25/01/2016 : République Centrafricaine : deux anciens premiers ministres pour un fauteuil présidentiel [Komi Dodji Akpatcha]

Nous avons aujourd’hui le plaisir, alors que l’actualité électorale nationale présente toutes les caractéristiques du calme avant la tempête présidentielle, d’accueillir pour la première fois sur ce blog Dodji Zeus Akpatcha, doctorant et enseignant à la faculté de droit de l’Université Grenoble-Alpes. Il prépare actuellement une thèse de doctorat sur le Premier ministre en Afrique Noire Francophone. Nous le remercierons pour cette participation que nous espérons être seulement la première !

 

téléchargementPrès d’un mois après la tenue du premier tour de l’élection présidentielle le 30 décembre 2015, la Cour constitutionnelle centrafricaine se prononce enfin sur les résultats1 donnés par l’Autorité nationale des élections2 (ANE) le 7 janvier dernier.

 

La haute institution constitutionnelle, à qui il appartient de se prononcer en dernier ressort sur les résultats3, a ainsi confirmé le duel annoncé par l’ANE, entre Anicet Georges Doléguélé et Faustin Archange Touadéra. Ces deux candidats, arrivés au premier tour du scrutin, respectivement avec 23,78 et 19,42%, s’affronteront le dimanche 31 janvier prochain pour déterminer le nouveau président élu de ce pays, politiquement instable depuis le coup d’Etat du 24 mars 20134.

 

Anciens Premiers ministres, ils ont 58 ans…

 

Anicet Georges Doléguélé

imagesArrivé en tête au premier tour, Anicet Georges Doléguélé est président de l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA), un parti politique créé en 2013. Cet économiste de 58 ans, n’est pas un novice de la sphère politique centrafricaine. Ministre des finances et du budget (1997-1999, puis Premier ministre (1999-2001), l’ex-président (2001-2010) de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC) connaît bien les arcanes du pouvoir et dispose d’une expérience politique et d’un parcours professionnel nécessaire à la reconstruction d’un pays décimé.

 

Faustin Archange Touadéra

téléchargementAgé également de 58 ans, et ancien Premier ministre comme son adversaire, Faustin Archange Touadera peut revendiquer les mêmes atouts que son prédécesseur, en matière de connaissance des arcanes du pouvoir. Premier ministre lors du coup d’Etat de 2013, il quitta ses fonctions après la signature des accords de Libreville5 sur la transition. Candidat indépendant, il n’a toutefois pas renié ses liens avec l’ex-président François Bozizé, et s’était même dit prêt à se retirer si ce dernier se présentait6. Il se présente ainsi comme l’incarnation de la continuité du régime renversé en 2013.

 

Une tendance qui se confirme en Afrique noire francophone….

 

téléchargement (1)Le duel entre les deux anciens Premiers ministres pour le fauteuil présidentiel n’est pas inédit dans les pays d’Afrique noire francophone, où, depuis le début des années 90, la fonction de Premier ministre apparaît comme l’antichambre de la fonction présidentielle.

Aujourd’hui plusieurs Etats africains sont dirigés par d’anciens Premiers ministres. On peut citer les exemples de Paul BIYA du Cameroun, d’Alassane OUTTARRA de la Côte d’Ivoire, Ibrahim Boubakar KEITA du Mali, Macky SALL du Sénégal, Mouhamadou ISSIFOU du Niger, Roch Marc Christian KABORE du Burkina-Faso. D’autres anciens Premiers ministres tels que Agbéyomé KODJO, Edem KODJO et Yawovi AGBOYIBOR du Togo, Etienne TSHISEKEDI de la RDC, Adrien HOUNGBEDJI du Bénin, Hama HAMADOU du Niger, Modibo DIARRA du Mali, etc…ont également tenté sans succès d’accéder au trône présidentiel, et certains d’entre eux n’ont pas encore dit leur dernier mot. D’autres, en poste actuellement, comme Lionel ZINSOU du Bénin se préparent à la bataille pour la magistrature suprême.

