01/11/2012 : Exégèse du Rapport de la Commission des sondages n° 3 : du contrôle des conditions de publication des sondages électoraux

sondages sur les élections présidentielles et les élections législatives de 2012, consacré à la question du contrôle de la publication des sondages électoraux.

Le premier avait  été consacré à la notion de sondage électoral et à la question du champ du contrôle,  et le second à la question des différentes questions posées par le contrôle de l’élaboration des sondages électoraux.

 

L’importance du contrôle des modalités de publication des sondages électoraux

La question  du contrôle des conditions de publication des sondages électoraux est au moins aussi importante que celle des conditions d’élaboration de ces mêmes sondages. En effet, un sondage n’a d’impact sur l’opinion publique et sur les scrutins que s’il est publié – or, la mission de la Commission des sondages est précisément de contrôler les sondages publiés en raison de cet effet là.

C’est ainsi que la loi de 1977 prévoit deux hypothèses de contrôle des modalités de publication des sondages. Tout d’abord, son article 9 interdit à une publication d’altérer la portée des résultats obtenus par le sondage à peine de faire l’objet d’une mise au point. Ensuite, son article 12 interdit à la publication du sondage de comporter un caractère mensonger, à peine de faire l’objet d’une sanction pénale.

Il ne faudrait donc pas croire que la question des modalités de publication des sondages électoraux est secondaire. Au contraire, elle est fondamentale, d’autant qu’elle a toujours posé beaucoup de problèmes : ainsi, l’idée que la mauvaise utilisation des sondages électoraux provient plus souvent des médias qui les interprètent que des instituts qui les fabriquent est une antienne, reprise à de nombreuses reprises par la Commission des sondages [Rapport de 1995, pp. 4-5 et p. 12 ; Rapport de 2002, p. 17], ainsi que par les sondeurs et les journalistes, comme la conférence organisée au début du mois d’octobre par Délits d’opinion s’en était d’ailleurs fait l’écho.

C’est donc au problème de l’utilisation médiatique du sondage que la Commission des sondages consacre le troisième paragraphe de son rapport sur les élections présidentielles et législatives de 2012.

Il faut souligner que sur ce point, le rapport commence par une évidente volonté de la Commission des sondages d’améliorer ses rapports avec les organes de presse. D’habitude, la Commission se plaint régulièrement de ses rapports peu efficaces avec les instituts de presse [Rapport de 1998, p. 17 ; Rapport de 1995, pp. 4-5 ; Rapport de 2004, p. 9 ; Rapport de 2007, p. 7]. Ici, la volonté est à l’apaisement : la Commission des sondages a l’occasion de relever qu’une réunion fort utile a été organisée en décembre 2011 avec les médias, permettant ainsi de faire connaître les recommandations de la Commission des sondages et par conséquent d’espérer qu’elles soient davantage respectées. Concernant le problème de la diffusion avant l’heure des résultats, elle ne manquera d’ailleurs pas de souligner qu’elle y a mis particulièrement du sien en participant elle-même au débat médiatique : mais c’est une question sur laquelle nous reviendrons dans le cadre de l’exégèse °4 à venir.

Toutefois, c’est pour constater ensuite, et le problème est classique comme on l’a vu, le comportement de ces mêmes médias qui à de nombreuses reprises ne respectent pas les recommandations de la Commission, même si celle-ci relève que ces comportements ne sont pas nécessairement délibérés. La Commission a ainsi adressé aux médias de nombreuses lettres d’observations et prononcé cinq mises au point pour l’élection présidentielle et quatre pour les élections législatives, afin de sanctionner des comportements qu’elle divise en deux catégories, les publications abusives et les publications incomplètes.

Les publications abusives sont l’ensemble des publications qui ne respectent pas les règles de fond posées par la loi et la Commission des sondages, tandis que les publications incomplètes visent les publications dans lesquelles l’ensemble des mentions prévues par la loi ne figurent pas.

 

Le problème des publications abusives

La Commission relève que le caractère abusif des publications diffère selon le support qui est en cause : trois cas de figure sont ici présentés.

 

La publication de données partielles ou non vérifiées 

Le premier cas de figure est l’hypothèse où ne sont publiées que des données partielles, qui peuvent même être non chiffrées notamment lorsque le résultat est présenté comme résultant d’une fuite d’un sondage non destiné à l’origine à être publié, qui n’ont pas été vérifiées voire qui ne correspondent à aucune sondage réel.

Cette situation se présente dans le cadre des élections législatives, car souvent, les commanditaires des sondages, notamment les candidats en campagne, ne résistent pas à l’envie de se prévaloir de sondages non destinés à être publiés qui leur donnent un avantage [Rapport de 1989, p. 6]. De jurisprudence constante, la Commission des sondages considère que de tels cas de figure répondent à la définition du sondage électoral et procède donc à son contrôle [Rapport de 1998, pp. 6-7].

