11/12/2014 : « Peut-on faire confiance aux sondages politiques? », le texte de la conférence citoyenne sur les sondages à Grenoble

Chers amis,

La conférence citoyenne avec R. Avrillier ayant eu lieu (et s’étant fort bien passée), je vous prie de trouver ci-joint mon intervention en attendant des travaux plus structurés qui permettront d’intégrer les éléments dont dispose R. Avrillier. Je remercie encore ceux qui sont venus nous aider à essuyer les plâtres du lancement des conférences citoyennes à Grenoble, et qui n’étaient pas si peu nombreux. Merci encore à Raymond Avrillier pour sa participation et à Philippe Gonnet, du Dauphiné Libéré, pour sa modération et pour la communication dans la presse locale, un point auquel nous sommes attachés !

Prochaine conférence citoyenne le 27 janvier à l’office du tourisme, avec Nicolas Kada dans le rôle du professeur et M. le maire himself, Eric Piolle, pour l’acteur. Pouvait-on rêver mieux pour consolider cette nouvelle aventure ?

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Conférence citoyenne

Peut-on faire confiance aux sondages politiques ?

La Commission des sondages a publié le 27 novembre sur son site internet un communiqué ayant pour objet d’alerter l’opinion publique sur la très faible valeur à venir des sondages qui seront faits à propos des différentes élections primaires.

D’après la Commission des sondages, « La commission tient à souligner la difficulté particulière que soulève la réalisation de ces sondages. Elle est relative au fait que l’on ne connaît pas encore avec précision les modalités qui seront retenues et notamment le degré d’ouverture de ces primaires, ce qui entraîne l’impossibilité pour l’heure d’en définir exactement la base électorale ». Autrement dit, on ne sait pas aujourd’hui, d’une part, s’il y aura effectivement des primaires au PS, et d’autre part, quelle sera la forme, plus ou moins ouverte, des primaires de l’UMP. Par conséquent, on ne peut pas savoir qui va être amené à voter et donc il est difficile, voire impossible, d’établir des sondages puisque par définition, le socle électoral est inconnu.

La Commission des sondages conclut donc par une formule assez définitive : « Il en résulte que doit être évitée toute extrapolation des résultats obtenus dans le cadre de ces sondages qui doivent être interprétés avec la plus grande prudence », ce qui est une autre façon de dire que ces sondages ne signifient pas grand-chose. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant, car la Commission des sondages tient le même discours, à propos des sondages de primaires ouvertes, depuis 2011 et les primaires écologistes, qui avaient d’ailleurs pris les sondeurs en défaut.

 Ce qui pose une autre question : qui a parlé de ce communiqué, et qui connaît la Commission des sondages ? Pourtant, cette question de la connaissance des sondages et de leur encadrement juridique devrait être fondamentale, alors que la course à l’Elysée va commencer et que les sondages auront une importance fondamentale sur la campagne électorale.

Quelques chiffres.

On peut tout d’abord commencer l’analyse par quelques chiffres qui permettent de mettre les choses en perspective. Dans son ouvrage intitulé « L’ivresse des sondages », le professeur de sciences politiques Alain Garrigou souligne qu’entre 1980 et 2000, le nombre de sondages publiés a doublé en France pour s’élever aujourd’hui à plus d’un millier par an (soit trois sondages par jour calendaire). Ce mouvement s’était stabilisé depuis le début des années 2000, mais il commence à augmenter de nouveau avec les primaires. Cependant, on ne dispose de chiffres véritablement précis et fiables que pour ce qui concerne les sondages électoraux car il est impossible de dire avec précision combien de sondages politiques sont publiés, à défaut de pouvoir dire d’ailleurs précisément ce qu’est un sondage politique. Ce nombre, donné par la Commission des sondages, est en augmentation constante, la France étant réputée être l’un des pays, avec les Etats-Unis, à être le plus friande de sondages :

– Les élections présidentielles : 1981, 111 sondages ; 1988, 153 sondages ; 1995, 157 sondages ; 2002, 193 sondages ; 2007, 293 sondages, 2012, 409 sondages. Avec plus de 400 sondages, le scrutin présidentiel de 2012 a atteint un record, le rythme de publication atteignant environ deux sondages par jour, au cours des quatre derniers mois de la campagne et même trois en toute fin de période. Cela s’explique par la multiplication des médias et par l’organisation de primaires ouvertes.

