Hier soir, lundi 20 mars 2017, a eu lieu une innovation politique fondamentale en France. Un débat télévisé a opposé les cinq principaux candidats à l’élection présidentielle : François Fillon, Benoit Hamon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Les petits candidats ont été exclus de ce débat, alors même que le Conseil constitutionnel a rendu publique la liste définitive des candidats samedi 18 mars au matin... pour une publication officielle de celle-ci au JO par le Gouvernement il est vrai seulement le mardi 21 mars au matin…
Cette mise à l’écart a bien sûr été contestée par ces derniers. Notamment, Nicolas Dupont-Aignan avait formé une demande au CSA pour qu’il soit intégré au débat puis avait formé un recours devant le Conseil d’Etat : celui-ci a été rejeté le 16 mars 2017. Pour marquer sa colère, il n’a pas hésité à quitter le plateau du JT de TF1 où il était invité le 18 mars.
Cette situation inédite est le fait de l’application du principe d’équité dans la régulation des temps de parole. Quel est ce principe d’équité ? Cette situation est-elle une régression ou une amélioration démocratique ?
Le principe d’équité des temps de parole
Contrairement à ce que Nicolas Dupont-Aignan avait pu dire lors de la réforme d’avril 2016, l’application du principe d’équité à cette campagne présidentielle n’est pas une nouveauté. Ce principe existait déjà auparavant, ce qui n’implique pas qu’on avait eu l’idée à l’époque d’organiser des débats ne réunissant que les 5 plus gros candidats…
Pour l’élection présidentielle, l’article 3.IV de la loi de 1962 prévoit certes que « Tous les candidats bénéficient, de la part de l’Etat, des mêmes facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle » ce qui implique une exigence d’égalité absolue en matière audiovisuelle (art. 15 du décret n°2001-213 du 8 mars 2001). Cependant, cette égalité vise seulement « la campagne en vue de l’élection présidentielle » c’est-à-dire la « campagne officielle » déterminée par les textes. Sur ce point, un faux changement a eu lieu en 2006 : alors que jusque-là la campagne officielle commençait au jour de la publication de la liste des candidats, elle débute désormais le deuxième lundi précédant le premier tour, soit le 10 avril cette année (loi organique n°2006-404 du 5 avril 2006 et décret n°2006-459 du 21 avril 2006). Cette modification permit d’accéder à la demande du Conseil constitutionnel de disposer de davantage de temps pour examiner les présentations sans allonger la période de la campagne officielle, dont la durée se maintenait alors comme auparavant à deux semaines environ. En effet, en 2002, puisque la publication de la liste des candidats intervenait beaucoup plus tard, la période d’égalité ne commença que le 5 avril. Auparavant, le principe d’équité s’appliquait (CSA, recommandation n° 2001-4 du 23 octobre 2001 ;rapport annuel 2002, p. 82). Il en fut de même en 1995, où l’on parlait plus volontiers d’« équilibre » (CSA, recommandation du 20 septembre 1994, publication de la liste des candidats le 6 avril pour un premier tour le 23 avril 1995).
Certes, en 2007, le CSA changea de doctrine pour privilégier un système en trois temps : (1) une période préliminaire d’équité du 1er janvier à la publication de la liste des candidats, (2) puis à compter de celle-ci et jusqu’à la campagne officielle une période intermédiaire d’égalité des temps de parole mais d’équité des temps d’antenne, (3) puis une période d’égalité (recommandation du 7 novembre 2006). Cette distinction fut validée par le Conseil d’État (CE, Lepage, 11 janvier 2007 ; CE, Lepage, 7 mars 2007) et reprise en 2012 (CSA, recommandation du 30 novembre 2011). Certains ont avancé qu’il aurait existé avant la loi organique de 2016 un système d’égalité durant 5 semaines, mais cela paraît doublement faux. D’une part, parce que le système allant au-delà de deux semaines d’égalité n’existait que depuis 2007. D’autre part, parce que l’égalité pure n’a jamais existé en dehors de la campagne officielle, car s’il y avait bien égalité du temps de parole il n’y avait qu’équité des temps d’antenne. Or l’égalité était détournée en pratique puisque les télévisions et radios pouvaient diffuser les petits candidats à des heures creuses ou la nuit et réserver les meilleures heures aux candidats plus représentatifs. C’était une hypocrisie (CNCCEP, Rapport 2012).