Dans une telle hypothèse, la Commission des sondages demande à l’organe de presse, tout d’abord, de vérifier l’existence effective d’un sondage : c’est une obligation pour les organes de presse de vérifier que les sondages publiés existent effectivement [Recommandations de la Commission du 20 novembre 2007]. Dans l’hypothèses où les résultats dont on se prévaut ne résultent pas d’un sondage réel, la Commission prononcera une mise au point pour démentir l’existence de ce sondage : et de très nombreuses ont été prononcées dans le passé. Si le sondage existe réellement, l’organe de presse a alors l’obligation de publier dans les plus brefs délais les résultats complets du sondage accompagné des mentions prévues à l’article 2 de la loi de 1977.

 

Le cas particulier de la publication de données partielles ou non vérifiées sur les blogs des candidats

Le second cas de figure est assez proche mais ici le support de la publication du sondage est différent. Il s’agit de l’hypothèse où ces résultats partiels, ou ces tendances, sont publiés sur les blogs de candidats, ce qui arrive de plus en plus puisque le recours à cet instrument se démocratise : dans ce cas, la Commission s’est jusqu’ici contentée de prononcer – on utilisera ici ses propres termes et on notera que ce pouvoir n’existe pas en tant que tel dans la loi – des injonctions de retrait de ces informations sur les blogs des candidats. Qui sont respectées.

Sur ce point, on notera une évolution constatée par la Commission des sondages mais qui pourrait devenir un problème important par la suite : en effet, la Commission a eu au cours de la campagne connaissance d’un blog qui comportait, sur sa page d’accueil, « un outil permettant à tout visiteur de simuler un exercice de vote pour l’élection du député de la circonscription et diffusant ensuite les résultats de l’exercice », qui avait été qualifié abusivement par le site lui-même de sondage !

On retrouve donc ces faux sondages dont on a déjà parlé ici, c’est à dire ces outils non représentatifs utilisés sur internet et qui, faute de tout respect des règles de représentativité des échantillons et notamment de tout redressement politique, produisent des résultats tout à fait inexacts. Et on sait à quel point la Commission des sondages doit se battre contre de tels instruments. Le fait qu’on les retrouve désormais sur des blogs de candidats présente de réels risques pour la démocratie et il faudra donc  être extrêmement vigilant quant à ses pratiques dans l’avenir. Affaire à suivre.

 

La présentation biaisée de résultats

Le troisième cas de figure est celui de la présentation biaisée de résultats, et bien sûr, parmi les publications abusives, il s’agit de la plus grave.  Sans relever de la catégorie de l’indication mensongère, punie d’une sanction pénale par l’article 12 de la loi de 1977, cette catégorie relève sans doute de celle prévue par l’article 9 de la loi, selon lequel sont punis d’une mise au point les « organes d’information qui auraient publié ou diffusé un sondage […]  en altérant la portée des résultats obtenus ». 

Bien sûr, comme le relève la Commission des sondages dans son rapport, le respect de cette obligation pose des problèmes du point de vue de la liberté de la presse ; et la Commission tient à être particulièrement respectueuse de cette liberté là, et à raison. C’est donc toujours une question sensible… comme les sondages, en somme.

Néanmoins, cette obligation implique tout de même de la faire respecter, et sur ce point, la Commission des sondages a déjà eu l’occasion de poser de nombreuses principes : publication sous forme chiffrée, respect des questions posées et de la structure du sondage, contrôle du respect par le commentaire journalistique des résultats du sondage, contrôle du titre, principes de prudence dans l’interprétation des sondages, rappel du caractère non prédictif du sondage (sur ce point, on pourra se référer  à l’exégèse n° 2 du présent rapport où ce problème était abordé en détail), etc. La Commission des sondages ne revient pas dans le présent rapport sur tous ces aspects : pour ceux qui désireraient une étude plus complète, on signalera que l’ensemble de ces règles sont étudiées dans notre ouvrage Le droit des sondages électoraux.

Le rapport de 2012 est  par contre l’occasion pour la Commission des sondages de se pencher sur un problème particulier, et à notre connaissance nouveau, celui de l’utilisation de la notion de « potentiel de vote », notion pour laquelle la Commission des sondages exprime semble-t-il une certaine méfiance aujourd’hui. Sur ce point, la Commission des sondages a été conduite à intervenir deux fois.