 – Les élections législatives : 63 sondages en 2002, 153 en 2007, 79 en 2012. Le nombre de sondages est donc variable.

– Les élections municipales : alors que les élections municipales de 2001 avaient donné lieu à 203 sondages relevant du champ de contrôle de la commission, celles de 2008 à 108 sondages, ces chiffres s’élèvent, pour 2014, à 248 sondages. Le chiffre est donc aussi ici variable mais il a tendance à augmenter.

– Les élections européennes : s’agissant des élections européennes, les chiffres sont les suivants : 33 sondages en 2004 ; 28 sondages en 2009 ; 63 sondages en 2014, c’est-à-dire de sondages en continu avec échantillon rotatif. Le nombre de sondages pour les élections européennes a donc également tendance à augmenter.

Quelques éléments théoriques

Les sondages ont-ils une influence sur la vie politique ?  C’est une question fondamentale à laquelle la science politique a toujours cherché à répondre. Il faut ici distinguer deux points, l’effet des sondages sur l’électeur et sur l’offre électorale, qui sont deux questions très différentes :

D’une part, l’effet des sondages sur l’électeur est discuté, et plusieurs analyses coexistent. On peut en distinguer au moins 4 :

– Certains pensent qu’aucun effet avéré n’a jamais été démontré, mais cette position est très minoritaire.

– D’autres pensent qu’il y a des effets mais que ces effets s’annulent : les sondages vont provoquer une réaction de surmobilisation pour le candidat mal-placé, et en même temps une réaction de panurgisme conduisant les électeurs à voter pour celui qui serait le mieux classé dans les sondages. C’est la conception classique de la science politique sur les sondages.

–  D’autres pensent qu’il y a des effets et que ces effets ne sont pas neutres. Pour ces personnes, il y a une manipulation de l’électeur par les sondages le plus souvent, et ces personnes ne font pas confiance à l’encadrement juridique des sondages. C’est une conception assez forte dans certains milieux politiques et portée par de nombreux sociologues comme P. Champagne et P. Lehingue par exemple.

– Enfin, d’autre personnes pensent qu’il y a des effets des sondages mais considèrent que ces effets sont légitimes, en vertu d’une conception moins classique de la démocratie : ces personnes considèrent qu’il est légitime de se décider en fonction de ce que pensent les autres, et qu’il est légitime de disposer de l’information du sondage avant de se décider. Cette conception s’accompagne d’une vision plutôt libérale de la société qui prend en compte la liberté d’expression dans le fait de publier un sondage mais aussi de lire des sondages. C’est la conception des tenants actuels de ces questions que l’on voit dans de nombreuses émissions de télévision comme D. Reynié ou R. Cayrol par exemple. Ce sont donc plusieurs conceptions différentes de la démocratie qui s’opposent sur ces questions.

D’autre part, l’effet des sondages sur l’offre politique est indiscutable. Si l’effet des sondages n’est pas avéré sur l’électeur, il est évident en ce qui concerne la structuration de l’offre politique et le déroulement des campagnes électorales. C’est finalement très amont du vote que les sondages ont aujourd’hui le plus d’effets, et non très en aval, juste avant le vote, comme on pouvait le penser initialement. En effet, les sondages impactent très directement les hommes politiques et les médias. Mais ici aussi, la question de savoir si cette influence est légitime ou non dépend de la conception que l’on retient de la démocratie.

En premier lieu, les hommes politiques utilisent toujours davantage les sondages, pour choisir leurs candidats, pour déterminer leur positionnement, pour choisir leurs thèmes de campagne, pour résoudre leurs points faibles et mettre en avant leurs atouts, etc.Cela est encore plus vrai aujourd’hui du fait de l’organisation de primaires internes aux partis politiques. C’est ainsi que Le Monde nous a appris il y a quelque jours que le directeur général de l’IFOP avait présenté à l’équipe de François Hollande les attentes des français dans l’optique de l’acte 2 du quinquennat.

