Chères lectrices et chers lecteurs,
Vous trouverez cette semaine, dans votre revue juridique préférée (l’AJDA, bien sûr), notre tribune intitulée « Listes électorales : attention aux manœuvres sur les listes électorales ! ». Cette tribune vise à attirer l’attention des lecteurs, juristes, maires, candidats, administrateurs de collectivités territoriales, avocats, etc. sur les risques que fait courir aux élections municipales de 2020 la réforme des listes électorales issue de la loi du 1er août 2016, entrée en vigueur le 1er janvier 2019.
Certes, cette réforme s’est appliquée semble-t-il sans trop de difficultés (avec tout de même quelques dysfonctionnements techniques) pour les élections européennes, et il était heureux que le crash-test fut celui-ci. Pour les élections municipales, cela pourrait poser beaucoup plus de difficultés.
En effet, hier, les inscriptions et radiations sur les listes électorales étaient assurées par des commissions de révision indépendantes composées de façon pluraliste du maire ou de son représentant, du délégué de l’administration désigné par le préfet, ou le sous-préfet, et d’un délégué désigné par le président du tribunal de grande instance. Certes, elles ne fonctionnaient pas toujours très bien, mais elles respectaient sur le principe et dans la pratique un principe fondamental, mais négligé, du droit électoral : à défaut d’autorité électorale indépendante en France à la différence de beaucoup d’autres pays, la chaîne des opérations électorales doit être assurée par des autorités présentant des garanties d’indépendance et d’impartialité, afin de garantir la sincérité du scrutin (v. les bureaux de vote, commissions de propagande, commissions de recensement, la commission des sondages, et : CNCCFP, CSA, CNIL, HATVP, CNCCEP, etc.).
Depuis le 1er janvier 2019, le pouvoir d’inscription et de radiation sur les listes électorales, hors les cas automatiques pris en charge par l’INSEE, relève directement… du maire. Certes, celui-ci est contrôlé par une commission dite de « contrôle », qui intervient sur recours administratif préalable obligatoire et systématiquement avant une élection. Cependant, à l’issue d’un parcours parlementaire compliqué, il s’avère aujourd’hui que ces commissions sont, dans les communes de 1000 habitants et plus, composées de… 3 conseillers municipaux de la majorité et de 2 conseillers municipaux de l’opposition. Autrement dit, même si la séance de la commission de contrôle est publique, il existe un risque que la commission soit contrôlée… par la majorité municipale.
Un maire qui décide des inscriptions et des radiations sur les listes électorales (donc du droit de vote mais aussi d’éligibilité), et une commission de contrôle contrôlée par la majorité municipale… n’est-ce pas la porte ouverte à toutes sortes de manœuvres ? (v. pour la même inquiétude, B. Hédin, Réforme de la gestion des listes électorales : compétence du maire pour des inscriptions et radiations au « fil de l’eau », AJCT, 2016. p. 626).
En espérant que cette crainte ne se réalise pas, il se pourrait qu’il y ait sur ce point du travail pour les juges judiciaires (pénal, car une infraction est prévue à l’article L. 113, et civil, car la liste électorale relève du juge civil) et administratifs (en tant que juge de l’élection)… et en amont pour tous ceux qui participent, à un titre ou à un autre, aux élections municipales… Le bilan du contentieux des élections municipales de 2020 permettra sans doute de savoir si cette réforme passera le test de la réalité politique, ou s’il aurait mieux valu ne pas oublier certains fondamentaux…
Romain Rambaud