Après une (trop) longue interruption liée à une actualité sondagière fort chargée ces dernières semaines, il est possible de reprendre le travail d’analyse du rapport de la Commission des sondages sur l’élection de 2012.
A noter, d’ailleurs, que le CSA a également publié cette semaine son rapport sur les élections présidentielle et législatives et on ne manquera pas d’en dire quelques mots dans un futur article sur ce blog. Certains éléments concernent le droit des sondages et notamment la question de la place des sondages dans la distribution des temps de parole, dont on a déjà parlé ici.
Pour le moment, restons sur le rapport de 2012 de la Commission des sondages : après avoir abordé ici la question du champ d’application du contrôle (exégèse n°1), la question des principales règles de fond appliquées aux sondages pendant cette élection (exégèse n°2), et les questions liées au contrôle des conditions de publication des sondages électoraux (exégèse n°3), c’est à une problématique particulièrement bien connue ici que le paragraphe suivant du rapport est consacré : à savoir le respect des interdictions de publication ou de diffusion la veille et le jour du scrutin.
Le principe d’interdiction de publication et de diffusion de sondages et de résultats la veille et le jour du scrutin… jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote.
Le rapport de la Commission des sondages commence bien entendu par rappeler le droit applicable, qui résulte ici de deux textes différents : l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977, qui interdit la publication de sondages et de commentaires de sondages la veille et le jour du scrutin, dont les violations sont punies en application de l’article 90-1 du code électoral par une amende de 75000 euros, et l’article L. 52-2 du Code électoral, dont les violations sont punies, en application de l’article 89 du Code électoral, d’une amende de 3750 euros. Pour faire respecter ces deux textes, la Commission des sondages a travaillé en étroite collaboration avec la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale.
L’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 vise toute nouvelle diffusion de sondages ainsi que toute rediffusion de sondages ayant déjà fait l’objet d’une publication, d’une diffusion ou d’un commentaire avant le vendredi 20 à minuit. (Elle ne fait, en revanche, pas obstacle à ce que restent accessibles des publications parues ou des données mises en ligne avant cette date… pratiquement, il serait impossible qu’il en soit autrement).
Le droit positif interdit, jusqu’à la fermeture des derniers bureaux de vote en métropole, la diffusion, par quelque moyen que ce soit, de toutes estimations de résultats établies à partir de sondages réalisés à la sortie des urnes ou de résultats partiels. L’interdiction vaut quel que soit le mode de communication utilisé, notamment la publication par voie de presse, par voie de radio et de télévision, par internet (sites et blogs) ainsi que sur les réseaux sociaux – cette dernière hypothèse ayant constitué pendant la campagne le noeud du problème : des journaux, français puis étrangers, puis des internautes, ont en effet cherché à communiquer les résultats avant la fermeture de l’ensemble des bureaux de vote : il en avait été rendu compte sur ce blog… en direct.
Ces tentatives de violation de la loi ont appelé une réaction de la part de la Commission des sondages qui a voulu faire appliquer la loi.
Les dispositifs mis en place par la Commission des sondages pour faire appliquer la loi
L’interdiction de diffusion des sondages avant l’heure a été fort contestée… dans sa réalisation pratique mais même dans sa légitimité. Pourtant, elle semble essentielle afin de respecter la sincérité du scrutin et la liberté du suffrage… et d’éviter les estimations erronées.
Pour mieux le faire comprendre, la Commission des sondages a, selon ses propres termes, cherché à faire preuve de pédagogie. Notamment, le secrétaire général de la Commission, Mattias Guyomar, a participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision afin d’expliquer le sens de cette interdiction. Pour la Commission, il est nécessaire de « sanctuariser » le jour du scrutin, alors que la divulgation d’estimations avant l’heure, nuisant à l’unité du corps électoral, présente le double risque de la manoeuvre politique, au moyen de la divulgation de résultats délibérément falsifiés, et de l’atteinte à la sincérité du scrutin, certains électeurs se déterminant en fonction des éléments ainsi portés à leur connaissance… qui au demeurant peuvent s’avérer faux.