En deuxième lieu, les sondages ont une influence extrêmement forte sur les médias. Ceux-ci sont en effet très friands de l’évolution des mouvements d’opinion et donc, en tant qu’ils permettent d’en rendre compte, des sondages. Ils tendent en outre à mettre en avant les hommes bien placés dans les sondages autant qu’à délaisser ceux qui n’ont guère d’écho dans l’opinion publique. Ce phénomène conduit à la fameuse « course de chevaux » entre candidats qui peut nuire à l’action politique.

Enfin, il faut souligner que ce phénomène est renforcé par le CSA. En effet, le CSA contrôle le respect par les chaînes de télévision et de radio l’obligation de pluralisme et dans ce cadre il se fonde entre autres critères sur les sondages d’opinion pour vérifier la répartition des temps de parole entre les forces politiques. Cela donne donc encore plus d’importance aux sondages dans l’offre politique : et cela les gens l’ignorent beaucoup trop.

Les sondages sont donc fondamentaux dans la structuration de notre offre politique. Ce qui pose la question de la confiance que l’on peut avoir en eux : sur ce point, la réponse à laquelle la recherche conduit est une réponse très prudente, mitigée. Les sondages sont des outils utiles mais ne sont pas des outils parfaits, qu’il faut prendre comme un élément d’information pour faire ses choix, mais toujours avec recul. On le constate tant en ce qui concerne les résultats des sondages (I) que du contrôle des sondages (II) : ils apportent une plus-value importante au débat mais sont en même temps très imparfaits.

I. Analyse politique : les résultats des sondages

Avant d’aborder ce point, il faut prendre une précaution méthodologique : par nature, les résultats des sondages sont difficiles à déterminer car ils ne mesurent l’état de l’opinion qu’au moment où ils sont réalisés et n’ont aucune valeur prédictive. Par conséquent, les sondages dont on peut à peu près mesurer la validité de façon certaine, dans le meilleur des cas, sont les sondages qui sont réalisés juste avant les élections dans la mesure où l’on peut comparer à peu de temps d’intervalle les sondages en question avec les résultats de ces mêmes élections. En revanche, pour les autres sondages politiques, c’est-à-dire ceux qui sont réalisés très en amont de l’élection, déterminer leur effectivité est par définition impossible puisque l’élection n’a pas lieu le jour où le sondage est effectué. L’analyse ne peut donc dans le meilleur des cas qu’être partielle.

Si l’on étudie les résultats des sondages, force est de constater que la validité de ceux-ci varient dans le temps et en fonction de l’élection. On va se concentrer sur la présidentielle car c’est la seule sur laquelle il est possible de procéder à une analyse rapide.

Pour l’élection présidentielle, le bilan est plutôt bon mais n’est pas parfait. Il conduit à une grande prudence dans leur utilisation. On peut dégager plusieurs règles à l’observation : (1) Les grandes lignes de forces et les grands mouvements sont bien traduits par les sondages, qui se rapprochent des bons résultats lorsque l’élection vient (2) En général, sauf l’exception notable de 2002, les sondages déterminent correctement les deux candidats qualifiés au second tour. (3) Parfois, les écarts cependant entre les candidats sont beaucoup plus importants que ceux qui sont prévus et les mouvements de passage de l’un à l’autre n’est toujours facile.

– En 1981, 21 sondages ont précédé l’élection présidentielle de 1981, entre décembre 1980 et mars 1981, et donnaient en moyenne 50.57 % des voix pour VGE contre 49.42 % des voix pour Mitterrand, mais ils indiquaient la montée en puissance progressive de la gauche. Entre les deux tours, les sondages commençaient à s’inverser : 52 % pour Mitterrand selon un sondage Sofres du 8 mai 1981, 52.3 % pour François Mitterrand selon un sondage IFOP. Le résultat final sera de 51.76 % contre 48.24 %.

