27/03/2014 : Transparence des comptes de campagne : le Conseil d’Etat ordonne la communication à Mediapart de documents relatifs au compte de campagne de Sarkozy de 2007 [R.Rambaud]!

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C’est bien un arrêt de principe, et fort bienvenu, que vient de rendre le Conseil d’Etat il y a quelques minutes. Par un arrêt d’Assemblée du 27 mars 2015, Commission Nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ Mme C… et société éditrice de Mediapart, n°382083, le Conseil d’Etat vient d’ordonner la communication des doucments relatifs à l’instruction des comptes de campagne (il s’agit notamment du questionnaire adressé par les rapporteurs de la CNCCFP à M. Sarkozy et au trésorier de sa campagne, ainsi que des réponses fournies à ce questionnaire) de Sarkozy de 2007 à Mediapart.

En effet, à la différence des comptes pour les autres élections, qui sont publiées sous forme simplifiée seulement en vertu de l’article L. 52-12 quatrième alinéa, la loi organique n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel prévoit que « Par dérogation au quatrième alinéa de l’article L. 52-12 du code électoral, les comptes de campagne des candidats sont publiés par la commission au Journal officiel dans le mois suivant l’expiration du délai prévu au deuxième alinéa du même article L. 52-12. ». L’enjeu ici n’était donc pas ici l’accès aux comptes de campagne en tant que tel, mais à tous les documents annexes, les documents d’instruction, que la CNCCFP se refusait jusqu’ici à communiquer.

Le Conseil d’Etat vient donc de rendre une solution fondamentale : le contraire n’aurait pas été acceptable. Mais cette solution ouvre de nouvelles perspectives, notamment en permettant d’aller plus loin que la seule analyse du compte de campagne stricto sensu.

Cependant, pour la protection de la vie privée, certains noms de donateurs ont été occultés ; cependant, le Conseil d’Etat considère que cela ne dénature pas le sens de ces documents. Reste à savoir ce que Mediapart pourra en faire.

Analyse.

Les comptes de campagne, des document normalement communicables

D’après la fiche thématique de la CADA consacrée aux documents électoraux disponible sur son site internet, le compte de campagne électorale d’un candidat et tous les documents venant à son appui adressés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), dans l’exercice de ses missions, sont des documents administratifs communicables à compter de la décision rendue par la Commission sur ces comptes, sous réserve de l’occultation des informations couvertes par les secrets protégés au II de l’article 6 notamment le secret de la vie privée et le secret en matière commerciale et industriel.

En effet, la CADA a estimé dans son avis n°20084035 du 23 octobre 2008 que « tant les documents émanant de la CNCCFP que ceux qui lui sont adressés pour l’exercice de ses missions s’analysent comme des documents administratifs au sens de la loi du 17 juillet 1978. Il en va ainsi des comptes de campagne déposés auprès d’elle et des décisions qu’elle rend sur ces comptes, que celles-ci soient ou non adressées, notamment en vertu de l’article L. 118-2 du code électoral, au juge de l’élection ».

Cette position a été confirmée par un avis 20113922 du 20 octobre 2011 selon lequel « Un compte de campagne est donc communicable à toute personne qui en fait la demande à compter de la décision rendue par la commission sur ce compte».

Par ailleurs, la fiche thématique de la CADA précise qu’il n’existe qu’une exception à ce principe de communication : cette restriction au droit d’accès ne trouve à s’appliquer que lorsque la communication des documents serait de nature à porter atteinte au déroulement de l’instruction, à retarder le jugement de l’affaire ou à compliquer l’office du juge.

