Alors que le mouvement des « gilets jaunes » semble s’inscrire dans une certaine durée et se radicaliser, la question se pose aujourd’hui de savoir comment sortir de la « crise ».
Bien sûr, avant tout, il faut faire la part des choses et surtout des personnes. Les violences sont inacceptables et la force doit être utilisée contre ceux qui ne participent au mouvement que pour détruire. Il n’y a pas lieu de tergiverser sur ce point, comme il n’y avait pas lieu de tergiverser sur la mise en place de l’état d’urgence lors de la période des menaces terroristes : cependant, les contextes sont différents et pour ce qui concerne la crise des gilets jaunes, la mise en place de l’état d’urgence semblerait disproportionnée et politiquement inopportune.
De la même manière, reculer sur les avancées nécessaires pour le changement climatique ne semble pas raisonnable et le Gouvernement a raison de ne pas céder ; mais rester sourd aux interrogations sur l’absence de taxation du transport aérien ou maritime ne le serait pas davantage. Si ces questions doivent être discutées au niveau européen et international, cela tombe bien : les élections européennes n’ont-elles pas lieu le 26 mai prochain ? Ne serait-il pas temps de faire de ces problèmes des questions de campagne électorale au niveau pertinent et ainsi d’apporter une réponse démocratique aux événements ? Il serait temps que les forces politiques s’en emparent, sauf à laisser les choses empirer et à subir une évolution vers des résultats que l’on anticipe que trop bien. Il y a une élection nationale et européenne fondamentale dans six mois : qui s’en souvient ?
Pour autant, il serait difficile de rester insensible à certaines revendications qui dépassent la question du prix de l’essence : sur les ronds-points et les réseaux sociaux, on parle aussi semble-t-il de problèmes de représentativité, d’assemblées populaires et de mandat impératif… Comment les pouvoirs, exécutif et législatif, appréhendent-ils de ce point de vue la réforme des institutions, déjà reportée pour cause d' »affaire Benalla » et dont la discussion doit normalement reprendre en janvier ? S’agit-il d’un boulet aux pieds, qui pourrait servir de point de cristallisation parlementaire aux contestations, ou peut-on au contraire y voir l’opportunité d’une sortie de crise ?
Voilà qu’une réforme constitutionnelle, organique et ordinaire se profile… ne s’agit-il pas d’un bon moyen de répondre à une partie des interrogations légitimes de nos concitoyens, et de réussir à faire la part de ceux qui veulent construire et de ceux qui ne sont là que pour le plaisir de troubler l’ordre public ?
Il faut répondre à l’aspiration au changement qui s’est manifestée lors des élections de 2017. Sur le plan politique et conceptuel, renouant avec certaines théories développées dans l’histoire constitutionnelle française, ne faudrait-il pas consacrer, à côté du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, un véritable « pouvoir électoral », ou « pouvoir de suffrage » comme le soutenait le fondateur Maurice Hauriou, qui n’était pas, loin de là, un dangereux révolutionnaire ? Cette idée n’a-t-elle pas été mobilisée en 1962 pour justifier l’élection du président de la République au suffrage universel, coeur même de la Vème République ?
Sur le plan de la réforme des institutions, la proposition de mettre en place une « dose » de proportionnelle doit-être réaffirmée et soutenue, mais il faudrait faire mieux que 15 % de proportionnelle (61 députés sur 404) qui pour la plupart des observateurs ne résoudrait pas suffisamment la crise de la représentativité en France. Pourquoi ne pas aller jusqu’à une Assemblée Nationale composée pour moitié de députés élus au suffrage majoritaire, et pour moitié élus au scrutin proportionnel ? Ne faudrait-il pas mettre enfin un terme au mythe du « mandat représentatif » au profit d’un « mandat impératif » dont l’utilisation serait encadrée par des procédures strictes permettant de garantir l’utilisation raisonnable de l’instrument (art. 27 de la Constitution) ? Ne serait-il pas possible de prévoir une élection du Président de la République à la « majorité » des suffrages exprimés et non à la « majorité absolue » (art. 7 de la Constitution), tout en conservant la règle selon laquelle seuls les deux candidats les mieux placés peuvent se présenter au deuxième tour, afin de laisser la possibilité au vote blanc de s’exprimer ? Ne faudrait-il mettre en place un véritable référendum d’initiative populaire, et non la « farce » du référendum d’initiative partagée (art. 11 de la Constitution) qui n’est qu’un référendum d’initiative parlementaire, toujours inutilisé ? Enfin, ne serait-il pas temps de réécrire l’article 89 de la Constitution, relatif à la procédure de révision de la Constitution, afin de lever le veto des Assemblées ?
Aujourd’hui, la crise de la représentativité ne peut pas être ignorée. Pour autant, faut-il souhaiter le « grand soir » dans un contexte où les violences pourraient se multiplier et où ce sont les forces extrémistes qui pourraient en tirer profit ? Assurément non et c’est pour cela qu’il faut proposer des solutions. Il existe une porte pour une sortie de crise politique : faire de la prochaine élection européenne et de la réforme des institutions des moments de proposition politique, d’intelligence collective, de démocratie retrouvée et apaisée.
Romain Rambaud