution pourrait conduire à augmenter les plafonds de dépense. Toutefois, cette hypothèse est obérée juridiquement. En effet, l’actualisation des montants est indexée sur l’indice des prix à la consommation des ménages, hors tabac (art. L. 52-11 C. élect.) et l’article 112 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a prévu qu’il n’y aura pas d’actualisation des montants « à compter de 2012 et jusqu’à l’année au titre de laquelle le déficit public des administrations publiques est nul ». Par ailleurs, cette solution a le désavantage de soulever la question délicate de l’argent en politique, dans une période peu propice à ce genre de débats.

Toutes ces perspectives posent des difficultés. Il n’existe de ce point de vue aucune solution satisfaisante. Cependant, l’hypothèse du droit positif actuel ne l’est pas davantage, comme on peut, peut-être, le montrer avec Marseille.

L’hypothèse de l’élection primaire de Marseille

Le choix actuel de la CNCCFP, de comptabiliser au cas par cas les dépenses électorales, n’est pas plus satisfaisant, et le système aujourd’hui est illisible. De ce point de vue, le meilleur exemple est, peut-être, mais ce n’est pas certain, ce qu’il s’est produit lors des dernières élections municipales à Marseille. En effet, six comptes de campagne sur huit à ont été rejetés à Marseille. Pourquoi ? Cela a-t-il un lien avec la primaire ? La question n’en est qu’au stade des hypothèses, faute de vérification rendue possible par la CNCCFP.

Dans son avis d’octobre 2013, le Conseil d’Etat avait rendu une solution très complexe à propos des primaires ouvertes dans les villes à statut particulier, c’est-à-dire Paris, Lyon et Marseille. La discordance du fait et du droit est ici édifiante. Alors que la primaire ouverte sert à désigner un maire au niveau de la ville toute entière, le droit ne prévoit pas, pour ces villes, une seule élection municipale, mais autant d’élections qu’il y a de secteurs (art. L. 261 du Code électoral). Les règles relatives au financement de la campagne s’appliquent alors secteur par secteur et non au niveau de la ville toute entière (V., CE, 19 mars 1997, Élections municipales de Marck-en-Calaisis, n° 174008).

La CNCCFP avait d’abord estimé que les dépenses engagées pendant les primaires pouvaient être « proratisées » dans les comptes de campagne de chaque secteur (CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, dans sa version du 24 mai 2013, pp. 22-23).  Cette position a conduit le Gouvernement à demander au Conseil d’État s’il fallait imputer ces dépenses aux comptes de campagne des listes de secteurs et, si oui, quelle « clé de répartition » appliquer. La solution adoptée par l’avis de 2013 est particulièrement alambiquée.

Le Conseil d’État a fait une interprétation stricte de la loi et refusé l’application d’une quelconque clé de répartition. Les règles des villes à statut particulier empêchent l’application de la solution de droit commun, dans la mesure où elles s’opposent à ce que les dépenses faites par un candidat même vainqueur, au cours de la primaire, soient réparties entre les listes se réclamant de ce candidat dans les différents arrondissements de la ville. L’élection ayant lieu par secteur, elles s’opposent à ce que ces dépenses puissent être imputées sur les listes des secteurs où ledit candidat ne figure pas. En raison de la chronologie de l’élection et de la non-identité des personnes concernées entre les différentes listes, ces dépenses ne peuvent être regardées ni comme ayant recueilli l’accord de ces listes, ni comme exprimant le soutien de ce candidat à ces listes, ni, surtout, comme exposées directement au profit de ces listes en vue de l’élection au niveau du secteur. Il est ainsi impossible de procéder à une confusion entre les différentes élections des secteurs et l’élection primaire ouverte au niveau de la ville. Les dépenses d’un candidat ne peuvent être imputées que sur le compte de campagne de la liste sur laquelle ce candidat figure. Cependant, l’imputation se trouve alors limitée au seul secteur concerné, et les dépenses ne doivent être retracées qu’ « à concurrence de leur effet utile dans l’arrondissement ou le secteur concerné, c’est-à-dire pour la fraction correspondant à la part de la population de cet arrondissement ou secteur dans la population de la commune ».