La Commission des sondages a également publié avec la Commission nationale de contrôle de campagne des communiqués afin de rappeler le principe d’interdiction et sa sanction, la Commission indiquant qu’elle n’hésiterait pas à saisir le procureur de la République de toute infraction constatée.
Enfin, la Commission a mis en place un dispositif visant à éviter que des résultats ne soient diffusés : outre la création avec le ministère de l’intérieur d’une cellule visant à chercher les internautes fraudant la loi et donc d’un mécanisme répressif la Commission ( les fameux « dix gendarmes du CSA » selon les internautes), a mis en place un mécanisme préventif. Ce dernier a associé les instituts des sondages et a permis d’obtenir de ces derniers l’engagement de ne pas réaliser de sondages de sortie des urnes, afin de discréditer les résultats qui pourraient être diffusés dans la journée : à défaut de venir de sources fiables, ces résultats seront réputés faux. La Commission des sondages s’était félicitée de la mise en place de ce dispositif dans un communiqué de presse, dont on avait rendu compte ici.
Au final, dans son rapport de 2012, la Commission des sondages tire un bilan mitigé du dispositif mis en place : si elle se félicite de la non-parution de sondages la veille et le jour du scrutin et de l’attitude des instituts de sondages et des grands médias nationaux, elle regrette toutefois certaines infractions à la législation commises notamment par l’AFP, RTBF, plusieurs sites internet et par des particuliers sur les réseaux sociaux.
Néanmoins, la Commission constate qu’il n’y a pas eu de manipulation partisane avérée des résultats qui ont été diffusés – ce qui aurait été l’hypothèse la plus problématique qu’en réalité les fuites opérées sur twitter étaient plutôt de type ludique que véritablement informatif ; et qu’enfin les données diffusées étaient largement fausses. Ce qui peut toutefois être problématique lorsque ces résultats sont diffusés par la presse étrangère : certains résultats diffusés étaient attribués à des sondages de sortie des urnes réalisés par certains instituts, qui ont démenti les avoir réalisés.
La position de la Commission des sondages sur la fermeture des bureaux de vote : harmoniser à 19 heures.
Enfin, plus tardivement dans le rapport, la Commission des sondages s’accorde avec la proposition, que tout le monde fait désormais, d’harmoniser les horaires de fermeture des bureaux de vote. Pour la Commission – et on ne peut que la rejoindre sur ce point – c’est le décalage des horaires de fermeture des bureaux de vote, entre 18 heures, 19 heures et 20 heures, qui explique que des estimations, réalisées grâce aux résultats partiels des bureaux de vote tests fermant à 18 heures, puissent être diffusées alors que tous les bureaux de vote ne sont pas encore fermés.
Pour la Commission, il faut donc harmoniser les horaires de fermeture en laissant un intervalle d’une heure entre la fermeture des bureaux de vote et l’autorisation de divulguer des résultats… autrement dit, fermer les bureaux de vote à 19 heures et réaliser une diffusion des résultats à 20 heures. Pour la Commission, « le maintien d’un intervalle d’une heure présenterait le double avantage de permettre l’établissement d’estimations à partir des résultats recueillis auprès de « bureaux tests » tout en évitant la possibilité d’en divulguer massivement la teneur avant la clôture du scrutin ». Cette proposition était également celle des sénateurs Sueur et Portelli.
C’est effectivement la position qu’il faut tenir : l’harmonisation à 20 heures pourrait être contre-productive dans la mesure où elle entraînerait une diffusion d’estimations dès 20 heures réalisées non sur la base d’estimations de résultats issues du dépouillement de bureaux tests mais de sondages de sortie des urnes, d’une moins bonne qualité, tandis qu’elle ne résoudrait pas le problème de la diffusion des estimations puisque des résultats de ces sondages de sortie pourraient être diffusés dans la journée.
On ne peut que s’aligner sur les positions de la Commission des sondages présentes dans ce rapport : on la rejoint en tous les points. Seul bémol, que les problèmes d’articulation entre l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 et l’article L. 52-2 du code électoral, révélés depuis l’affaire Royal, ne soient pas abordés alors que cela est pourtant une nécessité pour la bonne application du dispositif pour les élections à venir, et notamment à l’élection de 2017. Affaire à suivre.
Romain Rambaud