La loi de 2016 a il est vrai changé le système de régulation en ne modifiant ni la période préliminaire (commencée au 1er février) ni la campagne officielle (qui commencera le 10 avril) pour laquelle l’égalité est maintenue. La période intermédiaire est conservée mais placée sous un principe d’ « équité renforcée ». L’égalité des temps de parole disparaît au profit de la seule équité puisqu’à « compter de la publication de la liste des candidats et jusqu’à la veille du début de la campagne, les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le principe d’équité en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne ». Cependant, l’équité est encadrée car assurée « dans des conditions de programmation comparables, précisées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans une recommandation relative à l’élection présidentielle ».
L’équité est fondée d’une part sur la représentativité du candidat et d’autre part sur sa contribution à l’animation du débat électoral. La représentativité du candidat repose sur les résultats obtenus aux plus récentes élections, ce qui vise d’après le CSA toutes celles qui se sont déroulées depuis la précédente élection présidentielle comprise, le nombre et les catégories d’élus dont peuvent se prévaloir les partis politiques qui soutiennent le candidat, et enfin les indications des sondages d’opinion réalisés et publiés conformément à la loi. La contribution du candidat à l’animation du débat électoral repose sur l’organisation de réunions publiques, les déplacements et visites sur le terrain, l’exposition par tout moyen de communication, y compris les réseaux sociaux, la participation à des débats. Ces règles été précisées par la recommandation n°2016-2 du Conseil supérieur de l’audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l’élection du Président de la République du 7 septembre 2016 : les conditions de programmation comparables applicables à compter de la publication de la liste des candidats visent la présentation et l’accès à l’antenne des candidats et de leurs soutiens en fonction de certains créneaux horaires : tranche du matin (6h-9h30), tranche de la journée (9h30-18H), tranche de la soirée (18-24h) avec au sein de cette tranche une sous-tranche de 19h30 à 21h pour les chaines d’information généralistes, et enfin une tranche de la nuit (0h-6h).
S’il y a eu un changement par les lois de 2016, c’est donc un changement relatif, au demeurant validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2016-729 DC du 21 avril 2016. Le juge a estimé que les critères de la loi de 1962 « sont de nature à permettre d’assurer un traitement équitable des candidats à l’élection du Président de la République ». Sur ce point, l’évolution reste toutefois révélatrice car on il semble que le Conseil constitutionnel a changé de position. En effet, le CSA avait souhaité dès 2012 renoncer à l’égalité des temps de parole pendant la période intermédiaire, mais n’avait pu le faire car le Conseil constitutionnel avait estimé que le principe d’égalité entre les candidats impliquait de donner un temps de parole égal, à défaut de temps d’antenne, dès la publication de la liste des candidats (CSA, Rapport sur l’élection présidentielle de 2012 p. 13). La position du Conseil a donc évolué et le principe d’équité s’est substitué au principe d’égalité. Pour opérer ce changement, le Conseil constitutionnel a mis en avant des arguments démocratiques sur lesquels nous reviendrons.
Principe d’équité et débat télévisé
Si la situation liée à l’organisation de ce débat télévisé est nouvelle, c’est donc dans les faits davantage que dans le droit. Cela est d’autant plus vrai que juridiquement, la publication de la liste des candidats n’a été réalisée que le mardi 21 mars. Nous nous situions lundi encore dans la période préliminaire d’équité classique, non impactée par la réforme.
Dans un tel cadre, l’organisation du débat télévisé par TF1 respecte-t-elle le principe d’équité ? C‘est la question qui a été posée au Conseil d’Etat par Nicolas Dupont-Aignan et à laquelle ce dernier a répondu dans une ordonnance du 16 mars 2017, dans les limites donc de l’office du juge de l’urgence du référé-liberté et sur ce point il peut y avoir deux ou trois choses à dire.