Cette solution complexe conduit à des ruptures d’égalité, surtout pour les secteurs qui comptent des candidats aux primaires, présente de grandes difficultés pratiques du point de vue du calcul, et surtout entraîne la non-comptabilisation d’un grand nombre de dépenses, celles qui sont faites par le candidat pour d’autres secteurs que le sien. En dégageant ces solutions, le Conseil d’État applique ce qui lui semble découler de la loi, mais ce raisonnement conduit à une solution peu logique. Il considère lui-même que « cette solution, qu’imposent l’état du droit et la lettre de l’article L. 52-12 du code électoral reflète l’inadaptation de la législation applicable à la place prise par les élections primaires ouvertes dans les processus électoraux ». Pour le Conseil, « [c]ette inadaptation et l’exigence de sécurité juridique des opérations électorales appellent une intervention du Parlement en vue de compléter, pour l’avenir, une législation qui ne prend pas en compte l’impact du développement récent des élections primaires », notamment pour « clarifier, et, le cas échéant, modifier le droit applicable aux recettes perçues et dépenses exposées à l’occasion d’élections primaires ».  Le Conseil d’Etat a donc constaté l’inadaptation de la législation. La CNCCFP a cependant pris en compte cette évolution dans son guide du candidat et du mandataire et cherché à intégrer cette règle.

Or, de ce point de vue, on ne peut pas ne pas se poser de questions à propos de Marseille. S’il semble ne pas y avoir de problème dans la plupart des villes où a eu lieu une primaire ouverte, il y a eu toutefois une difficulté à Marseille où 6 comptes sur 8, la ville étant organisée par secteur, ont été rejetés par la CNCCFP (CNCCFP, 20 décembre 2014, décision relatives au compte de campagne de M. Hovsepian ; de M. Caselli ; de Mme Carlotti ; de Mme Lévy-Mozziconacci ; de M. Zeribi ; de M. Masse; seuls les comptes de M. Mennucci et de Mme Ghali ont été validés). Le rejet de ces comptes est justifié par la non-intégration de dépenses importantes d’impression dans le compte initial, et une correction trop importante et trop tardive des comptes après coup. Saisi par la CNCCFP conformément à l’article L. 52-15 du code électoral qui fait obligation à la CNCCFP de saisir le juge de l’élection, le Tribunal administratif de Marseille a confirmé le rejet des comptes, considérant que les comptes déposés n’étaient pas sincères car régularisés a posteriori de façon trop importante, ce qui ne pouvait se réduire à des erreurs matérielles, ces erreurs n’étant pas suffisantes cependant pour entraîner l’inéligibilité des candidats, ce qui était le principal enjeu du litige (TA de Marseille, 9 février 2015, CNCCFP, n° 1408523, 1408530, 1408532, 1408535, 1408542, 1408545). Qu’a-t-il bien su passer à Marseille, pour que de telles dépenses ne soient pas correctement intégrées et donnent lieu à une telle modification des comptes a posteriori ?

D’après le rapporteur public qui a conclu sur ces affaires, il s’agissait ici d’intégration de « dépenses payées par la Fédération socialiste des Bouches du Rhône dont certaines n’ont pas été comptabilisées ou mal comptabilisées dans leur premier compte de campagne déposé, s’agissant notamment de dépenses d’impression d’affiches, tract, cartes », et il semble « qu’il a été compliqué pour les mandataires financiers des candidats et pour le parti socialiste ou pour l’expert-comptable d’imputer dans les délais requis à chaque candidat la part des dépenses communes dues à chacun, payées par le parti politique et dès lors que les montants étaient élevés et les factures tardives ». Alors que les candidats plaidaient l’erreur comptable, le rapporteur public a décidé de faire un « aparté » : « nous ouvrons toutefois une parenthèse. Il ne s’agirait pas vraiment selon nous d’une erreur, mais plutôt de la prise en compte tardive de nombreuses factures, et de la nécessité, in extremis comme l’écrit la commission, de répartir les concours et dépenses des candidats pour éviter tout dépassement de plafonds des comptes de campagne de certains d’entre eux. On pense par exemple aux comptes de M. Caselli, qui dépassait le plafond avec l’ajout des facteurs d’impression. Mais cette circonstance n’est pas envisagée par la commission des comptes de campagnes, alors qu’elle avait les moyens nous semble-t-il de le faire, et les éléments de preuve ne résultent pas de l’instruction. Nous refermons la parenthèse » (concl. Retterer, affaires n° 1408542 et autres, inédit). Il y a donc bien une inconnue en la matière. La question pourrait même être posée : cette difficulté à répartir les dépenses entre le parti et les candidats, ainsi que ce problème de ventilation des dépenses entre les différentes comptes, y compris en les associant à ceux non rejetés de M. Mennucci et Mme Ghali, peut-il avoir un rapport avec la primaire ouverte ?