Si par le passé, certains régimes ont érigé le Premier ministre en dauphin constitutionnel7 du Chef de l’Etat, afin d’ «d’assurer la succession de régimes forts différents 8»,  ce système ne figure plus dans aucune Constitution africaine9. Malgré tout, l’attrait des Premiers ministres pour la fonction présidentielle s’accroît, et peut s’expliquer par la proximité entre les deux fonctions. En effet, qu’il soit titulaire du pouvoir exécutif ou simple collaborateur du Chef de l’Etat, le Premier ministre occupe une position privilégiée dans la hiérarchie gouvernementale, lui permettant de se familiariser avec la gestion des affaires de l’Etat et nourrit légitimement des ambitions présidentielles. Dans certains cas, c’est le Chef de l’Etat lui même qui décide de choisir un Premier ministre présidentiable afin d’assurer sa succession10, ce qui se rapproche du système du dauphinat constitutionnel, et dans d’autres, la manifestation des ambitions présidentielles chez le Premier ministre peut provoquer un « clash » entre les deux hommes, se soldant par le départ du Premier ministre.

 

Quoiqu’il en soit, il s’avère aujourd’hui qu’avoir exercé la fonction de Premier ministre, apparaît comme une condition implicite à l’accès au fauteuil présidentiel.

 

Une chose est sure, la République centrafricaine sera dirigé pour les 5 prochaines années par un ancien Premier ministre. Alors, lequel des deux anciens Premiers ministre de 58 ans aura le privilège de s’asseoir dans la fauteuil présidentiel centrafricain ? Réponse le 31 janvier

 

Komi Dodji Akpatcha

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Notes

 

1« Présidentielle en Centrafrique : Dologuélé et Touadera en tête des résultats provisoires », Jeune Afrique, 7 janvier 2016, 

http://www.jeuneafrique.com/291964/politique/presidentielle-centrafrique-dologuele-touadera-tete-1er-tour-selon-resultats-provisoires/ , consulté le 25 janvier 2016

2 Instituée par l’article 45 de la Charte constitutionnelle du 18 juillet 2013, et créée par décret du 16 décembre 2013, l’ANE est chargée par l’ « héritière d’une logue tradition de commissions électorales chargées de l’organisation, la gestion, et la supervision de tous les processus électoraux et référendum menés dans le pays », http://anecentrafrique.com/ane/, consulté le 25 janvier 2016

3 Article 76 de la Charte constitutionnelle du 18 juillet 2013

4 Coup d’Etat du général Martin Djotodjia renversant le président élu François Bozizé

5 L’accord de Libreville signé le 11 janvier 2013 entre les différents belligérants de la crise centrafricaine pour mettre fin au conflit entre l’armée gouvernementale et la rébellion. Cet accord, qui prévoyait notamment un cessez-le-feu, n’a pu empêcher le coup d’État de mars 2013

6« RCA : Faustin-Archange Touadéra, nouveau candidat à la présidentielle », 5 août 2015, http://www.rfi.fr/afrique/20150805-rca-faustin-archange-touadera-candidat-presidentielle-bozize-knk consulté le 25 janvier 2016

7 Réforme constitutionnelle du 1er avril 1976 au Sénégal ; Réforme constitutionnelle du 29 juin 1979 au Cameroun . Dans ces Etats, le Premier ministre devrait accéder au poste de président de la République, en cas d’empêchement de ce dernier et assuer la continuité de son mandat. Ce système de succession, désigné sous l’expression du dauphinat constitutionnel, a permis à Abdou DIOUF au Sénégal et Paul BIYA au Cameroun, de remplacer respectivement Léopold S. SENGHOR et Amadou AHIDJO.

8 MBODJ (E-H.), « Le Premier ministre dans l’ordonnancement juridique sénégalais », in Alternative démocratique dans le tiers-monde, n°6, juillet-decembre1992, pp 57-71

9 Les Etats dans lesquels le système du dauphinat constitutionnel avait été institué sont revenus sur ce système, une fois les premières successions opérées : Réforme constitutionnelle du 29 avril 1983 au Sénégal ; Réforme constitutionnelle du 4 février 1984 au Cameroun

10 MBODJ (E-H.), op.cit. L’auteur considère que « avec la constitutionnalisation du Premier ministre comme dauphin, le chef de l’Etat en place pouvait sélectionner son successeur, le façonner à son image…. »