Dissolution et nouvelles élections législatives : peut-on imaginer un recours contre le décret de convocation des électeurs devant le Conseil constitutionnel ? [R. Rambaud]

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Suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale, de nombreuses questions se posent quant à l’organisation à venir de celles-ci.

L’argument selon lequel il ne serait pas possible de les organiser ou que la date serait mauvaise en raison de l’incompatibilité avec les règles du code électoral ne nous semble pas recevable. Comme nous l’avons écrit ici hier, sur le plan du droit électoral, il faut attendre les dispositions du décret de convocation. En effet ici les dispositions de la Constitution prévalent sur celles prévues dans le Code électoral par exemple en matière de dates de dépôt de candidatures ou de campagne électorale. Sur ce point le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de juger, dans sa décision Cons. const., 11 juin 1981, n° 81-1 ELEC, Delmas, que les « dispositions de nature constitutionnelle prévalent nécessairement, en ce qui regarde les délais assignés au déroulement de la campagne électorale et au dépôt des candidatures, sur les dispositions législatives du code électoral, qui d’ailleurs ne concernent point le cas d’élections consécutives à la dissolution de l’Assemblée nationale ; que les termes des décrets du 22 mai 1981 ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 12 de la Constitution et ne comportent pas de prescriptions de nature à porter atteinte à la liberté et à la sincérité du scrutin ». Il a confirmé cette solution dans une décision du 4 juin 1988, n° 88-5 ELEC, Gallienne et autres… Il avait été à l’époque saisi notamment, par… Jean-Marie Le Pen.

En revanche, il est possible qu’un recours soit formé sur d’autres fondements. En effet le Conseil constitutionnel est compétent pour examiner cet acte préparatoire, comme il l’a indiqué dans la décision Delmas. En effet, si « la mission ainsi confiée au Conseil constitutionnel s’exerce habituellement, conformément aux dispositions des articles 32 à 45 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par l’examen des contestations élevées contre les résultats acquis dans les diverses circonscriptions », il n’en reste pas moins que lorsque « les griefs allégués (…) mettent en cause les conditions d’application de l’article 12 de la Constitution et, à cet égard, la régularité de l’ensemble des opérations électorales telles qu’elles sont prévues et organisées par les décrets du 22 mai 1981 et non celle des opérations électorales dans telle ou telle circonscription ; qu’il est donc nécessaire que, en vue de l’accomplissement de la mission qui lui est confiée par l’article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel statue avant le premier tour de scrutin ». Le Conseil se reconnait donc compétent.

Comme indiqué ci-dessus, il peut donc vérifier que « les termes des décrets du 22 mai 1981 ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 12 de la Constitution et ne comportent pas de prescriptions de nature à porter atteinte à la liberté et à la sincérité du scrutin ». La question pourrait être soulevée au regard de cette dissolution exprès.

Tout d’abord, est-ce qu’il pourrait y avoir un problème au niveau de la date ? En effet, l’article 12 de la Constitution dispose que « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Ce délai est-il respecté pour un premier tour le 30 juin ? La question peut ici se poser car si la décision de dissoudre a été annoncée le 9 juin et que le décret sera signé du 9 juin, aucun acte n’est paru au JO du 10 juin à l’heure où nous écrivons ces lignes – traditionnellement, il n’y a pas de JO le lundi. Le délai de 20 jours sera-t-il respecté ? Tout dépend à la fois de la façon dont on pourrait interpréter la Constitution pour le terme « après la dissolution », de la façon dont on appliquerait le droit commun de l’entrée en vigueur des actes administratifs, et de la façon dont on compute les délais c’est à dire dont on interprète le terme « 20 jours au moins ».

D’habitude, le décret de dissolution est publié dès le lendemain, de sorte que la difficulté n’apparait pas, alors qu’ici il se fait attendre. L’annonce suffit-elle ou faut-il tenir compte de l’acte juridique ? L’entrée en vigueur est-elle » rétroactive » au jour de la signature, c’est à dire que la date du 9 juin serait retenue en tout état de cause comme la date de la dissolution ? Le décret de dissolution répond-il aux règles classiques d’entrée en vigueur ?

En vertu de l’article 1er du code civil, un acte administratif entre en vigueur le lendemain de sa parution en droit commun, mais il est prévu par l’article 1er du code civil que l’entrée en vigueur immédiate est possible en cas d’urgence : « En cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l’ordonne par une disposition spéciale ». On pourrait donc tout à fait imaginer que le Gouvernement institue une disposition spéciale pour faire entrer en vigueur immédiatement ce décret. On pourrait imaginer ici que l’urgence soit justifiée par l’organisation des jeux olympiques : la Nouvelle Assemblée Nationale serait installée le 18 juillet. L’installer le 25 juillet, la veille du début des Jeux Olympiques, ne serait pas très raisonnable, déjà que la situation ne l’est pas vraiment… Mais cette condition d’urgence serait discutée devant le Conseil constitutionnel, alors.

Mais il resterait la délicate question de la façon dont on compte les délais. En effet, en cas de publication demain et d’entrée en vigueur après-demain, les difficultés seraient importantes. En cas de publication aujourd’hui et d’entrée en vigueur demain, le délai de 20 jours pourrait être mieux assuré, tout dépendant cependant de la manière dont on compte ces délais, mais ce n’est pas certain, car si les délais sont francs (20 jours plein entre les deux dates), il pourrait y avoir en tout état de cause un problème. En cas de publication aujourd’hui avec entrée en vigueur aujourd’hui ou demain, les délais pourraient être respectés et la date serait plus facilement justifiable devant le Conseil constitutionnel dans le cas où les délais ne sont pas francs, c’est à dire qu’il ne faut pas 20 jours plein en train les deux dates, mais qu’au sens littéral les élections doivent être organisées au minimum le 20ème jour après la dissolution. Ou alors, en comptant à partir du 9 juin et non du 10 (en faisant fi des règles juridiques classiques), on pourrait arriver sur 20 jours francs entre le 9 et le 30, sous réserve de territoires qui pourraient voter le samedi.

En 1988, la décret de dissolution avait été pris le 14 et publié le 15 mai. Le 1er tour était organisé le 5 juin 1988. Si on prend en compte le 15 mai, jour de l’entrée en vigueur, cela fait 22 jours jusqu’au premier tour, (15+16+17+18+19+20+21+22+23+24+25+26+27+28+29+30+31+1+2+3+4+5). En 1988, en comptant en délais francs, du 16 au 4, il y avait 20 jours. En 1988, le délai de 20 jours francs était donc respecté. Il ne le serait pas ici, car il n’y aurait que 19 jours plein entre les deux dates, en partant du 10. Si le délai n’est pas franc, la date pourrait donc ne pas poser problème, mais cela pourrait donc poser problème en termes de jours francs, sauf si on partait du 9. Il y a aura donc matière à interprétation de la part du Conseil constitutionnel. En principe, en droit électoral, le dies a quo est le lendemain du jour de l’élection (on ne prend pas en compte le jour de l’élection) mais le dies ad quem est inclus (le délai s’arrête le dernier jour) [CE, 13 déc. 1989, n° 108278, Él. de l’adjoint au maire de Matemale]. A voir comment le Conseil constitutionnel interpréterait l’ensemble de ces dispositions.

Ensuite, d’autres points pourraient être soulevés, au regard des principes de sincérité du scrutin ou de liberté. A suivre.

Romain Rambaud