– En 1988, les sondages ont plutôt bien fonctionné. Mitterrand, Chirac et Barre ont fait le score attendu, seul Jean-Marie Le Pen était déjà un peu sous-estimé.

– En 1995, la situation fut moins bonne bien sûr dans le cadre du conflit Chirac/Balladur et le scrutin fut analysé comme un échec des sondeurs, qui avait gonflé la bulle sondagière spéculative de Balladur, et qui n’avaient pas vu que Lionel Jospin serait devant Jacques Chirac au premier tour. Mais en réalité la situation n’est pas vraiment celle-là et les sondages ont finalement suivi les mouvements, la perte de poids de Balladur, la montée en puissance de Chirac, même si y eu une surprise pour Jospin qui fit beaucoup plus que prévu… mais finalement les deux candidats arrivant en tête ne changèrent pas : pour ce qui est de TNS Sofres, si Balladur était à 33%, Jospin à 24 % et Chirac à 14% en mars 1994, la situation s’était inversées en mars 1995 et Chirac était 24%, contre 21 % pour Jospin et 20 % pour Balladur, et Chirac augmenta pendant que Balladur descendait tout au long.

– En 2002 également, bien sûr, l’élection fut présentée comme un échec des sondages qui n’ont pas su prévoir la qualification pour le second tour de Jean-Marie Le Pen. En février 2002, on était très loin de la réalité puisqu’un sondage donne un podium constitué de Chirac à 23 %, Jospin à 22 % et Chevènement à 12 %. Le Pen n’est alors qu’à 7 %, comme Arlette Laguiller. Au second tour, Jospin est donné gagnant avec 51 % des suffrages. Un autre sondage réalisé à la même époque donne le même résultat au second tour, mais diffère en ce qui concerne le premier tour. Chirac est donné à 24 %, Jospin à 22, Le Pen à 11, Chevènement à 10 et Laguiller à 7,5. Les sondeurs n’ont pas su voir la montée en puissance de Jean-Marie Le Pen, dont le score était peu plus élevé que d’habitude et en tout cas de 2 à 3 points supérieurs à tous les sondages, ce qui pose le problème du vote caché de Front National. La chute de Jospin avait été bien vue quoique sous-estimée. Il y eut une polémique à l’époque et beaucoup ont considéré que les sondages étaient pour partie responsables de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002. Cette présence tiendrait à la dispersion des voix parmi les candidats de gauche, qui pourrait elle-même s’expliquer largement par la certitude de voir Lionel Jospin accéder au second tour, compte tenu des sondages qui le mettaient loin devant Jean-Marie Le Pen, sauf les deux derniers jours avant l’interdiction de publication des sondages électoraux. Autrement dit, certains observateurs politiques considèrent que les sondages ont biaisé le processus électoral et qu’en leur absence, Lionel Jospin aurait recueilli davantage de voix que le candidat du Front national.

– En 2007, les sondages ont bien fonctionné, même si Nicolas Sarkozy fut sous-estimé par rapport à Jean-Marie Le Pen, qui fut donné beaucoup trop bas, sans doute en raison d’un surinvestissement dans les critères de redressement et surtout au fait d’avoir sous-estimé l’attrait des électeurs de Le Pen pour Sarkozy. Pour le reste l’ordre fonctionna bien : François Bayrou fut bien estimé dans sa montée puis dans sa légère chute, Royal ne fut en tête que très peu de temps au profit de Sarkozy.

– En 2012, les sondages ont été encore meilleurs avec simplement un Mélenchon légèrement surestimé. Sinon les sondages ont retracés fidèlement les résultats selon la dynamique qu’on a pu percevoir pendant la campagne.

– Donc aujourd’hui, quand les sondages donnent le FN premier, l’UMP deuxième et le PS troisième, il y a lieu de s’inquiéter.