M. Dupont-Aignan a en effet formé un référé-liberté contre le CSA et notamment contre une délibération qu’il aurait adopté le 1er mars, par laquelle il avait alerté TF1 sur le fait que cette décision pouvait poser des difficultés vis-à-vis du principe d’équité sans prendre toutefois de mesure de rétorsion. M. Dupont-Aignan demandait au Conseil d’Etat d’enjoindre au CSA d’enjoindre à la société TF1 de l’inviter au débat, considérant que le caractère insuffisant de la délibération du CSA porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d’accès aux médias audiovisuels dans le cadre d’une élection présidentielle et au principe d’équité de traitement des candidats prévu par l’article 3 I bis de la loi du 6 novembre 1962 et la recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 7 septembre 2016.
Cependant, le juge administratif ne l’a pas suivi, que le débat se situe avant ou pendant la période d’équité renforcée sur le fondement de la représentativité : « la circonstance que M. Dupont‑Aignan ne soit pas invité à participer au débat organisé par la société TF1 le 20 mars ne peut être regardée, en elle-même, quelles que soient les spécificités de ce type d’émissions d’information politique, comme caractérisant une méconnaissance du principe d’équité, que le respect de celui-ci soit apprécié au titre de la première ou de la seconde période de la campagne présidentielle ; que, par ailleurs, eu égard, d’une part, à la représentativité de M. Dupont-Aignan et à sa contribution à l’animation du débat électoral, d’autre part, au fait que la société TF1 lui a proposé un entretien d’une dizaine de minutes au cours du journal de 20 heures, dans la semaine du 13 au 19 mars, il ne résulte pas de l’instruction que l’absence du requérant au débat du 20 mars conduise à un déséquilibre incompatible avec le respect du principe d’équité au titre de la première période, si la publication au Journal officiel de la liste des candidats intervient après le débat, ou, si elle intervient avant, soit de nature à compromettre à elle seule de façon irrémédiable, au titre de la seconde période, le respect, sous le contrôle qu’aura à exercer le CSA en application du I bis de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, du principe « d’équité renforcée ».
On peut faire plusieurs remarques sur cette argumentation. Tout d’abord, le fait que le juge examine la situation dans l’hypothèse de la période préliminaire et dans l’hypothèse de la période intermédiaire est logique puisqu’à la date du référé du Conseil d’Etat, on ne savait pas si la publication de la liste, finalement intervenue le 21, allait avoir lieu. Mais le juge de l’urgence a neutralisé cette distinction en considérant qu’il n’y avait pas de difficulté dans l’un ou dans l’autre cas : « que le respect de celui-ci soit apprécié au titre de la première ou de la seconde période de la campagne présidentielle » (nous soulignons).
Sur ce point, la solution est un peu critiquable, en tant qu’elle dispose : « la circonstance que M. Dupont‑Aignan ne soit pas invité à participer au débat organisé par la société TF1 le 20 mars ne peut être regardée, en elle-même, quelles que soient les spécificités de ce type d’émissions d’information politique, comme caractérisant une méconnaissance du principe d’équité » (nous soulignons), car elle tend ainsi à neutraliser le format de l’émission alors qu’il s’agit bien de l’enjeu principal. Si la solution est solide dans le cadre de la période préliminaire, elle est plus difficile dans la période intermédiaire en raison de l’obligation de « conditions de programmation comparables » qui devrait prendre en compte ce format d’émissions.
Dans le même esprit, la compensation examinée par le juge est critiquable : « la société TF1 lui a proposé un entretien d’une dizaine de minutes au cours du journal de 20 heures, dans la semaine du 13 au 19 mars ». On peut douter qu’une telle compensation soit de nature à respecter le principe d’équité. Sans remettre en cause l’idée de représentativité, il aurait sans doute fallu exiger à ce stade autre chose, comme cela se fait aux Etat-Unis où les chaînes de télévision organisent depuis longtemps des débats de « petits » et des débats de « gros » en se fondant essentiellement sur les sondages d’opinion. Certes, on imagine de loin le débat Poutou-Arthaud-Cheminade-Asselineau-Dupont-Aignan-Lassalle… mais la solution serait plus rigoureuse, au moins sur le plan des « conditions de programmation comparables ». Mais il ne s’agissait que d’une ordonnance de référé.