Le problème est qu’en l’état, il n’est pas possible de vérifier l’hypothèse. En effet, alors que nous avons demandé tous les comptes de Marseille, nous n’avons réussi à obtenir que les deux seuls qui n’ont pas été rejetés, ceux de M. Mennucci et de Mme Ghali, au motif que les autres ont été communiqués au TA de Marseille, ne sont pas encore revenus ou n’ont pas encore été anonymisés (la demande a été faite en janvier). Par ailleurs, l’étude de ces deux comptes ne suffit pas à l’interprétation car, en pratique, à quoi ressemble un compte de campagne lorsque celui-ci est communiqué ? Après une fiche officielle désignant le candidat et faisant la synthèse du compte, signée par le candidat, et une page d’identification du mandataire financier, on trouve un bilan comptable très simple, c’est-à-dire un état des recettes du compte de campagne (en une page) et un état des dépenses du compte de campagne (en une page), puis suivent de très nombreuses pièces justificatives, en pratique des photocopies de tickets de carte bleue, des factures, des bons de commande, des contrats, etc., mais il est très difficile de savoir ce qu’il s’est passé concrètement pendant la campagne et si les comptes en question sont réellement sincères. Cependant, on remarquera que les comptes correctifs de M. Mennucci et de Mme Ghali comportent précisément un volet sur les primaires, ce qui montre bien qui ce ce sont les primaires qui semblent avoir posé des difficultés. Par ailleurs, dans ces comptes, les dépenses des primaires semblent avoir été reparties selon des modalités purement arithmétiques entre les secteurs, y compris sur les comptes de gens qui n’étaient pas candidats…Mais à ce stade l’analyse n’est nécessairement que partielle.  Tout repose donc en réalité sur le travail d’instruction réalisé par la CNCCFP mais celle-ci a toujours jusqu’ici refusé de transmettre ces documents : lettre et échanges entre les rapporteurs de la commission et les candidats, pré-rapports, etc., autant d’éléments qui permettraient de déterminer ce qu’il se produit réellement pendant une campagne électorale. L’étude des seuls comptes ne suffit donc pas. Il faudra aller plus loin.

Mais peut-être sera-t-il possible de vérifier bientôt cette hypothèse et de mieux savoir comment la CNCCFP fonctionne, autant pour ce qui concerne l’élection et le compte de campagne de François Hollande que pour l’élection municipale de Marseille. En effet, dans un arrêt très récent, l’arrêt du Conseil d’État, Ass., CNCCFP c/ Mediapart, 27 mars 2015, n° 382083, le Conseil d’Etat a estimé, alors que la CNCCFP n’acceptait de communiquer jusque-là que les comptes de campagne et ses propres décisions,  que tous les documents produits ou reçus par la CNCCFP étaient des documents administratifs communicables. Le secret qui pèse aujourd’hui devrait être levé. Pour ce qui concerne l’arrêt Médiapart, qui concernait le compte de campagne de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2007, le jugement du tribunal administratif de Paris permet de déterminer les éléments auxquels il sera possible d’avoir accès, et ils sont nombreux : listes de donateurs, contrats de travail des cadres et employés de la campagne, conventions conclues pour la levée de fonds, commandes de maquillage, contrats de sous-location, relevés bancaires de l’association de financement AFCNS, contrat de prêt conclu entre M. Sarkozy et l’UMP, justificatifs relatifs à des réunions, éléments de comptabilité du parti, coûts de transport engagés par les fédérations, résultats d’un sondage, lettre d’observation de la CNCCFP, lettre en réponse de l’AFCNS… (TA Paris, 3 juin 2014, n° 1216457/6-2, cons. 7). Peut-être l’examen de toutes ces pièces à propos de l’élection primaire de Marseille, mais aussi des autres primaires, permettra-t-il d’en savoir davantage ? Pour le moment, la demande de consultation a été faite, mais elle n’a pas obtenu satisfaction. La CNCCFP a promis que cela viendrait… à suivre, mais cela prend vraiment beaucoup (trop) de temps.