Pour les autres élections en revanche, la situation est toujours plus compliquée, c’est impossible de systématiser seulement pour les sondages locaux qui sont en général moins bons, et ces travers sont relevés depuis le début par la Commission des sondages et encore récemment dans son rapport de 2014. En effet les sondages locaux sont souvent faits par des instituts locaux disposant de très peu d’expériences, avec de très faibles échantillons, des difficultés à mesurer l’abstention, une méconnaissance du contexte locale, etc., qui conduisent à de nombreuses erreurs.

Par exemple à Marseille, Patrick Menucci a été très surévalué et Ravier sous-évalué, etc, et d’ailleurs la Commission avait prononcé un communiqué en janvier 2014 pour indiquer que les sondages faits dans les villes de secteur n’avaient aucune valeur à défaut d’être fondés sur les secteurs, puisqu’il s’agissait de sondages globaux. Mais qui a eu connaissance de tels sondages.

A Henin-Beaumont, le FN a été sous-estimé. Je crois savoir qu’il y a eu des problèmes à Grenoble pendant la campagne : sondage exclusif du 18 mars 2014 « Le Dauphiné Libéré, BVA, en partenariat avec Orange » sur les municipales à Grenoble, révèle, dans les intentions de vote du premier tour, une avance de dix points pour Jérôme Safar (35%) sur Eric Piolle (25%). Matthieu Chamussy (UMP/UDI) est crédité de 20%. Enfin, avec 10%, Mireille D’Ornano (FN) accéderait au second tour. On sait que Piolle a fait 29.4 % au Premier Tour et Safar seulement 25.3, avant de gagner au second tour.

L’examen des résultats montre qu’on peut leur faire confiance pour traduire l’état de l’opinion à un moment donné, pour donner les grandes tendances de l’évolution de l’opinion, pour avoir une idée de la qualification des candidats au second tour, mais qu’il existe une marge d’erreur et notamment que l’écart entre les candidats peut être beaucoup plus fort que prévu, au point parfois de bouleverser ce qui était prévu pour l’arrivée au second tour. La question du contrôle des sondages relève du même ordre : elle laisse la même sensation d’ambiguïté : le contrôle est fait de telle sorte que l’on peut avoir globalement confiance dans ces sondages, même si cette confiance n’est pas absolue et que de nombreux progrès restent à faire.

II. Analyse juridique : le contrôle des sondages

Celui-ci résulte de la loi n°77-808 du 19 juillet 1977, modifiée à la marge par une loi du 19 février 2002.

L’exception culturelle française n’est pas un vain mot, en tout en cas en matière de sondages. Le système français de contrôle est très spécifique, pratiquement unique dans les grands pays développés, car c’est un système de contrôle public spécialisé, pris en charge par une autorité administrative indépendante, la Commission des sondages, dont la seule fonction est de mettre en œuvre une réglementation particulière qui vient limiter la liberté d’expression et c’est un point important. La Commission est une autorité administrative indépendante, la commission des sondages, composée de trois magistrats du Conseil d’État, trois magistrats de la Cour de cassation, trois magistrats de la Cour des comptes et deux personnalités qualifiées. Celle-ci est au cœur du droit des sondages.

Pour résumer l’état du droit, la loi régit la publication et la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l’une des élections réglementées par le code électoral, ainsi qu’avec l’élection des représentants au Parlement européen. Elle concerne donc les sondages qui ont deux qualités : ils sont de nature électorale (sondages d’intention de vote) et ils sont publiés. Ne sont pas inclus dans le champ d’application de la loi les sondages non publiés ou les sondages qui n’ont pas de rapport direct avec une élection, tels les baromètres de popularité ou les cotes d’avenir, ou les sondages qui reconstituent une élection passée. En revanche, les sondages liés à des primaires ouvertes ont un rapport suffisant avec l’élection et sont donc contrôlés. C’est heureux. Le contrôle des sondages ne porte donc que sur une partie limitée des sondages aujourd’hui publiés, ce qui constitue sans doute l’une des faiblesses de la législation actuelle. Cette faiblesse s’explique par la protection de la liberté d’expression : celle-ci ne peut être limitée que pour un motif légitime, la protection de l’élection. Lorsqu’il n’y a pas de protection de l’élection, il n’y a pas de motif légitime de mettre en place un contrôle administratif, ce qui explique à ce stade l’absence de contrôle des sondages politiques. Mais la question se discute.