Tout d’abord, en janvier 2012, le quotidien Libération a titré « 30 % des électeurs n’excluraient pas de voter Le Pen ». Or, la Commission des sondages nous explique que ce chiffre résultait de la somme des 8 % de personnes qui, en réponse à la question – voterez-vous pour Marine Le Pen ? – avaient répondu « oui certainement », des 10 % qui avaient répondu « oui probablement » mais aussi des 12 % qui avaient déclaré « non probablement pas ». Ou comment, pour le dire autrement, passer de 18 % d’intentions de vote à 30 % de personnes qui n’excluraient pas de voter pour Marine le Pen. C’est à dire, puisque ici nous disposons d’une liberté de ton, comment gonfler artificiellement un chiffre pour vendre du papier… Comme le relève la Commission des sondages, « la qualité du sondage n’était pas en cause ; seule l’interprétation des résultats par le quotidien appelait, selon la commission, à tout le moins des éclaircissements ». 

La Commission des sondages a à l’époque préféré utiliser la méthode douce : en effet, après avoir été longuement entendus par la Commission, les responsables du journal se sont engagés à publier un article d’explications, co-rédigé avec l’institut ayant réalisé le sondage. Mais finalement, la méthode douce a eu une efficacité limitée, et la Commission des sondages de le regretter, puisque l’article est paru avec retard et rédigé en des termes fort éloignés de l’engagement qui avait été pris. « Parole non tenue », pour la Commission des sondages, ce qui l’ a engagé à la méfiance pour un problème similaire intervenu plus tard.

Ainsi, Le Parisien a publié en avril 2012, un article relatif au «potentiel de vote » en faveur de Jean-Luc Mélenchon. La Commission est alors intervenue pour « déplorer la façon particulièrement biaisée dont ces résultats étaient présentés dans l’article ».

En effet, le sondage n’était en réalité pas un sondage d’intention de vote – il n’avait en tout cas pas été réalisé selon les règles des sondages d’intention de vote, notamment  l’exigence d’inscription sur  les listes électorales et le respect des règles de présentation des candidats testés – de sorte que présenter dans un article la part des personnes se disant « certaines d’aller voter » comme « un potentiel de vote » en faveur d’un candidat pouvait en l’espèce, dans la mesure où cela était susceptible de conduire à une confusion avec une « intention de vote », conduire à conclure abusivement que le score présenté correspondait à des intentions de vote établies dans les règles de l’art. Cette confusion a conduit la Commission des sondages à adopter une mise au point Le Parisien le 13 avril 2012.

Ces deux affaires montrent en tout cas clairement que les instituts et les médias, s’ils souhaitent continuer à l’utiliser, devront clarifier cette notion de « potentiel de vote », qualifiée par la Commission de « notion ambiguë ». La Commission des sondages devra aussi établir sa position  de manière plus précise : il semblerait à ce jour que les sondages de « potentiel de vote », même établis au plus proche du scrutin, ne sont pas en tant que tels interdits, à condition qu’ils soient présentés comme tels, c’est à dire comme des sondages de potentiel de vote et non comme des sondages d’intention de vote, et qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ce point.

Toutefois, les règles relatives aux sondages de « potentiel de vote » semblent encore à construire, et des progrès devront donc intervenir dans l’art de sonder comme dans celui de commenter un sondage. C’est un problème nouveau et intéressant qu’il faudra suivre dans l’avenir.

 

Le problème des publications incomplètes

La Commission des sondages aborde enfin le problème des publications incomplètes, c’est à dire ici des publications qui ne sont pas accompagnées de l’ensemble des mentions prévues par la loi. D’ailleurs, et cela est intéressant à souligner, la Commission des sondages aborde ce problème avec une insistance laissant à penser qu’elle pourrait être plus sévère à l’avenir dans le respect de cette obligation légale.

L‘article 2 de la loi de 1977 modifiée en 2002 énumère les mentions qui doivent accompagner la publication du sondage : le nom de l’organisme ayant réalisé le sondage, le nom et la qualité de l’acheteur du sondage, le nombre des personnes interrogées ; la ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations et enfin une mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice prévue par l’article 3, c’est à dire la notice déposée auprès de la Commission des sondages. Or plusieurs problèmes sont soulevés par la Commission concernant ces mentions.

 

Le problème de l’omission de la mention indiquant la possibilité de consulter la notice auprès de la Commission des sondages

Dans son rapport, la Commission note que si la plupart des mentions sont bien présentes, « toujours aussi regrettable est l’omission, trop fréquente, de la mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice prévue par l’article 3 de la loi du 19 juillet 1977 ». En effet, et tout citoyen pourra le constater, les sondages ne sont que très rarement, voire jamais, accompagnés de la mention selon laquelle toute personne intéressée peut demander à consulter la notice du sondage déposée à la Commission des sondages. Un problème qui n’est pas sans rapport d’ailleurs avec l’affaire Mélenchon, mais c’est un point sur lequel nous ne reviendrons pas ici.