Cela conduit à s’interroger sur une autre question : la publication de la liste des candidats au JO par le Gouvernement, en date du 21 mars 2017… On peut rappeler ici ce qu’on a dit sur notre post précédent : si la liste des candidats a été établie samedi matin par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement pouvait la publier au JO jusqu’au 7 avril. Certes, il l’a publiée bien avant, presque immédiatement, comme à l’accoutumée… mais seulement le 21, soit 3 jours plus tard. Or, lors des élections de 2007 et 2012, on a vu que le Gouvernement avait publié cette liste dès le lendemain. En l’espèce, sachant qu’il n’y a pas de publication du JO un lundi, la liste a été publiée le mardi…. mais elle aurait pu être publiée dès le dimanche 19 mars. Est-ce seulement le fruit du hasard ? D’une nécessité administrative ? Cela était-il voulu ? TF1 a-t-il placé son débat un lundi sachant qu’il n’y a jamais de JO le lundi et qu’ainsi elle pourrait peut-être échapper à la publication de la liste des candidats ? Autant de questions qu’on est en droit de se poser. Certes, le juge a écarté l’argument en toutes hypothèses, mais il s’agissait d’une simple ordonnance de référé, ne préjugeant pas d’un recours au fond non réduit à l »illégalité manifeste »… On n’aura sans doute jamais de réponse à cette question là… mais elle se pose encore.
La question démocratique
C’est par cela que François Fillon a commencé son intervention hier soir : en s’offusquant (de façon plus ou moins sincère), de l’absence des autres candidats au débat télévisé de TF1 : « Avant de répondre à cette question je voudrais juste dire un mot sur l’organisation du débat. On est 11 candidats à l’élection présidentielle. Il y en 5 ici. Ça pose une question démocratique. Je sais que les sondages ont de grandes vertus pour les commentateurs mais avec cette règle là je n’aurais pas pu participer à la primaire de la droite et du centre ». Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont fait de même. La problématique ne pourrait être mieux posée.
Le principe d’équité et la façon dont les choses ont été organisées sont-elles conformes au principe démocratique ? Peut-être la réponse n’est-elle pas si évidente. Il est sans doute difficile d’y répondre par un « oui » ou par un « non », même si nous défendrons ici l’idée que cette solution est plutôt favorable au principe démocratique. En réalité, cette évolution est directement le fruit de l’évolution du droit électoral dans le sens de l’idée d’un « droit électoral de la démocratie continue » que nous avons développée dans notre ouvrage sur le droit des campagnes électorales. Elle illustre plus précisément encore le passage d’un modèle classique de démocratie représentative à une démocratie du public pour reprendre les termes de Bernard Manin, ou à une démocratie continue pour reprendre les termes de Dominique Rousseau. Plusieurs points peuvent être développés sur la base des principes du droit électoral de la démocratie continue : caractère continu des campagnes, liberté d’expression renforcée, équité voire transparence.
Le premier point que l’on peut développer est que cette évolution est fondée, malgré le principe de régulation des temps de parole qui n’est pas remis en question, sur un accroissement de la liberté des médias, y compris donc des médias audiovisuels. C‘est ce qui ressortait de la décision du Conseil constitutionnel du 21 avril 2016 : le législateur a entendu « accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés par le législateur et dont l’application relève du conseil supérieur de l’audiovisuel ; que, si ces éditeurs conservent un rôle déterminant de diffusion de l’information à destination des citoyens en période électorale, leur diversité a été renforcée ; qu’il existe en outre d’autres modes de diffusion qui contribuent à l’ information des citoyens en période électorale sans relever de réglementations identiques ; que, compte tenu de ces évolutions », le passage à l’équité est possible. C’est également ce que confirme le Conseil d’Etat dans l’ordonnance Dupont-Aignan : « qu’en particulier, ni les dispositions mentionnées au point 2 ci-dessus ni aucune autre ne confèrent au CSA le pouvoir de se substituer aux services de communication audiovisuelle dans la définition et la mise en œuvre de leur politique éditoriale ». Ce point est important à souligner car la démocratie c’est aussi la liberté d’expression médiatique. Il est important que cela soit pris en compte dans une certaine mesure, sans empêcher un système de régulation qui s’analyse avant toute chose comme un compromis entre la liberté et la réglementation.