La procédure se déroule de la manière suivante. (1) Tout d’abord la Commission des sondages reçoit du sondeur, concomitamment à la publication du sondage, une notice comportant l’objet du sondage, sa méthodologie, le texte des questions, les marges d’erreur, les critères de redressement, etc. Toute personne a le droit de consulter auprès de la commission des sondages cette notice sur simple demande. (2) Ensuite, la commission des sondages vérifie que les sondages ont été réalisés conformément à la loi, aux textes réglementaires applicables, et à l’ensemble des règles fixées par la pratique. La Commission vérifie sur auto-saisine le respect de la loi par tous les sondages qui sont publiés. Elle peut également être saisie par réclamation d’une personne intéressée, si un citoyen entend contester la validité d’un sondage (Mélenchon ou Avrillier).

S’agissant des règles de fond et de son rôle, la Commission des sondages fait respecter un nombre important de règles de fond, contenues notamment dans le décret du 16 mai 1980 mais qui résultent surtout de la pratique. Elle contrôle ainsi les éléments suivants :

–     Tout d’abord, la Commission contrôle la représentativité de l’échantillon. La Commission vérifie ici des règles aussi diverses que l’inscription des personnes interrogées sur les listes électorales, la représentativité par sexe, catégorie socioprofessionnelle, ou par zone géographique, l’absence de ré-interrogation trop régulière du même panel, l’existence d’un redressement politique par souvenir de vote, qui est obligatoire selon la jurisprudence de la Commission des sondages. La Commission vérifie également la taille de l’échantillon, dont le seuil critique varie selon les enquêtes, et l’utilisation des sous-échantillons. Sur la question de la taille des échantillons, le contrôle de la Commission des sondages est il est vrai encore aujourd’hui trop limité : ainsi, elle ne sanctionne pas des échantillons autour de 400 personnes pour les élections municipales alors que l’on sait très pertinent qu’un tel échantillon n’est pas représentatif et que la marge d’erreur est très forte pour ces sondages. Elle ne fait sans doute pas preuve ici d’une sévérité suffisante.

–     Par ailleurs, la Commission opère un contrôle des méthodes de redressement des échantillons, c’est-à-dire des fameux secrets de cuisine des instituts, controversés et qui font couler beaucoup d’encre. Depuis une mise au point de 1995, le redressement politique est obligatoire, car les chiffres bruts n’ont aucune valeur. Le redressement politique doit être au minimum opéré par souvenir de vote. Néanmoins, en la matière, le contrôle de la Commission des sondages est restreint : elle considère qu’elle doit respecter la marge d’appréciation des instituts et se refuse en principe à imposer des critères uniques, ce qui permet aux instituts d’intégrer des éléments polit logiques pour faire leurs redressements. Elle opère ici un contrôle de l’erreur manifeste et vérifie l’« impératif général de cohérence méthodologique ». Cela implique certaines règles, notamment celle de fixer, pour les redressements, des fourchettes et de désigner une colonne de référence. Tous les candidats doivent être redressés conformément à cette colonne, et il est possible d’en sortir mais à la seule condition de pouvoir l’expliquer à la Commission des sondages. Sur ce point, il est vrai que le contrôle manque aujourd’hui de transparence : en effet, es critères ne sont pas publiés avec le sondage, et ne sont pas disponibles sur demande car la Commission des sondages considère qu’ils relèvent du secret des affaires des instituts, ce que devrait confirmer le Conseil d’Etat, même si on n’a pas encore la réponse, puisqu’il a considéré dans un arrêt Mélenchon de 2012 que si les documents à la disposition de la Commission des sondages étaient des documents administratifs, ils pouvaient être protégés par le secret des affaires. Sur ce point, une proposition de loi avait été faite par les sénateurs Sueur et Portelli mais elle n’a pas abouti.