Le problème est ancien. Le droit de consulter la notice, et la mention devant accompagner la publication du sondage, existent depuis la modification de la loi de 1977 par la loi du 19 février 2002. Pourtant, très tôt, la Commission des sondages a constaté le non respect de cette obligation [Rapport de 2004, p. 3 ; Rapport de 2005, pp. 4-5]. Elle a prononcé une série de mises au point en 2003 et 2004 et en 2008 mais cela n’a pas suffi.  Elle rappelait encore le problème dans son rapport de 2009 [Rapport de 2009, p. 10].  Par ailleurs, ce problème était souligné par les sénateurs Sueur et Portelli dans leur rapport sur la proposition de loi relative aux sondages électoraux. 

Un problème récurrent qui n’a pas été résolu et qui interroge d’ailleurs sur les modalités de sanction à la disposition de la Commission des sondages pour faire respecter ce type d’obligations. Le problème ne semble pas résolu et la Commission des sondages semble s’en inquiéter : ainsi note-t-elle que cette omission « est, à vrai dire, difficilement explicable et ce, d’autant plus, que les représentants des médias, présents lors de la réunion de décembre 2011, s’étaient engagés à la faire figurer systématiquement ».

Cela pose le problème de la sanction de ces engagements et de cette règle. Certes la Commission des sondages dispose de pouvoir de prononcer des mises au point et de saisir le parquet aux fins d’obtenir une sanction pénale : mais si le premier instrument ne fonctionne pas, on peut comprendre les réticences dans l’utilisation du second. Mais ceci, quoiqu’également fondamental, est un autre débat.

Il n’est toutefois pas si sûr que cette abstention soit si inexplicable que cela, eu égard à l’enjeu de la consultation de la notice en termes de transparence au regard notamment des incertitudes qui, depuis l’arrêt Mélenchon du Conseil d’Etat, existent sur ce sujet. On a déjà pu aborder ce problème ici.

 

Le problème de la présentation de résultats sur la base de sous-échantillons

Un dernier problème est abordé par la Commission des sondages, celui de la publication de résultats sur la base de sous-échantillons d’une taille restreinte, qui est également un problème relativement nouveau. Ainsi que l’a indiqué la Commission des sondages, « Le respect de la mention de la taille de l’échantillon des personnes interrogées a soulevé des difficultés inédites ».

En effet, de nombreux articles ont été publiés présentant les résultats de sondages issus de sous-échantillons catégoriels. Les journaux retirent ainsi d’un sondage global, satisfaisant du point de vue de la représentativité de l’échantillon, un sous-échantillon particulier visant une catégorie précise (ouvriers, «jeunes 18-24 ans », pratiquants catholiques) et présentent le résultat pour cette sous-catégorie. Le problème vient du fait que si l’échantillon global est d’une taille suffisante, le sous-échantillon peut être trop restreint pour en tirer un résultat réellement fiable.

Sur ce point, la Commission fait état d’une « position bien établie » : cette pratique est autorisée, à condition qu’elle soit faite à l’occasion de la publication d’un sondage portant sur l’ensemble du corps électoral (et donc, pas le lendemain par exemple ou dans des articles présentés à des endroits différents dans le journal) et qu’elle mentionne les effectifs de personnes entrant dans cette sous-catégorie. Par ailleurs, le journal doit rappeler sur ce point particulièrement l’obligation de prudence dans l’interprétation des résultats eu égard à la faiblesse et de l’effectif et par conséquent aux marges d’incertitude qui affectent les résultats obtenus.

Quatre mises au point ont été adressées et publiées par les organes de presse en cause (Le Journal du Dimanche, le Pèlerin, Canal Plus et le Monde) rappelant ces principes, posés semble-t-il pour la première fois dans une mise au point Journal du Dimanche / IFOP du 27 avril 2011.

 

En conclusion, c’est donc bien à un contrôle effectif des conditions de publication des sondages que la Commission appelle, tout en recherchant à préserver au maximum la liberté d’expression. Cette position ne résout pas tous les problèmes mais la Commission va sans doute ici aussi loin qu’elle le peut dans le cadre de ses attributions. La discussion sur l’étendue de la liberté et des obligations de la presse dans l’interprétation des sondages peut être posée, mais elle doit toujours être envisagée sous l’angle de la liberté d’expression et donc de publication, ce qui en fait toujours une question délicate

 

…Une liberté par contre légitimement limitée au plus proche du scrutin, notamment la veille et le jour du scrutin, comme on a pu l’écrire sur ce blog et même par ailleurs. Mais ceci est l’objet du paragraphe suivant du rapport de la Commission des sondages et donc de l’exégèse n° 4 à avenir sur le blog du droit des sondages !

 

Romain Rambaud