En effet, l’avis 20113922 du 20 octobre 2011 a prévu qu’ « Un compte de campagne est donc communicable à toute personne qui en fait la demande à compter de la décision rendue par la commission sur ce compte, sauf dans l’hypothèse, prévue par les dispositions du f) du 2° du I de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, où cette communication serait de nature à porter atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions. Cette restriction au droit d’accès ne trouve à s’appliquer que lorsque la communication des documents serait de nature à porter atteinte au déroulement de l’instruction, à retarder le jugement de l’affaire ou à compliquer l’office du juge. La seule transmission au juge, en application des dispositions du code électoral, de la décision de la Commission sur le compte de campagne, ne suffit pas à caractériser une telle atteinte ».

Dans ce cadre, la CADA a considéré, dans l’avis 20131038 du 11 avril 2013, que « à cet égard, la commission d’accès aux documents administratifs estime que la communication à des tiers de la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques notifiée au candidat et contestée par celui-ci devant le Conseil constitutionnel n’est de nature ni à compliquer la conduite d’opérations préliminaires à la décision du Conseil constitutionnel, ni à compliquer l’office de celui-ci, ni à retarder le jugement de l’affaire par le Conseil constitutionnel ».

Le caractère communicable des comptes de Sarkozy d’après la CADA

Sur la base de ces principes, la CADA a considéré que les comptes de Sarkozy de 2007 étaient communicables. Dans un avis 20131038 du 11 avril 2013 relatif à l’élection présidentielle, considérant que « l’acte pris par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, autorité administrative indépendante, pour, conformément à sa mission de service public, approuver, rejeter ou réformer le compte d’un candidat à l’élection présidentielle, présente le caractère d’un document administratif, au sens de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978 et, s’il peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel, ne peut pour autant être regardé comme inachevé dans l’attente de cette décision du juge de l’élection présidentielle, ni comme préparatoire à cette décision ». Ces solutions ont été confirmées au contentieux par le tribunal administratif de Paris, à propos des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy de 2007 (Tribunal administratif de Paris, 3 juin 2014, n° 1216457/6-2), lequel a annulé la décision de refus et enjoint la CNCCFP à communiquer ces documents.

Cependant, le Conseil d’État, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), a décidé le 30 juillet 2014 (n° 382085) de surseoir à l’exécution du jugement du 3 juin 2014, l’argument sérieux étant notamment fondé sur l’application de la loi de 1978 au litige ! Le Conseil d’État a estimé que les conditions auxquelles l’article R. 821-5 du Code de justice administrative subordonne l’octroi du sursis à exécution étaient remplies. Cette décision de sursis a suspendu provisoirement les effets du jugement favorable à Mediapart, sans préjuger de l’issue de l’examen au fond du pourvoi en cassation formé par la CNCCFP contre ce même jugement…. jusqu’à la décision d ‘aujourd’hui.

La confirmation de cette solution par le Conseil d’Etat

Le Conseil d’État a estimé, comme le tribunal administratif et contrairement à ce qu’il avait estimé en sursis à exécution, que la loi du 17 juillet 1978 relative à la communication des documents administratifs était applicable à ce litige, et que cette loi donnait effectivement le droit à la journaliste et à Mediapart d’obtenir la communication des documents qu’ils demandaient.

Il a donc confirmé le jugement du tribunal et rejeté le pourvoi de la CNCCFP, qui devra communiquer les documents demandés.

D’après le communiqué du Conseil d’Etat « La question de l’applicabilité de cette loi générale relative à la communication des documents administratifs pouvait en effet se poser, dès lors que la Constitution elle-même, à son article 6, renvoie à une loi organique spécifique le soin de déterminer l’ensemble des modalités d’organisation et de contrôle de l’élection du Président de la République. La loi organique du 6 novembre 1962 confie ainsi à la CNCCFP, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, la mission d’approuver, de rejeter ou de corriger les comptes de campagne des candidats à cette élection. Or cette loi organique ne prévoit pas expressément la possibilité d’obtenir communication des documents relatifs à cette mission de contrôle ».

