Par ordonnance de tri du 28 janvier dernier, le Conseil d’Etat a rejeté un recours en référé-suspension contre la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la Commission nationale du débat public (CNDP) s’est saisie de la mission d’accompagnement et de conseil du gouvernement en vue de l’organisation du Grand débat national (GDN).
La requête a été déposée le 9 janvier 2019, dans le contexte de polémique sur le traitement de la présidente de la Commission, polémique à propos de la diffusion de laquelle on peut être circonspect. Le requérant soutenait d’une part que la Commission n’était pas compétente pour assurer cette mission, et d’autre part que la nomination de sa présidente, Madame Chantal Jouanno, pour prendre en charge cette mission, était contraire à l’article R121-12 du code de l’environnement ainsi qu’au règlement intérieur de la Commission.
De façon générale, il est très difficile d’obtenir la suspension en urgence d’une décision qui a déjà été presque totalement exécutée. En l’espèce, 23 jours s’étaient écoulés entre l’adoption de la décision par la CNDP et le dépôt de la requête en référé. En outre, la mission était déjà bien avancée : le rapport de fin de mission de la CNDP, téléchargeable ici, est daté du 11 janvier. Le jour du dépôt de la requête, la Commission adoptait d’ailleurs sa décision actant le retrait de sa présidente et constatant que sa mission était terminée.
Pour tenter de convaincre de l’urgence, la requête met en avant que la Commission avait « vocation, dès la mi-janvier, à enregistrer et à accompagner les débats organisés localement dans le cadre du [GDN] ». Or, cela ne ressortait pas de manière aussi limpide de la décision du 17 décembre qui conditionnait la poursuite de sa mission au respect par le gouvernement des « principes fondamentaux de la Commission nationale du débat public ».
En tout état de cause, le Conseil d’Etat relève que la présidente de la CNDP s’est retirée de la mission confiée par cette décision et que la phase préparatoire du GDN est terminée au moment où il se prononce. Il en déduit que les conclusions du demandeur ne peuvent qu’être rejetées, ajoutant qu’il n’est pas démontré que la condition d’urgence est remplie. La requête est donc rejetée par une ordonnance de tri sur le fondement de l’article L522-3 du code de justice administrative (CJA), c’est-à-dire sans tenue d’une procédure contradictoire et sans audience.
Sur le fond, les arguments soulevés ne sont que partiellement convaincants.
Le premier, sur la compétence de la CNDP, rejoint les questions posées dans le précédent billet. Néanmoins, il n’est pas suffisant de soulever, comme le fait la requête, que trois des thèmes retenus pour le GDN « n’entrent pas dans le cadre [des] missions [de la CNDP] définies de manière limitative par l’article L. 121-1 du code de l’environnement ». En effet, la lecture détaillée de cet article montre que les compétences de la CNDP en matière de conseil ont été volontairement élargies par le législateur au-delà des questions d’environnement et d’aménagement. Si la Commission ne détient un pouvoir de décision que sur des thématiques environnementales et d’aménagement, ses missions de conseil ont vocation à faire d’elle un guide en matière de méthodologie de la participation, ce quelles que soient les thématiques. Telle était semble-t-il l’intention du législateur en 2002. Ainsi, le II, alinéa 4 de l’article L121-1 énonce que la CNDP « a également pour mission d’émettre tous avis et recommandations à caractère général ou méthodologique de nature à favoriser et développer la participation du public », sans que cela ne soit lié aux questions environnementales et d’aménagement. C’est d’ailleurs sur ce fondement que la Commission s’est saisie, en avril 2018, de la mission de conseil sollicitée par le ministère de la Cohésion des Territoires à propos des Conseils citoyens indépendants, et sur laquelle elle vient de rendre son rapport. Le II, alinéa 3 de l’art. L121-1, que la décision attaquée vise implicitement, aurait aussi pu fonder la compétence de conseil, sous la réserve, formulée dans le billet du 23 janvier, de clarifier la signification précise de l’exigence que le conseil porte sur un « plan, programme ou projet ». Tel qu’il est formulé, le premier argument ne permet donc pas de conclure à l’incompétence de la CNDP pour conseiller le gouvernement en amont du GDN.
Le second argument critique le fait que la Commission ait nommé sa présidente pour qu’elle assure personnellement la mission de conseil et d’accompagnement. Il est fait référence à la disposition de l’article R121-12 du code de l’environnement qui prévoit que la CNDP « élabore son règlement intérieur » et que « ce règlement […] précise / – la liste ou les catégories de décisions pour lesquelles le collège donne délégation à son président et les modalités par lesquelles le président de la Commission nationale du débat public rend compte de ces décisions au collège […] ». La requête pointe également que cette nomination contreviendrait au règlement intérieur de la CNDP lui-même. Cette règle concernant le contenu du règlement intérieur est relativement récente, puisqu’elle a été insérée par le décret n° 2017-626 du 25 avril 2017, en son article 2 (pour l’ancienne version de l’article, alors numéroté R121-13, voir ici). Elle vise, selon toute vraisemblance, à adapter le mode de fonctionnement de la CNDP à l’élargissement de ses pouvoirs tel qu’il résulte de l’ordonnance 2016-1060 du 3 août 2016.
Le règlement intérieur de la CNDP ne contient en effet pas de disposition concernant les éventuelles délégations que le collège peut donner à la présidence de la Commission pour qu’elle adopte des décisions. Sur ce point, l’exécution du décret mentionné ci-dessus semble souffrir d’un retard, retard qui s’explique peut-être par le délai de mise en route de la nouvelle mécanique issue de l’ordonnance de 2016. Quoi qu’il en soit, l’argument du requérant ne convainc toujours pas. En effet, la décision attaquée du 17 décembre 2018 n’attribue pas à sa présidente un quelconque pouvoir de décision qu’elle pourrait exercer au nom de la Commission pour l’avenir : elle lui confie une mission, celle de conseiller et d’accompagner le gouvernement en amont du lancement du grand débat. Une telle mission de conseil ne recouvre pas la possibilité d’adopter des « décisions ». La nomination de la présidente de l’autorité ne méconnaît donc ni le règlement intérieur de la Commission, ni l’article R121-12 du code de l’environnement.
La requête a ici été écartée sur le fondement de l’article L522-3 du CJA en raison du retrait de Madame Jouanno, qui prive en quelque sorte la requête de son objet. Mais si ce retrait n’était pas intervenu, ou bien si la requête avait été déposée plus tôt, il est possible de penser que le référé-suspension en cause n’aurait pas non plus abouti, le doute sur la légalité n’étant pas « sérieux », ce qui est une condition de réussite d’une telle procédure d’urgence. La requête au fond, qui doit obligatoirement être associée au référé-suspension selon l’article L521-1 du CJA, continue en principe de courir. Nous verrons si la procédure parviendra à son terme, si la requête fera valoir d’autres arguments, et la position que le Conseil d’Etat adoptera.
A suivre !
Camille Morio