–     Également, la Commission contrôle les questions posées. Elle contrôle la formulation des questions (non ambigües, non orientées), l’ordre des questions (notamment la question d’intention de vote doit être posée en premier), le respect des règles sur les candidats qu’il est possible de tester ou non en fonction de la proximité de l’élection, le respect des règles sur l’articulation entre le premier et le second tour (interdiction des sondages de second tour secs, obligation de prendre en compte les résultats du premier tour pour construire le sondage de second tour, etc.).

–     La Commission des sondages encadre également les modalités de publication et d’interprétation du sondage. En effet, le contrôle du sondage électoral ne porte pas uniquement sur le sondage en lui-même, mais aussi sur la façon dont il est publié ou diffusé et plus généralement sur la façon dont il est utilisé. Outre la présence des mentions obligatoires devant être publiées (nom de l’institut, caractéristiques de l’échantillon, dates, possibilité de consulter la notice, etc.), la Commission vérifie que les résultats du sondage ne sont pas manipulés ou altérés lors de leur publication et la Commission a posé un principe, l’« impératif de précaution dans la présentation des résultats », dont la mise en œuvre est toutefois délicate en pratique. Cependant en pratique il n’y a guère de sanction et là aussi souvent la mention selon laquelle on peut saisir la Commission des sondages n’est pas présente, et la Commission des sondages n’a guère de pouvoirs pour peser sur les journalistes.

–      Enfin, elle participe au dispositif qui interdit la publication des sondages le jour et la veille du scrutin (75000 euros d’amende) et l’article L. 52-2 du Code électoral interdit la diffusion de résultats avant la fermeture des bureaux de vote. La sanction prévue est de 3750 euros d’amende.

En dernier lieu,  après avoir effectué son contrôle, la Commission des sondages dispose de plusieurs pouvoirs :

–     En premier lieu, la Commission des sondages privilégie le dialogue avec les instituts de sondage et la presse plutôt que l’utilisation de ses instruments coercitifs. La Commission adresse donc plus facilement aux instituts de sondage des lettres d’observations, voire procède par le biais de contacts téléphoniques ou de réunions informelles, plutôt qu’elle n’utilise de mises au point. Ces contacts permanents de la Commission, considérés par elle comme satisfaisants, permettent de mettre en œuvre une action préventive et donc d’améliorer la qualité des sondages sans porter atteinte à la liberté d’expression ; dès lors, il s’agit de la forme d’intervention qui a la préférence de la Commission des sondages. C’est ce qu’elle appelle la « régulation paisible », mais bien sûr la médaille a un revers : celle de favoriser

–     En deuxième lieu, la Commission des sondages dispose du pouvoir de faire des mises au point, prévues par l’article 9 de la loi de 1977, c’est-à-dire d’obliger les médias à publier des communications destinées à alerter l’opinion publique sur le fait que le sondage a été mal réalisé. Elle peut même aller jusqu’à faire programmer et diffuser, à tout moment, ces mises au point par les sociétés nationales de radiodiffusion et de télévision. Ces décisions sont en principe notifiées et publiées, transmises aux agences de presses, et susceptibles de recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’État dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision. C’est le principal instrument coercitif à la disposition de la Commission des sondages, et il est assez dissuasif pour les instituts. Cependant, en pratique, sa mission principale est relativement mal assurée : il n’est pas évident qu’elle permette vraiment de corriger à temps les effets du sondage dans l’opinion.

–     En troisième lieu, enfin, en vertu de l’article 12 de la loi de 1977, la plupart des dispositions du droit des sondages électoraux sont sanctionnées pénalement, par une amende de 75000 euros. Toutefois, les sanctions pénales sont rarissimes voire tout simplement inexistante, car ces sanctions pénales paraissent disproportionnées.

Conclusion

Dès lors, pour conclure, il apparaît que les sondages ne sont ni le diable qu’on décrit parfois, ni l’oracle que certains souhaiteraient. C’est donc dans la modération qu’il est le plus facile d’avancer sur le sujet… mais modération ne veut pas dire abstention, et le citoyen vigilant a, sur cette question, toute sa place.

Romain Rambaud