Toujours d’après le communiqué « Mais le Conseil d’État a relevé que le régime de communication des documents produits ou reçus par la CNCCFP ne se rattachait pas directement aux modalités d’organisation et de contrôle de l’élection du Président de la République, et n’entrait donc pas dans le domaine réservé par la Constitution à la loi organique. En l’absence de toute autre disposition législative particulière traitant de cette question et dérogeant à la loi du 17 juillet 1978, le Conseil d’Etat en a déduit que le litige devait être réglé dans le cadre de cette loi ».

Le Conseil d’État a, ensuite, jugé que les requérants avaient effectivement droit, sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, à la communication des documents demandés.
Le Conseil d’État a relevé que tous les documents détenus par la CNCCFP qui justifient les écritures figurant dans le compte de campagne d’un candidat à l’élection présidentielle constituent des « documents administratifs » susceptibles d’être communiqués en application de la loi du 17 juillet 1978. Par ailleurs il  a jugé que les documents demandés n’entraient dans le champ d’aucune autre des exceptions au droit de communication prévues par la loi du 17 juillet 1978.

Néanmoins, il existe une limite à cette solution, le fait que certains noms aient été occultés. D’après le considérant 11 de la décision, « il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond que les listes des donateurs de sommes supérieures à 3 000 euros annexées aux réponses adressées par M. B… à la CNCCFP en date des 23 et 25 octobre 2007 sont constituées d’une liste de noms auxquels sont associés les lieux de résidence ainsi que le montant des dons consentis par les intéressés au profit de la campagne électorale de M. E… ; que, contrairement à ce qui est soutenu, l’occultation des mentions nominatives contenues dans ces documents, dont la communication serait susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée des donateurs et qui sont divisibles du reste des mentions qu’ils contiennent, n’a pas pour effet d’en dénaturer le sens ; qu’il suit de là que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Paris aurait dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit en jugeant que ces listes des donateurs étaient communicables moyennant occultation des mentions nominatives qu’elles comportent doit être écarté ». Reste à savoir dans quelle mesure l’occultation de ces noms empêchera Mediapart, ou non, de vérifier ses hypothèses.

Cependant le Conseil d’Etat a fixé des réserves à cette communication, non scandaleuses, mais celles-ci ne se sont pas appliquées en l’espèce.

Les réserves posées par le Conseil d’Etat

Contrairement à la solution de droit commun posée concernant les comptes « classiques », le Conseil d’Etat juge que les comptes de campagne lors d’une campagne ne peuvent être communiqués que s’ils sont définitifs. D’après le communiqué, « le Conseil d’État a cependant précisé que ces documents ne pouvaient pas être communiqués à tout moment. En particulier, la loi fait obstacle à leur communication tout au long de la phase de contrôle des comptes par la CNCCFP ainsi que, en cas de recours contre la décision de la CNCCFP devant le Conseil constitutionnel, pendant l’examen de ce recours par le Conseil. Ce n’est donc qu’à partir de l’expiration du délai de recours contre la décision de la CNCCFP statuant sur les comptes d’un candidat ou, en cas de recours, à partir de la décision du Conseil constitutionnel, que la CNCCFP peut valablement être saisie d’une demande de communication. Tel était bien le cas en l’espèce ».

On peut comprendre cette solution, qui se justifie par le fait de pas causer de troubles excessifs à l’ordre public et au bon déroulement de la procédure éventuellement devant le Conseil constitutionnel, au regard bien sûr de l’enjeu particulier de cette élection.

Par contre, reste une inconnue : pour les autres élections, le compte est disponible dès la décision de la CNCCFP adoptée même si le juge de l’élection est saisi, mais ce ne sera pas le cas pour l’élection présidentielle. Il faut espérer que la CNCCFP ne va pas se fonder là dessus pour refuser de transmettre des comptes lorsque le juge est saisi, pour les autres élections.

C’est donc une solution favorable à la transparence. Une fois n’est pas coutume. Il s’est si rare de se féliciter d’une décision du Conseil d’Etat !

Romain Rambaud

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