Au Journal officiel de ce matin a été publiée la loi n° 2015-1703 du 21 décembre 2015 visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale.
Cette loi vise à corriger un bug apparu suite à l’adoption de la loi sur la transparence de la vie publique de 2013 et révélé par l’affaire Riwal liée au Front National, c’est à dire le financement illicite du parti et de la campagne législative de 2012 par des personnes morales non autorisées, en l’espèce une entreprise qui par ailleurs fabrique les instruments de propagande du parti. A l’époque, Wallerand de Saint-Just avait découvert que l’infraction d’acceptation d’un financement illégal d’un parti politique par une personne morale prévue par l’article 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 avait été supprimée par erreur par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
Ainsi Le Monde, dans un article du 8 juin 2015, relatait : « Mercredi 3 juin, les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi avaient convoqué Wallerand de Saint-Just pour le mettre en examen. A l’issue du rendez-vous, le trésorier du Front national, visé par une enquête sur le financement du parti, est reparti sous le simple statut de témoin assisté. En cause, une faille de la loi sur la transparence de la vie publique, votée après le scandale Cahuzac, qu’il a lui même soulevée devant les magistrats. « Ils étaient sidérés », raconte l’ancien avocat, pas mécontent de sa trouvaille. (…) Si la société peut être condamnée en tant que donateur, le parti politique, lui, n’encourt plus de sanction en tant que bénéficiaire… Cette mesure de la loi de 1988 sur la transparence financière de la vie politique a été tout simplement effacée par la loi sur la transparence de la vie publique, adoptée en octobre 2013. (…) Personne, des parlementaires jusqu’aux administrateurs des deux Assemblées, en passant par les personnels qualifiés du gouvernement, les associations anticorruption, la presse judiciaire, le parquet de Paris et, in fine, les magistrats du pôle financier ne s’était rendu compte de l’existence de cette faille jusqu’ici ». (Et nous non plus).
Avant la loi d’octobre 2013, l’article 11-5 de la loi de 1988 disposait : « Ceux qui auront versé ou accepté des dons en violation des dispositions de l’article précédent seront punis d’une amende de 3 750 euros et d’un an d’emprisonnement ou de l’une de ces deux peines seulement ». Après l’adoption de la loi, l’article disposait : « Ceux qui ont versé des dons à plusieurs partis politiques en violation de l’article 11-4 sont punis d’une amende de 3 750 euros et d’un an d’emprisonnement ou de l’une de ces deux peines seulement. Quand des dons sont consentis par une même personne physique à un seul parti politique en violation du même article 11-4, le bénéficiaire des dons est également soumis aux sanctions prévues au premier alinéa du présent article ». Le fait de recevoir des dons de la part d’une personne morale avait donc disparu, cette interdiction figurant à l’article 11-4 de la loi de 1988. Notons cependant que pour les candidats, mais pas pour le parti, il existe encore des infractions prévues à l’article L. 113-1 du code électoral.
La bourde serait venue du processus parlementaire lors de l’adoption des lois d’octobre 2013. D’après Le Monde, toujours dans le même article, « Juillet 2013. Le texte né des secousses de l’affaire Cahuzac arrive au Sénat en procédure accélérée et en pleine session d’été. Le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, alors président de la commission des lois et rapporteur du texte, fait voter un amendement a priori anodin. Avant lui, les députés ont modifié le texte en fixant le plafond de 7 500 euros de dons annuels non plus par parti mais par personne physique (…). Pour M. Sueur, les partis« n’ont pas la possibilité de s’assurer du respect de la loi par leurs donateurs » et donc n’ont pas à être systématiquement condamnés. Alors que la loi de 1988 punissait ceux qui ont « versé ou accepté des dons » illégalement, la voilà modifiée pour ne punir que « ceux qui ont versé des dons », et non plus les bénéficiaires. Les sénateurs pensent bien à préciser que le bénéficiaire des dons peut quand même être sanctionné s’il reçoit plus de 7 500 euros d’une personne physique. Mais voilà qu’ils oublient de repréciser qu’il peut aussi être sanctionné s’il reçoit de l’argent d’une personne morale, pratique qui reste prohibée par la loi. C’est cet oubli qui fait qu’aujourd’hui le Front national, en tant que parti bénéficiaire d’un don de personne morale, en l’occurrence la société Riwal, n’encourt pas de sanctions, pas plus que son trésorier, Wallerand de Saint-Just ».
Faute d’une infraction spécifique, c‘est donc au droit commun qu’il faut avoir recours mais les qualifications pénales ne sont pas toujours adaptées aux affaires politico-financières.
Il fallait donc corriger l’erreur. Le Parlement avait fait une première tentative pour rétablir l’infraction au sein du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. Toutefois, l’article en cause avait été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif (décision du 13 août 2015, n° 2015-719 DC).
C’est le but de la loi n° 2015-1703 du 21 décembre. Désormais, le premier alinéa de l’article 11-5 du code électoral prévoit une peine de 3 750 euros et d’un an d’emprisonnement. Le second alinéa dispose « les mêmes peines sont applicables au bénéficiaire de dons consentis
1° Par une même personne physique à un seul parti politique en violation du premier alinéa du même article 11-4 ;
2°Par une personne morale en violation du troisième alinéa dudit article 11-4 ;
3°Par un Etat étranger ou par une personne morale de droit étranger en violation du sixième alinéa du même article 11-4. »
Il n’en reste pas moins que le principe de non-rétroactivité des lois pénales interdira de poursuivre un parti ayant commis l’infraction en cause avant la promulgation de la loi.
A suivre !
Romain Rambaud