Le deuxième point concerne l’objectif d’intérêt général qui permet d’amender le principe d’égalité entre les candidats au profit du principe d’équité, hors campagne officielle (ce qui, au demeurant, en dehors de la campagne présidentielle, n’est en rien original). Pour le Conseil constitutionnel, cet objectif est la « clarté du débat électoral » : « en prévoyant l’application du principe d’équité au traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », le législateur organique a (…) entendu favoriser, dans l’intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral ». En « prévoyant l’application d’un principe d’équité pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », ces dispositions permettent que soient traités différemment des candidats qui sont à ce titre dans la même situation ; que cette différence de traitement, justifiée par le motif d’intérêt général de clarté du débat électoral, est en rapport direct avec l’objet de la loi, qui est de prendre en compte l’importance relative des candidats dans le débat public ». L’objectif de clarté du débat électoral implique donc de prendre en compte l’importance relative des candidats dans l’espace public. Or, sans doute, le débat d’hier a permis cette clarté en permettant aux lignes politiques principales (la quasi-totalité du spectre étant couvert) de s’exprimer et ainsi permis un des premiers échanges de fond de cette campagne. De ce point de vue, la démarche étant sans aucun doute démocratique et la jurisprudence du Conseil constitutionnel a atteint son but.
C’est enfin un dernier argument que l’on peut ajouter ici, qui au delà de la clarté du débat électoral et des réserves que l’on peut avoir concernant les critères de l’équité (et on pense ici notamment aux sondages), implique un renversement de perspective mais est favorable à une plus grande démocratie. En effet, le principe d’égalité des candidatures (car c’est bien de cela qu’il s’agit) vaut lors de la campagne officielle, mais avant cela on privilégiée désormais l’égalité des opinions et des intentions de vote présumées. Ainsi, si 20% des personnes s’intéressent à Emmanuel Macron et seulement 1% à Jacques Cheminade, ce sont les opinions des personnes qui ne seraient pas traitées à égalité, à due proportion, si Emmanuel Macron devait parler autant que M. Cheminade, qui ne se sert de l’élection présidentielle que pour en faire une tribune. L’équité renforcée est intéressante car elle permet de dépasser l’idée d’un régime représentatif fondé sur l’égalité des candidatures pour privilégier une égalité des opinions des électeurs sur celles des candidats. Le nouveau principe d’équité conduit à ce que les candidats disposent d’un temps de parole correspondant à leur importance relative dans les opinions des futurs électeurs, consacrant une sorte de principe « un homme = une opinion = une seconde de temps de parole audiovisuel ». Plutôt que de partir du haut et de s’établir d’en haut, l’égalité part de la base et prend en compte ce qu’il se produit en bas. Il s’agit, en cela, d’un marqueur très fort de l’avancée de la démocratie continue en droit électoral et sans doute de la démocratie tout court au sens « d’un homme = une voix ».
Sans doute, ce principe est nouveau et il s’agit d’en examiner les effets sur le long terme, et il n’est sans doute pas sans défaut. Dans tous les cas, il a permis hier, au regard des audiences, à de nombreux français d’assister (enfin !) à un débat politique sur le fond. Cette discussion aurait-elle été possible avec 11 candidats, chacun disposant à chaque fois d’un petit temps de parole ? Et après tout, la présentation par 500 élus est-elle véritablement aujourd’hui un critère de légitimité ? Car derrière la question des temps de parole, c’est aussi le problème du mode de sélection des candidats à la présidentielle qui se trouve de nouveau posé.
De nouveaux principes sont à l’oeuvre. La suite de la campagne permettra de les mettre à l’épreuve. Dans tous les cas, le débat progresse, et la démocratie avec lui.
Romain Rambaud