Perspectives

Dans tous les cas, la CNCCFP semble s’être « trahie » elle-même, ou en tout cas a clairement explicité ses intentions, dans son rapport annuel pour les élections de 2014, relatif aux élections municipales et européennes de 2014. Faisant une interprétation très personnelle et très favorable à sa position de l’avis du Conseil d’Etat d’octobre 2013, la CNCCFP considère qu’il existe effectivement des difficultés sur la question de l’imputation des dépenses des primaires ouvertes : « Cette évolution globalement positive des règles dont la commission est chargée d’assurer le respect, dans la limite de ses compétences et de ses moyens, ne doit pas masquer les sujets sur lesquels des incertitudes demeurent, faute de dispositions appropriées dans le code électoral : ainsi, le développement prévisible de la pratique des « primaires » destinées à sélectionner les candidats n’est en rien règlementé, de sorte que la commission a dû définir elle-même des critères d’inscription des dépenses dans les comptes de campagne à l’occasion de l’élection présidentielle ; le Conseil d’État, saisi pour avis lors des élections municipales, a validé pour l’essentiel ces principes tout en incitant le législateur à intervenir » (CNCCFP, Rapport 2014, pp. 100-101).

Surtout, dans ses propositions, elle trahit sa position réelle: elle propose en effet dans ce rapport de « Raccourcir la période de prise en compte des dépenses électorales ». Pour la CNCCFP, l’une des origines des mises en cause récurrentes des élus, en particulier ceux des collectivités territoriales, portant sur l’utilisation de moyens publics par un candidat sortant, réside dans la longueur de la période de douze mois pendant laquelle les dépenses électorales doivent être recensées afin d’assurer l’exhaustivité du compte de campagne, alors qu’en fait l’essentiel de la campagne se déroule dans les trois à six derniers mois. La commission suggère ainsi que soit étudiée la possibilité de raccourcir la période de prise en compte des dépenses électorales à six ou huit mois. Et elle ajoute : « cette mesure pourrait également clarifier la question des primaires dites « ouvertes », ce qui répondrait à la préoccupation exprimée par le Conseil d’État. En effet, dans cette hypothèse, l’inscription dans un futur compte de campagne des dépenses exposées par le candidat sélectionné à la suite d’une élection primaire pourrait alors être obligatoire au sein de cette période et exclue dans le cas (le plus fréquent) où cette élection se déroulerait plus de six mois avant le scrutin » (CNCCFP, Rapport 2014, pp. 89-90).

La CNCCFP dévoile donc enfin ses intentions : le système étant trop compliqué, ne pas comptabiliser les élections primaires ouvertes. Cela est-il une solution ? D’un certain point de vue oui, dans la mesure où en réalité le système de financement de la vie politique tel qu’il est établi ne permet pas d’absorber les primaires. Cette solution permettrait donc de conserver le système actuel, de l’empêcher d’exploser. Mais d’un autre côté, cette solution pourrait avoir un effet politique considérable, en avantageant grandement les partis politiques décidant de faire des primaires en leur permettant de faire campagne activement, sans que cela ne soit comptabilisé. Dans l’hypothèse d’élections municipales mais surtout, bien entendu, de l’élection présidentielle. Les enjeux sont donc extrêmement forts.

Pour conclure, il semble donc que si les primaires ouvertes sont un processus dont les effets commencent à être connus du point de vue politique, il n’en est rien d’un  point de vue juridique. Bien au contraire, le système juridique n’a encore aucune idée de la façon dont il faudrait appréhender ce phénomène, et le concilier avec le système très contraignant en France du financement de la vie politique. Mais peut-être ne s’agit-il ici au fond que d’une manifestation parmi d’autres de l’inadaptation de ce système à la politique contemporaine ?

Romain Rambaud

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